Un jeu de construction
Annie Le Saux
On a beaucoup construit ces dernières années, surtout en bibliothèques publiques. En bibliothèques universitaires, les données sont plus complexes : si on a construit de 1955 à 1975, depuis une quinzaine d'années, on a cessé de construire. Actuellement, le grand plan de développement des universités et donc des bibliothèques universitaires permet d'espérer une relance des constructions, avec l'aide de l'Etat et des collectivités territoriales. C'est afin de sensibiliser les bibliothécaires à cet aspect de leur profession que l'AENSB a consacré, le 7 juin 1991, à l'Institut national d'agronomie, une journée à la construction et à l'aménagement des bibliothèques.
Dans ce même but de reconstituer le savoir et faciliter la tâche des bibliothécaires ainsi que celle des différents intervenants dans la construction et l'aménagement des bibliothèques universitaires, la Direction de la programmation et du développement universitaire au ministère de l'Education nationale vient de publier un document intitulé Bibliothèques universitaires : principes et méthode de programmation. Document opportun car, devant ces perspectives de nouvelles constructions, le bibliothécaire aura à faire face à un certain nombre de problèmes auxquels l'absence de constructions de ces dernières années ne l'avait plus habitué.
Missions de la bibliothèque
Tout d'abord, il lui faudra déterminer les missions et les fonctions principales de la bibliothèque afin de les traduire ensuite en termes d'espaces. Etablir clairement les besoins de la future bibliothèque, c'est notamment définir le public - différent suivant qu'il s'agit d'une bibliothèque universitaire ou d'une bibliothèque de lecture publique -, définir les collections (les domaines concernés, les types de documents), préciser quels seront l'organisation et le fonctionnement de la bibliothèque tant au niveau du circuit du livre et de sa consultation qu'à celui du public et de ses rapports avec les bibliothécaires, envisager les supports techniques, bref penser à toutes les activités présentes et aussi futures.
« Il est essentiel, souligne Marie-Françoise Bisbrouck, conservateur à la Sous-Direction des bibliothèques, de bien positionner ses demandes, de ne pas se réduire a priori, car il ne faut pas oublier que la bibliothèque conçoit un programme pour les 25 années à venir ». Faire un exercice de projection dans l'avenir n'est pas faire preuve d'utopie. Souvent, par économie, on n'a pas réalisé ce qui avait été prévu, or, il ne faut pas oublier que 3 ou 4 ans après, le coût s'avère nettement supérieur.
Quelle localisation privilégier ? Un lieu central signifie la plupart du temps un terrain trop petit et une extension difficilement réalisable. Un lieu excentré, s'il ne pose plus le problème de l'extension, attire moins la fréquentation. Il y a donc un choix à faire.
Langage et communication
Ces préalables de définition fonctionnelle conduisent à l'élaboration architecturale du bâtiment et à l'instauration d'échanges avec les architectes, car « un bâtiment n'est pas fait uniquement de béton, de verre ou d'acier, mais aussi de dialogue », précise Christine Orloff, conservateur à la bibliothèque Jean-Pierre Melville. Ce dialogue pose un des problèmes majeurs, celui du langage, le bibliothécaire n'ayant de formation ni au vocabulaire spécifique des constructions, ni à la lecture d'un plan, des proportions ou des volumes. Une variation de 10 à 15 % peut en effet apparaître suivant que l'on parle de surface utile, de surface des œuvres ou de surface hors oeuvre. En fait, la seule surface véritablement importante aux yeux du bibliothécaire est la surface utile, « c'est-à-dire, explique Isabelle Crosnier, du cabinet de programmation Crosnier-Besson, celle qui comprend toutes les surfaces qui répondent à une fonction liée à la bibliothèque - le couloir n'en faisant donc pas partie ».
On peut considérer qu'une bibliothèque a quatre grandes surfaces utiles :
- le hall, l'accueil (sas de décompression entre l'espace extérieur et l'espace travail) et le prêt ;
- l'espace de consultation et de mise à disposition des documents ;
- les locaux réservés au personnel ;
- les magasins.
François Lombard, architecte, illustra à l'aide de diapositives et de schémas la nécessité d'une cohérence et d'une continuité depuis la conception jusqu'à l'ouverture. Le processus opérationnel clairement défini, les différentes étapes de réalisation d'un projet type de construction sont à appliquer au cadre spécifique de la bibliothèque. Les principaux intervenants seront :
- le maître de l'ouvrage qui définit les objectifs, c'est-à-dire le lieu, les délais, les plans. Il est important de savoir qui est le maître de l'ouvrage, surtout lorsqu'il y a une multiplicité de « financeurs » ;
- l'utilisateur ou la maîtrise d'usage, c'est-à-dire le personnel et l'usager ;
- le programmateur, qui peut soit faire partie de la maison, soit venir de l'extérieur. Il traduit en termes de programmation les besoins, anime le processus, crée un bâtiment qui soit compréhensible par l'architecte ;
- le concepteur, c'est-à-dire l'architecte et le bureau d'étude ;
- le réalisateur, c'est-à-dire les entreprises.
Sur le terrain
Pour illustrer ces aspects théoriques de la construction de bibliothèques, Daniel Rubin, architecte, et Christine Orloff ont décrit les différentes étapes de la réalisation de la bibliothèque Jean-Pierre Melville. Le cas de la programmation du futur Centre technique du livre fut décortiqué par Hubert Dupuy, conservateur à la Sous-Direction des bibliothèques, depuis l'apparition de l'idée de « silo » en 1983 jusqu'à l'officialisation de la coopération avec la Bibliothèque de France, concrétisée par le choix du terrain à Marne-La-Vallée. Particularités du projet, missions, étapes de préréalisation, choix techniques ont été détaillés, et un regret exprimé, celui de n'avoir pas pu aller voir des expériences similaires à l'étranger.
L'après-midi, il fut question de la vie d'un bâtiment au bout de plusieurs années de fonctionnement. Le parti architectural pris à l'origine a-t-il permis l'évolution ? A-t-il été nécessaire de le réaménager au bout de plusieurs années ? Marie-José Poitevin, conservateur à la bibliothèque municipale de Caen et Thérèse Bally, directeur de la Bibliothèque universitaire d'Orsay, ont parlé des différentes phases de constitution du dossier de réaménagement de leur bibliothèque, depuis l'examen de l'état des lieux jusqu'aux négociations financières, en passant par l'évaluation des éléments favorables et défavorables.
Les interlocuteurs, dans le cas de la bibliothèque universitaire d'Orsay, ont été l'architecte, l'Université (agence comptable, service des marchés), le Centre d'Orsay (service technique, service d'hygiène et sécurité), le SCARIF (Service des constructions des académies de la région d'Ile-de-France), le Bureau de contrôle, et la Commission de sécurité. La bibliothèque universitaire n'étant qu'une partie d'un tout, il a fallu composer avec l'ensemble de l'Université.
Il ressort également de ces exemples que le bibliothécaire n'est pas le décideur financier, mais bien le représentant des utilisateurs, c'est-à-dire du personnel et des usagers. Et, à ce titre, il est important qu'il soit présent dès le départ, qu'il puisse s'investir dans le projet pendant plusieurs années et veiller à ce que les bâtiments de bibliothèques allient « fonctionnalité, satisfaction des utilisateurs, esthétique, intégration soutenue dans l'Université comme dans la ville et soit une composante essentielle de celles-ci ».