L'ouverture des frontières
Impact sur les bibliothèques de l'Allemagne de l'Est
Konrad Marwinski
La réunion, le 3 octobre 1990, de la République démocratique allemande à la République fédérale d'Allemagne a eu des répercussions sur le réseau bien structuré des bibliothèques de l'ex-second Etat allemand. Après quarante années d'une pratique administrative centralisée, les bibliothécaires doivent désormais s'adapter aux usages de l'économie de marché et aux structures d'une administration fédérale. Les fonds, surtout ceux des bibliothèques publiques, doivent être renouvelés et actualisés. Des programmes de soutien financier pour l'acquisition de documents et l'équipement informatique doivent être réalisés par le gouvernement fédéral, les Länder et des fondations privées. L'aide personnalisée et solidaire des collègues de l'Ouest et des pays de la communauté européenne, des Etats-Unis et du Canada facilite ce processus de changement.
The union, in October 1990 the 3rd, of the Democratic German Republic to the Federal German Republic has had a lot of effects on the well-structured network of East-German libraries. After 40 years of a centralized management, librarians have now to adapt to the market economy and to the structures of a federal administration. The stock, specially the stock of public libraries, must be renewed and updated. Programmes of financial support to acquisition and to computerised equipment will be carried out by Federal Govemment, Länder and private Foundations. Personalized help and support of Western, European, American and Canadian make this change process easier.
Le 3 octobre 1990 a eu lieu conformément à l'article 23 de la Constitution l'adhésion de la République démocratique allemande (RDA) à la République fédérale d'Allemagne (RFA). Aux onze anciens Länder de la RFA sont venus s'ajouter cinq nouveaux Länder qui se trouvaient de toute façon déjà en cours de formation. L'ancienne RDA, avec sa stucture étatique centralisée, était constituée de 15 circonscriptions administratives (Bezirke), à partir desquelles ont été formés 5 Länder, ou, plus exactement, re-formés, tels qu'ils avaient existé jusqu'en 1952, avant la réforme administrative.
Ces changements politiques et administratifs ont eu pour les bibliothèques de la partie orientale de l'Allemagne des conséquences importantes, qu'on pouvait à peine envisager au moment de la réunification. Ceci concernait, d'une part, une multiplicité de bibliothèques dont la tutelle se trouvait soudain modifiée, d'autre part, l'Association des bibliothèques de RDA, qui, jusqu'à présent, avait travaillé dans le cadre des circonscriptions. La vie quotidienne plaçait les bibliothécaires sans cesse devant des situations nouvelles, qu'ils devaient affronter. Citons seulement deux exemples. Avec l'ouverture des frontières intérieures allemandes en novembre 1989, du jour au lendemain, les livres et la presse d'Allemagne de l'Ouest, ainsi que l'ensemble du marché des livres, devenaient librement accessibles à chacun.
Les fonds des bibliothèques publiques durent s'adapter à ce développement et être actualisés. Beaucoup d'auteurs, qui n'étaient souvent connus que de nom, car leurs livres n'avaient pas été édités en RDA, ou ne pouvaient pratiquement pas être achetés, furent réclamés par les lecteurs. Les bibliothécaires durent élargir rapidement leurs connaissances dans ce domaine. Avec l'union monétaire, économique et sociale de ces deux Etats allemands, si fondamentalement différents, à partir du 1er juillet 1990, donc dans la phase préliminaire de la réunification, avait commencé dans l'ancienne RDA un changement progressif des structures sociales. Cette mutation se manifesta de jour en jour par de très nombreux renouvellements des règlements juridiques, ce qui entraîna un regain d'intérêt inattendu pour la documentation juridique dans toutes les classes de la population. Les bibliothèques ne pouvaient faire face que peu à peu à cet assaut.
La Deutsche Bibliotheksverband
Du 27 février au 1er mars 1991, la Deutsche Bibliotheksverband tenait son assemblée générale annuelle. Lors d'une séance qui rassembla plus de 450 représentants des bibliothèques des 16 Länder fut célébrée la réunion de l'Association des bibliothèques de l'Est (l'ancienne Bibliotheksverband de RDA) avec ses cinq groupes régionaux reconstitués entre-temps (Mecklenburg-Vorpommern, Brandenbourg, Sachsen-Anhalt, Thüringen et Sachsen) et de l'Association des bibliothèques de l'Ouest.
