Donner vie aux collections

Expositions, conférences et publications à la New York Public Library

Jacky Ebréart

Expositions, conférences et publications placent la Bibliothèque de recherche de la New York Public Library parmi les institutions culturelles majeures de New-York. Elles diffusent largement au-delà des usagers habituels des bibliothèques en faisant connaître à un large public l'état de la recherche sur quantité de sujets. Au cœur de la stratégie de la New York Public Library, pour attirer les crédits publics et privés dont celle-ci a un pressant besoin, elles sont financées essentiellement par le secteur privé sans rien coûter au reste de la bibliothèque. Malgré cela, elles ont réussi jusqu'à maintenant à protéger leurs idéaux démocratiques de toute pression commerciale et à garantir une éthique rigoureuse. Le service des publications vient toutefois de poser un problème délicat en accordant la caution de la bibliothèque à une gamme d'encyclopédies grand public à succès conçues en-dehors de celle-ci, dans le but d'utiliser les droits ainsi obtenus à financer ses propres éditions.

Exhibitions, conférences and publications rank the Central research leaders. They reach widely beyond the traditional scope of library users by sharing the results of scholarship on a variety of subjects with a broad public. At the core of the New York Public Library's strategy to attract badly needed financial support from both public and private sectors, they are mostly funded by private sources at no cost for the rest of the library. They have nonetheless managed so far to shelter their democratic ideals form commercial pressures and maintain their ethnics at a high standard. The publications office, however, lately raised a sensitive issue by granting the library's image to a line of popular reference books devised outside of it, for the purpose of devoting the yielded royalties to editions under its own imprint.

Société privée indépendante administrée par un Conseil (Board of Trustees) qui en choisit le Président, la New York Public Library (NYPL) dessert trois des cinq boroughs qui forment la ville de New-York : Manhattan, le Bronx et Staten Island. Elle se compose, d'un côté, d'un système hiérarchisé de 82 bibliothèques de lecture publique financé majoritairement par la ville de New-York ; de l'autre, de trois bibliothèques de recherche de notoriété internationale dépendant essentiellement de soutiens privés : Schomburg, concernant la communauté noire, le Performing arts research center du Lincoln center pour les arts du spectacle, mais surtout la Centrale au coin de la 42e rue et de la 5e avenue, qui en est le joyau et occupe un des premiers rangs mondiaux par la richesse de ses fonds.

Fidèle à l'idéal des Pères Fondateurs de la nation américaine, la New York Public Library s'attache à demeurer, selon le mot de son ancien président Vartan Gregorian, « la seule université libre et gratuite qui ne délivre pas de diplôme », pratiquant un accueil très libéral et gratuit. Toutefois, parler de réseau relève largement de l'abus de langage, peu de points communs existant entre telle annexe d'un ghetto du Bronx, gardée par des vigiles armés, oasis relative au milieu d'un environnement de drogue, de crime et de misère, et la prestigieuse Centrale. Néanmoins, le mythe fonctionne de manière positive, incarné par les lions flanquant l'entrée principale sur la 5e avenue, qui représentent pour les Américains le monde des bibliothèques et sont un symbole efficace décliné sur de nombreux documents.

Le financement de la NYPL pouvant être remis en cause à tout moment, il lui faut, notamment pour la lecture publique, pouvoir compter sur le soutien des communautés de base lors des campagnes de pression sur les élus. Faire savoir étant au moins aussi important que faire dans une société très médiatisée, la NYPL organise également, dans le cadre somptueux de la Centrale, des événements hollywoodiens (« Lions littéraires », Awards,...) destinés à dynamiser les soutiens privés.

D'autre part, et plus encore que toute autre bibliothèque, la NYPL doit « penser » 1 ses fonds par une action plus en profondeur et « scientifique ». Ce n'est pas vouloir minimiser le rôle de la lecture publique et des deux autres bibliothèques de recherche, que de remarquer que c'est surtout la Centrale qui joue un rôle cardinal, avec pour mission de porter son patrimoine au-delà du public traditionnel. Elle oriente ses actions dans trois directions :
- les expositions, qui s'adressent à un public large et diversifié, et pour lesquelles un service spécifique a été créé en 1983 ;
- Public Education, cycle de conférences inauguré en 1982 et visant à faire de la bibliothèque un des forums de la scène culturelle new-yorkaise ;
- les publications. Exploitant à l'origine les collections par des reproductions ou des travaux savants, ce secteur travaille de plus en plus, pour des raisons économiques, avec l'extérieur et a vu récemment exploser un secteur « parasitaire » lancé dans un souci de rentabilité.

