« Savoirs et paroles d'adultes " illettrés " »

par Yvonne Johannot

Jean-Marie Besse

Agathe Potel

Michelle Servant-Odier

Cahiers du Psy. E.F., n° 1, juillet 1989. - 198 p.

Cette recherche se situe dans la problématique générale du Laboratoire de psychologie de l'éducation et de la formation de l'Université Lumière-Lyon 2 (5, avenue Mendès France 69676 BRON CEDEX ) : étudier les grandes difficultés de lecture constatées chez des adultes ayant bénéficié d'une scolarisation obligatoire.

Objectifs et évaluations

Après avoir brièvement retracé un historique des recherches dans ce domaine, les auteurs abordent leur propre expérimentation. Ils posent pour préalable qu'il existe pour chaque illettré une forme d'organisation mentale, une structure cognitive propre et se proposent de dégager la logique de leurs raisonnements. Ils ont choisi de travailler avec des volontaires stagiaires dans des organismes de formation afin d'étudier quelle connaissance chacun d'eux a de l'écrit.

Leurs objectifs essentiels étaient les suivants :
- repérer les stratégies face à l'écrit de ceux qu'on désigne comme « illettrés » ;
- comparer ces stratégies avec celles observées par E. Ferreiro dans des populations mexicaines analphabètes ;
- étudier comment le sujet prend en compte le contexte de l'écrit ;
- étudier la prise de décision face à l'écrit lorsque le sujet « illettré » est confronté à des situations proches de sa vie quotidienne.

Pour évaluer correctement l'appropriation de l'écrit réalisée par un individu, il faut tenir compte :
- des modifications que cet apprentissage va entraîner dans sa structuration mentale ;
- de l'équipement physiologique, psychologique, sensoriel de chaque individu ainsi que de la nature de son rapport personnel à l'écrit ;
- de sa connaissance de la langue française ;
- de la façon dont va se constituer pour lui un savoir structuré autour de représentations symboliques.

La synthèse

La recherche s'articule sur deux axes : connaître le parcours de l'illettré et ses pratiques culturelles ; saisir les modalités de son savoir en s'appuyant sur les connaissances qu'il a acquises.

La population retenue pour être testée se compose de 23 sujets, âgés de 16 à 50 ans, d'origine culturelle diverse, n'ayant pas de formation professionnelle mais ayant exercé, pour certains d'entre eux, des emplois divers. A la suite des entretiens d'une heure et demie que les chercheurs ont eus avec chacun d'eux, 11 portraits des cas les plus représentatifs ont été brossés.

Après avoir décrit les conditions dans lesquelles la recherche était effectuée, les auteurs résument les premiers éléments de synthèse auxquels elle a donné lieu en développant deux points :
- une analyse comparative avec les résultats obtenus par Ferreiro sur des analphabètes mexicains laisse apparaître des différences importantes, les problèmes des individus testés en France s'articulant autour de la difficulté à donner sens alors qu'ils connaissent les principales règles de la construction de l'écrit ; le contexte - y compris iconique - leur apporte à cet égard une aide primordiale.
- le type de rapport qu'un « illettré » entretient avec l'écrit est complexe ; il se situe dans le cadre plus général du rapport qu'il entretient avec notre culture.

L'ouvrage est complété par une bibliographie de 67 titres de livres et articles sur l'illettrisme, du matériel (photos et reproductions de textes) ayant servi à l'expérimentation et de 20 écrits par les sujets testés.

On ne peut que souhaiter que cette équipe de recherche puisse rapidement procéder à la deuxième étape de l'analyse des résultats obtenus. Car poser préalablement aux problèmes relevant de l'illettrisme la question du rapport à l'écrit des populations concernées, c'est la seule démarche qui nous permettra d'avancer ; les réflexions et mesures diverses voulant faire l'économie des aspects culturels et symboliques rencontrés dans le monde entier aujourd'hui autour de l'écrit, de sa représentation, de son utilisation ne visent guère qu'à une efficacité discutable et à court terme. Le mérite de ce travail est de proposer une ouverture sur une autre problématique.