Le réseau des bibliothèques hongroises

Klara Papp-Farkas

Les quarante dernières années ont été décisives pour les bibliothèques hongroises. Création de bibliothèques, de centres de documentation, constitution de réseaux... La loi de 1976 prévoit deux types d'organisation : les réseaux, au nombre de quatre, qui regroupent des institutions au service et collections similaires, et les cercles de coopération, basés sur l'intérêt mutuel de leurs membres. La réalité est toutefois encore loin d'appliquer strictement les directives, par ailleurs déjà désuètes. Ces formes d'organisation sont appelées à évoluer. Les bibliothèques aussi, qu'elles soient publiques, universitaires, scolaires, syndicales... L'Etat ne peut plus être seul responsable et les établissements doivent passer à une gestion plus rationnelle et ne plus s'appuyer uniquement sur la dotation.

The last forty years were decisive years for the Hungarian libraries : creation of libraries and document centers, formation of networks. However, reality is far from the strict application of the instructions. The Law of 1976, always in use, states two types of organizations : the networks (which unite institutions of similar collections and services) and the cooperation circles (based on the mutual interest of its members). But these organizations have to evolve. Libraries too, whatever they are : public, scolastic, academic... The State must not be the only one responsible for them. For that, the libraries must adopt more rational management.

Récemment, la Hongrie a traversé une période de transformations politiques et sociales radicales qui ont eu un impact décisif sur la vie culturelle du pays. Le rôle du pouvoir étatique absolu qui a dominé pendant 40 ans est nettement diminué, mais la restructuration fondamentalement positive qui devrait avoir lieu intervient en période de crise économique importante, ce qui est la cause principale des difficultés que connaissent les bibliothèques hongroises.

Ces institutions déjà très limitées financièrement devront suivre la nouvelle donne sociale et répondre aux attentes de la société hongroise dans des circonstances matérielles encore plus dures. Le présent - et, en partie, l'avenir - des bibliothèques hongroises est déterminé par le fait, qu'au cours de la Seconde Guerre mondiale et des décennies suivantes, la majeure partie des fonds a été détruite et qu'il a fallu repartir à zéro, sans aucune institution documentaire.

Emergence bibliothéconomique

On peut donc considérer les quarante dernières années comme la période de conception et d'organisation des différents réseaux de bibliothèques et centres d'information et de documentation. Durant cette période, toutes les agglomérations hongroises ont acquis une bibliothèque, et l'on a assisté à la création de bibliothèques de quartier et de bibliothèques départementales modernes. Des centres de bibliothéconomie scientifiques et techniques ont vu le jour. Entre autres, le Centre de bibliothéconomie et d'informatique, qui fonctionne sous l'égide de la Bibliothèque nationale Széchényi (cf. article précédent).

En 1956 et 1976, les lois émises sur les bibliothèques et des directives spécifiques ont réglementé le fonctionnement des différents types d'institutions. Des plans de développement à long terme ont également été élaborés pour les réseaux et leurs unités.

Du point de vue législatif, les bibliothèques hongroises semblent appartenir à un système établi de façon rationnelle et réfléchie. Toutefois, en raison des nombreux obstacles, le rythme d'application des directives s'est ralenti et l'écart entre les lois et la réalité, agrandi. Quoique substantiellement justes et valables, ces directives se trouvent par ailleurs désormais désuètes.

La loi de 1976 - amendée plusieurs fois depuis son émission -doit rester en vigueur jusqu'à la promulgation d'une nouvelle loi. Le présent article fait état d'une situation qui repose sur ces textes, tout en signalant les changements survenus entre-temps, les conséquences de la modification du contexte socio-économique, les nouvelles tendances de l'évolution, des démarches et expérimentations entreprises.

Réseaux et cercles de coopération

Ladite loi a désigné, comme formes d'organisation, les réseaux de bibliothèques et les cercles de coopération. Les réseaux regroupent les bibliothèques gérées par un même centre administratif. Elles ont un statut identique et travaillent en coordination. L'harmonisation de leurs activités est assurée par le centre.

