Décentralisation et partenariat
Martine Poulain
La journée de l'AENSB 1 consacrée aux nouvelles donnes d'ordre politique ou administratif dans le développement des bibliothèques fut riche et consacrée pour moitié aux bibliothèques publiques, pour l'autre moitié aux bibliothèques universitaires ou nationales. Question rituelle en ce moment dans toutes les journées d'études : que change la décentralisation dans les politiques mises en place par les collectivités et dans les relations des bibliothèques avec ces dernières ?
Rien, fut d'abord tentée de répondre Anne-Marie Bertrand, directeur de la bibliothèque municipale de Nantes. Et pour cause : les bibliothèques municipales sont décentralisées depuis 1803. Ce sont depuis presque deux siècles les élus qui sont les décideurs et les employeurs. Les modifications récentes concernant la rémunération des conservateurs ou certains budgets incitatifs sont mineures si on les compare à d'autres conséquences de la décentralisation dans les bibliothèques centrales de prêt, par exemple. Pourtant, qui dit autonomie des communes dans la gestion de leurs bibliothèques dit, d'autant plus, besoin de mesures cherchant à mettre sur pied des réseaux et dit, dans ce cadre, impulsion de l'Etat. Les plus grosses communes par exemple voient leur bibliothèque assurer des missions qui dépassent le simple stade du service des usagers : elles servent une agglomération beaucoup plus importante, elles assurent des fonctions de formation dépassant leurs simples besoins, elles sont de plus en plus ouvertes aux étudiants, voire deviennent bibliothèques des antennes universitaires délocalisées, etc. Il faut préciser, encourager et réglementer les rôles de chacun. Sans construction de réseaux, qui déterminent droits et devoirs, pas de développement réellement possible. L'Etat doit aider à la mise en place de ces réseaux, assurer des missions d'évaluation, d'information et de recherche. On attend aussi de lui qu'il encourage l'innovation, qu'il ait un rôle incitatif, qu'il contribue au rééquilibrage et à la remise à niveau des zones du territoire les moins développées.
Les bibliothèques centrales de prêt, dont les murs, les hommes, les budgets et les fonds ont été transférés aux départements, se heurtent elles aussi, selon Bertrand Calenge, directeur de la bibliothèque centrale de prêt de Saône-et-Loire, à des problèmes similaires : transférées, les BCP l'ont été, mais sans mission. Aucune mission précise n'a été confiée par l'Etat aux conseils généraux en leur transférant la prise en charge de la lecture publique dans les communes de moins de 10 000 habitants. C'est « le droit sans les moyens du droit ». Très peu nombreux sont les départements qui ont signé de véritables conventions avec l'Etat qui concernent, au moins pour une part, la lecture publique.
Charte ou loi réglementant les rôles des différents partenaires, les responsabilités des uns et des autres ? Beaucoup de professionnels sont favorables à une loi. Les élus intervenants semblaient plus mitigés : ils s'inquiétaient d'abord du désintérêt de certains départements ou de certaines régions pour les questions de lecture et s'intéressaient avant tout aux modalités de l'offre dans leur propre ville. Est-elle suffisante ? Comment offrir un service optimal ? Comment couvrir le secteur scolaire avec des bibliothèques (BCD ou CDI 2) vides et sous-équipées ? Comment faire correctement fonctionner une bibliothèque dans une petite commune ?
Du côté de l'enseignement supérieur
Michel Malherbe, vice-président de l'Université de Nantes, a souligné les nouvelles responsabilités qu'impose la politique contractuelle dans les universités : le plan quadriennal de formation a suscité une prise de conscience de la nécessité pour les universités d'avoir une politique documentaire en matière de formation et de recherche ; des moyens importants ont été débloqués. Si l'état porte de grandes responsabilités dans la négligence qui a conduit à la situation actuelle, il n'est pas le seul : les autres partenaires (enseignants, chercheurs, administration des universités) ont aussi laissé la situation se dégrader.
Elisabeth Traissac, directeur de la bibliothèque interuniversitaire de Bordeaux, s'interroge cependant sur la mise en œuvre des contrats. Ceux-ci permettent certes des prises de contact entre les différents partenaires, qui conduisent à l'établissement d'une carte documentaire, à la collaboration entre les différentes bibliothèques, à la définition d'une politique documentaire concertée. Mais la pénurie de moyens, notamment en personnel, et la lourdeur de certaines procédures administratives rendent ces mises en œuvre difficiles. Les BU ont bien été contraintes de longue date d'abandonner leur vieil idéal de complétude. Mais, pour Elisabeth Traissac, les plus pénalisés aujourd'hui ne sont pas les étudiants des deuxième ou troisième cycles, auxquels les bases de données existantes sont d'un assez grand secours, mais bien les étudiants du premier cycle, dont les besoins n'ont jamais vraiment été pris en compte. Ceux-ci n'ont pas besoin que d'espaces supplémentaires. Des études sont nécessaires pour mieux connaître et comprendre leurs attitudes.