L'Association (désormais unifiée) allemande des bibliothèques (DBV : Deutsche Bibliotheksverband) réunit des bibliothèques de toutes sortes (depuis la bibliothèque municipale jusqu'à la bibliothèque universitaire), régies par des tutelles diverses (communes, Land, gouvernement fédéral et autres organismes). Conformément à ces nouveaux statuts votés lors de l'assemblée générale de Göttingen, la DBV soutient les bibliothèques et la documentation, tout en s'occupant des problèmes matériels posés en commun par ces deux secteurs. Elle apporte en outre son soutien à la coopération entre toutes les bibliothèques et les institutions bibliothéconomiques. Elle considère comme étant de son devoir prioritaire de représenter les bibliothèques dans l'opinion, d'attirer l'attention de l'ensemble du public sur la situation présente des bibliothèques et de faire campagne pour la bibliothèque comme institution culturelle et lieu de formation. La DBV soutient le livre et la lecture comme base incontournable du savoir, de la formation et de l'enseignement avec les moyens adaptés. La réunion des deux associations allemandes était la conséquence du processus de fusion des deux Etats allemands et mettait fm à la représentation de deux Etats allemands au sein de l'IFLA *.
Cette division de l'Allemagne en deux Etats à partir de 1949 avait fait naître deux paysages de bibliothèques modelés différemment. La situation des bibliothèques à la fm des années 40, dans la partie orientale de l'Allemagne, était caractérisée par une différence de niveau sensible entre le Nord et le Sud. Si l'on fait abstraction de la situation particulière de Berlin, la plus grande partie du potentiel des bibliothèques scientifiques se trouvait au Sud du territoire de l'ancienne RDA. Ce potentiel était représenté, à côté des bibliothèques universitaires de Leipzig, Iéna et Halle, avant tout par les bibliothèques régionales (Landesbibliothek) constituées à partir des anciennes bibliothèques de cour et de résidences, en Thuringe, à Altenburg, Gotha, Meiningen, Rudolstadt, Sondershausen et Weimar, ainsi que par la Landesbibliothek de Saxe à Dresde.
Leipzig et Berlin
Le réseau de bibliothèques publiques, alors dénommées bibliothèques populaires était particulièrement bien développé en Thuringe et en Saxe depuis les années 20. Leipzig, avec la Deutsche Bücherei fondée en 1912 et Berlin-Est (depuis 1949 capitale de l'ex-RDA), avec la Deutsche Staatsbibliothek (constituée à partir des fonds de l'ancienne Preussische Staatsbibliothek qui n'avaient pas été transférés pendant la guerre dans le bâtiment d'Unter den Linden) conservaient leurs fonctions centrales pour le réseau des bibliothèques, de toute façon limité alors au territoire du second Etat allemand.
Avec l'élaboration et la publication de la Bibliographie nationale allemande (1931), la Deutsche Bücherei formait un centre bibliographique. Comme on le sait, elle obtint non seulement l'exemplaire du dépôt légal de l'ancienne RDA, mais aussi les dépôts de la plupart des éditeurs de RFA, d'Autriche et de Suisse, si bien qu'elle put continuer à collecter de manière à peu près exhaustive la production imprimée de langue allemande. Il lui arriva même, au fil des années, en dépit de toutes les oppositions politiques, de collaborer en bonne intelligence avec la Deutsche Bibliothek de Francfort, fondée en 1946.
En tant que département de la Deutsche Bücherei, le Musée allemand du livre et de l'écrit a constitué un précieux soutien pour l'histoire du livre et de l'art du livre. L'atelier de restauration de la Deutsche Bücherei effectuait un travail exemplaire de restauration et de conservation des manuscrits médiévaux et de volumes précieux de tous les siècles et donnait aussi une impulsion aux travaux sur le traitement des papiers de pâte de bois (désacidification) par les ateliers de la bibliothèque de l'Université d'Iéna (procédé de fission du papier), à la Landesbibliothek de Saxe à Dresde et à la Deutsche Staatsbibliothek de Berlin-Est.
