La circulation des documents

Martine Poulain

La circulation des documents : tel était le thème des journées d'études de l'Association des directeurs de bibliothèques centrales de prêt (ADBCP). Simon Cane introduisit le thème par quelques données quantitatives, résultat d'une enquête auprès des 55 bibiothèques centrales de prêt (BCP) qui ont bien voulu répondre.

Vieux débat, nouvelles pratiques

Le prêt direct est toujours pratiqué par les deux tiers des bibliothèques en ce qui concerne les documents imprimés, par un sixième en ce qui concerne les disques. Pour 19 % des BCP, ce prêt direct est une activité marginale, c'est-à-dire qu'elles effectuent par ce canal moins de 10 000 prêts par an ; pour 46 %, c'est une activité plus importante totalisant entre 14 000 et 290 000 prêts annuels. Ces bibliothèques ont au moins « quatre bonnes raisons » de mettre en œuvre ce mode de diffusion ; la tradition : il a été, il est ; l'efficacité : les bibliobus sur les marchés restent un moyen de toucher une population importante ; la résignation : certaines petites communes ne peuvent absolument pas entretenir une bibliothèque, si modeste soit-elle ; l'incitation : la présence d'un bibliobus peut contribuer à convaincre de la nécessité d'une bibliothèque.

Les BCP effectuent des dépôts dans divers types d'institution : dans les petites bibliothèques qu'elles aident et ont bien souvent contribué à créer ; dans les écoles ou les collèges ; dans des lieux « tous publics » (mairies par exemple) ; dans des lieux particuliers (hospices, maisons de retraite, etc.). Si presque toutes les BCP ont, de-ci de-là, de petits dépôts permanents (usuels bien souvent), le renouvellement des stocks est bien entendu la règle. Ce sont aujourd'hui les dépôts dans les bibliothèques qui représentent les plus importants flux de livres : 769 livres en moyenne prêtés aux bibliothèques du réseau, 235 dans les collèges, 146 dans les écoles, 76 dans les lieux destinés à des publics particuliers. Près de la moitié des BCP renouvellent l'intégralité du stock des petites bibliothèques lors de leur passage. Mais dès qu'un fonds dépasse les 1 000 volumes, il ne s'agit alors bien entendu que de renouvellements partiels. Le dépôt de disques dans ces petites bibliothèques s'élève à 107 en moyenne, le renouvellement étant alors généralement intégral. Seules 8 BCP pratiquent le prêt de vidéos.

Sortir, dit-elle

Qui dit circulation dit aussi réponse à des demandes individuelles : réservations (4 728 documents, dont 837 disques, réservés par an et par BCP en moyenne), ou prêt inter (pratiqué par la moitié des BCP). Mais la réponse à la demande individuelle est plus difficile pour les livres pour enfants (souvent introuvables, parce pas rangés selon la sacro-sainte classification), les best-sellers (toujours dehors) ; certaines BCP refusent du coup les réservations de best-sellers, voire de romans !...

Dans l'ensemble et en moyenne, 50 % des livres, 35 % des disques possédés par les BCP sont sortis. Plus précisément : 10 % des BCP ont 30 à 40 % de leurs fonds sortis ; 30 % en ont 50 % ; 24 % entre 55 et 65 % ; 11 % ont le plus fort taux de rotation des stocks, soit 70 % des documents sortis. Les nouvelles BCP ont toutes plus de 45 % de leurs fonds en circulation, mais elles n'en ont pas l'apanage, le taux de circulation de certaines de leurs aînées pouvant atteindre plus de 60 %.

La plupart des BCP sont aujourd'hui partisans de dépôts importants, mais certaines restent favorables à de petits dépôts, d'autres pensant qu'il faut de tout pour faire un monde (et un bon réseau). Les bibliobus doivent rester consacrés à un seul média pour la moitié des BCPistes et être multi-médias pour l'autre moitié.

