Les deux axes de la formation
William Gosling
Les dix prochaines années verront se développer autour des bibliothèques d'étude un milieu d'insertion professionnelle exigeant. Il faudra y recruter des bibliothécaires possédant une expérience plus poussée et un savoir plus approfondi afin de répondre aux attentes d'un public composé pour l'essentiel de chercheurs. D'après Anne Woodsworth et June Lester, ces bibliothécaires maîtriseront une plus large gamme de techniques et de savoir-faire. Mais en quoi ces qualifications sont-elles radicalement différentes des critères qui, aujourd'hui, permettent aux bibliothécaires de réussir ?
Les différents tableaux insérés dans l'article font l'inventaire de qualités de base qui à l'heure actuelle aideraient tout autant n'importe quel bibliothécaire à mieux cerner les demandes de services documentaires émanant de la plupart des institutions universitaires. Cet éventail de qualités ne se rencontre toutefois que chez quelques rares individus, et il n'a pas grand-chose à voir avec leur discipline ou leur formation. La lecture de cet article donne envie de conclure que les bibliothécaires qui voudraient satisfaire aux critères requis pour assurer les besoins en documentation des années 90 et suivantes devront maîtriser le savoir et les techniques nécessaires tout à la fois au juriste, au politicien, à l'économiste, à l'analyste-programmeur, au technicien, au psychologue et au dirigeant d'entreprise. La chose ne paraît pas réaliste, et un modèle différent nous aiderait peut-être autant, voire mieux.
le traitement électronique de l'information
Cet autre modèle pourrait s'appuyer sur une formation du personnel conçue selon deux axes. Une partie des bibliothécaires posséderaient le savoir-faire nécessaire pour appliquer les méthodes sophistiquées de traitement de l'information que mentionnent Anne Woodsworth et June Lester. Les spécialistes formés aux techniques électroniques de traitement de l'information feraient partie intégrante du personnel de la bibliothèque, mais leur nombre resterait relativement restreint étant donné les ressources limitées en personnel et la rareté des professionnels hautement qualifiés. La concurrence sera acharnée au sein de ce groupe. Sa tâche essentielle consistera à décoder les services documentaires informatisés les plus avancés, ceux qui exigent la mise au point de nouvelles méthodes pour avoir accès aux données.
La gestion des fonds sur support papier
Les futurologues nous prédisent que dans la bibliothèque idéale de demain il suffira au chercheur d'interroger du bout des doigts des fichiers électroniques pour acquérir toute la documentation voulue ; projection à vrai dire irréaliste, du moins à court terme, car l'information ne se prête pas toujours à ce genre de traitement, et tous les usagers des bibliothèques d'étude, les étudiants surtout, n'ont pas les moyens d'acquérir à l'infini les documents permettant de satisfaire des besoins individuels. Une des fonctions dont s'est jusqu'ici bien acquitté le personnel des bibliothèques d'étude est celle qui consiste à acquérir des documents et à les mettre à disposition « du lecteur voulu, en temps et lieu voulus ».
Alors que les règles de l'entreprise se voient de plus en plus souvent appliquées aux bibliothèques universitaires, la tendance à remettre les documents « en temps et en heure » l'emporte sur celle, plus classique. qui consiste à fournir des informations « au cas où ». Si cette pratique s'avère efficace dans l'industrie automobile où l'on sait avec précision que tant de véhicules doivent être livrés tel jour, dans le domaine de l'enseignement et de la recherche il est en revanche impossible de déterminer à l'avance les exigences en matière d'information. Les bibliothèques d'étude appuient l'effort de recherche en acquérant les documents au fur et à mesure de leur publication, et en les fournissant à la demande à ceux qui fréquentent l'université. Ce rôle toujours d'actualité peut être confié à un personnel formé pour s'occuper de l'acquisition et du traitement des documents imprimés qui, selon les estimations avancées pour la prochaine décennie, devraient être publiés à raison d'un million de volumes par an.
Deux axes pour quoi faire ?
Pourquoi répartir le personnel en deux groupes dont le premier maîtriserait les derniers acquis en matière de systèmes et de produits de livraison électronique de l'information quand le second serait entraîné aux opérations traditionnellement effectuées en bibliothèque ? Il est évident que les chercheurs de demain ne feront pas tous le même usage des ressources documentaires et n'auront pas tous les mêmes besoins d'information. De même, la commercialisation ou la maintenance électroniques de certains secteurs documentaires ne serait pas une solution économiquement viable. Pour ce qui est de l'avenir prévisible, le personnel des bibliothèques devra continuer à relever la gageure posée par l'utilisation des différents formats.
