Un office à la bibliothèque de l'université de Paris X-Nanterre
Jean-Jacques Levive
Andrée Maldidier
Catherine Plet
En matière d'acquisition d'ouvrages, les bibliothécaires, tout particulièrement en bibliothèque universitaire, doivent élaborer, plus ou moins formellement, une politique qui tienne compte de plusieurs contraintes : adéquation des possibilités budgétaires aux besoins exprimés ou virtuels, connaissance de la demande, cohérence et niveau des collections, etc. Toutefois, il est une pesanteur qui s'avère plus gênante encore que les autres car elle constitue une entrave manifeste à l'efficacité de toute politique de développement des collections : la longueur des délais.
Réduire les délais
En effet, entre la date de publication d'un ouvrage et sa mise à la disposition des lecteurs sur les rayons d'une bibliothèque, il peut s'écouler plusieurs mois pour un ouvrage français (pour un livre étranger, les délais sont bien sûr plus longs). Bien entendu, ces délais excessifs sont extrêmement préjudiciables au public universitaire, surtout dans les disciplines qui connaissent une grande évolution et pour lesquelles la disponibilité rapide de certains textes est essentielle, tant pour la recherche que pour l'étude. C'est le cas, notamment, à la bibliothèque universitaire de Paris-X, de la plupart des ouvrages de sciences juridiques et politiques. Il faut noter aussi que cette lenteur ne contribue pas à valoriser l'image de la biblio-thèque aux yeux des utilisateurs qui ne connaissent pas la lourdeur du circuit en jeu (et n'ont pas à s'en soucier).
A la demande du directeur de la BU Paris-X, les bibliothécaires de la section Droit-Economie ont étudié, à partir de novembre 1989, la possibilité d'accélérer le circuit d'acquisition, en mettant sur pied un ordre de commande permanent pour les ouvrages de sciences juridiques et politiques. Rappelons que cette technique, largement utilisée par les libraires sous le nom d'« office », consiste, pour le fournisseur, à livrer systématiquement tous les ouvrages répondant à certains critères sans commande préalable. Elle a l'avantage de supprimer purement et simplement quatre opérations, communes, dans leurs grandes lignes, aux libraires et aux bibliothécaires, réduisant ainsi les délais de mise à disposition des ouvrages...
Dans le cas de la BU de Nanterre, il a été fait appel, pour la mise en oeuvre de cette opération, à son fournisseur principal de livres dans les disciplines concernées, la librairie Duchemin. Cette librairie, qui bénéficiait déjà d'une expérience dans ce domaine (elle assure un office depuis plusieurs années pour des bibliothèques universitaires étrangères) a aussitôt accepté de fournir gratuitement cette prestation à la BU de Nanterre. Des contacts ont alors été pris afin de définir les modalités selon lesquelles ce service pourrait être assuré. Au terme d'une longue réflexion et de quelques séances de travail internes ou avec un responsable de la librairie Duchemin, une « grille » provisoire a été établie, afin de définir les caractéristiques des ouvrages devant faire l'objet de cet office. Cette grille comporte les éléments suivants : éditeurs, collections, sous-collections, domaines précis, auteurs, nombre d'exemplaires. Ces éléments ne figurent pas tous nécessairement dans la grille pour chaque ouvrage : seuls le nom de l'éditeur et le nombre d'exemplaires sont obligatoires dans tous les cas.
Une fois cette grille définie et acceptée par les deux partenaires, il a été décidé de commencer les livraisons en mai 1990.
Il faut souligner les points suivants : le droit et les sciences politiques se prêtent bien a priori à une telle expérience, dans la mesure où les éditeurs et les collections touchant à ces disciplines sont en général aisés à identifier.
De même, un certain nombre d'acquisitions dans ces domaines se présentent, en quelque sorte, comme des « figures imposées » : codes, manuels, série de tel ou tel auteur... qui connaissent des rééditions fréquentes, souvent à des dates régulières, et font généralement l'objet d'acquisitions systématiques.
D'autre part, le budget affecté à ces disciplines à la BU de Nanterre est désormais suffisant pour justifier la mise sur pied d'une telle procédure, tout en évitant que l'offre n'absorbe la totalité ou une proportion excessive des sommes disponibles. Il est en effet essentiel que le bibliothécaire chargé de la gestion du budget garde une certaine marge de manœuvre et puisse continuer à acquérir un nombre significatif d'ouvrages en dehors de l'office (en particulier d'ouvrages étrangers qui ne sont pas intégrés à la grille brièvement décrite ci-dessus).
