Les documents sur support informatique dans les bibliothèques

Annie Le Saux

La multiplication des supports conditionnera le développement futur des bibliothèques publiques, au moins dans les termes employés, comme en témoignent déjà celui, actuellement consacré, de médiathèque et ceux, moins usités, pour l'instant, de logithèque ou didacthèque. Comment les bibliothèques reçoivent et intègrent-elles les documents sur support informatique ? Nombreux était le public intéressé par ce thème, développé lors de la journée organisée par la Médiathèque de La Villette le 7 février 1992.

Si ces documents suivent le même circuit technique - acquisitions, traitement des documents, mise à disposition du public - que les documents sur des supports plus classiques, la capacité de certains d'entre eux à réagir aux sollicitations des utilisateurs leur procure une spécificité qui entraîne contraintes et surveillances et leur utilisation implique, pour les bibliothécaires, une formation en micro-informatique, complémentaire de leur formation de bibliothécaire/documentaliste.

Les logithèques

Quand on se place du point de vue du public, le support informatique est a priori un atout, surtout par sa rapidité et par l'attrait qu'offrent l'écran et le clavier ; mais, du point de vue des bibliothécaires, il suppose un investissement en matériel, temps et formation, qui n'est pas toujours bien compris ni accepté. Rares sont, par exemple, les bibliothèques qui ont intégré une logithèque à leurs fonds : à part celles de la Médiathèque de la Villette et de la Bibliothèque publique d'information à Paris, on n'en dénombre que huit en France, dans les bibliothèques municipales.

Créer une logithèque - c'est-à-dire une bibliothèque de logiciels, appelée encore didacthèque si elle ne possède que des didacticiels, logiciels éducatifs - demande, outre une volonté conjuguée des élus et des bibliothécaires, une réflexion préalable sur ce qu'on veut faire avec les logiciels. Préfère-t-on s'orienter vers les didacticiels - ce qui est le cas à la Médiathèque de La Villette - ou plutôt vers les jeux - comme actuellement à la bibliothèque de Caen, où, pour 235 logiciels éducatifs, on trouve 1 033 logiciels de jeux ? Quels logiciels choisir ? Sélection très délicate, une des difficultés consistant justement à savoir où se renseigner sur les produits et où les trouver. Il n'y a malheureusement pas de correspondant des Livres disponibles pour les logiciels, bien que l'ORAVEP (Observatoire des ressources audiovisuelles pour l'éducation permanente) ait édité un guide, consultable sur le 36 16 : Le répertoire thématique des ressources audiovisuelles et multimédias.

C'est ainsi que les bibliothécaires en mal d'informations s'adressent à la logithèque de la Villette, notamment à la logithèque professionnelle. Bien sûr, remarque Joëlle Muller, responsable des trois logithèques de La Villette, « une perspective serait de mettre en réseau les différentes didacthèques et les centres de ressources d'information afin d'avoir une base de données commune. » Un projet existe de télédidacthèque - la réalisation ne pourra se faire qu'une fois réglée l'accord avec les éditeurs -, qui permettrait d'avoir des lieux de visionnement depuis la province.

Pirates et virus

Enfin, et en dernier lieu seulement, devrait intervenir le choix du matériel le mieux adapté à l'utilisation des logiciels, en tenant compte, si possible, du matériel que les utilisateurs ont chez eux, même si le prêt des logiciels est théoriquement interdit. Du moins actuellement, car il existe un projet de loi au niveau de la Communauté européenne à ce sujet.

Le piratage, hantise des éditeurs, pose un problème juridique qui rappelle celui des disques. Une solution serait de développer la protection des logiciels, de trouver un moyen d'empêcher les copies, en les prêtant sous forme de cartouches, par exemple. Pour l'instant, on rencontre les deux cas de figure suivants : celui de la logithèque de La Villette, qui, conformément à ce qui est indiqué sur la licence d'achat des logiciels, ne peut pas prêter et ne prête pas ses logiciels et celui de la logithèque de Caen, qui, ne pratiquant pas la consultation sur place, prête, elle, ses logiciels, à des tarifs allant de 8 à 22 F - selon le prix d'achat du logiciel -, ce qui lui permet de s'autofinancer en totalité.

