La micro-informatique en bibliothèques

Annie Le Saux

Outils, boîtes à outils, bricolage, ce n'est pas à un salon de la Porte de Versailles, mais à la journée d'étude organisée par l'Association de l'Ecole nationale supérieure des bibliothèques, le 25 novembre 1991, sur la micro-informatique en bibliothèques, que ces termes furent prononcés.

Un outil comme un autre

Si l'informatique était d'abord l'apanage de professionnels à qui des règles avaient été imposées par les constructeurs - installation dans un lieu protégé, utilisation passant par des informaticiens, langage de commande à maîtriser - à l'opposé, les microproccesseurs ont commencé par séduire les amateurs, avant de pénétrer, en 1978, le milieu professionnel. Il devenait de moins en moins question de puissance, de sanctuaire, et de plus en plus de l'utilisateur, de ses besoins, de ses attentes. On est passé des langages informatiques à des logiciels prenant en charge toutes les données.

L'ère de la micro-informatique, en mettant fin au mode ligne à ligne, a offert des écrans graphiques d'une grande stabilité et haute définition - le remplacement de l'écran vidéo par l'écran plat va d'ailleurs bientôt permettre de se rapprocher des habitudes de lecture de livres -, elle a vu l'apparition de la souris et permis le dialogue, elle a intégré des éléments multimédias (texte, image, son) et parachevé le tout par une impression de qualité grâce aux imprimantes laser, et dans un proche avenir aux imprimantes couleur. Le micro-ordinateur est ainsi devenu un outil comme un autre, aussi banal, pour les heureux élus, que le téléphone. C'est un outil que tout le monde devrait avoir sur son bureau.

Hélas, dans les bibliothèques, on est loin de cette situation. Dans les bibliothèques dépendant des collectivités territoriales, où on n'a pas la maîtrise de son budget informatique, si micro-ordinateur il y a, il faut que ce soit un micro-ordinateur qui n'effraie pas le service informatique. Les choix se portent en général sur IBM ou Bull, car « Apple, c'est le diable, Next *, un dissident du diable », résume Alain Caraco, de la bibliothèque centrale de prêt de Savoie.

On retrouve là l'affrontement des deux mondes reconnus de la micro-informatique : PC et Macintosh. Pour les personnes atteintes du virus de la micro-informatique, le micro-ordinateur devient vite appropriation et, dans ces querelles de clocher, les défenseurs de l'un deviennent les détracteurs de l'autre.

L'esprit micro

Face à une situation quasi générale de pénurie, les bibliothécaires, partant de besoins précis, ont été amenés à bricoler. Un exemple, présenté par Alain Caraco : la gestion des mailings, complexe sous le logiciel Word, mais de présentation agréable, est simple sous le logiciel DBase mais pèche par la présentation. Dès lors, comment forcer ces deux logiciels à dialoguer, afin de prendre ce qu'il y a de mieux en chacun des deux ? C'est en observant que l'utilisateur finit par trouver des idées constructives. Ensuite, en bricolant, il fait en sorte que l'outil s'adapte à ses besoins.

Les utilisateurs se sont donc appropriés la micro-informatique et ont développé des possibilités qui n'étaient pas nécessairement prévues. La définition des besoins, l'étude des informations que l'on veut récupérer à la sortie à partir de la transformation d'informations que l'on a entrées engendrent l'esprit micro-informatique.

C'est ainsi que l'examen de l'ensemble des tâches répétitives accomplies par le personnel a déterminé le choix, par la Bibliothèque interuniversitaire de médecine de Paris, du logiciel REFLEX -logiciel déjà ancien commercialisé par Borland et qui va être remplacé par le logiciel PARADOX. Si, dans ce cas précis, c'est un logiciel existant qui a été acquis, dans celui de la Bibliothèque médicale de l'Hôtel-Dieu, la démarche a été différente : c'est afin d'améliorer les opérations de facturation des photocopies et de recherches documentaires informatisées, réalisées jusque-là manuellement, qu'un usager de la bibliothèque, radiologue féru d'informatique, a conçu un logiciel sur mesure. Ce n'est que dans une deuxième phase que la commercialisation de ce logiciel de gestion interne des interrogations et des photocopies, GIIP, a été étudiée et confiée à un ingénieur informaticien.

On se trouve donc, dans ces deux cas, devant, d'une part, un système doté de nombreuses possibilités, mais dont l'utilisation nécessite un apprentissage assez poussé, et, d'autre part, un système d'utilisation simple, ne nécessitant aucune formation préalable, mais dont les applications sont plus limitées.

Un nouveau mode de lecture

Revenons à la comparaison de la micro-informatique avec la boîte à outils : si on sait se servir des outils, c'est parfait, sinon... La boîte à outils ne remplace pas le savoir-faire du mécanicien et, pour un novice, faire en sorte que l'outil s'adapte à ses besoins prend du temps. Cependant, pour vouloir en gagner, il faut savoir en perdre ! Et donc changer ses habitudes de travail et dépasser les « oui, mais... », accepter de passer plus de temps dans la conception afin d'espérer, un jour, en passer moins dans l'exécution. Car, si la première application prend du temps, la deuxième en prendra un peu moins, la troisième encore moins, et ainsi de suite,... du moins en théorie. La notion de gain de temps ne peut s'envisager, de toute façon, qu'à long terme.

Faut-il, pour savoir manier ces différents outils, envisager des formations organisées ? La réponse d'Hervé Le Crosnier est qu'il vaut souvent mieux sécher deux jours devant un problème et le résoudre par soi-même, que de voir quelqu'un manipuler devant soi et le résoudre à votre place. Mais, c'est une question d'individus. Pour les anxieux, les inquiets, les tourmentés, une familiarisation avec le micro-ordinateur et avec le logiciel peut rassurer d'abord, avant de fasciner et grignoter la place de bien d'autres loisirs. Une formation de deux jours, c'est ce qui est prévu pour le logiciel PEB micro, actuellement en test sur 17 sites et présenté lors de cette journée.

Les logiciels créent un nouveau langage, à nous de réapprendre à lire, suivant de nouveaux modes de lecture. Comprendre le code des barres de menu est une des conditions sine qua non, pas toujours évidente, de l'accès à toutes les nouvelles possibilités des logiciels. Sinon, on risque de passer à côté et de n'utiliser qu'une faible part du potentiel d'un logiciel.

Facilités dans le quotidien, plus grande rapidité du moins à long terme, qualité du travail, synergie entre les différents services, si ces bienfaits de la micro-informatique sont généralement admis, ne pourrait-on pas dépasser ce premier stade qui consiste à faire autrement ce qu'on faisait jusque-là manuellement et aller vers une reconception, vers une politique nouvelle organisée autour de la micro-informatique ?

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