Enfin, Leipzig, ville universitaire et ville de foire, est à mentionner en tant que lieu d'implantation d'institutions de formation pour les bibliothécaires. Deux écoles professionnelles formaient ici la relève des bibliothécaires pour les bibliothèques scientifiques et pour les bibliothèques d'Etat de formation générale, principalement pour les circonscriptions du Sud de l'ex-RDA.
La bibliothèque de la ville de Berlin « Unter den Linden » (réouverte aussitôt après la guerre selon le modèle soviétique de « la bibliothèque scientifique publique ») s'affirma au fil des ans comme le centre de la documentation en langue étrangère dans l'ancienne RDA. Lorsqu'au milieu des années 50, l'office central pour les fonds anciens scientifiques, à l'origine situé à Gotha, fut annexé à cette bibliothèque de Berlin, celle-ci assuma une fonction importante dans le déplacement de fonds de bibliothèques devenus disponibles ou de doublons. A partir de l'ancien bureau d'information de la Deutsche Bibliothek fut constitué ensuite l'Institut pour le prêt entre bibliothèques et le catalogue centralisé, qui devint responsable de l'organisation du prêt à l'intérieur de la RDA et des échanges internationaux avec les bibliothèques de la RDA. En outre, c'est à partir de cet organisme que furent pilotés les catalogues centralisés régionaux entrepris à Rostock, Halle, Iéna, Leipzig et Dresde et le catalogue central de la RDA pour les monographies étrangères (ZKM) et pour les périodiques (ZKZ).
Bibliothèques de Länder
Après la capitulation en mai 1945 s'étaient reformées, comme dans la zone Ouest, dans l'ancienne zone d'occupation soviétique, des structures administratives fédérales. Des Länder se constituèrent, dont les frontières correspondaient approximativement à celles de 1933 : Mecklenburg, avec pour capitale Schwerin, Thuringe, capitale Weimar, et la Saxe, capitale, Dresde. Deux autres Länder se formèrent dans les anciennes provinces prussiennes, car la Prusse fut, selon l'article n° 46 des accords de contrôle des Alliés pour l'Allemagne du 25 février 1947, dissoute en tant qu'Etat et partagée en deux Länder : Brandenburg, avec Potsdam pour capitale et Saxe-Anhalt, avec Halle pour capitale. Dans le Land de Saxe-Anhalt entrait l'ancien territoire d'Anhalt. La RDA, fondée le 7 octobre 1949, reprit d'abord cette structure, qui fut ensuite supprimée durant l'été 1952, au profit d'une organisation administrative centralisée.
Quinze circonscriptions furent créées avec Berlin-Est pour capitale : Schwerin, Rostock, Neubrandenburg, Potsdam, Francfort-surOder, Cottbus, Halle, Magdeburg, Erfurt, Suhl, Gera, Leipzig, Karl Marx Stadt et Dresde. Jusqu'alors, les Landesbibliothek (Landesbibliothek du Mecklenburg à Schwerin, Landesbibliothek du Brandenburg et bibliothèque de l'école supérieure (Hochschule) à Potsdam, Landesbibliothek et bibliothèque de l'université de Saxe-Anhalt à Halle, Landesbibliothek de Thuringe à Weimar, Landesbibliothek de Saxe à Dresde) avaient formé l'épine dorsale du réseau des bibliothèques des 5 Länder Est-allemands juste après la guerre.
Conjointement avec les offices régionaux institués après la fin de la guerre pour le réseau des bibliothèques populaires, ces bibliothèques de Länder avaient pris en charge la fourniture de documents pour les bibliothèques scientifiques, pour les bibliothèques des zones urbaines et rurales. Les offices régionaux et les offices de district qui leur étaient subordonnés se préoccupèrent d'épurer les bibliothèques, alors sous tutelle communale, des livres d'inspiration fasciste et militariste. Elles confectionnèrent, par exemple, des listes d'ouvrages recommandés pour la constitution des fonds des bibliothèques de villages et se soucièrent des questions de formation professionnelle.
