Rapport du président André Miquel pour l'année 1991

par Pierre Louis

Conseil supérieur des bibliothèques

Paris : Association du Conseil supérieur des bibliothèques, 1992. -128 p. ; 30 cm.
ISSN 1157-3600

L'an passé - le premier de plein exercice - a été très studieux pour le Conseil supérieur des bibliothèques (CSB) : en témoigne ce nouveau rapport publié dès le premier trimestre de cette année et largement diffusé dans l'ensemble des bibliothèques.

En effet, l'année 1991 aura vu le CSB tout à la fois mettre en œuvre et publier une Charte des bibliothèques, être impliqué toujours davantage dans les réflexions sur la Bibliothèque de France, ouvrir toute une série de chantiers nouveaux, tout en assurant le suivi des questions déjà étudiées en 1990.

La complexité, les acquis, les insuffisances des nouveaux statuts des personnels sont rapidement évoqués. Il est clair qu'un suivi dans le détail de la mise en pratique de ces statuts - au demeurant particulièrement laborieuse - s'impose tant pour les bibliothèques de l'Etat que pour celles qui relèvent des collectivités territoriales. En particulier, et parce qu'il dépend directement des statuts, le volet formation connaît à lui seul de très nombreuses difficultés : si les conditions minimales pour la réussite de l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques sont enfin réunies, les formations de base et la formation continue sont l'objet, aujourd'hui encore, de trop nombreuses incertitudes qui doivent être levées au plus tôt pour permettre un fonctionnement amélioré des établissements dans lesquels - le président le souligne avec force - on ne devrait plus trouver un seul agent non diplômé. Si les bibliothèques des grandes écoles qui se préoccupent notamment de la formation de leur personnel et de leur nécessaire coordination semblent sur une bonne voie, les bibliothèques des ministères sont très souvent dans un état affligeant : locaux, accès aux collections, conditions de conservation et, surtout, qualification du personnel, sont des points critiques dans de nombreux services, qui, en outre, ne sont pas fréquemment bien intégrés dans leur ministère.

Le CSB salue la volonté d'ouverture du Centre national de documentation pédagogique vers l'ensemble de l'environnement documentaire ; souhaitons que, dès son prochain rapport, le CSB puisse citer en exemple l'action sur le terrain de nombreux centres régionaux de documentation pédagogique dans les régions.

Le fonctionnement administratif du Centre intemational d'enregistrement des publications en série (le CIEPS a notamment en charge la gestion de l'ISSN) n'est pas satisfaisant et son mode de financement doit être réformé.

Le CSB a accompli diverses démarches pour contrer le déclin français dans les bibliothèques des organismes internationaux et, par ailleurs, il s'attachera à activer les travaux de normalisation où l'on attend les directives concernant l'image fixe, l'audiovisuel et les documents électroniques.

La Charte

Ce rapport du CSB contient in extenso le texte de la Charte des bibliothèques, adopté par le Conseil en novembre demier.

Ce compte rendu rapide ne saurait reprendre les différentes dispositions retenues dans la Charte elle-même, dont une brève introduction situe clairement les enjeux : texte de réflexion et de référence destiné en priorité aux élus et aux administrateurs, la Charte doit servir d'inspiration à des mesures réglementaires ou législatives que le CSB appelle de ses vœux.

Le texte de la Charte est immédiatement suivi d'un historique et d'une analyse des précédents projets de lois sur les bibliothèques par Claude Jolly : l'auteur, ancien responsable du Département des bibliothèques publiques à la Direction du livre, ne témoigne d'aucun enthousiasme visible à l'égard de dispositifs strictement législatifs, dont l'efficacité réelle lui paraît douteuse. Conseils, invitations, sensibilisation, promotion auprès des élus locaux : telles doivent être aux yeux de Claude Jolly les actions prioritaires à mettre en oeuvre par l'Etat.