Il existe quatre types de réseaux : un pour les bibliothèques publiques, un pour les bibliothèques d'enseignement supérieur, un pour les bibliothèques scolaires et un pour les bibliothèques spécialisées.

Evidemment ces formes d'organisation ne sont efficaces que si elles sont capables de s'adapter avec souplesse aux changements économiques et politiques ainsi qu'aux demandes sociales qui en découlent. De même, l'interdépendance des bibliothèques nécessite de trouver désormais des formes de coopération pouvant évoluer vers une sorte de network et non vers une consolidation de la structure de réseaux traditionnelle hongroise.

La loi de 1976 a créé deux types de cercles de coopération Le premier fonctionne dans les domaines professionnels et techniques. Ce sont des bibliothèques ayant des services et des collections similaires qui s'associent afin de mettre en commun et de développer leurs prestations et leurs fonds. Indépendamment de leur type et de leur appartenance à tel ou tel réseau, elles peuvent s'associer à un cercle de coopération dont l'activité est organisée par une bibliothèque désignée à cette fin et de compétence nationale. Le cercle est basé sur les intérêts mutuels des membres. Il organise et coordonne leurs acquisitions et leurs prestations, complète, publie et vulgarise leurs services.

De caractère territorial, l'autre type de cercles déploie son activité dans les villes, les départements et les régions.

Aujourd'hui, ce modèle organisationnel et hiérarchique ne peut plus fonctionner de façon adéquate. Depuis deux ans, les bibliothèques n'ont pratiquement pas eu de gestionnaire ni de responsable réel au niveau ministériel. Il est clair qu'il faut abandonner le principe jamais réalisé - et irréalisable d'ailleurs -selon lequel l'Etat est seul responsable de l'ensemble des bibliothèques et de l'information spécialisée et qu'il est tenu, même indirectement, de les gérer et de les diriger. L'Etat et les municipalités devraient seulement assurer les conditions nécessaires au bon fonctionnement des bibliothèques. Nous pensons avant tout à la Bibliothèque nationale, aux bibliothèques spécialisées nationales, aux centres nationaux d'information et aux bibliothèques publiques locales.

L'Etat et les municipalités doivent également soutenir les projets de bibliothèques de grande envergure et fmancer les services qui dépassent la compétence des institutions gestionnaires. Aussi sont-ils obligés de prendre en charge la formation initiale, universitaire et continue des bibliothécaires et des spécialistes de l'information. Il revient également à l'Etat de subventionner les projets de développement de toute la bibliothéconomie.

Efforts multiples

Le ministère de la Culture et de l'Education nationale récemment réorganisé est habilité à assurer la réglementation de base, le financement et la gestion des institutions centrales - en cas de besoin, il a recours à l'assistance des autres ministères. Il coordonne les relations internationales des bibliothèques et intervient dans l'élaboration des plans de développement à long terme.

Le Centre de bibliothéconomie et d'informatique, intégré à l'organisation générale de la Bibliothèque nationale et récemment restructuré, embrasse l'ensemble de la vie des bibliothèques hongroises, organise les prestations et les activités scientifiques et coordonne les différents travaux.

L'Association des bibliothécaires hongrois, organe de défense des intérêts des bibliothécaires, cherche également à se renouveler. Elle tente d'élucider les problèmes généraux de l'ensemble des bibliothèques pendant cette période transitoire et indique la nouvelle marche à suivre.

Les problèmes matériels des bibliothèques, conséquence, d'une part, de la modification substantielle de l'administration publique, de l'autre, de celle du système de financement, ont nécessité la création d'un nouvel organe représentant les intérêts des institutions : la Chambre de Bibliothèques et d'Informatique.

Ces deux dernières organisations essaient, en concertation, d'attirer l'attention de l'administration culturelle sur la nécessité d'assurer les conditions indispensables au renouveau en ce domaine, ainsi que sur les tâches les plus urgentes à accomplir : par exemple l'élaboration des lois adéquates permettant aux divers types de bibliothèques de fonctionner convenablement et de satisfaire aux exigences contemporaines sur un plan international.