Car la gageure, pour ces « vitrines » de la bibliothèque, est de parvenir à une autosuffisance financière en restant fidèles aux idéaux des débuts et en ne cédant ni à la démagogie ni aux pressions commerciales.

Les expositions

Jusqu'au début des années 80, la NYPL présente des expositions traditionnelles 2, consacrées aux acquisitions récentes, à ses « trésors » ou encore à des thèmes faisant rarement appel à plusieurs supports. Souvent émanations d'un seul département, elles touchent un public de spécialistes.

Un forum d'éducation

En 1984, a lieu la réouverture de la Galerie Gottesman, principal espace d'expositions de la Centrale. En 1983, donc un an avant cette réouverture, Vartan Gregorian décide de créer un service central spécialisé (cf. encadré) chargé d'organiser des opérations pluridisciplinaires de qualité, comparable à ce qui se fait alors dans les musées de New York.

Cette nouvelle unité a pour but de mieux faire connaître les richesses de la bibliothèque au grand public et, en se focalisant sur des thèmes, de contribuer à diffuser les résultats du travail de chercheurs de haut niveau, faisant de la Centrale un « forum d'éducation ».

Le budget général du service est actuellement d'environ 2 000 000 de dollars par an. Chaque grande exposition (il y en a environ trois par an), qui peut être faite en collaboration avec d'autres institutions, coûte actuellement entre 100 000 et 500 000 dollars. L'entrée étant gratuite et le service ne devant obérer d'autres secteurs, force est de recourir aux financements extérieurs, la plupart du temps privés,... y compris pour le paiement des travaux demandés à d'autres services de la bibliothèque, les salaires du personnel et les 15 % de frais de fonctionnement reversés au budget global.

La NYPL est encore une des rares bibliothèques aux Etats-Unis à disposer d'un tel service spécialisé.

Revolution in print : France, 1789

Ce projet résulte de la francophilie de Gregorian, souhaitant célébrer le bicentenaire de la Révolution française par une exposition mettant en valeur les richesses de la bibliothèque. Il demande à Robert Darnton, de l'Université de Princeton, un des meilleurs historiens mondiaux du sujet et habitué de la bibliothèque depuis une vingtaine d'années, d'en être le responsable intellectuel. L'historien échafaude alors son projet autour d'une de ses thèses favorites : la nouvelle liberté d'expression, beaucoup plus qu'une simple relation des faits, est un moteur essentiel des événements en France durant la décennie révolutionnaire.

A l'automne 1986, après un premier inventaire des collections, un avant-projet est transmis au National Endowment for the Humanities (NEH) 3 pour financement de la phase préliminaire.

Diverses personnes sont alors recrutées : un bibliothécaire, pour le catalogage de la plupart des 16 000 opuscules et des 33 000 journaux révolutionnaires possédés par la bibliothèque, un « Research curator » ; un groupe de conseillers scientifiques.

Déjà durant cette phase, d'autres services de la bibliothèque collaborent : Government Affairs (crédits publics, pour la subvention du NEH), Development Office (crédits privés), Publications (on choisit un éditeur et différents auteurs pour le catalogue de l'exposition), Public Relations et Public Education (un cycle de conférences en relation avec « Revolution in print » est prévu).

Début 1988, la liste des objets choisis d'après les textes sélectionnés est définitivement arrêtée. Afin qu'ils ne soient pas détériorés, ces objets sont photographiés sur diapositives pour être reproduits ultérieurement dans la brochure devant accompagner l'exposition, les dossiers de presse et le catalogue.

Neuf mois avant l'ouverture prévue, le travail graphique commence : des réunions ont lieu avec le Graphics Office pour l'affiche, la bannière à l'entrée du bâtiment, la signalisation, la conception de la brochure...

Un symposium, réunissant des représentants de high schools et d'universités, est organisé pour discuter des matériaux pédagogiques à créer.

Fin 1988, un film vidéo est réalisé, dans lequel, à l'aide d'une copie de presse de l'époque, sont expliquées les méthodes de l'imprimerie au XVIIIe siècle ; le film montre aussi des documents de l'exposition, mettant l'accent sur certaines idées-forces.

Revolution in print ouvre au public le 18 février 1989. La brochure, distribuée gratuitement aux visiteurs, reproduit les textes accompagnant les objets présentés, ainsi que des photos, une chronologie, une bibliographie. Elle mentionne également les programmes de films, concerts, conférences et expositions liés au thème et proposés dans le réseau. Elle indique encore l'existence du catalogue. Visant le grand public, elle peut être le point de départ d'une recherche complémentaire sur le sujet. Un guide est également rédigé à l'intention des professeurs.

Présentée durant dix semaines, Revolution in print attire plus de 84 000 visiteurs. C'est d'autant plus remarquable que la plupart des pièces qui y figurent sont en français et que le thème, l'action de l'écrit sur le cours des événements, est sans complaisance à l'ère de l'audiovisuel.

Prolongeant cette action et financée également par le NEH, une exposition sur panneaux est préparée par la NYPL en collaboration avec l'American Library Association. Ayant été accueillie jusqu'à maintenant par 30 bibliothèques, elle donne un écho national à Revolution in print, amenant les établissements-hôtes à montrer leurs propres richesses et à y greffer des animations originales. D'avril à août 1989 seulement, près de 200 000 personnes ont pu voir le film vidéo l'accompagnant.

Une institution renforcée de l'intérieur

L'exemple de Revolution in print a montré qu'une exposition peut amener départements et services à collaborer et créer avec le reste du réseau, où les tendances centrifuges sont fortes, des passerelles bienvenues.

Revolution in print, a permis de traiter une partie des arrérages de catalogage et, comme, en général, toute exposition, elle a engendré de meilleures conditions de conservation des documents examinés -leur reproduction empêchant notamment toute dégradation ultérieure du fait de manipulations excessives.

Le service des expositions est d'ailleurs maintenant considéré, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la NYPL, comme un expert en conservation, installation et manutention et participe à des réunions de portée nationale avec les responsables de musées et de bibliothèques du pays.

Les expositions sont aussi le moyen de renforcer le professionnalisme des bibliothécaires, qui, soit collaborent, comme on l'a vu pour Revolution in print, avec des intervenants extérieurs, soit, et c'est le plus fréquent, prennent complètement en charge un projet. Les thèmes choisis sont variés. Ainsi, pour ne citer que des exemples récents à la Galerie Gottesman :
- les livres précieux : A sign and a witness : 2 000 years of Hebrew books and illustrated manuscripts (octobre 1988-janvier 1989) ;
- l'histoire d'un genre : Nature's mirror : 200 years of botanical illustration (mai-septembre 1989) ;
- un artiste : Berenice Abbott, photographer : A modern vision (octobre 1989-janvier 1990).

Les expositions, loin de n'être qu'une simple juxtaposition d'objets, s'articulent toujours autour d'une réflexion centrale. Et la bibliothèque n'hésite pas à s'engager sur un terrain risqué pour soutenir les idées libérales qui lui sont chères. Ainsi en a-t-il été en 1984 avec l'exposition Censorship : 500 years of conflict. L'offre culturelle new-yorkaise étant particulièrement riche, tout amateurisme est interdit et il faut plaire à une génération habituée à recevoir le plus clair de son information visuellement. Seules expositions à New-York dédiées à la présentation de l'écrit, réunissant des documents sur différents supports (affiches, estampes, manuscrits, journaux et livres dans le cas de Revolution in Print), abordant de nombreux domaines, situant les idées dans leur contexte, elles ont ainsi trouvé un créneau original. Leur pluridisciplinarité présente un intérêt pour les étudiants, qui peuvent ainsi rattacher leurs connaissances, souvent trop spécialisées, à un savoir plus global.

Tandis que les catalogues visent le public cultivé, les brochures et vidéos s'adressent au grand public, les manuels de l'enseignant et les ateliers éventuels aux scolaires, et ce sont là autant d'hameçons pour encourager la lecture et l'utilisation des bibliothèques.

L'activité la plus « visible »

Quand on lance une exposition, quelques publicités peuvent être payées sur le budget propre. Des annonces dites « de service public » radio-télé et des campagnes d'affichage dans les transports en commun, gratuites, peuvent aussi sensibiliser l'opinion, ainsi bien sûr qu'une signalisation sur place (bannière à l'entrée du bâtiment...). Deux jours avant son ouverture au public, l'exposition est présentée aux journalistes qui reçoivent des dossiers de presse ; ceci génère une information sensibilisant, à des degrés divers, la plupart des New-yorkais, y compris ceux qui ne viendront jamais sur place.

Lors d'un sondage effectué au printemps 1989 à la Centrale, plus de 22 % des personnes interrogées déclarent venir à la bibliothèque pour une exposition 4 : c'est une proportion d'autant plus révélatrice que, par ailleurs, la NYPL pratique une politique d'accès extrêmement libérale, y compris pour les fonds spéciaux. De juillet 1988 à juin 1989, les trois grandes expositions de la Galerie Gottesman ont attiré près de 350 000 visiteurs, plus ceux des 13 plus petites expositions organisées dans les quatre autres espaces du bâtiment, montées souvent par les départements eux-mêmes pour présenter les richesses de leurs fonds.

Actuellement, trois expositions itinérantes de reproductions sur panneaux - gratuites, car financées par des fonds privés et le NEH -circulent à travers le pays.

En cas de prêt d'expositions avec documents originaux, la NYPL pratique des prix (10 000 dollars généralement) destinés à couvrir assurance, transport et conditionnement. Même si certains prêts à l'étranger commencent à rapporter un peu d'argent, il s'agit là plus d'un service que d'une source de profit.

La moitié des 18 expositions présentées de 1984 à 1990 dans la Galerie Gottesman est constituée de projets internationaux à des degrés divers : avec Israël et l'Europe pour A Sign and a witness, avec les Royal Botanical Gardens de Kew (Grande-Bretagne) pour Nature's mirror, pour ne citer que des exemples évoqués plus haut. Echangeant également nombre d'objets avec les établissements culturels des Etats-Unis et du monde (elle prête 750 documents annuellement), la NYPL fait ainsi figure d'institution internationale majeure.

Donateurs et mécènes

Les expositions peuvent avoir aussi pour effet d'engendrer des dons liés aux thèmes évoqués. Il arrive que ces dons ne soient effectués que s'ils sont ensuite montrés au public : c'est le cas des papiers de Max Ernst, donnés par sa veuve, et auxquels nous devons Max Ernst : beyond Surrealism en 1986-1987. C'est d'ailleurs pour honorer les anciens bienfaiteurs et inciter les donateurs potentiels qu'est présentée actuellement l'exposition In praise of collectors : historic gifts to the New York Public Library (septembre-novembre 1990), qui montre certains des dons les plus remarquables faits à la bibliothèque.

Les expositions peuvent également amorcer des contacts avec des mécènes susceptibles de financer ultérieurement d'autres activités et le « Development office » exploite ces possibilités, y compris au niveau international.

C'est ainsi qu'à l'instar de certains musées américains la NYPL, mettant à profit un assouplissement de la loi nippone concernant le mécénat, conduit actuellement une offensive vers le Japon. Après Tales of Japan, scrolls and prints from the New York Public Library, exposition présentée à Tokyo, Kyoto et Kobé, elle vient d'envoyer le Bernis Albert photography show au nouveau Musée de la photographie de Tokyo. Cette opération s'inscrit dans une action de relations publiques plus générale, pour laquelle la NYPL a obtenu un crédit de 300 000 dollars de Shearson, filiale du groupe American Express. Cette subvention est destinée à financer l'exposition proprement dite, ainsi que d'autres activités, notamment, en décembre 1990, un voyage au Japon du Docteur Healy, président de la bibliothèque, qui doit prononcer deux conférences sur le mécénat, respectivement devant des représentants du patronat japonais et devant les membres d'un institut chargé du mécénat d'entreprise.

On veut ainsi entraîner une meilleure « compréhension » de la NYPL par les entreprises japonaises travaillant aux Etats-Unis. Ces entreprises, de leur côté, essaient de lutter contre la mauvaise image de marque de leur pays en finançant des projets d'intérêt général. Shearson, qui possède un bureau à Tokyo et veut renforcer sa présence dans l'archipel, y trouve bien sûr aussi son compte.

La NYPL peut cependant refuser certains soutiens s'ils ne correspondent pas à son image de marque et veille scrupuleusement à ce que le site de l'exposition lui-même, ainsi que le matériel d'accompagnement, ne soient pas transformés en supports publicitaires, le nom des mécènes devant rester discret et leur logo éventuel n'étant généralement pas reproduit. Par quel miracle peut-elle continuer à attirer des participations de donateurs qui semblent obtenir si peu en contrepartie ?

Dans le cas de Bulgari, célèbre joaillier haut de gamme new-yorkais, qui finance largement Kingdoms of land, sea and sky : 400 years of animal illustration, présentée d'avril à août 1991, le prestige de l'institution est important. En effet, certaines des plus riches familles de la ville sont liées à la NYPL, notamment par le Board of Trustees. D'autre part, le rôle culturel de la bibliothèque est déterminant dans les choix faits par les fondations, obligées par des dispositions légales à faire des dons. Dans tous les cas, le savoir-faire du Development office en matière de fundraising est capital.

Public Education

Public Education vise également à élargir l'audience de la bibliothèque. Il s'agit d'un programme de conférences, accessoirement de concerts, créé en 1982 (il n'y avait jamais eu de programmation régulière auparavant) et son nom reflète son ambition.

A New-York, d'autres conférences sont organisées à l'intention d'un large public, par le Metropolitan Museum, par exemple, qui a des activités bien établies dans ce domaine, tout comme la Young Men's Hebrew Association qui, depuis 40 ans, organise 200 à 250 lectures de poésie dans une salle de 1 000 places.

Même s'il n'est pas question de faire de la publicité pour Public Education dans la grande presse, parce que trop onéreuse et, de toute façon, susceptible de générer une demande impossible à satisfaire, il ne s'agit pas de faire trop pauvre.

Ainsi est éditée deux fois par saison (automne/hiver et hiver/printemps), et sous une forme presque luxueuse, la liste des activités, distribuée sur place et diffusée aux « Amis de la bibliothèque ».

Le niveau des conférences ne doit ni déroger aux critères de qualité exigés par la NYPL, ni être trop élevé, pour ne pas faire double emploi avec les universités. Pour être compétitif au sein d'une offre new-yorkaise abondante, il convient, sans verser dans la démagogie, de faire appel à des célébrités, auxquelles on demande de « faire une bonne action », en acceptant d'être payées extraordinairement peu selon les critères américains : 500 dollars pour une conférence. Les thèmes sont soit généraux sur l'histoire, le monde contemporain, les écrivains célèbres, soit plus spécialisés, évoluant autour du livre (histoire de l'imprimerie) ou d'expositions présentées à la bibliothèque. Il peut y avoir aussi des concerts de musique de chambre.

Ce programme étant lui aussi autofinancé, les trois quarts des 380 000 dollars - nécessaires, en 1990, pour payer les trois membres du personnel, l'impression, le courrier, les différents intervenants et les 15 % de frais généraux reversés à la bibliothèque - viennent, pour une faible part, de contributions volontaires du public, déductibles des impôts, et pour l'essentiel, de contributions de fondations et de sociétés. Comme pour les expositions, les soutiens sont indiqués discrètement.

Le quart restant provient des entrées, les mécènes étant réputés donner plus volontiers si le public participe lui-même fmancièrement. Les conférences sont payantes depuis 1984 et leur prix en est actuellement généralement fixé à 5 dollars, avec réduction aux scolaires, 2 dollars de moins que le prix d'entrée dans les cinémas 5. La réservation est obligatoire, du fait d'un nombre de places limité. Depuis que l'entrée est payante, les spectateurs semblent plus motivés : en effet, quand c'était gratuit, seul se présentait le tiers des gens qui avaient réservé, alors qu'on devait refuser du monde.

Les conférences ont désormais lieu dans le Bartos Forum, qui peut contenir 500 personnes, généralement à 18 heures, les lundis, mardis et vendredis, de septembre à mai. Le reste du temps, la salle est affectée à d'autres activités, souvent extérieures, de manière à rapporter de l'argent à la bibliothèque. En été, des films sont programmés. C'est en novembre, soit dix mois à l'avance, qu'est décidé le plan général de la saison suivante. Préférence est donnée aux séries, qui attirent davantage les mécènes, séries qu'on poursuit, si possible, sur plusieurs saisons, afm de fidéliser le public. Les sujets sont variés afm de viser différentes catégories, comme on le ferait dans un magazine.

Ainsi, le programme de septembre 1990 à janvier 1991, très significatif, présente-t-il des séries éprouvées : In the Forum, traditionnel fourre-tout de conférences, interviews, discussions, faisant appel à des gens connus (Isabel Allende est invitée, par exemple, le 29 janvier 1991, Paul Theroux et Norman Mailer y ont déjà participé), deux classiques, The Jewish division lectures et The Richard Salomon distinguished lecture, ainsi que Witnesses, commencée il y a trois ans et réunissant témoins et acteurs de notre temps.

Les deux autres groupes de conférences, qui n'appartiennent pas à un cycle traditionnel, sont dans l'air du temps et susceptibles de plaire à un large public : Freedom of speech, sujet particulièrement débattu aux Etats-Unis en ce moment et Science fiction, science fact and fantasy, avec la participation d'auteurs célèbres de SF comme Thomas M. Disch, Samuel R. Delany et Roger Zelazny. Si beaucoup de conférences sont d'intérêt général, certaines sont centrées sur les activités d'un département : Jewish division lectures, comme on l'a vu, ou encore Polaroid lecture, financée par le célèbre fabricant et lancée à l'initiative du conservateur de la Photographic Collection.

L'écho de Public Education, déjà répercuté par la presse écrite, devrait s'amplifier prochainement avec la radiodiffusion sur WNYC-AM d'une première série de 26 émissions d'une heure, tirées de ses archives 6. Bien que la télédiffusion semble plus difficile, pour des raisons évidentes, des négociations sont néanmoins en cours à ce sujet avec la chaîne par câble CSpan. Une collection a été également lancée chez Oxford University Press en 1990, première année d'un projet-pilote de cinq ans : il s'agit des New-York Public Library lectures qui, à raison d'un volume par an, reprennent, annoté et étoffé par leur auteur, le texte des conférences données par un intervenant dans une nouvelle série de Public Education portant le même titre.

Ainsi, cette série de conférences, qu'une bibliothèque prestigieuse se doit d'avoir, lancée au départ comme une opération de relations publiques, est-elle en passe de diffuser largement au-delà de ses quelque 20 000 spectateurs annuels 7.

Les publications

Le « Bulletin »

Peu après la création de l'institution dont il émane et avant même l'ouverture de la Centrale 8, paraît en janvier 1897 le premier numéro, d'une quarantaine de pages, d'un nouveau mensuel, The Bulletin of the New York Public Library, traitant de l'histoire de la bibliothèque et publiant des statistiques. Les numéros suivants recensent les périodiques dans différents domaines (langue et philologie, puis mathématiques, puis astronomie), à la fois à la NYPL et à l'Université de Columbia. Bel exemple ancien de coopération entre bibliothèques, instrument de référence souvent repris, il a pour thèmes centraux jusqu'au début des années 50 les collections de la Centrale, faisant paraître bibliographies, catalogues d'expositions et articles sur ses « trésors ».

Sans disparaître complètement, cette préoccupation s'estompe ensuite et le Bulletin devient moins spécialisé, publiant des bibliographies littéraires et historiques moins centrées sur les fonds de la Bibliothèque. A partir de la fin des années 60, la tendance est à la publication d'assez longs articles d'érudition, évolution entérinée en 1978 par la transformation du titre, devenu entretemps trimestriel, en Bulletin of research in the Humanities (BRH), en collaboration avec l'Université de l'Etat de New York à Stony Brook, publié et soutenu par l'éditeur Readex Microprint Corporation.

Cette évolution, portée en germe dès le début (coopération avec Columbia) est accélérée à la fois par l'émergence d'autres bibliothèques importantes dans le pays, la multiplication de bibliographies pour bibliothèques et universités produites par des éditeurs commerciaux et la création de catalogues d'expositions faits pour être diffusés de manière indépendante et devenant en eux-mêmes de véritables ouvrages.

Tirant à 2 000 exemplaires, diffusé à 1 500 presque exclusivement par abonnements, le Bulletin perd de l'argent. On lui reproche aussi le peu d'intérêt qu'il montre pour la NYPL, en ne se centrant pas assez sur les collections. Décision est donc prise de cesser cette vénérable publication et le « numéro d'adieu », daté 1986-1987, paraît en 1989.

Une telle revue manquant au prestige de l'institution... et aux besoins du troc avec certains pays, on réfléchit actuellement à une nouvelle formule annuelle, reliée, qui devrait voir le jour en 1991, mettant plus l'accent sur la bibliothèque. Des négociations sont en cours avec les éditeurs pour que ce nouveau titre soit complètement pris en charge par l'un d'entre eux. Mentionnons également deux autres périodiques produits par la NYPL, chacun de conception très différente. D'abord Public service news, vieux de trois ans, trimestriel tiré à 700 exemplaires, rédigé par le personnel et destiné à sa communication professionnelle. Dupliqué sur place, il coûte peu cher. On le communique à des bibliothécaires extérieurs et à certains donateurs. Enfin, The New York public library new technical books, bibliographie sélective critique préparée par le Science and Technology Research Center de la bibliothèque et créée en 1915. Paraissant actuellement tous les deux mois, tirant à 1 500 exemplaires et diffusée aussi à l'étranger, c'est la seule publication de ce genre émanant d'une bibliothèque. Editée par la NYPL, imprimée par Princeton University Press, d'un coût de 30 dollars par an, son principal intérêt matériel est d'être la source de nombreux services de presse.

De plus en plus d'éditions extérieures

Pour les livres s'affirme une tendance à la collaboration avec les éditeurs commerciaux et les presses universitaires.

Une quinzaine d'ouvrages sont publiés chaque année à partir des fonds de la bibliothèque, la plupart rédigés ou commentés par des membres du personnel, ou par des spécialistes extérieurs. Une petite moitié est formée d'éditions savantes, « faites maison » et perdant de l'argent : par exemple, fac-similé des poèmes d'Auden à 500 exemplaires, ou de Dickens à 1 000 exemplaires. Deux ou trois ouvrages par an, notamment les catalogues de grosses expositions, dont les tirages peuvent dépasser les 10 000 exemplaires, sont fabriqués en collaboration avec d'autres services (Expositions, Graphics Office), et co-édités (ainsi Revolution in print avec University of California Press). Les risques sont alors également partagés.

De plus en plus de publications sont totalement prises en charge par l'extérieur, parfois à la suite d'accords complexes : c'est ainsi qu'en 1988, Harry N. Abrams, Inc. a publié Treasures of the New York Public Library - best-seller relatif et ouvrage à rotation lente -, un catalogue d'exposition à tirage plus limité, Nature illustrated : flowers, plants and trees, 1550-1900, from the collections of the New York Public Library, ainsi qu'une édition fac-similé à tirage confidentiel de Kate Greenaway's Mother goose. La bibliothèque s'épargne ainsi les coûts de distribution, se voit assurer, le cas échéant, une distribution internationale, bénéficie d'un marketing professionnel et perçoit des royalties.

Pour l'année fiscale 1989-1990, l'ensemble de la production de ce secteur était déficitaire d'environ 100 000 dollars, en comptant les frais généraux et les salaires des trois employés.

Le « New York Public Library Desk reference »

Cependant, grâce à une nouvelle gamme de produits, l'objectif de l'autosuffisance est déjà virtuellement atteint.