Dans ses propres commentaires sur la Charte, le CSB a tenu à marquer quels étaient les points forts de ce document :
- un texte pour toutes les bibliothèques dépendant des pouvoirs publics qui dispose en première ligne les bibliothèques de lecture publique à partir desquelles un réseau peut se construire ;
- un appel à la coopération entre les établissements, conçue comme un véritable devoir au bénéfice des usagers ;
- la nécessité d'un contrôle technique renforcé pour toutes les bibliothèques sur le modèle de celui pratiqué par le ministère de la Cuiture ; pourtant, dévolution de l'Inspection générale des bibliothèques et certaines dispositions prévues pour ce contrôle suscitent, sur le terrain, réserves et interrogations ;
- une approche renouvelée du patrimoine qui, dans la lignée du rapport Beghain, met davantage l'accent sur les collections que sur les établissements ; et, en effet, point de bibliothèques municipales classées dans la Charte.

En explicitant lui-même, in fine, les limites de la Charte, le CSB a peut-être pris le risque d'apparaître en retrait par rapport au souhait exprimé en introduction : inspirer des mesures réglementaires et législatives : incitatrice et complémentaire, la Charre s'exerce à législation constante, notamment au regard des lois de décentralisation ; par son existence même, la Charte démontre l'impossibilité actuelle de dispositions contraignantes qui s'imposeraient aux collectivités et elle en prend acte.

La politique européenne des bibliothèques françaises

Le CSB a en charge le secrétariat du Comité français pour le plan d'action européen des bibliothèques. C'est à ce titre que le rapport du CSB dresse un inventaire complet du chantier européen en matière de bibliothèques : trois programmes pilotes (ION, EROM, bibliographies nationales sur CD-ROM), onze autres projets d'initiative et de pilotage français : entreprises thématiques (sciences de la terre, énergie, art moderne...), biblio-techniques (intégration MARC-OSI, reconnaissance optique des fichiers anciens, technologies en faveur des handicapés), ou encore géographiques (base documentaire de l'Europe du Sud, l'Amérique dans les fonds iconographiques anciens) et plusieurs autres projets associant des bibliothèques françaises. Le CSB souligne que cette richesse apparente ne doit pas faire illusion, car, pour les pays européens, la France reste mal placée, alors que les projets intéressant les programmes de formation ne trouvent pas actuellement de traduction européenne concrète.

Par ailleurs, centrées sur la mise en œuvre de nouvelles technologies, les perspectives européennes ne parviennent pas à intégrer des projets « patrimoniaux » : les Etats gardent toutes compétences en matière culturelle et leurs organisations administratives restent très hétérogènes. Et pourtant, le marché du patrimoine existe... Des pistes peuvent s'ouvrir pour la deuxième tranche du plan d'action européen (92-93), à condition de promouvoir des thèmes transversaux : formation, recherche, production audiovisuelle, mécénat, expositions...

La coopération

La coopération entre les bibliothèques françaises a fait l'objet d'une mise au point approfondie sous la plume de Michel Melot, vice-président du CSB.

Après avoir rappelé les enjeux de la coopération (mode d'existence normal de toute bibliothèque...) qui doit se concevoir davantage en direction des usagers qu'en relation avec les tutelles, Michel Melot présente un état des lieux relativement accablant, surtout vis-à-vis des pratiques étrangères :
- la circulation des documents entre bibliothèques reste faible, surtout entre les bibliothèques de lecture publique ;
- à l'exception des centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique, les politiques de conservation et de développement des collections restent modestes ;
- en attendant la montée en puissance du serveur national de la Bibliothèque nationale, puis de celui lié à la Bibliothèque de France, les bases de données régionales et les catalogues collectifs restent dans une situation provisoire et parfois même précaire ;
- les cartes documentaires locales restent à établir, sans doute avec le concours des agences de coopération, à condition que ces dernières puissent attirer plus largement des professionnels au-delà de la lecture publique.

