Éditorial

Ainsi, de retards historiques en relances vite retombées, en est-on arrivé à une conjoncture de la dernière chance : c'est maintenant ou jamais, à deux décennies de la fin du siècle, qu'une politique soutenue des bibliothèques doit être lancée à tous les niveaux de responsabilité.

Tels sont les termes dans lesquels s'exprimait, voici onze ans, en juillet 1981, le rapport Les bibliothèques en France, dit aussi rapport Vandevoorde. Ce rapport dressait un bilan sans complaisance de l'état des bibliothèques dans l'Hexagone. Alliant précision de l'information et ambition des analyses, ce rapport ne se contentait pas de dresser un constat, aussi détaillé soit-il, mais donnait des axes de développement, chiffrait les besoins, planifiait les échéances, précisait les responsabilités des différents acteurs. Etabli par la Direction du livre (à la différence de Pour une politique du livre et de la lecture, dit rapport Pingaud-Barreau qui le suivra de peu), il en porte aussi la marque. Ainsi, les bibliothèques universitaires, présentes et dont les carences sont elles aussi démontrées, verront plus tard le rapport Miquel évoquer leur situation avec une fermeté plus grande encore. Ainsi, la Bibliothèque nationale n'est, curieusement, pas traitée dans le volume. Une absence qui, à sa manière, est bien le signe d'une clôture, de la fin d'une époque, celle des trente années de l'après-guerre, qui auraient voulu faire de cette bibliothèque le référent exemplaire et le service commun de toutes les bibliothèques.

Rappelons quelques-unes des grandes lignes des conditions du développement qu'exposait le rapport Vandevoorde.

Du côté des bibliothèques municipales : construction de 1,4 million de locaux nouveaux, triplement du nombre de livres, quadruplement des effectifs de personnel professionnel, relance pluriannuelle des aides de l'Etat dans le cadre d'une loi-programme. Du côté des bibliothèques centrales de prêt : achèvement de la couverture du territoire, augmentation des moyens, redéfinition des missions, notamment dans le cadre de la « réforme des collectivités locales » (le mot décentralisation n'est pas encore franchement employé). Le tout en ayant le souci de la réduction des inégalités géographiques et dans le cadre d'une loi à diverses reprises évoquée de manière interrogative. Meilleur recensement et développement de l'offre, formation des personnels, sont les principales exigences présentées pour le « tiers réseau ». Du côté des bibliothèques universitaires : réforme institutionnelle, qui redéfinisse les modalités de l'offre dans le cadre d'un service commun chargé de définir une politique documentaire, de contrôler et répartir les crédits, doublement des acquisitions d'ouvrages (qui permette de passer de 0,56 ouvrage par étudiant à un), taux d'encadrement de trois personnes (dont deux professionnels) pour 350 étudiants. Les questions de la conservation du patrimoine, du statut et de la formation des personnels, des instruments bibliographiques, de « l'automatisation » font également l'objet de propositions de développement.

1981-1991. Les dix dernières années ont été suffisamment riches en développements et tentatives pour que l'on se risque à tenter un premier bilan.

Un premier bilan que nous savons partiel. Ainsi la situation des bibliothèques de l'enseignement primaire et secondaire, évoquée dans une précédente livraison du BBF, n'a pas été reprise ici. Souhaitons au passage que celles-ci fassent un jour l'objet de statistiques nationales développées qui en permettent enfin la véritable analyse et évaluation.

La coopération, à laquelle était consacrée une récente livraison du Bulletin, devra bien sûr faire l'objet de nouvelles analyses, tant la tradition française semble bien avoir une extrême difficulté à décliner des modes de coopération adaptés.

Comme devra être interrogée dans quelque temps la place de la Bibliothèque de France dans le réseau et les modifications qu'elle sera susceptible d'y introduire.

Puisse ce bilan servir de base à de nouvelles interrogations, à des remises en cause, à de nouvelles définitions d'objectifs, à des comparaisons européennes, à la mesure de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire.