Conserver les livres d'aujourd'hui et de tous les temps

Klaus-Dieter Lehmann

L'Allemagne n'a jamais eu de bibliothèque nationale proprement dite. Modèle de décentralisation et de coopération, son réseau de bibliothèques repose sur un ensemble de 70 bibliothèques universitaires, 7 bibliothèques interrégionales, des bibliothèques de Land et des bibliothèques spécialisées. Dans le Traité de réunification du 3 octobre 1990 une loi prévoit la création d'un établissement public réunissant les deux plus grandes collections existantes : la Deutsche Bücherei de Leipzig (créée en 1912) et la Deutsche Bibliothek de Francfort (1916) deviendront la Deutsche Bibliothek, tout en conservant leur localisations actuelles. Leurs rôles respectifs sont déjà répartis : Francfort doit être centrale d'informations, bibliographie nationale, centre de recherche et de développement technique... Leipzig a une mission de conservation, de recherche sur l'histoire de l'édition, de l'imprimerie, etc. Ce qui entraîne une nouvelle construction à Francfort et la restauration du bâtiment de Leipzig.

Germany never had National library strictly speaking. Example of decentralization and cooperation, its library network is based on 70 academic libraries, 7 interregional libraries, regional and special fields libraries. In the Union treaty (october 1990, the 3rd), a law plans to create a public institution with both more important existing collections : the Deutsche Bücherei of Leipzig (1912) and the Deutsche Bibliothek of Francfort (1916) are going to become the « Deutsche Bibliothek », keeping their actual two localizations. Their respective functions are already defined : Francfort, as an information, national bibliography, technical research center... Leipzig as a preservation, edition and printing history one. That requires a new construction in Francfort and a renovation in Leipzig.

Des bibliothèques performantes constituent les instruments irremplaçables de l'enseignement et de la recherche, les conditions préalables de toute étude et de toute information. Mais tandis que la bibliothèque à ses débuts pouvait encore conserver et mettre à disposition presque intégralement le savoir publié, une évolution fondamentale est apparue ensuite au cours des siècles. La formation de classes sociales plus larges, la spécialisation des sciences, la fondation de nouvelles institutions scientifiques et les progrès toujours plus rapides de la connaissance conduisirent à une croissance exponentielle des publications. Les grandes bibliothèques se sont trouvées dans l'obligation de sélectionner considérablement pour demeurer efficaces. D'aussi illustres établissements que la British Library en sont venus à dériver de leurs objectifs initiaux d'exhaustivité. Il est significatif que le dernier mémoire publié par la British Library porte le titre : Selection for survival. Par ailleurs, à l'offre toujours croissante de documentation correspond un besoin grandissant d'information. Un public toujours plus nombreux réclame des informations de plus en plus différenciées.

Les bibliothèques doivent donc faire face à des exigences multiples. Si l'on veut esquisser ce que doivent être les missions d'une bibliothèque adaptée à son époque - et les conditions nécessaires à cette adéquation -, on doit y inclure la référence au passé, car la totalité des formes d'expression intellectuelles, scientifiques et artistiques fixées par écrit constitue le réservoir auquel puise la recherche. Et si l'on voulait limiter l'activité des bibliothèques à la fourniture de documents actuels, très vite naîtraient des zones aveugles dans notre culture, les brèches dans notre mémoire iraient s'élargissant.

Science et bibliothèques

Il ne s'agit pas ici de se tourner à nouveau vers l'histoire ou de se mettre à croire en un progrès ininterrompu développant pour l'avenir, sans heurts et de manière linéaire, un savoir transmis. C'est au contraire une chance pour la recherche, dans un contexte de spécialisation et d'internationalisation croissantes, d'avoir à sa disposition ce savoir dans cette continuité chronologique, grâce à laquelle connaissance et esprit critique pourront s'épanouir.

