Les enjeux culturels pour les régions d'Europe

Jacques Perret

La conférence européenne Enjeux culturels pour les régions d'Europe, organisée à Lyon les 10 et 11 octobre 1991 par le Conseil de l'Europe avec le soutien du Conseil régional Rhône-Alpes, est l'aboutissement d'une réflexion engagée en 1983 par le Conseil de l'Europe et dénommée « Projet n° 10 : culture et régions » *.

Le projet 10, qui fait suite au projet « villes et culture » clos par la conférence de Brême en mai 1983, s'est attaché à repérer la place de la culture dans les politiques de développement des régions et à situer l'importance du fait culturel dans les dynamiques régionales en Europe. Manière aussi de rappeler l'importance de la région comme outil de la construction européenne.

Des Açores à la Carélie du Nord

Modeste par les moyens mis en oeuvre, le projet 10 est très ambitieux par l'étendue des questions abordées comme par celle des territoires considérés, des Açores à la Carélie du Nord.

Piloté par un groupe d'experts représentant dix-huit pays, ce projet aura capitalisé, pendant 7 ans, observations et réflexions en s'appuyant sur huit auditions de régions européennes, dix séminaires thématiques et deux conférences, à Florence en 1987 et à Lyon en 1991. Privilégiant l'écoute attentive des préoccupations et le respect d'une grande diversité des systèmes d'organisation, le projet 10 aura mobilisé les contributions de plus de trois mille personnes (responsables politiques, acteurs culturels, experts, chercheurs, associations...) qui auront ainsi noué des contacts porteurs de coopération.

Le projet 10 a conduit ses travaux sur la base de quatre grands principes :
- renforcer la démocratie culturelle,
- reconnaître la culture comme vecteur de solidarité (entre les personnes, les groupes, les territoires),
- reconnaître l'action des créateurs mais aussi des groupes sociaux,
- respecter les identités culturelles.

Le projet 10 se donnait quatre objectifs essentiels :
- l'examen des rapports entre la dynamique culturelle et le développement régional,
- le repérage, l'évaluation et la vulgarisation des expériences régionales en Europe,
- la mise en réseau des régions d'Europe,
- l'élaboration de recommandations.

Les travaux du projet 10 ont donné lieu à une importante documentation (5 000 pages, 300 documents, articles, rapports,... !) totalement justifiée par la richesse des situations et des questions mises en débat, mais constituant un obstacle à sa communication.

C'est l'un des regrets exprimés par les 400 participants à la conférence de Lyon venus d'une quinzaine de pays d'Europe occidentale, centrale et orientale. Cette conférence voulait, bien entendu, rendre compte des principales conclusions du projet 10, mais aussi aider les acteurs à se projeter vers l'avenir à partir de trois fils conducteurs : l'espace culturel européen, le rôle culturel des régions, la coopération des acteurs et les solidarités.

1. Les réseaux et les échanges culturels : quel sens donner à la construction d'un espace culturel européen ? Quelle circulation des produits artistiques et culturels ? Comment préserver la diversité des échanges et éviter leur modélisation par les grandes institutions culturelles ou les régions économiquement les plus puissantes ? Quels moyens humains et techniques y consacrer de la part des états, des régions, des villes ? Ces questions ont été abordées par deux ateliers : « Spectacle vivant » et « Audiovisuel ».

2. Le dialogue entre identité régionale et identité européenne, entre valeurs communes et singularités, entre territoires d'identité historique et nouvelles identités, entre tradition et modernité constituaient autant d'interrogations soumises aux ateliers « Architecture et art contemporain » et « Musées du territoire et cultures régionales ».

3. La culture et le développement régional. Quels rapports le développement culturel entretient-il avec le développement économique ? Quels sont les risques d'une instrumentalisation économique de la culture ? Comment favoriser les décloisonnements ainsi que les formations culturelles ? constituait le thème de réflexion d'un atelier sur le « Tourisme culturel et le patrimoine » et d'un autre sur « L'action culturelle et le développement local ».

Satisfaits et déçus

La mise en débat, en deux jours, auprès de 400 personnes ayant des engagements différents dans des espaces organisés différemment, de questions d'une telle densité témoignait un bel optimisme européen qui a, comme il se doit, rencontré sa moitié de satisfaits et sa moitié de déçus.

Déçus ceux qui songeaient déjà à des effets d'annonce, financières de préférence, de la part du Conseil de l'Europe. Déçus aussi ceux qui attendaient des décisions directement opérationnelles. Déçus encore ceux qui souhaitaient une clarification plus rigoureuse de quelques concepts encore flottants tels que les notions d'échange, de réseaux, de région, voire même de culture. Déçus enfin artistes et créateurs venus chercher à Lyon la reconnaissance européenne d'un rôle et d'un statut. Par contre, ceux qui savaient pouvoir attendre d'une telle conférence un espace d'écoute et de compréhension des autres réalités, de vérification de problèmes communs, de validation d'idées et de pistes de réflexion, ceux-là auront été satisfaits et auront pu repérer quelques attentes fortes :
- de reconnaissance des démarches d'échange et de travail en réseau entre professionnels, artistes,...
- d'information sur les expériences et les partenaires,
- de concertation des politiques d'aide à la création,
- de prise en compte, dans les relations interrégionales, des réseaux associatifs en complément des grandes institutions politiques et culturelles,
- de soutien aux démocraties naissantes qui ont à définir et mettre en œuvre des politiques culturelles,
- de développement de fortes coopérations entre systèmes éducatifs et secteurs culturels.

On le voit, si la conférence de Lyon voulait avant tout mettre en avant le rôle des régions dans l'espace culturel européen et comprendre les dynamiques qui s'y développent, les clarifications n'ont pas toujours été faciles. Pour au moins trois bonnes raisons. Si le territoire régional paraît adapté à une dynamique spécifique d'aménagement, de solidarité et de développement culturel, cela n'évacue pas pour autant les responsabilités des villes et des états. D'autre part, cette dynamique est pour beaucoup subordonnée au statut (administratif et politique) de la région qui peut varier en Europe de la quasi-autonomie à l'absence de compétence. Enfin, face à la crainte qui perdure que certains puissent encore confondre politique culturelle régionale et régionalisme culturel, la conférence de Lyon devait confirmer qu'il ne saurait être question d'enfermer la dynamique culturelle européenne dans un espace restrictif.

La conférence de Lyon aura permis de valider plusieurs propositions du projet 10 et notamment :
- la création d'un lieu ressource au plan européen pour le repérage des acteurs et des expériences,
- la création d'un fonds européen pour soutenir la coopération culturelle interrégionale, fonds qui devrait s'attacher à un rééquilibrage entre régions d'inégale puissance économique,
- la promotion de projets spécifiques de coopération entre régions d'Europe centrale ou orientale d'une part et occidentale d'autre part,
- le développement de la dimension culturelle européenne dans les formations de cadres culturels existantes, le soutien aux échanges entre ces organismes de formation et aux initiatives de formations communes à plusieurs pays.

  1. (retour)↑  Pour toute information sur le projet 10, s'adresser à : Françoise MALLET, Conseil de l'Europe, BP 431 R 6, 67006 Strasbourg Cedex. Tél. 88 41 26 32.