Changement dans le paysage des bibliothèques
Avec la réforme administrative de 1952 furent institués des offices centraux qui se trouvaient compétents pour l'ensemble de la RDA. Se produisit alors un démantèlement du réseau des bibliothèques, qui avait été préparé de longue date dans le domaine des bibliothèques populaires par les offices régionaux et de district qui existèrent jusqu'en 1954. Pour les bibliothèques populaires, désormais appelées « bibliothèques d'Etat de formation générale » fut créé en 1950, à Berlin-Est, l'Institut central pour les bibliothèques, organe du ministère de la Culture.
Plus tard, en 1964, vint s'ajouter pour les bibliothèques scientifiques et les bibliothèques de Hochschule, le Centre méthodique pour les bibliothèques scientifiques et l'information scientifique, organe du secrétariat d'Etat (plus tard Ministère) aux grandes Ecoles et aux Ecoles professionnelles, également à Berlin-Est. Dans cette ville existait une école professionnelle de formation de bibliothécaires des bibliothèques scientifiques et de documentalistes, dont les anciens élèves, pour la plupart, étaient engagés à Berlin-Est et dans les circonscriptions du Nord du pays. La formation universitaire de bibliothécaires scientifiques se déroulait à l'Institut pour la bibliothéconomie et l'information scientifique de l'Université Humboldt à Berlin-Est.
Dans les chefs-lieux des circonscriptions (à partir desquels avaient été désignées les unités administratives), les bibliothèques furent peu à peu transformées en bibliothèques de circonscription et dans une phase ultérieure (après 1968), en bibliothèques générales scientifiques de la circonscription. Ces bibliothèques servirent de tête de réseau pour les bibliothèques d'Etat de formation générale dans les districts et les communes. Ce système fut grandement développé dans toutes les circonscriptions par la mise à disposition permanente de moyens financiers provenant du budget de l'Etat.
En outre se constitua un réseau de bibliothèques de syndicats couvrant tout le territoire, dans les entreprises industrielles d'Etat, qui fournissaient des livres aux employés sur leur lieu de travail. Les quelques bibliothèques de Land qui avaient survécu à la Deuxième Guerre mondiale, et même aux interventions de la force d'occupation, et qui existaient encore à côté des bibliothèques du type de celles évoquées plus haut, furent démembrées et leurs fonds attribués à d'autres bibliothèques scientifiques. Ce fut le sort de la Landesbibliothek de Neustrelitz (Mecklenburg), ainsi qu'à Altenburg, Rudolstadt et Sondershausen (toutes trois en Thuringe). Les fonds des deux autres Landesbibliothek en Thuringe (à Gotha et Meiningen) furent « mis en sécurité » sitôt après la guerre par la force d'occupation soviétique et transportés en URSS.
Ces changements dans le paysage des bibliothèques, entrepris pour des raisons non seulement fonctionnelles, mais aussi politiques, jusqu'au milieu des années 60 en RDA, furent l'objet d'un dernier correctif avec le décret de 1968 sur les bibliothèques. Ce décret concernait avant tout les bibliothèques de Land : à Schwerin et Potsdam furent créées, après fusion de la Landesbibliothek avec la bibliothèque de circonscription, les bibliothèques générales scientifiques des arrondissements de Schwerin et Potsdam. La Landesbibliothek de Thuringe à Weimar fut regroupée avec la bibliothèque centrale pour la littérature allemande classique. Une autre fusion eut lieu à Erfurt. Là, la bibliothèque de la ville et de la circonscription, et la bibliothèque scientifique d'Erfurt (avec les fonds de la bibliothèque supprimée en 1816 par le roi de Prusse, auxquels appartient, entre autres, la fameuse Bibliotheca Amploniana) furent réunies en une seule bibliothèque générale scientifique de la circonscription d'Erfurt. Seule la Landesbibliothek de Saxe à Dresde demeura inchangée et fut placée (en même temps que les deux bibliothèques centrales de Berlin-Est et Leipzig) sous la tutelle directe du ministère aux Ecoles supérieures et professionnelles. Une solution semblable fut trouvée pour la Landesbibliothek de Gotha qui, en 1956, récupéra heureusement la plus grande partie de ses fonds déplacés en URSS et fut ouverte sous le nom de « bibliothèque de recherche de Gotha » aux scientifiques du monde entier. En tant que bibliothèques immédiatement utiles à la science, à la recherche et à l'enseignement, les bibliothèques d'université et d'écoles supérieures eurent à subir moins de regroupements imposés à l'échelon central. A côté des bibliothèques d'université riches de traditions : Leipzig (fondée en 1543), Iéna (1548/1558), Rostock (1569), Greifswald (1604), Halle (1696), Berlin-Est (1831), fonctionnaient (et fonctionnent encore) plus de 50 bibliothèques d'écoles supérieures, d'écoles professionnelles et d'écoles d'ingénieurs, comme par exemple à l'Université technique de Dresde, à Chemnitz et à Magdeburg, à l'école supérieure des transports de Dresde, à l'Académie de médecine d'Erfurt, de Dresde et de Magdeburg, à l'Académie des mines de Freiberg en Saxe, parmi lesquelles de nombreux établissements créés dans les années 50 et 60.