Ce type de bibliothèque est sûrement plus important pour le chercheur en sciences humaines que pour le chercheur en sciences exactes. Le chercheur en sciences humaines voit dans de telles collections non seulement un outil de culture, mais aussi un objet culturel unique et original. Mais, pas plus que les chercheurs en sciences humaines ne veulent se sentir reçus comme des administrateurs de musées de l'esprit, pas davantage les chercheurs en sciences exactes ne veulent être perçus comme des militants de la technique. En outre, aujourd'hui, le progrès scientifique se laisse de moins en moins inscrire dans des spécialités établies, mais plutôt dans des zones frontières, dans des champs de recouvrement. C'est précisément pour cette raison que les bibliothèques offrant un grand continuum documentaire sont particulièrement dignes d'intérêt. Il y a aussi là une caractéristique du travail scientifique : avancées, nouveaux schémas de pensée ne naissent pas seulement de l'enchaînement systématique de pas préparés avec précision, mais sont aussi stimulés par le furetage, le hasard, l'association inédite, la recherche inorganisée. La recherche méthodique, c'est-à-dire dans les grandes banques de données informatisées, est un aspect important de la préparation et de la réalisation du travail scientifique, mais ne peut remplacer le contact direct avec les grandes réserves de livres.

Fourniture de documents décentralisée

En Allemagne, un système décentralisé s'est constitué à partir d'une planification des responsabilités : commencé à la fin du XIXe siècle, il s'est développé et amélioré jusqu'à aujourd'hui. La coopération demeure en effet un leit-motiv important pour les bibliothèques allemandes. L'Allemagne n'a jamais possédé de bibliothèque nationale, au sens du XIXe siècle : collections largement exhaustives et représentatives de documents nationaux et étrangers, fonds d'une dimension historique approfondie et influence prééminente sur l'ensemble des bibliothèques du pays, fonction de dépôt légal pour la production écrite nationale.

La fourniture de la documentation scientifique repose sur environ 70 bibliothèques d'université, sept bibliothèques interrégionales (Fachbibliotheken nationales et centrales) et un ensemble de bibliothèques de Land et de bibliothèques spécialisées. La fourniture documentaire pour les bibliothèques repose en pratique sur un fonds de 100 millions de volumes et d'environ 400 000 titres de périodiques en cours. Cette situation est favorisée par la structure fédérale de l'Etat qui correspond parfaitement aux principes d'une politique de la recherche. Ce fonds est complété par un système de 17 Sondersammelgebietsbibliotheken (CADIST) pour les sciences humaines et de quatre bibliothèques spécialisées centrales pour les sciences appliquées qui doivent collecter le plus complètement possible la documentation scientifique étrangère dans leur domaine. Ce système est puissamment soutenu par la communauté allemande des chercheurs. Cependant, même une coopération modèle des bibliothèques scientifiques n'aboutit pas forcément à un fonds documentaire sans faille. Une offre documentaire confuse, en augmentation constante, doit faire l'objet d'une sélection sévère par les bibliothèques. C'est le seul moyen à leur disposition pour garantir à leurs utilisateurs un fonds d'une qualité cohérente et compatible avec une bonne gestion financière.

Livre et culture

Bien que l'idée de littérature « canonisée » ne subsiste plus guère aujourd'hui, nous conservons, et avec raison, les chefs-d'œuvre de notre civilisation. Une collecte exhaustive de la documentation inédite, de la littérature grise produite en nombre de plus en plus grand par les administrations, les institutions, les firmes, les établissements scientifiques ne ferait qu'obstruer les canaux d'information dans les bibliothèques scientifiques et contribuerait à éparpiller leurs moyens déjà limités. Cependant une part non négligeable de l'avancement de la recherche, sous la pression de l'actualité, passe par cette « littérature grise ». Compte tenu des délais de parution trop longs de l'édition de type commercial, les instituts de recherche choisissent consciemment ce mode de publication.