Si des actions exemplaires - parfois encore non abouties - sont proposées par Michel Melot (Mulhouse, Saint-Etienne, Caen, Dunkerque, Saône-et-Loire...) - et sans mettre en cause les mérites et les efforts de ceux qui les ont initiées -, il semble qu'elles résultent souvent de la rencontre d'opportunités, voire de contraintes locales (c'est le cas notamment des ressources documentaires à mettre en œuvre lors de délocalisations universitaires) avec quelque bon sens agissant et bien partagé entre des acteurs convaincus et motivés.

Globalement, à tort ou à raison, moyennes et grandes bibliothèques n'ont, aujourd'hui, guère perçu leur intérêt dans la coopération : Michel Melot le déplore, mais le reconnaît. Et sans doute, peut-on imaginer que même dans les régions aux agences les plus dynamiques, les responsables de bibliothèques, moyennes, grandes ou petites, les yeux fixés sur leurs budgets annuels, redouteraient fort d'en distraire 3 % au bénéfice de la coopération.

Et il est sans doute significatif que les performances des agences de coopération soient surtout visibles hors les murs des bibliothèques elfes-mêmes : formation continue, journées d'étude, expositions.

Il n'en demeure pas moins que beaucoup, sinon tout, reste à faire pour rapprocher, sans les confondre, les réseaux de bibliothèques publiques et ceux des universités, ceux des écoles et des bibliothèques municipales.

D'ailleurs, le CSB suit attentivement les expériences qui, dans le cadre des délocalisations universitaires, tentent des rapprochement entre les bibliothèques municipales et les bibliothèques universitaires (Valence, Blois...) ; et il invite les bibliothécaires à œuvrer au rapprochement des bibliothèques scolaires et des bibliothèques de lecture publique en prenant appui, à chaque opportunité, sur les contrats de programmes liant les collectivités entre elles et à l'Etat.

La Bibliothèque de France

L'appel d'offres pour les pôles associés que l'Etablissement public de la Bibliothèque de France doit adresser aux collectivités locales est attendu pour ce mois de juin 1992.

Plusieurs raisons et divers événements expliquent sans doute les délais nécessaires pour engager une procédure complexe, lourde et novatrice. A cela s'y ajoutent - et c'est le mérite du CSB de les expliciter - des difficultés de fond touchant à la conception même des pôles associés de la Bibliothèque de France : alors que le contexte budgétaire ne favorise pas les opérations à l'extérieur de Tolbiac, on découvre dans le rapport du CSB une interrogation sur la raison d'être de ces pôles associés qui ne s'imposent ni pour une répartition thématique des collections de la Bibliothèque de France, ni pour un développement de grandes bibliothèques en région, ni pour accueillir des tête-services accessibles, de fait, bientôt à la plupart des établissements.

Après avoir exprimé ses doutes, le CSB manifeste fortement son inquiétude devant les difficultés et les retards supportés par le projet du Catalogue collectif de France dont la légitimité et la nécessité ne sont heureusement nullement remises en cause.

En annexe, on trouve le texte complet du rapport sur la Bibliothèque de France (janvier 92) qui avait été demandé au CSB par le secrétariat d'Etat aux Grands Travaux.

Si certains éléments du dossier sont rapidement traités (la place à réserver au jeune public d'une part, aux collections de livres pour enfants d'autre part, ne semble pas avoir donné lieu à un débat approfondi ; par ailleurs, en l'absence de références, notamment françaises, en la matière, on peut éprouver davantage d'inquiétudes sur la possibilité de rendre opérationnel aussi rapidement un système d'information, « vital pour la réussite de l'établissement », très ambitieux avec ses nombreuses et nouvelles fonctionnalités), le groupe de travail du CSB a exploré les multiples aspects du projet, soulignant les points positifs, manifestant parfois de graves réserves (la suppression du magasinage dans les tours est recommandé) et marquant bien souvent ses interrogations et ses inquiétudes pour le fonctionnement futur de la Bibliothèque de France.

On connaît les décisions publiques qui ont suivi la remise de ce rapport. On veut espérer que les équipes au travail pourront tenir le plus grand compte des recommandations du CSB, car la réussite de la Bibliothèque de France importe aussi à tous les orofessionnels.