Quel doit être en fin de compte le rôle de la bibliothèque ? Doit-elle prêter envers et contre tout et quel que soit le support, l'usage créant ainsi la règle, ou doit-elle attendre qu'une hypothétique et lointaine réglementation le lui permette ?

Le risque de contamination par des virus, hantise cette fois de tout possesseur de micro-ordinateur et donc des logithèques et risque si tangible qu'il s'est créé un club antivirus consultable sur le 36 15, code Virus, représente un autre obstacle majeur au prêt des logiciels. Mais ce problème existe aussi à l'intérieur même de la logithèque, où l'utilisateur peut apporter ses propres disquettes et contaminer les micro-ordinateurs.

Formation et autoformation

Travailler dans une logithèque implique une connaissance de la micro-informatique. De ce fait, on ne trouve pas partout l'adhésion du personnel. Il existe encore et toujours des phénomènes de rejet dus au fait que la micro-informatique, c'est l'inconnu, ça fait peur, d'autant plus que ce secteur n'est pas encore prévu dans les formations officielles. La Direction du livre et de la lecture n'a, pour l'instant, aucune politique définie pour favoriser les logithèques. Un groupe devait se former à l'issue de cette journée, espérant faire pression et combler le vide en ce domaine. La création des logithèques, pour l'instant inorganisée, dépend de bonnes volontés et les « apprentis logithécaires » complètent leur formation initiale de bibliothécaire/documentaliste par une autoformation ou par des stages en micro-informatique.

Une fois formé, le bibliothécaire doit-il devenir lui-même le formateur des utilisateurs ? L'informatique pose, en effet, des problèmes techniques que ne pose pas l'accès au livre. La didacthèque de Montpellier a contourné cet obstacle en achetant de nombreux guides de formation à l'informatique en général et aux différents logiciels.

L'utilisateur, suivant qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes, a une approche différente vis-à-vis de la micro-informatique. Les enfants ont une approche ludique même avec les didacticiels, alors que les adultes viennent pour travailler. « L'observation comparée d'un enfant et d'un adulte, tous les deux novices, est instructive » constate Joëlle Muller, qui poursuit : « Généralement, l'enfant s'approche du clavier, commence à taper sur toutes les touches et, par essais/erreurs, découvre le fonctionnement du menu et des didacticiels. L'adulte non initié regarde les autres faire, reste éloigné du clavier et demande des explications avant de se lancer. »

Les aspects financiers ont été abordés par les trois intervenants. Les frais d'investissement en matériel, qui devient vite obsolète et qu'il faut renouveler fréquemment, sont importants. Et faire de la prospective dans le domaine de l'informatique augmente le risque de se tromper.

Quant aux didacticiels, leur prix moyen est de 250 F (cela correspond à un cours de 20 mn à 1 heure) s'il s'agit d'un didacticiel pour enfants et de 3 500 F (un logiciel peut aller de 900 à 15 000, voire 20 000 F) pour un didacticiel pour adultes. Certains de ces didacticiels représentent 30 h de cours. Le coût élevé d'un bon didacticiel s'explique par le fait qu'il nécessite l'intervention de plusieurs spécialistes : enseignant, informaticien, graphiste. Un projet de la Communauté européenne envisage de faire baisser ces prix en développant la diffusion et en concevant des produits multilingues dès le départ.

Offrant une utilisation en quasi totale autonomie, la logithèque favorise l'autoformation - fonction que remplissait déjà la bibliothèque - et attire un public souvent réfractaire à l'apprentissage par la lecture. D'une façon générale, et de l'avis d'Hedwig Villière, de Montpellier, d'André Verlet, de Caen, et de Joëlle Muller, de Paris, l'aspect le plus positif est l'intérêt que le public manifeste pour ce type de support, même si, du côté des bibliothécaires, cela demande un travail énorme de service public et une très grande disponibilité.