Il faut également tenir compte des nouveaux procédés techniques de publication (desktop publishing), des nouveaux supports d'information et des nouveaux circuits de vente. En dépit du manque de clarté de ce secteur de l'édition et de sa qualité inégale, ce type de publication ne peut être ignoré.

Mais il ne s'agit pas d'un problème propre à notre époque, même s'il apparaît aujourd'hui, quantitativement, avec une acuité accrue. Plus d'un tiers de la production nationale des XVIIIe et XIXe siècles est absent des bibliothèques allemandes. De récentes enquêtes sur la composition des fonds le démontrent. Ces enquêtes donnent également une idée de ce qu'était alors la politique d'achat des bibliothèques, qui négligeait des catégories entières de documents, en particulier ceux qui n'appartenaient pas encore aux valeurs sûres de la culture livresque. Ces manques sont évoqués aujourd'hui, et depuis longtemps, par les chercheurs. Il sera très difficile de combler ces lacunes a posteriori, même si un programme de soutien de la fondation Volkswagen d'environ 25 millions de marks vient d'être engagé.

Dans ses Politische Fastenpredigten, Jean Paul a fait la remarque suivante à la louange de la littérature éphémère : « Toutes les bibliothèques publiques ne conservaient jusqu'alors que les grandes oeuvres vouées à la postérité. Mais la question se pose : si une génération veut apprendre à connaître de l'intérieur l'esprit de l'époque qui l'a précédée, doit-elle puiser ses connaissances à la source des œuvres géniales qui, à chaque fois, anticipent largement au-delà de la mentalité de leur temps, ou doit-elle puiser son information auprès d'œuvres médiocres qui, à partir de la force et de la nature de leur époque, à travers la foule, en dessinent les mauvais côtés ? »

Si l'on songe à ce qu'était la diffusion de la littérature au début du XVIIIe siècle, l'analyse de Jean Paul apparaît comme particulièrement clairvoyante. Il ne faut sûrement pas attendre de ces collections de sensationnels chefs-d'œuvre qui seraient restés dissimulés jusqu'à aujourd'hui. Ces fonds trouvent plutôt leur utilité dans l'histoire des mentalités, dans l'information immédiate sur la vie quotidienne. Mais, et ceci n'est certes pas un point de vue dénué d'importance, dans les époques de bouleversements sociaux, qui dissimulent des changements plus subtils, un effort d'organisation et de hiérarchisation de ce matériau compact fournit souvent de nouveaux moyens de compréhension. De cet enchevêtrement naissent de nouvelles impulsions. Les périodes révolutionnaires demeurent en effet fertiles, parce que, alors, sont en jeu non seulement des changements de style, mais aussi des élans nouveaux. Conserver durablement ces œuvres éphémères revient donc à constituer des réserves dont l'importance dans la recherche historique va en augmentant.

La Deutsche Bücherei de Leipzig

Ce n'est qu'au début du XXe siècle que l'Allemagne a apporté à ce problème une solution centrale institutionnelle, en vue de collecter intégralement la production de langue allemande. Il est particulièrement intéressant de noter que c'est le secteur privé, et non l'Etat, qui en a pris l'initiative, et que ce n'est pas un quelconque souci de censure qui a présidé à cette création mais une volonté de libre-accès pour le public et la disponibilité des éditeurs, avec l'objectif de porter témoignage de la création intellectuelle et littéraire en Allemagne.

Ainsi naquit, sous le regard soupçonneux du Reich, en 1912, grâce à l'engagement de quelques éditeurs et libraires, avec le soutien de la Bourse, de la ville de Leipzig et du Land de Saxe, la Deutsche Bücherei, établie dans une ville libérale et vouée au commerce. Les buts que se fixait cette nouvelle institution n'étaient pas d'accumuler les œuvres consacrées, mais bien plutôt de rassembler toute la production de langue allemande et d'en effectuer une fidèle description bibliographique. Les fondateurs firent preuve d'un courage économique et d'un sens de la prospective remarquables, dans un esprit étonnamment moderne. Il s'agissait de créer, au milieu du Reich, dans un contexte d'exaltation du sentiment national, une institution qui ne se borne pas à être un monument national de plus, mais qui, fidèle à la tradition de Leipzig, mette l'utilité au premier plan, devienne le reflet quotidien et objectif de la culture de langue allemande et fasse de tout ce savoir un savoir accessible au public.

La Deutsche Bücherei a été l'un des pionniers de l'information bibliographique moderne. Pour remplir sa mission « d'archives complètes de l'édition allemande » - c'était le sous-titre donné à cette institution -, elle dépendait en dernier lieu de la remise volontaire et gratuite, par chaque éditeur, d'un exemplaire des nouveaux titres parus. Il y avait là sûrement un risque pour une si ambitieuse entreprise, mais ce fut aussi une grande chance. Cette chance résida dans la forte identification du monde de l'édition et de la librairie avec une telle bibliothèque, avec sa bibliothèque, dans la prise d'influence d'une bourgeoisie libérale pour laquelle la formation constituait la condition et le moteur de l'émancipation, et enfin dans l'étroite interdépendance entre éditeurs et bibliothèques. Ce n'est qu'en 1935 que fut fixée une réglementation du dépôt légal.

A peine fondée, la Deutsche Bücherei a vécu tous les hauts et les bas de l'histoire de l'Allemagne, traversé toutes les formes d'Etat : la monarchie, la République de Weimar, la dictature nazie, la division du pays. A cause de ses missions spécifiques - tout collecter de manière exhaustive, et toute la production allemande -, cette bibliothèque se trouva toujours dans cette zone de tension entre liberté de l'information et censure. Avec la partition de l'Allemagne, elle connut une profonde rupture dans son histoire propre et un lourd préjudice pour ses fonctions. Cette situation fut aggravée par une conjoncture économique catastrophique, qui vouait à l'échec presque toute initiative et toute amélioration de l'institution. La chose imprimée fut prise au sérieux d'une manière exagérée, et donc traitée et jugée d'une manière particulière. La Deutsche Bücherei perdit, de manière cruciale, de sa substance et de son rayonnement, en dépit d'une position particulière en République démocratique allemande. La poursuite, par beaucoup d'éditeurs de RFA, du dépôt volontaire d'exemplaires, demeura un important avantage après 1945, si bien que l'objectif fixé à l'origine, rassembler toute la production allemande, put être en grande partie maintenu.

La Deutsche Bibliothek de Francfort

Les obstacles nés de la censure, la détérioration des conditions commerciales et les difficultés d'accès à la Deutsche Bücherei avaient décidé, dès 1946, éditeurs et libraires à créer la Deutsche Bibliothek à Francfort. Un deuxième centre du livre naissait, de nouveau dans un lieu traditionnellement voué au livre, dans une cité commerçante libérale. Très vite, la Deutsche Bibliothek put, grâce à son infrastructure et aux techniques modernes d'information, devenir le maître d'œuvre de la bibliographie nationale. Des millions de données sous forme imprimée, sur bandes magnétiques, disquettes ou disques optiques, et dans les réseaux de télécommunications, aident bibliothèques, librairies, centres de documentation, institutions scientifiques, administrations, entreprises, etc., dans leur travail.

La réunification

Le traité du 3 octobre 1990 définit pour la Deutsche Bücherei et la Deutsche Bibliothek une nouvelle base institutionnelle. La loi qui y est incluse prévoit la création d'un établissement de droit public, directement sous tutelle fédérale, conservant les localisations actuelles respectives et prenant le nom générique de Deutsche Bibliothek. Ainsi se trouvent réunies deux des plus grandes collections de documents allemands. Leipzig possède environ 6,8 millions de volumes, Francfort environ 4,6 millions. Tandis que l'institution moderne de Francfort en profitera pour se renforcer en tant que centrale d'informations et de données, la Bibliothèque de Leipzig devra tirer un plus grand parti de ses collections comme centre pour la conservation du livre et comme lieu de recherche, grâce à ses trésors uniques sur l'histoire de l'édition, de l'imprimerie, du papier et de la reliure, le tout rassemblé dans le Musée allemand du livre et de l'écrit.