Bibliothèques publiques

En accord avec les principes de base de l'IFLA, les bibliothèques publiques sont, en Hongrie comme ailleurs, les institutions fondamentales du savoir pour tous, assurant à chacun l'accès à l'information et à la documentation. Il existe des bibliothèques de quartier et des bibliothèques sur les lieux du travail.

Les services locaux sont assurés, tant dans les villes que dans les villages, par des bibliothèques gérées par les municipalités.

Ce réseau, peut-être trop morcelé, considéré jusqu'ici comme l'élément le plus solide du système bibliothéconomique, est devenu désormais bien fragile : la transformation de l'administration publique a entraîné une modification de la gestion des bibliothèques. Les moyens nécessaires au fonctionnement de ce réseau et à son développement ne peuvent plus être accordés sous forme de dotation et de subvention comme précédemment. En-dehors des prestations de la bibliothèque traditionnelle, apparaissent de nouveaux services, comme le service d'informations d'utilité publique : de plus en plus, des centres se créent qui fournissent au public des renseignements sur des questions et des problèmes quotidiens. Quelques bibliothèques ont ouvert des stations vidéotex expérimentales. La bibliothèque la plus importante en ce domaine est la Bibliothèque municipale Szabo Ervin, avec ses annexes spécialisées disséminées dans toute la capitale.

Il est temps, toutefois, que les bibliothèques publiques changent de méthode de gestion. Les difficultés financières auxquelles nous nous sommes déjà plusieurs fois référés les contraignent à passer à plus de rationalité. Les différentes bibliothèques essaient de se tirer d'affaire d'une manière ou d'une autre. Les tendances générales sont le renoncement à l'idéal du savoir gratuit, l'élargissement de la gamme des prestations payantes, l'entreprise de travaux à façon utilisant plus efficament les possibilités de l'imprimerie, l'augmentation ou l'introduction des tarifs d'inscription.

Les autres

Les formes de coopération basées sur les intérêts réciproques passent au premier plan. Certaines bibliothèques, ou plutôt l'organisme qui les gère, envisagent la réduction des prestations, le licenciement d'une partie du personnel ou la fermeture des annexes.

Les bibliothèques syndicales

Cette dernière solution frappe surtout le réseau des bibliothèques syndicales, gérées par les syndicats avec l'aide des employeurs. Le régime unipartite s'étant disloqué et le pluralisme ayant été instauré, y compris dans le domaine syndical, les entreprises restructurées ne veulent plus prendre en charge le réseau, étendu, des bibliothèques syndicales. Et ce, d'autant plus que les bibliothèques publiques et les bibliothèques syndicales offrent, fmalement, des services parallèles. Ces bibliothèques syndicales, aux fonds riches, devront donc s'intégrer dans le réseau des bibliothèques publiques, la politique bibliothéconomique hongroise ayant - c'est une des tâches urgentes - à élaborer des projets permettant de réviser leur mission.

L'enseignement supérieur

En ce qui concerne le réseau des bibliothèques d'enseignement supérieur, on enregistre là aussi de grands changements. Parmi les objectifs primordiaux, figure l'amélioration de l'enseignement et, par conséquent, un rôle de plus en plus important pour les bibliothèques de ces établissements. Les bibliothèques universitaires assument, au-delà de l'approvisionnement de l'enseignement et des recherches scientifiques en littérature spécialisée, une fonction de bibliothèque spécialisée publique. Il est particulièrement important qu'elles répondent aux demandes d'information des spécialistes et des chercheurs travaillant hors des facultés et ce, essentiellement en province. Elles doivent également servir de centres régionaux de littérature spécialisée. Côté informatisation, celle-ci a été amorcée progressivement et le contact en-ligne a été établi avec les grandes bases de données internationales.