Les disques optiques compacts

Il reste très important que les bibliothèques fassent connaître au grand public tous les nouveaux supports et leur en facilite l'accès. Les organisateurs de cette journée avaient choisi de débattre de l'un des plus florissants : le CD-ROM, ou comme préfère l'appeller, à juste titre, Hervé Le Crosnier, conservateur à la bibliothèque universitaire de Caen, le DOC, disque optique compact. Déjà bien implanté dans les bibliothèques, ce média reçoit lui aussi l'accueil favorable du public, bien que chaque logiciel ait sa propre technique de recherche et nécessite de passer par une formation. Le DOC est en France moins banalisé qu'aux Etats-Unis, où, à travers l'exposé de François Lapèlerie, conservateur à la bibliothèque d'Aix-Marseille II, on constate que, même dans les bibliothèques de lecture publique - mais cependant d'une façon moindre que dans les bibliothèques universitaires (à raison d'un pour dix environ) -, l'adhésion du public est générale.

De l'éternelle comparaison de ce trio de supports offerts au public que sont les bibliographies imprimées, les banques de données et les DOC, il ressort que le DOC a une très nette tendance à supplanter les deux autres, du fait, notamment de l'accès direct et autonome qu'il offre, sans besoin d'encadrement, du fait surtout que son utilisation n'impose pas de limite de temps, à la différence des banques de données en ligne, très coûteuses. « Quoique, note Hervé Le Crosnier, pour certains systèmes en ligne, l'utilisateur paye au nombre de réponses qu'il garde et non plus au nombre de titres qu'il regarde ». La fréquence de l'utilisation d'une banque de données doit cependant influer sur le choix de l'un ou l'autre support : pour une utilisation fréquente, le choix du DOC est judicieux, alors que, pour de faibles utilisations, l'accès en ligne reste plus économique. Une étude préalable de la finalité de ces médias s'avère donc pertinente dans le choix de l'un d'eux.

Dès lors qu'un DOC est très consulté, le problème de la bibliothèque se pose en termes de postes de consultation. Annie Léon, conservateur à la bibliothèque universitaire de Paris IX-Dauphine, a exposé le cas de cette bibliothèque, qui a installé les CD-ROM en réseau, afin de multiplier le nombre de postes en accès simultané. Ce réseau est constitué de Il postes mixtes avec logiciels et CD-ROM, avec possibilité de sorties disquettes, 6 postes en libre accès sans sorties disquettes, 10 postes informatiques dans le hall de l'université.

Cette mise en réseau a demandé l'utilisation de serveurs assez puissants, d'un coût élevé, et n'a été possible que grâce à un service informatique fort. Cette configuration est assez peu répandue actuellement, seules deux ou trois sociétés offrent en France des systèmes clés en mains permettant une interrogation simultanée. Une telle mise en réseau demande aussi l'accord des producteurs de CD-ROM et des négociations financières pour une utilisation de leurs produits en réseau.

L'éventail des variantes offert par les CD - qui va du CD-ROM XA, qui a le son en plus, au CD-Vidéo de Philips et Sony, adapté aux images animées, en passant par le Photo-CD de Kodak et de Fuji Film, ou le CD interactif de Philips et Sony également, où le lecteur, relié à la télévision, permet de naviguer par télécommande - montre que le marché du DOC, qui, au départ, était institutionnel, tend à s'élargir désormais à un marché domestique, axé sur la télévision.

Cette familiarisation de plus en plus grande avec l'outil informatique est étudiée et utilisée par des enseignants, des bibliothécaires et des élus pour amener à la lecture et à l'écriture des enfants en position d'échec scolaire. Des ateliers de lecture et d'écriture informatisés se créent dans cette optique. Passant par l'écran, l'écrit est dématérialisé. La notion classique de page n'existe plus. On a quelque chose d'inachevé. La page illusoire de l'écran, ou, selon les termes de Jacques Anis, maître de conférence à l'université de Nanterre, « sa mémoire volatile », désacralise l'écrit en dédramatisant la faute, car, au contraire de la page papier, elle n'en garde pas mention.

Si le rôle du bibliothécaire comme agent de formation soulève des controverses, il est un rôle qui ne lui est pas contesté, c'est d'offrir tous les outils possibles d'autoformation et d'ouvrir ainsi la bibliothèque sur le monde.