Pour Pierre Carbone, la documentation à l'université est à la fois pauvre et riche. On connaît trop mal les collections qui ne passent pas par le canal des bibliothèques universitaires : or, par exemple, lorsque la BU de Nancy dépense 4 millions de francs pour les acquisitions, l'ensemble des dépenses documentaires à l'université de cette ville est, lui, de 15 millions de francs. Mais chacun connaît les lacunes de la situation française : toute bibliothèque universitaire nouvelle qui s'ouvre en république fédérale d'Allemagne doit disposer d'au moins 200 000 volumes. Pierre Carbone souligne les efforts faits depuis 1988 en crédits d'acquisition et en personnels.
On ne sait pas assez ce qu'est le potentiel documentaire des bibliothèques des grandes écoles, souligne Jacqueline Leroy, directeur de la bibliothèque de l'Ecole des Mines. Les grandes écoles sont au nombre de 180, sans compter les 80 écoles de commerce. Toutes ne dépendent pas du ministère de l'Education nationale : la moitié environ est liée à d'autres ministères (Agriculture Industrie, etc.). Une carte documentaire de leurs ressources est en cours.
La carte documentaire nationale
Le déséquilibre documentaire au plan national est flagrant, estime Michel Melot : 128 des villes de plus de 10 000 habitants sans bibliothèque sont situées dans le Nord ou en Lorraine. L'Ile-de-France concentre une grande part du potentiel documentaire. Or, une bibliothèque isolée est une bibliothèque pauvre : il faut donc lui donner des moyens d'accompagnement. Les pôles associés à la Bibliothèque de France seront-ils une des mailles de cet accompagnement ? Georges Perrin est resté prudent : la Bibliothèque de France n'est pas une tutelle et ne cherche pas à susciter un réseau, mais à travailler dans un réseau. L'objectif premier de la BDF, c'est avant tout d'enrichir ses ensembles documentaires. Pour mettre en route le Catalogue collectif de France, la BDF prendra en charge la conversion rétrospective des bibliothèques avec lesquelles elle va dans un premier temps s'associer, soit en 1991, sept bibliothèques municipales, dont les fonds anciens ou spécialisés l'intéressent (Besançon, Bordeaux, Dijon, Grenoble, Nancy, Nantes, Lyon), et 5 bibliothèques d'enseignement supérieur (CADIST 3 ou bibliothèques dont les collections sont supérieures à 200 000 volumes). La BDF consacrera 100 MF à cette opération, dont 10 dès cette année. Des intervenants demanderont plus de transparence quant à ces choix et négociations : « Il faut des règles et qu'elles soient les mêmes pour tous ». Georges Perrin a assuré qu'un cahier des charges serait établi dès la fin mai.
Dans cette carte documentaire nationale, les bibliothèques de l'enseignement supérieur apportent une contribution non négligeable : 23 millions de volumes dans les bibliothèques universitaires ou de grands établissements, dont 1 million de collections anciennes antérieures à 1811, rappelle Daniel Renoult, qui a lui aussi insisté sur la multiplicité des publics à desservir, la nécessité d'une réflexion sur les moyens d'y parvenir et sur l'importance pour un réseau de disposer de points d'appui forts, qui permettent de répondre de façon raisonnée aux besoins de la recherche.
A la Direction du livre et de la lecture on annonce la mise en place en régions de médiathèques « fortes, dont le rôle ne sera pas seulement local, mais supralocal, sans doute régional », et auquel l'Etat apporterait son concours dans les domaines de la construction et des acquisitions.
La DATAR 4 semble vouloir manifester plus fortement une préoccupation culturelle dans ses réflexions. Georges Ribière estime que le rôle de cette dernière est « d'aider les ministères à remplir leurs missions ». Le ministère de la Culture a eu jusqu'ici une présence modeste dans les politiques de contractualisation. Une mission a été confiée à Bernard Latarget, directeur de la Fondation de France, par le ministère de la Culture et la DATAR, afin de déterminer ce que pourrait être une politique de contractualisation au plan culturel. La lecture y sera sans doute mise en avant : c'est un des points où des actions de partenariat entre collectivités locales et Etat devraient être fortes. La préoccupation est d'être attentif aux inégalités sociales, plus encore qu'aux inégalités régionales. Le rôle de la mission sera aussi de contribuer à « une mise en compétitivité européenne des villes », et consistera, par exemple, en la signature par les villes d'une charte désignant des objectifs visant à parvenir au niveau des villes européennes.
La fin de la journée a permis d'évoquer les mille et un visages du partenariat qui, à n'en pas douter, est l'un des termes les plus en vogue dans les discours bibliothéconomiques des années 1990.