De la mobilisation politique à la redéfinition d'un service culturel public

par Jacques Perret

Mireille Pongy

Grenoble : Université des sciences sociales : Institut d'études politiques : CERAT (Centre de recherche sur le politique, l'administration et le territoire), octobre 1990. - 114p. ; 30cm.

Curieusement, c'est le Plan urbain (ministère de l'Equipement) qui a conçu et financé cette étude dans le cadre d'un programme de recherche : La culture et la ville : de l'équipement à l'image. On peut, au choix, y voir un bel exemple d'interdisciplinarité ou un signal d'alarme quant aux capacités de recherche du ministère de la Culture.

L'objet de cette recherche, confiée au CERAT, laboratoire de l'Université de Grenoble 2 associé au CNRS, était d'éclairer le processus d'évolution du système des représentations qui gouvernent les politiques culturelles. Autrement dit, comment (par quelle alchimie, sous la pression de quoi et de qui, à travers quels affrontements, en quels lieux...) la démocratisation de la culture, qui était le référentiel dominant jusqu'au début des années 1980, a cédé le pas aux référentiels de la compétition économique. Dans la mesure où ceux-ci réorientent aujourd'hui l'ensemble des politiques culturelles, locales et nationales et influencent nos pratiques professionnelles quotidiennes, la question ne manque pas d'intérêt.

Changement de mentalité

Pour conduire cette recherche, le CERAT a choisi la démarche d'analyse du système des acteurs : interviews longues des acteurs concernés (élus, cadres municipaux, professionnels, associations...) complétées par l'analyse de documents. Une telle méthode suppose un site. Le programme s'intéressait aux villes moyennes. C'est Valence qui a paru résumer, sur une période relativement brève (1977-1989), une évolution partagée par de nombreuses autres villes. Cela prouve que l'on peut être chercheur et aimer le suspense : comment un maire socialiste, militant culturel et associatif, a-t-il pu négocier en aussi peu de temps (deux mandats) un changement de mentalité qui s'apparente à la levée d'un tabou ?

Quelques-uns diront que c'est en retournant sa veste, l'étude montre que c'est avant tout en remontant ses manches. Le premier mandat est celui d'une intense activité d'équipement, d'abord dans le domaine socioculturel où les associations de quartier sont porteuses, mais aussi dans le culturel et prioritairement la lecture publique. Cette phase de croissance très rapide ne va pas sans ses crises, accompagnées d'une tendance au repli de chaque équipement sur lui-même. A tel point que, dès la fin du premier mandat, le maire ne parle plus de quantité mais de qualité, de mise en synergie et de politique municipale. Un nouvel acteur vient d'entrer sur la scène valentinoise : le ministère de la Culture qui, après 1981, à travers les procédures de contrats et de conventions de développement, pousse à la restructuration de l'action culturelle de tout son nouveau poids financier et de toute son aura d'expert. Au même moment, et contre toute attente, le ministère de la Jeunesse et des Sports, et le socio-culturel avec lui, dérive loin des priorités de l'Etat socialiste. Cela ne fait que nouer une crise qui se jouait déjà au plan local : les animateurs doivent céder l'avant-scène culturelle aux artistes et aux créateurs, bientôt suivis des « professionnels » de la culture puis des gestionnaires.

Un professionnalisme culturel

Mais le maire de Valence entend rester le metteur en scène. Il structure et professionnalise le service culturel municipal, veille à ce qu'aucun acteur ne monopolise le jeu et résiste aux « amicales » pressions du ministère.

Ses priorités ont changé, la mise en place d'une politique économique devient l'urgence. Et peu à peu le culturel doit trouver sa place dans les pages du catalogue que chaque ville, en compétition, invite les entreprises à feuilleter. Les acteurs du culturel, puis du socio-culturel, s'en sont accommodés, glissant du référentiel du militantisme culturel à celui du professionnalisme culturel.

Mais l'espace communal n'entre pas tout entier dans ces pages glacées, il a aussi ses quartiers noirs et gris à la une des quotidiens. La crise persistante du socio-culturel à Valence n'est pas sans rapport avec cette fracture et la perte des médiations sociales.

La mise en perspective de l'évolution valentinoise avec celle d'Annecy, plus mouvementée que ne le laissait penser son image de première de la classe, fait ressortir la toile de fonds (banalisation, institutionnalisation, professionnalisation), mais aussi la façon dont chaque contexte local fait jouer différemment l'évolution des politiques culturelles.

Devant la finesse de décryptage du jeu des acteurs d'un passé proche débouchant sur l'actualité, on ne sait ce que l'on doit le plus apprécier du miroir réfléchissant les acteurs ou de celui réfléchissant avec des acteurs en perte de repères.