Gironde

Créée en 1945, la BCP de la Gironde a pourtant été amenée à repenser complètement son fonctionnement après certains constats alarmants. En 1982, un audit met en lumière l'insuffisance des services rendus par la BCP, et un groupe de travail se met en place pour concevoir un plan de développement de la lecture publique. Ce plan sera mis en œuvre avec les collectivités territoriales bien sûr, mais aussi la (défunte) Direction du développement culturel au ministère de la Culture. C'est elle qui financera avec les municipalités les « bibliothèques-relais de prêt » qui seront construites dans six communes, le Conseil général prenant en charge de son côté l'acquisition d'un bibliobus et la création de trois postes, et la Direction du livre et de la lecture subventionnant la construction d'une nouvelle Centrale. Les aléas politiques et électoraux des années 85-90 n'ayant pas été sans compliquer singulièrement la tâche et les relations entre les différents partenaires.

Le système girondin est donc un peu atypique et comprend une centrale où viennent s'approvisionner deux jours par semaine 40 bibliothèques afm de renouveler leurs stocks et six bibliothèques-relais qui fonctionnent à la fois comme bibiothèque de la commune (avec des fonds de 4 à 5 000 livres) et comme « hangar » de livres où les correspondants-dépositaires peuvent venir chercher de quoi renouveler leurs dépôts (dont les fonds évoluent de 300 à 500 livres). La Gironde offre maintenant 180 dépôts qui sont desservis par les bibliobus, 100 bibliothèques municipales qui s'approvisionnent à la centrale, et 120 dépôts qui viennent aux relais de prêt. Le premier réseau effectue 27 à 30 % des prêts totaux, le second 45 % et le troisième le reste.

Cette organisation aurait, selon la directrice de la BCP, permis d'améliorer la situation au moins sur deux points : renforcer les liens avec les dépositaires et les différents partenaires, compenser de façon positive la faiblesse numérique et qualitative des fonds des dépôts.

Québec

Est-ce par dérision que Richard Boivin a rappelé que le système québécois était inspiré de l'exemple français ? On pouvait être tenté de le croire à l'écoute des résultats et modes d'organisation et de fonctionnement des BCP québécoises... La leçon fut à la fois tonique et écrasante... pour la France. Le Québec est divisé en 16 régions administratives : trois sont des communautés urbaines et 13 des municipalités régionales de comté regroupant villages et paroisses. Les BCP (il en existe onze) sont des compagnies privées à but non lucratif. Leurs ressources proviennent de subventions de l'Etat, des municipalités qui subventionnent le fonctionnement de la centrale à hauteur de 20 à 30 %, ou de leurs propres ressources. La centrale subventionne à hauteur de 50 % les constructions ou modernisations de bibliothèques. Les acquisitions représentent 40 % des dépenses. La BCP prise en exemple (celle de Montgérie) dessert une population de 294 000 habitants par un réseau de 86 bibiothèques (sur 108 communes) ; 26 % de la population est inscrite et emprunte plus de 700 000 documents. Outre son personnel propre, la BCP a un réseau de 1 075 bénévoles. L'offre minimale d'une bibliothèque du réseau, c'est un livre par habitant, et de toute façon, quelle que soit la taille de la commune, 1 000 livres. Les fonds sont plus largement changés dans les petites bibliothèques que dans les grosses et les plus grandes villes paient les services plus cher que les petites.

La paix du best-seller

Le catalogue sur microfiches de l'ensemble des collections du réseau est disponible dans chaque bibliothèque. Le travail est réparti, planifié : les responsables des petites bibliothèques ont à leur disposition un guide qui leur permet de connaître les éléments de base de la bibliothéconomie ; ils sont en lien permanent avec la centrale par la messagerie électronique ; ils sont formés, par exemple aux commandes de base de l'informatique ; les acquisitions sont réparties entre les partenaires : chaque collectivité locale ayant un budget d'acqui-sition propre, elles achètent leurs propres collections de best-sellers, les livres pour la jeunesse, les livres de référence. Pour aider à la sélection, la BCP publie chaque mois Le bon choix, qui conseille environ 400 titres par an.

