Online 91

Jacques Faule

Le 15e congrès de l'Online britannique (il existe un congrès concurrent américain) s'est tenu à l'Olympia-Kensington à Londres comme les années passées. Est-ce le lieu, vieillot, est-ce le moindre impact de l'ASCII 1 proprement dit, est-ce l'espace d'exposition qui manque d'envergure, est-ce encore le peu d'importance accordée à la France, à son développement télématique et à son marché documentaire, le congrès trouverait difficilement son second souffle si n'y prenaient la parole des personnalités capables de tenir haut le flambeau de l'information en ligne.

Car, de tels congrès, on attend trois choses : une information sur de nouveaux produits nous concernant directement, la vérification d'une tendance qu'on pressent dans son secteur d'activité, les contacts facilités par les rencontres et les débats. Ce qui est exceptionnel, c'est de trouver ces trois éléments réunis. Ce fut le cas à plusieurs reprises. Le mérite en revient aux organisateurs qui ont su introduire dans le programme du congrès une série de séances dites techniques où les orateurs avaient à coeur de faire partager aux congressistes expérience et savoir-faire.

« Mise en place d'un réseau de CD-ROM » rappelait, par son libellé, le Dossier technique n° 1 édité par la BPI 2 :mise en place d'un service d'interrogation de bases de données dans une bibliothèque publique. L'esprit en est le même. Seulement, il ne s'agit plus d'online, mais de CD-ROM ; la méthodologie elle-même demeure identique, hormis un point, fondamental : pas une seule fois la gratuité de l'accès aux réseaux, aux juke-box, aux installations de CD-ROM n'a été mise en question. L'affaire semble entendue : l'online ASCII était, est payant, la consultation de CD-ROM est, sera gratuite. Il faut insister : c'est la première fois dans l'histoire de la bibliothéconomie qu'un nouveau support, le CD-ROM, rend caduc un débat qui aura duré à peine dix ans sur le coût et le prix de revient d'une partie de l'information spécialisée. Ce débat reste vif en ce qui concerne l'online ASCII, et Ahmed Silem (Université Jean Moulin à Lyon), auteur de nombreux ouvrages sur les rapports de l'économie et des nouvelles technologies, fut excellent quand il déclara : « La question du coût de l'information n'a pas de sens, la question c'est : combien rapporte cette information ? On ne doit pas raisonner en termes de contrôle de gestion, mais en termes de coûts d'opportunité. Dépenser dix millions de francs pour obtenir une information n'est pas un gaspillage si cette information en rapporte cent. »

Méthode d'installation d'un réseau de CD-ROM

Remarque importante : on installe d'abord des CD-ROM, on installe ensuite un réseau de CD-ROM. Le « Installez vous-même votre CD-ROM 3 » de Catherine Fabreguettes est toujours utile.

1. On établit le type de demandes après enquête : que veut le lecteur ? Du texte ? De l'actualité ? De la presse ? Française ? Etrangère ?... ;

2. on a ciblé la clientèle, les utilisateurs : on identifie les titres de CD-ROM qui conviennent ;

3. on évalue le nombre d'utilisateurs qui travailleront sur le réseau simultanément ;

4. on définit la station de travail en énumérant les spécificités requises ;

5. après la description du terminal de consultation, on décrit le niveau et la topologie (imbrication) et la topographie du réseau de terminaux ;

6. on envisage d'éventuelles restrictions budgétaires ;

7. on choisit une solution du réseau de CD-ROM parmi d'autres ;

8. on a conscience qu'il faudra remettre à jour les versions du logiciel de consultation de CD-ROM.

Les critères techniques pour la sélection des titres de CD-ROM obéissent à la même logique :
1. mémoire disponible ;
2. version DOS utilisée ;
3. type de « driver » ;
4. exigences graphiques ;
5. prise en compte de conflit entre les bases temporaires et l'espace de travail (workspace) alloué par la machine ;
6. configuration des bases.

Deux considérations encore : la négociation avec les fournisseurs de CD-ROM de licence multi-utilisateurs et la fréquence des mises à jour des CD-ROM (mémoire vite saturée).

CD-ROM et online

Les produits CD-ROM se multiplient dans tous les domaines, en anglais et en français (le bureau Van Dijk vante ses produits bilingues et son best seller Diane - les entreprises européennes, 500 exemplaires vendus par an), graphismes inclus : la grande encyclopédie Jane's sur les armes, les armements, les systèmes d'attaque et de défense est désormais accessible avec 3 220 illustrations (il s'agit du 1er CD-ROM Jane's couvrant la marine de guerre). Le CD-ROM est ici supérieur à la version ASCII sur Dialog (base 587, à 120$de l'heure), où ne figurent pas les illustrations. Techniquement, la chose est possible puisque, sur le même serveur, la base Trademarkscan propose les logos d'entreprises. Selon le représentant de Data Star, qui semble être le seul concurrent encyclopédique de Dialog dans le domaine de l'ASCII, techniquement et conformément à la stratégie de Data Star qui rejette la diversification façon Dialog (ASCII & CD-ROM) ou façon Questel (ASCII & videotex), les lignes RNIS 4 permettront à l'online de reprendre l'avantage, d'autant que le piratage des CD-ROM devient, selon lui, extrêmement préoccupant et risque de conduire à la ruine nombre de producteurs qui ne se sont pas prémunis contre ce risque analysé comme majeur. Data Star talonne Dialog pour ce qui est du perfectionnement du logiciel (dédoublement, recherche croisée, etc.), du chargement de titres prestigieux (bientôt Reuter) et du service après-vente (assistance et commande en ligne prévue pour le printemps 92 sur Data Star).