Les missions

Peu d'entreprises en relation avec la réunification ont pu, sans doute, assurer leur avenir d'une manière aussi rationnelle. Le 3 janvier 1991, trois mois seulement après l'entrée en vigueur du traité d'union, paraissait la première édition commune de la nouvelle bibliographie nationale allemande, imprimée sur fiches, ou disponible grâce aux moyens informatiques (bandes magnétiques, disquettes et en ligne). En février a été installé un système informatique moderne dans la Deutsche Bücherei, au moyen duquel doit être réalisée la connexion aux grands réseaux d'information et, en particulier, la liaison avec la Deutsche Bibliothek de Francfort.

Simultanément, une nouvelle organisation et une nouvelle répartition des missions ont été fixées. Sont exclusivement à la charge de Francfort : la production et la distribution des services de la bibliographie nationale, la gestion de l'unité centrale informatique - Leipzig conserve des liaisons en ligne modernes et une capacité informatique locale -, le Centre de recherche et de développement sur les techniques de l'information et de la communication, l'administration générale, les archives de l'exil, le travail de normalisation internationale dans le domaine bibliographique. Sont exclusivement assurés à Leipzig : les missions de centre pour la conservation des livres et la sauvegarde des fonds (conservation, restauration, transfert de textes sur d'autres supports tels que microformes, mémoires optiques), les missions de recherche sur le livre dans le cadre du Musée allemand du livre et de l'écrit, la constitution de l'Anne Frank-Shoah Bibliothek à partir des collections des archives de l'exil, le contrôle des fonds spécifiques (Germanica, traductions, fonds internationaux).

La gestion des accès au catalogue général, source d'une grosse dépense de travail, est strictement répartie pour éviter tout traitement en double, depuis l'acquisition du document jusqu'à son exploitation, en passant par le catalogage. La charge de travail est répartie, selon les domaines de production, dans le rapport de deux à un, entre Francfort et Leipzig. Les phonogrammes et les partitions sont traités aux Archives musicales allemandes de Berlin. La conservation et la communication sont organisées dans les deux bibliothèques selon des directives identiques. La Deutsche Bibliothek et la Deutsche Bücherei reçoivent chacune un exemplaire de chaque document imprimé en Allemagne - ou fabriqué, dans le cas des phonogrammes. Le dépôt légal en plusieurs exemplaires correspond à la pratique des autres Etats (cinq exemplaires en Grande-Bretagne, sept en Norvège, trois en Italie, sept en France, plusieurs exemplaires de toute manière dans tous les pays européens). De cette façon se trouve désamorcé le conflit entre le devoir de conservation et les impératifs de la communication, tout particulièrement en ce qui concerne les documents publiés hors des circuits commerciaux traditionnels (littérature grise).

La nouvelle construction

Pour que la collaboration entre les deux bibliothèques soit convaincante, des conditions d'hébergement correct, outre les problèmes organisationnels ou techniques, sont requises. La Deutsche Bibliothek de Francfort a besoin de manière urgente d'un nouveau bâtiment, dont la construction était déjà programmée avant la réunification : 60 % des fonds sont conservés dans des conditions précaires dans les magasins, l'espace manque pour les bureaux et les salles de lecture, au point de devoir louer des locaux supplémentaires. La poursuite du développement des techniques informatiques, décisive pour l'efficacité de la bibliothèque, est entravée par la vétusté des locaux (manque de place et d'infrastructures). Le 15 mai 1991, la commission du budget du Parlement a donné son accord pour une nouvelle construction à Francfort, après examen du projet, au vu des conséquences de la réunification et une fois établi que seule une nouvelle construction pouvait garantir des perspectives renouvelées pour le développement futur des bibliothèques réunies. Le chantier commence en 1991. Les travaux dureront cinq ans. En même temps commençait à Leipzig la restauration de l'impressionnant bâtiment de la Deutsche Bücherei.

