Cahiers de l'économie du livre, n° 5, mars 1991

par Jean-Michel Salaün
Ministère de la culture, de la communication, des grands travaux et Cercle de la librairie, 1991. -168 p.

Voilà un numéro particulièrement dense de la revue, puisqu'il ne comporte pas moins de huit articles, qu'on pourrait regrouper sous deux grandes rubriques, les uns s'intéressant plutôt à la demande ou au comportement du lecteur, les autres reprenant des thèmes traditionnels de la profession (ou l'interprofession selon le jargon consacré) pour les critiquer ou les renouveler.

Dans le premier lot, on trouvera une étude sur le comportement du public d'une librairie montpelliéraine, réalisée en deux étapes. L'une classique sous la forme d'un sondage à domicile, l'autre plus originale sur les domaines d'intérêts par une enquête sur le point de vente. Cette dernière fait ressortir notamment quatre univers « cohérents » d'intérêts, qui permettent une répartition en autant d'espaces autonomes de la librairie : l'un regroupe principalement la littérature, l'art, la civilisation, les sciences humaines ; le second les livres pratiques, les ouvrages sur le tourisme et le sport ; le troisième les bandes dessinées, la science fiction et les romans policiers ; le dernier, les disciplines spécialisées.

Lecture, loisirs, télévision

Deux synthèses sur les pratiques de la lecture sont aussi proposées. La première réalisée par Nicole Robine fait, à la demande du ministère allemand de l'Education et des Sciences, le point sur l'état et les résultats de la recherche sur la lecture. Après un bref historique des tendances de la recherche française dans le domaine, l'auteur, croisant différentes enquêtes aussi ben officielles et sérieuses que plus médiatiques, résume l'état des connaissances sur les relations à la lecture, l'évolution des pratiques et l'illettrisme. Article précieux même si on n'y fera pas de découverte, complété par une bibliographie qui montre à la fois l'importance de la connaissance accumulée et les lacunes à combler. La seconde synthèse donne les résultats d'une enquête sur les loisirs culturels des 8/16 ans. La télévision vient bien sûr en tête, mais sa pratique, si elle est massive, est souvent plus sélective que celle des adultes. Les activités de plein air viennent ensuite. La musique est aussi un loisir courant qui s'affirme avec l'âge. La lecture n'est une passion que pour une minorité...

Le dernier article de ce premier lot se veut plus problématisé. Il vise à remettre en question la pertinence des enquêtes sur le rapport entre livre et télévision dont les arrières pensées (concurrence entre les médias, effet néfaste du petit écran) biaiseraient les résultats et leur interprétation. Le constat et la critique sont connus. Ils reprennent sur un autre terrain les analyses classiques de Pierre Bourdieu ou de son école. L'auteur, Michel Peroni, passe ainsi en revue plusieurs sondages et leurs commentaires parus dans la presse pour constater qu'ils ont, en fait, produit les stéréotypes qu'ils voulaient faire ressortir. Mais il serait sans doute plus positif s'il s'interrogeait plus sur les stéréotypes eux-mêmes dont les sondages sont un des révélateurs et sur l'articulation sondage-média pour construire une opinion. Faute de quoi on a envie de renvoyer le boomerang à l'auteur : n'a-t-il pas lui aussi quelques a priori sur les sondages qui biaiseraient ses conclusions ?

Coûts et délais

La seconde série d'articles présente des études sur des thèmes classiques de l'activité : deux visent à une meilleure connaissance de la situation (la question du prix unique, la structuration financière des entreprises d'édition) deux autres proposent de tordre le cou à de vieux serpents de mer (le transport, et enfin la question du pilon).

Le prix unique du livre est analysé au travers d'une étude sur la Flandre où une décision de la Commission de Bruxelles, interdisant les accords entre les Pays-Bas et la Flandre, conduit à supprimer le prix unique dans cette dernière. Les conséquences sont présentées comme apocalyptiques pour tous les niveaux de la profession. L'étude des bilans des maisons d'édition fait apparaître une branche qui, contrairement à certaines idées reçues, soutient la comparaison avec l'industrie en terme de rentabilité. Mais l'équilibre des petites maisons reste précaire. Les conditions de financement, défavorables pour un secteur jugé à risque, pèsent lourdement.

L'étude sur le transport des livres propose une rationalisation qui pourrait réduire le coût d'un tiers et les délais de moitié. Bonne nouvelle ! 1 L'analyse du pilon est lourde de bons sentiments pour ses détracteurs et d'ingénuité pour ses adeptes, c'est-à-dire les éditeurs. Ces derniers n'y voient qu'une pratique économique normale conforme aux lois particulières qui régissent l'activité, tandis que les premiers crient au scandale. Loin de la polémique, l'étude pragmatique montre qu'il existe une demande insolvable pour le livre du côté des pays en voie de développement, du quart-monde ou des populations particulières. Celle-ci ne peut être satisfaite qu'au coup par coup si elle se manifeste, si l'auteur est d'accord et s'il ne supporte pas de surcoût.

Le numéro est donc particulièrement riche, confirmant l'intérêt de la revue. Il ne lui manque plus qu'une structuration un peu plus ordonnée et des résumés d'articles pour devenir une revue complète.