Un outil irremplaçable

L'enthousiasme pour l'online, absent chez la plupart des orateurs à la tribune et aussi sur les stands d'expo (à part Data Star), fut le fait de deux bibliothécaires et on ne s'en étonnera pas. Seuls les praticiens au quotidien (ainsi que leurs clients et utilisateurs) des banques de données savent de quel outil irremplaçable ils disposent. Et ils surent faire partager leur enthousiasme : Linda Kosmin parla d'Internet et des richesses de ce réseau à vrai dire un peu mystérieux. Le premier nom de ce réseau fut Arpanet, mis en oeuvre par le ministère de la Défense américain dans les années 70. Son fonctionnement semble assuré aujourd'hui par l'administration universitaire à l'échelon fédéral, mais surtout par de grandes sociétés qui doivent y trouver leur profit (exemple : ANS, Advanced Network & Services Inc, IBM, l'entreprise Digital Equipement). Apple Library et son groupe d'utilisateurs (ALUG) passent aussi par Internet qui a tissé une immense et internationale toile d'araignée avec Eam, le réseau des chercheurs, Bitnet et Janet, le réseau des BU et des IUT 5 « polytechnic » britanniques, et l'énorme CARL du Colorado (catalogue collectif de 12 millions de volumes) que j'avais vu fonctionner dans sa phase embryonnaire en 1986 à Denver. Décrit comme un nouveau « cosmos électronique arborescent qui accroît de façon stupéfiante les services rendus au lecteur », Internet permet à moindres frais d'obtenir des informations sur tout et le reste. Linda Kosmin rappela le principe d'accès à la lecture publique et l'appliqua au réseau Internet : « Les bibliothèques utilisent beaucoup le terme « free » (en anglais à la fois « libre » et « gratuit »), mais on ne retrouve pas cette notion ou ce principe dans les réseaux électroniques (sauf pour le « 11 » en France). Internet est un réseau-serveur-messagerie-passerelle à la fois libre et gratuit, reliant davantage des individus et chercheurs ou des associations (qui insèrent dans Internet le résultat de leurs recherches, de leurs analyses, de leurs dépouillements, de leurs travaux, de leurs ébauches) que des laboratoires ou des entreprises ».

L'enthousiasme communicatif fut aussi l'apanage d'Anne Sanouillet, URFIST 6 de Nice (dont la langue maternelle est l'anglais), qui nous fit une démonstration publique en-ligne sur grand écran : aussi bizarre que cela paraisse, ces présentations sont et demeurent exceptionnelles.

Il aura donc fallu attendre une dizaine d'années pour que les utilisateurs fassent la preuve empirique, la vérification publique de ce qui avait été annoncé : la souplesse, la précision, la variété, la richesse de l'ASCII. Pendant plus de 2 heures, Anne Sanouillet montra ce qu'elle pouvait faire avec son Mac et son logiciel Mac Tell (Télétype et vidéotex : 97$aux Etats-Unis et 1 600 F si on le commande depuis la France, soit trois fois plus cher). Avec son brio, sa gaieté et son talent de pédagogue, Anne Sanouillet fut irrésistible. Cette seule séance aura suffi à convaincre les travailleurs sur PC (même greffés Windows) à rejoindre l'univers du Mac communiquant.

Le congrès illustrait à merveille le propos d'Ahmed Silem : « Dans une économie de pénurie, le producteur est roi ; dans une économie de concurrence, le client est roi ». En d'autres termes, c'est parce qu'on peut choisir entre plusieurs formats ou vecteurs, c'est parce qu'on peut aujourd'hui interroger la même base sur l'un ou l'autre serveur, c'est parce qu'on peut aujourd'hui commander le même document chez l'un ou l'autre fournisseur, c'est parce qu'on peut choisir l'un ou l'autre environnement et micro-ordinateur, et sur le même terminal d'interrogation l'un ou l'autre logiciel de communication (et ces choix ne sont pas alternatifs, binaires, mais ouverts et multiples) que l'information en ligne, ASCII ou pas, garde et éveille un intérêt renouvelé.

Ce sont les besoins et les exigences du client qui entraîneront la qualité du produit. Le marché de l'information online n'est décidément pas un marché comme les autres puisque, en l'occurrence, ce client a une double casquette : le bibliothécaire interrogateur est à la fois consommateur et intermédiaire, spectateur et acteur. Et la plupart du temps exerçant dans le secteur public, il peut comparer avant de choisir, espérons-le en toute indépendance.

  1. (retour)↑  Congrès Online 91, Londres, 10-12 décembre 1991
  2. (retour)↑  Congrès Online 91, Londres, 10-12 décembre 1991
  3. (retour)↑  ASCII : American Standard Code for Information Interchange. Ce code a été créé pour faciliter la transmission d'informations entre ordinateurs.
  4. (retour)↑  BPI : Bibliothèque publique d'information.
  5. (retour)↑  Catherine FABREGUETTES, Installez vous-même votre CD-ROM, A Jour, 1989.
  6. (retour)↑  RNIS : Réseau numérique à intégration de services.
  7. (retour)↑  BU : Bibliothèque universitaire. IUT : Institut universitaire de technologie.
  8. (retour)↑  URFIST : Unité régionale de formation pour l'information scientifique et technique.