Les bibliothèques et le marché du livre pourront très vite tirer parti de la réunification de la Deutsche Bibliothek et de la Deutsche Bücherei, car leur réorganisation interne entraînera une amélioration du service. Ainsi, le travail de reconstruction et de restructuration des bibliothèques et du commerce du livre dans les nouveaux Länder doit être particulièrement soutenu, notamment par l'extension du programme Cataloguing in publication (CIP) et du service d'information spécifique orienté utilisateurs. Les collections de la Deutsche Bücherei et de la Deutsche Bibliothek présentent une valeur inestimable en tant que mémoire de la culture écrite de langue allemande. Poursuivre leur enrichissement, c'est garantir une offre documentaire unique à l'Est et à l'Ouest de l'Allemagne, c'est relier les bibliothèques dans les structures traditionnelles de villes du livre telles que Leipzig et Francfort et, à travers l'organisation maintenant définie, permettre l'existence d'une structure efficace et de prestations accessibles dans les diverses régions.

La constitution, en deux endroits, de centres de gravité au profil unique favorisera également le rayonnement international du livre allemand et de la langue allemande. La Deutsche Bibliothek de Francfort entretient de multiples relations avec la Communauté européenne et le monde occidental. La Deutsche Bücherei, quant à elle, a tissé des liens avec l'Europe de l'Est. Dans la construction de l'Europe, la bibliothèque nationale réunifiée, avec ses deux pôles décentralisés, peut nouer une relation exceptionnelle entre l'Est et l'Ouest. En collaboration avec les bibliothèques d'Etat (Staatsbibliothek) de Berlin et de Munich, grâce à une répartition précise des fonctions, une structure clairement définie et un projet mobilisateur se mettent en place, qui rendent chaque établissement clairement perceptible et capable de souplesse et d'évolution.

Le Centre d'information bibliographique national

La plupart des Etats développés disposent aujourd'hui d'une bibliothèque nationale qui a la responsabilité de la collecte de la production écrite nationale. De cette manière se trouve représenté le volume de la création intellectuelle et littéraire d'un espace linguistique ou d'un Etat. Au cours de ces dernières années, à côté de la constitution des collections, l'information bibliographique sur les publications elles-mêmes est devenue un élément toujours plus important de l'activité du monde du livre. A cela, diverses causes. L'une étant le nombre croissant de publications qui exige la possibilité d'une vue d'ensemble rapide et précise de l'offre documentaire et l'existence d'un instrument performant de sélection pour les acheteurs et les médiateurs d'aujourd'hui.

La Deutsche Bibliothek, comme bibliothèque de dépôt d'un pays qui, par le nombre de titres, appartient aux plus grands producteurs de documents du monde, a, comme premier centre bibliographique national, depuis les années soixante, automatisé ses services et assumé, dans d'importants domaines de l'information bibliographique européenne et internationale, la responsabilité de la normalisation qui doit rendre possible une utilisation réciproque fiable de données à l'intention des librairies et des bibliothèques. Pratiquement aucune bibliothèque en Allemagne et aucune des nombreuses bibliothèques étrangères ne peut aujourd'hui se passer des services centralisés de la Deutsche Bibliothek, que ce soit pour les acquisitions, le catalogage ou l'information, en ce qui concerne la documentation de langue allemande. Son utilité économique est évidente : à l'échelon international, elle offre un soutien direct à l'édition allemande.