Les scolaires

Les bibliothèques scolaires constituent la maille la plus faible de la chaîne des bibliothèques hongroises. Il existe bien des bibliothèques d'école de grande tradition qui possèdent des équipements modernes, mais ce n'est malheureusement pas une généralité. Il n'y a pas assez de locaux appropriés dans les écoles, ni de bibliothécaires à plein temps. Or, les nouveaux programmes pédagogiques contiennent des objectifs modernes visant avant tout la formation des élèves comme vrais lecteurs, et l'apprentissage de l'utilisation de la bibliothèque figure parmi les enseignements. Les bibliothèques pilotes de ce réseau sont exemplaires, leurs services et leurs collections servent de modèles aux autres.

Les bibliothèques spécialisées

La loi de 1976 définit trois types de bibliothèques spécialisées : nationales, régionales et locales. Leur tâche commune est de servir de support aux recherches, à l'enseignement, aux activités médicales et industrielles, ainsi qu'au travail d'administration.

La Bibliothèque de l'Académie des sciences de Hongrie a une fonction scientifique et organise les recherches. C'est l'un des centres d'information les plus importants du pays en sciences naturelles, humaines et sociales. Sa collection est particulièrement précieuse : elle comprend des livres anciens et rares, des périodiques et des manuscrits de valeur. Ses services modernes informatisés lui confèrent une place particulière au sein des bibliothèques scientifiques de Hongrie.

Le Centre d'informatique et la Bibliothèque nationale technique conservent la littérature traitant de la production industrielle, du développement et des recherches techniques et fournissent d'amples services aux spécialistes. Cette organisation est connectée à un grand nombre de bases de données spécialisées étrangères.

Agroinform est le centre du réseau des Instituts de recherche agricoles, des laboratoires et des bibliothèques des sociétés de production agricole.

Le réseau des bibliothèques médicales comprend les bibliothèques des facultés de médecine, celles des institutions nationales d'hygiène et les bibliothèques d'hôpitaux et de cliniques. La Bibliothèque du Musée et des Archives d'histoire médicale Semmelweis est à mentionner pour son intérêt historique. Plusieurs des bibliothèques spécialisées importantes, celles des différents offices d'Etat par exemple, ne sont pas regroupées en réseau. La Bibliothèque du Parlement joue un rôle considérable en histoire contemporaine, dans les domaines des sciences juridiques et politiques et des relations internationales. Elle conserve les documents du Parlement, collecte les publications des organisations mondiales et fonctionne comme bibliothèque dépositaire de l'ONU 1, avec des collections complètes de l'UNESCO 2, du GATT 3 et de l'ILO 4.

La sphère de compétence des bibliothèques spécialisées s'est considérablement élargie dans les années 1970-80. Le résultat concret de la coopération a été la délimitation exacte des domaines d'acquisitions et surtout la coordination des acquisitions de périodiques étrangers. La transformation socio-économique du régime a touché également ces structures. De petites bibliothèques, nombreuses, ont dû disparaître. Or, dans l'intérêt du développement économique, nous sommes contraints d'appliquer d'une manière très conséquente la philosophie et les méthodes de gestion des ressources d'information moderne.

Mentionnons encore les bibliothèques ecclésiastiques qui n'ont pas de réseau mais dont les églises respectives prennent soin. Dans les dernières décennies - années de déclin pour la plupart d'entre elles -, la survie de certaines collections, d'une valeur inestimable du point de vue de l'histoire de la civilisation, a été assurée par leur importance muséologique. Aujourd'hui, alors que le rôle de l'Eglise grandit et que les écoles confessionnelles se raniment, on peut espérer que leur chiffre augmentera et qu'elles enrichiront l'organisation générale des bibliothèques.

Il ressort de tout ce qui vient d'être dit que la Hongrie dispose d'un système bibliothéconomique développé par rapport, essentiellement, aux autres pays ex-socialistes voisins et ce, grâce aux efforts déployés pour se tenir au courant des modèles occidentaux, maintenir et élargir les relations internationales. Malgré les nombreuses difficultés mentionnées, qui existent encore, tout doit être fait pour réviser les bases existantes et construire sur elles une structure d'information solide et efficace qui pourra contribuer à l'évolution sociale et économique tellement souhaitée.

Octobre 1991