Le droit de prêter
Martine Poulain
L'Europe sera-t-elle celle du service public des bibliothèques ? On pourrait en douter lorsqu'on imagine ce à quoi celles-ci ont, de justesse, échappé : un projet de directive de la Commission des Communautés proposait en effet d'instaurer un droit « d'interdiction » pour tout auteur de livres, réalisateur ou producteur de phonogrammes, de vidéos ou de disques-compacts. Ce droit aurait consisté en la possibilité de refuser le prêt ou la location de son œuvre dans quelque lieu que ce soit.
Pensant ainsi « protéger » les auteurs et la création culturelle, l'article 2 de la circulaire prévoyait en effet « le droit d'autoriser ou d'interdire la location ou le prêt » à l'auteur d'une oeuvre, à l'artiste-interprète ou au producteur d'une séquence animée d'image ou d'une œuvre cinématographique. Le but recherché était aussi de lutter contre la « piraterie » et toutes les formes de reproduction abusive, dont la photocopie. C'est ainsi que le projet de circulaire a confondu dans une même analyse des opérations commerciales (la location) et des opérations de service public (le prêt par les bibliothèques).
En ce qui concerne ces dernières, la proposition s'est transformée au cours de l'année 1991, grâce à l'intense protestation de certains pays, au premier rang desquels les Pays-Bas : le droit « d'interdiction » laissant la place à une obligation au versement d'un droit de prêt à l'auteur de livres, puis élargissant cette possibilité aux périodiques et films éducatifs. Mais la circulaire prévue s'appliquera aux documents sonores, l'industrie musicale agissant fortement pour l'application du droit « d'interdiction ».
Le droit de prêt (généralement appelé public lending right) n'est pratiqué à grande échelle et réglementé aujourd'hui que dans quatre pays européens : Danemark, Allemagne, Pays-Bas et Royaume-Uni. Si tous les pays européens adopteront sans doute un jour ou l'autre une forme de « dédommagement » des auteurs et éditeurs, il n'en reste pas moins que les bibliothèques ont fait valoir, lors des débats qui ont entouré le projet de circulaire, que la question du prêt en bibliothèque devait être envisagée dans sa globalité et non du strict point de vue d'un « manque à gagner » pour les auteurs et éditeurs. C'est ce qui a, pour le moment, conduit la Commission à n'adopter que l'exigence de la réciprocité, c'est-à-dire l'indemnisation pour les auteurs dont les pays avaient réglementé un droit de prêt. Encore cette modification de la proposition initiale de la Commission des Communautés n'a-t-elle été adoptée que par onze voix contre dix...
Si les bibliothèques n'expliquent pas plus fortement leurs missions et façons de penser aux administrateurs et politiques de Bruxelles, d'autres surprises risquent de leur être offertes. La naissance d'une association européenne, EBLIDA, qui regroupe la plupart des associations de bibliothécaires européennes, est en ce sens de bon augure. En octobre prochain aura lieu une journée d'information sur ces questions et notamment sur les formes diverses du public lending right, à l'initiative du CFPPA et de la FFCB *. Une nécessité urgente.