Dans la mesure où la Deutsche Bibliothek ne comprend pas ses services en termes de supériorité par rapport à ses utilisateurs avec obligation d'achat, mais comme une offre de services, la réceptivité des usagers et l'impact de la bibliothèque dépendent de manière décisive du caractère attractif des prestations proposées. Les conditions essentielles en sont : une base matérielle définie par la loi sur le dépôt légal, une actualité suffisante, une qualité standardisée de la description bibliographique, un coût acceptable, une technique d'information moderne, la coopération avec d'autres centres bibliographiques nationaux.

Les prestations de service d'information

La palette d'offres de services de l'institution de Francfort englobe annuellement plus de 200 000 nouvelles notices pour les livres, les périodiques, les cartes, les thèses des Hochschule (université ou grande école), les partitions, les phonogrammes, etc. En 1990, par exemple, ont été traités 64 821 titres dans le domaine de la documentation éditée, 34 775 titres dans le domaine des documents hors-commerce, 29 060 titres venant des Hochschule, tandis que le répertoire des phonogrammes recensait 12 318 notices. Une centrale gère l'ensemble des données. Divers sous-produits sont réalisés à partir de cette base selon le principe : saisir et mettre en mémoire une fois, pour des utilisations multiples ! Ainsi naissent les services imprimés de la bibliographie nationale avec différents niveaux de cumulation et différentes séries, les services sur microformes, les fiches, les bandes magnétiques, les CD-ROM, les disquettes, le service en ligne.

A cette diversité de supports d'information correspond la diversité des équipements des clients de la Deutsche Bibliothek. Que les usagers soient équipés de gros serveurs, les bibliothèques et les librairies de micro-ordinateurs ou les bibliothèques de Hochschule d'installations traditionnelles, tous ne peuvent être servis que si l'unité centrale prend techniquement en compte cette diversité de situations. Les services bibliographiques nationaux doivent incontestablement observer des règles bibliographiques, des règles d'interrogation, des structures de données normalisées et veiller aux interfaces, s'ils veulent pouvoir compter sur un noyau d'abonnés fidèles et atteindre l'objectif d'un service bien adapté et rationnel. Mais, en dernier lieu, c'est la rapidité des informations sous leurs différentes formes de distribution qui demeure décisive.

Le service le plus attractif est certainement le service CIP de la Deutsche Bibliothek. Le fondement du CIP est la production d'annonces bibliographiques avant la parution du livre, en principe quatre à six semaines auparavant, et l'impression de cette notice dans les livres. Annonces et impression servent d'un côté aux utilisateurs comme information précoce, aussi bien pour les achats que pour l'accélération et la standardisation du catalogage, de l'autre, aux éditeurs pour leur publicité et une plus grande rapidité de mise en vente. La saisie bibliographique repose sur le matériel envoyé par l'éditeur (4e de couverture, etc.). Plus de 2 500 éditeurs apportent leur concours à ce précatalogage, particulièrement ceux du secteur commercial. Environ 45 % de la production des éditeurs des pays de langue allemande entrant à la Deutsche Bibliothek sont pris en compte de cette manière. Selon nos informations, et c'est un chiffre intéressant, 70 à 80 % des acquisitions des bibliothèques scientifiques pour les documents de langue allemande sont effectuées à partir du CIP. Celui-ci étant vendu aussi bien sous forme conventionnelle que sur support informatique, il satisfait toutes les catégories d'utilisateurs. Les éditeurs des nouveaux Länder se sont entre-temps connectés au CIP. Cependant, comme pour les autres services, selon la forme de commercialisation (on-line, produits batch, services imprimés), un délai d'environ huit à douze semaines est nécessaire.