Réseaux spécialisés
A côté de ces lignes de force du réseau des bibliothèques de l'ancienne RDA (bibliothèques scientifiques, bibliothèques de formation générale d'Etat, bibliothèques de syndicats) existaient, en dehors des universités et des écoles supérieures, de nombreuses bibliothèques spécialisées dans tous les secteurs de l'économie, de l'industrie et de la recherche scientifique. Abstraction faite de leur tutelle financière, ces bibliothèques s'étaient organisées en réseaux spécialisés à la tête desquels se trouvaient des bibliothèques centrales, comme par exemple la bibliothèque centrale d'agronomie à Berlin, qui était reliée à l'Académie d'agronomie de RDA. Avec l'aide d'un catalogue central spécialisé, elles développèrent un réseau de prêt des documents n'appartenant pas à la production de RDA.
Les bibliothèques des Instituts de recherche des Académies (Académie des sciences, Académie d'agronomie, Académie des sciences de l'éducation) formaient les piliers de ces réseaux spécialisés, relativement bien dotés pour l'acquisition des documents occidentaux nécessitant des devises. D'une manière différente de la RFA, mais en conformité avec les formes d'organisation de la recherche scientifique dans les pays de l'ancien bloc de l'Est, les Instituts des Académies portaient l'essentiel de la charge de la recherche de l'ex-RDA. La raréfaction générale de devises conduisait au fait que la documentation occidentale ne pouvait être acquise dans le circuit commercial que dans une proportion réduite par les bibliothèques scientifiques. C'est pourquoi les échanges internationaux de documents revêtaient une grande importance pour les bibliothèques.
L'achat/échange, presque à la limite de la légalité en RDA, constituait souvent l'unique possibilité de poursuivre d'importantes collections de périodiques. Une autre source d'acquisition de documents étrangers résidait dans la présentation des livres chaque année à la Foire du livre de Leipzig, livres qui, en règle générale, restaient en RDA une fois la foire achevée. Ils pouvaient être achetés par les grandes bibliothèques, hors contingent de devises, c'est-à-dire en marks/RDA.
Maintes œuvres dignes d'intérêt entrèrent ainsi dans les bibliothèques de RDA et se trouvèrent alors à la disposition des lecteurs. Pour recevoir au moins un minimum de périodiques internationaux parmi les plus importants, les abonnements furent coordonnés par une commission d'Etat centrale au ministère de la Culture. De nombreux abonnements en plusieurs exemplaires durent être réduits, dans la mesure où les moyens limités ne pouvaient suffire au regard de la hausse constante des tarifs. Le réseau de prêt-inter était débordé, les copies de substitutions à l'original manquaient : des photocopieurs performants, même en mettant de côté les problèmes de droits d'auteur, n'étaient pas disponibles en nombre suffisant.
Ainsi, il ne restait aux chercheurs concernés que la ressource de voyager, compte tenu de la localisation des abonnements ! Les catalogues centraux, régionaux et nationaux établis avec soin, permettaient grâce aux localisations indiquées de mettre en relation document et utilisateur. Les bibliothécaires chargés de la constitution des fonds ne manquaient pas de pourvoir à la documentation indispensable à la recherche scientifique. Fréquemment ils trouvaient le soutien de leurs collègues étrangers.
