Cahiers Elie Fleur
Metz : Médiathèque du Pontiffroy, 1990. - 21 cm.
Il est toujours agréable pour un bibliothécaire de saluer la naissance d'un périodique produit par une bibliothèque. La grande époque de l'érudition locale et des sociétés savantes est révolue, mais une nouvelle génération de bibliothécaires et de conservateurs a compris la nécessité de se lancer dans l'écriture et de communiquer au public le fruit de ses recherches ou de son érudition. Le vent qui souffle en ce moment en faveur du patrimoine a conforté, il est vrai, le goût pour la mise en valeur, l'exploitation et parfois l'exhumation des trésors et des curiosités conservés dans nos bibliothèques-médiathèques.
Les passions d'Elie Fleur
Souhaitons donc bonne chance à ces Cahiers Elie Fleur, qui tirent leur nom du patronyme d'un bibliothécaire messin, Elie Fleur, qui oeuvra entre 1902 et 1930, et dont la Cour qui borde la nouvelle médiathèque du Pontiffroy porte aussi le nom. Les Cahiers Elie Fleur se veulent une publication semestrielle qui réunira « des études, notamment historiques, bibliographiques et bibliophiliques, concernant le patrimoine écrit lorrain et plus particulièrement messin, ainsi que les collections anciennes, rares et précieuses conservées à la Bibliothèque de la ville ».
Philippe Hoch, conservateur chargé du fonds ancien, est le maître d'œuvre de cet ambitieux programme. Il ouvre le feu dès ce premier numéro (double) avec trois contributions, et commence par rendre hommage à Elie Fleur. Cet érudit, qui eut maille à partir avec les autorités allemandes avant1918 1, fut, en même temps que bibliothécaire, un historien aux intérêts divers : l'histoire locale, religieuse et littéraire certes, mais aussi celle des sociétés savantes, celle de la médecine et de la pharmacie, sans oublier le folklore...
Mais ce qui nous retient d'abord, c'est l'attention passionnée qu'il porta à la typographie, l'imprimerie, la librairie, la reliure, aux bibliothèques de Lorraine, et il semble bien que des centaines voire des milliers de pages manuscrites d'Elie Fleur sommeillent dans les papiers de la bibliothèque. Même s'il s'agit de textes inachevés ou inaccomplis, ils présentent suffisamment d'intérêt pour que les Cahiers Elie Fleur en publient au fil des numéros des extraits significatifs. C'est que les qualités d'Elie Fleur le méritent : une attention scrupuleuse aux faits, la lecture critique des documents, la recherche des preuves, la clarté de la langue. Philippe Hoch en publie ici un aperçu concernant « les débuts de la typographie à Metz », fort intéressant.
Hébraïsme et gastronomie
La deuxième contribution de Philippe Hoch est une mise au point sur les impressions hébraïques de Metz. Il note que les recherches sont pour le moment éparses et qu'il serait souhaitable qu'un « hébraïsant sensibilisé à l'histoire du livre » travaille sur l'imprimerie de Moïse May et de ses successeurs, qui dura du milieu du XVIIIe siècle au premier tiers du XIXe. Cet article est illustré de deux gravures de 1664 qui prouvent par leur légende l'antisémitisme ambiant (p. 36 et 39).
Mais la médiathèque du Pontiffroy possède aussi une des collections d'ouvrages sur la gastronomie parmi les plus importantes de France 2, en partie grâce au don fait en 1983 par Mme Mutelet, et aussi par l'attribution d'un exemplaire du dépôt légal des livres de cuisine et d'œnologie que lui attribue la Bibliothèque Nationale. Dans un plaisant article intitulé « Bibliophilie et gastronomie », Philippe Hoch nous rappelle tout cela, mais commente surtout l'extraordinaire catalogue établi par Gérard Oberlé : Les Fastes de Bacchus et de Comus ou Histoire du boire et du manger en Europe, de l'Antiquité à nos jours, à travers les livres (Belfond, 1989), imposant catalogue de vente de plus de 600 pages, véritable bibliographie spécialisée, internationale et rétrospective que la collection privée mise en vente justifiait. Malheureusement, les prix flambèrent, et la ville de Metz ne put acquérir qu'une seule pièce.
Iconographie, imprimerie, « Chronique »
Conservateur des collections iconographiques de la médiathèque, Pierre-Edouard Wagner présente ici la lithographie messine, dont l'importance vient de la présence à Metz d'une Ecole d'application d'artillerie et du génie, dont les élèves subissaient au début du XIXe siècle un enseignement très poussé en matière de travaux graphiques.
Dès 1820, des presses lithographiques furent installées dans l'Ecole même, puis à l'extérieur. La médiathèque conserve de nombreuses planches lithographiques, travaux de l'Ecole, travaux des élèves et travaux extérieurs. De nombreuses reproductions en sont données ici : plans, paysages, monuments, scènes militaires, portraits, scènes populaires offrent un aperçu de cette remarquable collection sur laquelle l'auteur reviendra.
Le libraire d'ancien messin, Jean-Luc Moresi, fait le point sur les pertes dues au grave incendie qui détruisit l'imprimerie Rousseau-Pallez le 3 décembre 1871 3. Cet imprimeur, qui faisait dans les ouvrages d'érudition locale, détenait en stock une bonne partie du tirage de ces livres, de vente lente. Ce stock fut perdu. Tout de même, les livres ainsi disparus, pour être devenus rares, n'en sont pas moins « d'une gloire et d'un intérêt un peu usurpés », conclut Jean-Luc Moresi après les avoir décrits.
Les Cahiers Elie Fleur s'achèvent par une partie « Chronique ». Philippe Hoch y évoque les expositions patrimoniales et les accroissements récents de la médiathèque du Pontiffroy. L'exposition Metz enluminée, qui présentait pour la première fois à Metz la Bible de Charles le Chauve (vers 846) conservée à la Bibliothèque nationale, fait ici l'objet d'un large exposé que justifient sa qualité 4 et son succès (quelques 25 000 visiteurs). De même, l'acquisition d'un Livre d'heures de l'Ecole lorraine du XVe siècle, lors d'une vente à Londres, est ici rapportée. Enfin, P.-E. Wagner dresse une liste des nouvelles acquisitions marquantes de 1987 à 1990 : manuscrits, cartes et plans, photographies, estampes, affiches, images, maquettes...
La présentation est tout à fait digne d'éloges. On regrettera toutefois l'absence du titre de la revue au dos, ce qui rend le périodique anonyme sur des ravonnaaes.