Le jeu en vaut la chandelle
Après un peu plus d'un an de fonctionnement, un premier bilan sommaire peut être tiré de cette expérience. Tout d'abord, le gain de temps par rapport aux délais habituels est considérable : au moins trois mois en moyenne. Le délai entre la parution d'un ouvrage et sa mise à la disposition des lecteurs peut être ramené à un mois environ. De plus, les ouvrages livrés dans le cadre de cette opération sont les plus fondamentaux et les plus consultés par les lecteurs de Paris-X dans les disciplines intéressées : codes, manuels, ouvrages de base, classiques faisant l'objet de nombreuses rééditions, etc. Ils intéressent tous les cycles d'étude et même, dans une certaine mesure, la recherche.
La gestion de l'office par la BU, même si elle pose quelques problèmes d'organisation, est rendue possible - sinon aisée - du fait que les livraisons entrant dans ce cadre sont soigneusement distinguées des autres commandes destinées au même libraire. C'est ainsi qu'un numéro unique est réservé à ces ouvrages, le fournisseur ajoutant simplement à ce numéro le numéro du mois en cours. Les factures détaillées du libraire (comportant le double numéro en question) accompagnent chaque livraison et permettent au responsable des acquisitions de savoir ce qui a déjà été fourni en office et d'éviter ainsi d'éventuels doublons à l'occasion des commandes faites par les voies habituelles. Il faut remarquer à ce sujet que l'office complique légèrement la gestion des commandes, la difficulté principale consistant précisément à mettre sur pied une procédure efficace permettant d'éviter ces doublons, en particulier dans la phase de démarrage de l'opération. En effet, au cours de cette période de transition, il a fallu continuer d'effectuer des commandes par la voie ordinaire pour des ouvrages inscrits dans la grille d'office, en raison du décalage temporel important - déjà noté - entre la parution effective des ouvrages et la publication de leurs notices dans Livres de France, périodique généralement utilisé pour les acquisitions d'ouvrages français en droit et sciences politiques à la BU de Nanterre. C'est ainsi qu'en mai 90, au lancement de l'expérience, les ouvrages publiés au cours des trois mois précédents (approximativement) ne pouvaient être livrés dans le cadre de l'office (celui-ci fonctionnant en « temps réel »), mais n'avaient pas encore été tous annoncés dans la bibliographie commerciale courante. En mai et dans les mois qui ont suivi, il a donc été nécessaire de confronter très soigneusement les factures fournies par la librairie Duchemin avec les notices de Livres de France afm d'éviter aux ouvrages, selon le cas, de tomber dans une oubliette ou d'être condamnés à faire double emploi... Il faut, à cet égard, rendre hommage à notre fournisseur, qui s'est également montré vigilant et nous a parfois signalé quelques ouvrages commandés en double par erreur.
Cette procédure a également permis un certain allègement des tâches de sélection et de commande d'ouvrages (pour près de 30 % des titres). Toutefois, cet avantage est contrebalancé par la nécessité de gérer désormais deux modes d'acquisition différents et par les diverses contraintes nouvelles imposées par l'office, notamment pour les services de la comptabilité et de l'inventaire.
Aucune étude n'a été réalisée à ce jour pour connaître l'impact de cette opération sur les lecteurs. Cela est en projet pour un proche avenir. Toutefois, les réactions spontanées de certains utilisateurs (enseignants en particulier) sont, comme on pouvait s'y attendre, tout à fait favorables.
Les données chiffrées (cf. tableau) permettent les constatations suivantes :
- le jeu en vaut la chandelle : plus du quart des titres acquis, presque la moitié du nombre total d'exemplaires font l'objet d'un ordre de commande permanent et sont donc disponibles dans des délais beaucoup plus courts qu'auparavant ;
- la liberté de manoeuvre du bibliothécaire est cependant respectée, la part du budget qui échappe à l'office (50 %) étant suffisamment élevée pour qu'il soit possible d'acquérir un nombre important d'ouvrages non couverts par cette procédure ;
- les fortes variations, au cours de l'année, du nombre d'ouvrages livrés, et donc du montant des factures, étaient prévisibles et prévues. Il a été rapidement établi que l'office coûterait environ 16 000 F par mois en moyenne et les dépenses documentaires n'entrant pas dans ce cadre ont été ajustées en conséquence, afin de rester dans les limites de l'enveloppe budgétaire annuelle.
Les premiers résultats de cette expérience sont donc encourageants et les bibliothécaires qui en ont la charge sont disposés à la poursuivre.
Il faut noter, pour conclure, qu'une seconde expérience analogue se met en place depuis quelques mois pour les ouvrages de la Documentation française, intéressant cette fois toutes les disciplines de la BU, en particulier le droit, les sciences sociales, les sciences politiques, les sciences économiques et de gestion. Toutefois, cette opération est beaucoup plus limitée dans son ampleur et beaucoup plus informelle, même si l'on en attend également des résultats intéressants.