Un premier pas vers l'utilisation de l'informatique dans la pratique quotidienne des bibliothèques fut l'adoption homogène en RDA du standard international ISBD (International standard book description) pour les nouvelles règles de catalogage alphabétique (RAK) sur la base d'une instruction du ministère de la Culture du ler octobre 1976 qui valait pour toutes les branches du réseau de bibliothèques. Au début de 1977 le catalogue alphabétique commença à être constitué selon les nouvelles règles. La pratique catalographique des 15 dernières années se présente donc désormais comme un élément particulièrement favorable à l'intégration des bibliothèques de l'ex-RDA au réseau documentaire de RFA. Selon une statistique reposant sur des sources de RDA et en provenance du DBI (Deutsches Bibliotheksinstitut), il y avait en 1989 dans l'ancienne RDA 17 601 bibliothèques avec un fonds total de 103 559 000 volumes et une activité de prêt de 112 771 000 volumes. Les dépenses d'acquisition s'élevaient à 98 869 000 marks/RDA. Ce potentiel de bibliothèques, de professionnels et de livres, expression d'une haute culture du livre et de l'écrit, l'ancienne RDA l'apportait le 3 octobre 1990 à la République fédérale. Au cours d'un développement de plus de 40 années, l'écart d'origine entre Nord et Sud avait été comblé.
Programmes de soutien
La fin du soutien financier assuré jusqu'alors par la RDA plaça les bibliothèques devant des difficultés totalement inattendues. Les futures tutelles financières (les Länder de Mecklenburg-Vorpommern, Brandenburg, Saxe-Anhalt, Thuringe et Saxe) n'étaient pas encore à pied d'œuvre et les communes qui devaient apporter aux bibliothèques publiques leurs ressources matérielles n'avaient pas d'argent. Le remplacement brutal d'un système étatique centralisé par des structures fédérales héritées de la RFA, qui ne pouvaient se constituer que lentement dans le cadre du traité d'adhésion, la réforme monétaire du 1er juillet 1990, qui marquait le passage sans compromis de l'économie planifiée à l'économie de marché conduisirent forcément à des situations auxquelles les bibliothécaires n'étaient pas préparés.
Tandis que les bibliothèques scientifiques, dans la mesure où elles étaient liées aux universités, aux écoles supérieures ou professionnelles, en dépit de l'absence de budget, purent poursuivre leur activité, ceci ne pouvait valoir pour les bibliothèques de circonscription, d'arrondissement, de communes et de Länder désormais sous la tutelle financière des villes.
Des programmes de soutien aux bibliothèques scientifiques avaient déjà commencé, initiés par les anciens Länder pour leurs partenaires de l'Est, par exemple la Hesse aidant la Thuringe, le Bade-Würtenberg la Saxe. Ces programmes furent élargis par le gouvernement fédéral et les fondations ( par exemple la fondation Volkswagen). Ces programmes étaient prioritairement destinés à l'achat de livres dans les disciplines fortement liées à l'idéologie et au système, dans les universités et les écoles supérieures, comme les sciences juridiques, l'économie et d'autres disciplines dans le domaine des sciences humaines et des sciences sociales. Des documents spécialisés et des manuels occidentaux peuvent être achetés, mais aussi des copieurs et des calculatrices modernes. Le besoin en nouveaux périodiques est également très grand pour l'avenir.
Les bibliothèques publiques, centrales et annexes, dont les fonds reposaient sur la production éditoriale de RDA, se trouvèrent après le « tournant » en Allemagne de l'Est sous une tutelle communale nouvelle pour elles, étant donné que les communes devaient pourvoir à l'entretien de ces bibliothèques, désormais sans aide de l'Etat. Les fermetures d'entreprises et les bouleversements dans les rapports de propriété mirent les communes dans de graves difficultés et les premières fermetures de bibliothèques ne se firent pas attendre longtemps. Les premières concernées furent des bibliothèques annexes. Dans les bibliothèques publiques centrales fut appliquée une politique rigoureuse de diminution du personnel, qui s'est orientée (selon l'opinion même des bibliothécaires de l'Ouest) vers des effectifs moins importants que dans les bibliothèques publiques de l'Ouest de taille comparable. Des financements mixtes par les communes et le Land, tels qu'ils se pratiquent couramment dans les anciens Länder de l'Ouest, sont encore rares. Les bibliothèques de ville et d'arrondissement qui avaient la responsabilité de la desserte en documents d'un arrondissement rural ont été transformées en bibliothèques municipales.