Dans l'état actuel de son offre, la Deutsche Bibliothek a le volume d'activité suivant : plus de 3,5 millions de fiches de catalogue envoyées en 1990, principalement aux petites et moyennes bibliothèques. La tendance est à la hausse en raison du développement des bibliothèques dans les nouveaux Länder. Pas moins de 350 000 fiches ont été envoyées gratuitement dans le cadre d'un programme d'aide d'urgence de la Deutsche Bibliothek aux bibliothèques scientifiques des nouveaux Länder. Ce programme se poursuit en 1991. Le nombre de données stockées s'élève à plus de 3,7 millions. Dans la mesure où les abonnés aux services sur bandes magnétiques sont essentiellement des centres de coopération entre bibliothèques qui alimentent à nouveau dans leur réseau une multiplicité de bibliothèques isolées, les données bibliographiques sont naturellement utilisées plusieurs fois. Bibliodata, la banque de données on-line de la Deutsche Bibliothek, abritée par le Scientific and technical information network (STN) à Karlsruhe comptait 6 885 heures d'interrogation l'an passé. Le service CD-ROM mis en place en 1989 a un tirage de 200 exemplaires avec une tendance à la hausse. Le service sur disquettes a été mis en route seulement au début de 1991, si bien qu'aucun chiffre significatif ne peut encore être donné.

Coopération

Les données bibliographiques ne constituent pas un monopole des centres bibliographiques nationaux. D'autres producteurs élaborent et diffusent des données : éditeurs, groupements de libraires, réseaux de bibliothèques, fournisseurs de bibliothèques, etc. Des données informatisées particulièrement intéressantes, et qui ne sont constituées nulle part ailleurs, apparaissent dans le secteur de l'édition : résumés, 4e de couverture, comités de lecture, répartition par genres. Les éditeurs les utilisent principalement pour leur publicité, parfois seulement pour une journée ou une saison. Il n'existe aucun cumul de ces données, cette pratique étant étrangère aux milieux de l'édition. On pourrait imaginer que ces données éditoriales, réunies aux données de la bibliographie nationale qui se trouvent pour l'essentiel sur la page de titre, forment un nouvel ensemble d'informations qui, pour les commandes, la recherche de renseignement ou le catalogage, procureraient en grande partie une information sur le contenu. Il est impératif que ces données n'aient pas à être ressaisies, mais puissent être directement extraites de la production des éditeurs. Il n'existe pas jusqu'à présent de co-production de ce type dans le monde. C'est pourquoi il serait très intéressant que des éditeurs se groupent avec la Deutsche Bibliothek pour mettre au point un tel projet et le réaliser. Des supports d'information tels que le CD-ROM offrent pour cela des capacités convenables, réduisant à rien les problèmes techniques.

Un nouveau chapitre de l'histoire des bibliothèques réunies est désormais ouvert. C'est une chance pour le réseau des bibliothèques et pour les deux bibliothèques nationales qu'une convention aussi concrète ait été inscrite dans le traité de réunification. La défiance réciproque s'est muée en confiance. En ce qui concerne les problèmes juridiques et matériels, l'objectif de l'intégration n'est pas encore complètement atteint. C'est l'affaire d'un travail quotidien de longue haleine. Les chances d'un développement durable sont favorables. Il est devenu clair que le bibliothécaire socialiste est resté un personnage imaginaire. On n'attend pas d'un bibliothécaire qu'il soit partisan, mais compétent. Les séquelles de la politique d'encadrement socialiste se feront sentir encore quelque temps. Nous avons tout particulièrement besoin de la jeune génération pour prendre des responsabilités. Ce sera le seul moyen de s'opposer à une hégémonie de l'Ouest et au conservatisme résigné de l'Est. De si belles collections, une si bonne infrastructure demeureront inefficaces si la volonté et la motivation font défaut. Derrière toute l'inquiétude compréhensible d'une partie de l'Est, se trouve une grande disponibilité qu'il faut saisir, planifier ensemble et débarrasser de ses vieilles peurs.

Juillet 1991

Illustration
La Deutsche Bibliothek à Francfort

  1. (retour)↑  La traduction de cet article a été effectuée par Dominique AROT.
  2. (retour)↑  La traduction de cet article a été effectuée par Dominique AROT.