Cette répartition du personnel selon deux axes permettrait d'optimiser les services adressés aux utilisateurs. A côté de connaissances générales sur les compétences de l'autre groupe, chaque groupe posséderait un savoir de haut niveau sur son propre secteur de responsabilités. Car la gamme des produits et des services est trop étendue pour qu'un individu, ou même un groupe d'individus, puisse se consacrer aux deux avec autant d'efficacité.
La formation
Comment définir le type d'enseignement le plus à même de préparer ces spécialistes à satisfaire aux exigences de leur futur métier ? Pourquoi ne pas envisager toute une palette de programmes d'enseignement de bibliothéconomie, les uns axés sur la qualification de bibliothécaires « high-tech », les autres sur des spécialisations définies en fonction des opérations et activités classiquement assumées par les bibliothèques ? Certains de ces programmes viseraient essentiellement à familiariser le personnel des bibliothèques scolaires avec les méthodologies technologiques, en intégrant ces dernières au travail. D'autres s'adresseraient plutôt au personnel des bibliothèques spécialisées ou médicales. Parallèlement à la spécialisation des effectifs chargés des collections, il faudrait prévoir de structurer les études de bibliothéconomie de façon à répondre aux besoins spécifiques de formation des différents acteurs intervenant dans les bibliothèques. On pourrait alors former deux catégories distinctes d'étudiants diplômés : d'une part ceux qui posséderaient des connaissances solides sur les derniers systèmes de livraison d'information utilisables dans leur spécialité, d'autre part ceux qui auraient suivi un cursus classique de bibliothéconomie. Les uns et les autres composeraient les deux groupes de bibliothécaires chargés de satisfaire les demandes de publics hétérogènes.
Anne Woodsworth et June Lester esquissent un passionnant programme d'études visant à préparer l'intégration des bibliothécaires dans un environnement professionnel dont les contours se profilent déjà. Mais si ces auteurs nous fournissent des listes utiles sur les exigences en matière de recrutement, les caractéristiques du personnel et ce que tout cela implique quant à la formation, le programme d'études qu'elles proposent n'est pas tout à fait à la hauteur. La stratégie qui consiste à réformer les études sur le modèle du partenariat est efficace dans la mesure où elle est réalisable, mais il manque ici un élément fondamental : l'existence d'un corps enseignant à même de dispenser ce modèle futuriste d'enseignement. Aucun grand projet de réforme pédagogique ne peut fonctionner en l'absence d'enseignants capables de le porter. Or rien n'est dit sur les moyens qui permettraient de réaliser celui-ci, surtout à court terme.
Compte tenu du rythme sur lequel s'effectuent les changements qui affectent les systèmes de traitement de l'information, les objectifs qu'Anne Woodsworth et June Lester assignent à la formation risquent de rester à jamais hors de portée des cursus de bibliothéconomie. Tous les six mois de nouveaux perfectionnements sont apportés aux logiciels, chaque jour ou presque des produits inédits font leur apparition sur le marché, bref il n'est pas raisonnable de penser que les étudiants frais émoulus de l'école maîtriseront entièrement les produits de pointe et les opérations en cours au moment où ils prendront leur poste. Avant d'être en mesure de répondre aux demandes des utilisateurs, les nouvelles recrues devront suivre une formation approfondie sur le tas. La formation continue qui, seule, peut empêcher le savoir-faire acquis de devenir obsolète devrait d'ailleurs être systématiquement associée à la carrière des bibliothécaires.
L'enseignement de la bibliothéconomie a définitivement besoin d'être revu à partir des attentes aujourd'hui exprimées par les jeunes bibliothécaires. Nous devons repenser l'ensemble des services et des méthodes de mise à disposition de l'information utilisés. Mais sans toutefois que la spéculation sur les évolutions futures nous fasse perdre de vue les fondements historiques du service des bibliothèques. Les modèles comme celui mis au point par Anne Woodsworth, June Lester et quelques autres pourront alors aider à aller de l'avant et à entrer dans l'ère du service de l'information.