En regard de l'importance du chômage et de la nécessité des reconversions professionnelles dues aux bouleversements des infrastructures industrielles des nouveaux Länder, les fermetures de bibliothèques représentent peu de choses. Pourtant l'on peut prévoir que le nombre des bibliothécaires sans travail va aller croissant, en particulier les bibliothécaires de syndicats, dont les bibliothèques, avec la suppression de leur financeur dans les entreprises, l'ancien syndicat unifié de RDA (FDGB), ont été, à quelques exceptions près, fermées.
Une nouvelle époque
Depuis juin 1990 a été constitué un groupe de travail formé de représentants des bibliothèques des anciens et des nouveaux Länder. Ce groupe élabore des recommandations pour le gouvernement fédéral, pour les Länder et pour les communes sur les sujets suivants :
- situation des bibliothèques publiques ;
- problèmes de personnel (équivalance des diplômes de bibliothécaire et de documentaliste de l'ex-RDA et des grades professionnels) ;
- politique documentaire dans les bibliothèques d'université et d'écoles supérieures (budget de fonctionnement, personnel, budget d'acquisition) ;
- services et institutions centraux et régionaux et prêt entre bibliothèques ;
- bibliothéconomie et informatique ;
- problèmes juridiques.
Dans tous les nouveaux Länder se mettent en place des offices régionaux pour les bibliothèques publiques (Landfachstellen). Des professionnels des bibliothèques dans les ministères compétents des Länder entreprennent également, comme les sections régionales de l'Association allemande des bibliothèques (DBV), tous les efforts pour conserver le paysage des bibliothèques qui a grandi essentiellement au cours de ce siècle et dont l'architecture s'est modifiée peu à peu.
La Deutsche Bücherei à Leipzig et la Deutsche Bibliothek à Francfort forment depuis 1991 la Deutsche Bibliothek. Les deux bibliothèques d'Etat de Berlin ont rassemblé leurs forces et leurs moyens, sans qu'aucune doive renoncer à son implantation. Depuis que Berlin a été désignée comme capitale, de nouvelles perspectives en résultent pour les « bibliothèques d'Etat de Berlin réunies ». Dans les Länder, les bibliothèques de Land encore existantes (Halle, Dresde) assument leurs missions traditionnelles, à Schwerin renaît la Landesbibliothek du Mecklenburg, pour la Thuringe l'actuelle bibliothèque du Land et de l'Université à Iéna avait déjà depuis les années 50 repris progressivement ses fonctions, la bibliothèque de recherche de Gotha porte en outre la dénomination traditionnelle de Landesbibliothek. La décision à prendre pour le Brandenburg est encore en suspens. Les anciennes bibliothèques générales scientifiques des circonscriptions connurent des développements différents. Elles continuent à exister en tant que bibliothèques régionales, en partie en tant que bibliothèques municipales, sous tutelle communale. Dans la mesure où il s'agit de bibliothèques publiques de plus de 100 000 volumes, il est demandé à la ville un engagement culturel.
Les bibliothèques des nouveaux Länder se trouvent actuellement dans une situation de rupture. On ne peut encore prévoir dans le détail aujourd'hui quel sera leur développement. Le renouvellement de fond en comble des collections de ces bibliothèques reflète le processus de changement politique et culturel, qui signifie pour les bibliothèques et les lecteurs une ouverture vers ce monde occidental encore abhorré il y a peu de temps, et se trouve accompagné de beaucoup de nouvelles expériences et de découvertes. On est presque tenté, en dépit de toutes les situations embrouillées, en comparaison de la situation d'origine, il n'y a pas encore deux ans, de parler d'une nouvelle époque dans le travail des bibliothèques. L'irruption irrésistible des moyens de communication modernes dans les bibliothèques des nouveaux Länder crée les conditions de leur intégration dans le processus multiculturel de l'Europe entière.
Août 1991