Politique d'acquisition et d'élimination font l'objet d'une réflexion, d'une attention et d'une exigence à côté desquelles certaines de nos approximations françaises frisent l'amateurisme. Les normes d'acquisition de base, de renouvellements annuels sont extrêmement précises et varient en fonction de la taille de la commune. L'élimination est systématique : 36 mois pour les romans, 24 mois pour les sciences pures, 36 mois pour les bandes dessinées, etc. Une telle mathématique appliquée à des êtres aussi sensibles que les livres n'a pas manqué de soulever quelques réticences dans la salle. Et pourtant ?

Au-delà, les réseaux de BCP sont connectés entre eux : chaque BCP peut ainsi pratiquer non seulement un prêt entre bibliothèques interne au réseau, mais aussi ouvert à tout le territoire du pays, jusqu'au fonds de la Bibliothèque nationale...

« On n'a pas les moyens, nous, d'avoir des bibliobus... » lâchera pour finir, pervers et avec un inimitable accent, notre collègue québécois... A bon entendeur...

Ecouter, voir

Qui dit communication ne dit pas seulement imprimés bien sûr, mais aussi disques ou vidéos par exemple. Le public du musibus de l'Ardèche * fut présenté, de même que le prêt de vidéos initié en 1988 par la BCP de Loire-Atlantique. Ici, le recours au prêt direct fut écarté d'emblée. En revanche, la présentation de vidéos dans les petites bibliothèques fut l'occasion de nouveaux aménagements spatiaux et d'un renforcement des liens entre la BCP et ces communes. Les dépôts de vidéos comportent de 80 à 100 cassettes, renouvelées toutes les six semaines par le passage d'un vidéobus, spécialement aménagé, d'une capacité de 1 200 cassettes. Entre 1989 et 1991, ce sont plus de 15 vidéothèques qui ont ainsi ouvert leurs portes : les emprunts sont passés de 11 400 à 24 000, les documentaires représentant environ 16 % des prêts. Les dépositaires recoivent une journée de formation avant toute ouverture de ces services et une journée de formation continue chaque année.

Faire la navette

Une analyse des demandes des publics a conduit la BCP de Saône-et-Loire à en distinguer trois types : le furetage, que l'on peut satisfaire en ayant soin de renouveler fréquemment les fonds ; la recherche d'un document précis et la recherche sur un sujet. Pour répondre à ces types d'attente, la BCP essaie de mettre en œuvre plusieurs types de dispositifs : renouvellement de masse des documents par les bibliobus certes, mais aussi encouragement à la venue des dépositaires à la BCP afm qu'ils fassent ces choix plus ciblés. Les documents leur sont ensuite livrés par un transporteur, cependant que tous leurs frais de déplacement (détail qui a son importance), leur sont remboursés par la BCP. L'implantation du Minitel dans les bibliothèques permet d'autre part l'interrogation d'un certain nombre de bases de données et le dialogue avec la Centrale : sur 10 221 demandes individuelles de documentation, 4 185 sont passées par le Minitel. Si l'envoi des documents par la poste fut un temps pratiqué, il s'est avéré coûteux en manipulations et en personnel et on lui préfère aujourd'hui un système de navette, qui dessert 114 bibliothèques, une fois tous les quinze jours. La BCP fait aussi « de l'assistance technique » en tout genre aux petites bibliothèques qui cherchent à répondre à cette demande documentaire plus ciblée. De telles mesures ont aussi l'avantage d'améliorer l'image de marque de la BCP auprès de ses différents interlocuteurs et de contribuer à l'augmentation des acquisitions faites par les bibliothèques elles-mêmes : en 1990, si la BCP a acheté pour 1,2 MF de documents, l'ensemble des bibiothèques ont dépensé elles, 1,4 MF.

A l'avenir, la BCP aimerait effectuer une desserte par semaine en navette et supprimer purement et simplement les bibliobus.

  1. (retour)↑  Voir, dans ce même numéro, l'article de Salah DALHOUMI et de Ahmed SILEM, « Les usagers du musibus : bibliothèque de l'Ardèche », p. 38-45.