En 1988, Richard Newman, chef du service des Publications, signe avec un book packager 9 un accord pour la publication d'un Desk Reference, encyclopédie grand public en un volume, genre Quid. De nombreux ouvrages de la sorte encombrent le marché américain et le projet n'a donc rien d'original, sinon que le livre doit porter le label de la New York Public Library sans émaner de la New York Public Library ! La caution prestigieuse du lion permet, bien sûr, au book packager d'obtenir facilement 100 000 dollars d'un des éditeurs les plus importants des Etats-Unis, Simon and Schuster, pour produire l'ouvrage.

Ce Desk reference est rédigé par des documentalistes professionnels extérieurs, mais la bibliothèque relit le manuscrit, non pour en corriger les erreurs, mais pour s'assurer qu'il ne contient rien de contraire à son éthique ; de fait, certains détails sont supprimés.

Dès le départ, les bibliothécaires sont très critiques à l'égard de ce projet, d'abord parce qu'un tel livre n'apporte rien de nouveau, ensuite parce qu'il ne peut qu'abaisser l'image de marque de l'institution. Richard De Gennaro, directeur de la bibliothèque à l'époque, donne cependant le feu vert à cette entreprise.

Le Desk reference n'est pas pire qu'un autre. Il joue toutefois sur l'ambiguïté de sa présentation : le titre et le lion en couverture laissent à penser qu'il est rédigé par l'équipe de la NYPL et de nombreuses personnes interrogées, y compris des professionnels qui en ont fait l'achat, ne perçoivent pas la « nuance ».

La NYPL et le book packager se partagent à parts égales 10 % du prix de catalogue du livre, fixé en édition normale à 29 dollars 95. Le succès est immédiat. Le premier tirage, de 60 000 exemplaires en septembre 1989, est épuisé dès Noël. Le Desk reference figure pendant trois semaines sur la liste des best sellers de Publisher's weekly et est sélectionné par deux clubs, le Book of the month club et le Quality paperback book club (QPB), ce qui devrait lui assurer à chaque fois 100 000 exemplaires supplémentaires. Actuellement, 350 000 exemplaires ont été vendus.

Ce livre, satisfaisant un goût de l'anecdote culturelle popularisé aux Etats-Unis par de nombreux quiz shows sur les chaînes commerciales, a suscité une couverture médiatique inespérée : le book packager a été invité par de nombreuses télévisions, une foule d'articles de journaux et d'émissions lui a été consacrée, partant d'un fait étrange ou peu connu du livre, lui offrant ainsi une extraordinaire publicité gratuite. On songe déjà à des produits dérivés : édition de poche, pour enfants, deuxième édition, bien sûr, et, pourquoi pas, chronique dans les journaux et jeux télévisés.

Pour exploiter le filon, le même éditeur vient de lancer, au même prix, dans les mêmes conditions et avec une couverture similaire, The New York Public Library book of chronologies, déjà vendu avant publication à 52 000 exemplaires. Dans la même veine, la New York Public Library vient de co-éditer avec Simon and Schuster The Book of answers, co-rédigé par le chef du service des réponses par téléphone 10. Broché, vendu au prix de catalogue de 9 dollars 95, il est présenté comme le « parfait compagnon » du Desk référence. Son sous-titre, Les questions les plus surprenantes et amusantes posées au Service des réponses par téléphones, en indique assez clairement le programme.

Destinés à rapporter de l'argent, ces titres devraient autoriser la publication d'ouvrages plus difficiles en plus grand nombre. Il n'est cependant pas prévu, pour l'instant, que les bénéfices qu'ils vont permettre d'engranger alimentent d'autres secteurs de la bibliothèque.

Sous le signe du lion

Les expositions sont ainsi devenues le forum d'éducation que souhaitait Gregorian. Amenant la NYPL à collaborer avec les établissements culturels les plus prestigieux du monde, lui permettant de traiter d'égal à égal avec des organismes comme le Metropolitan Museum of Art, elles sont présentes à travers les Etats-Unis grâce à leurs versions itinérantes. Les grandes opérations sont sans égales dans le pays et restent encore un modèle à atteindre, par exemple, pour la Bibliothèque du Congrès.

Elles créent l'événement, ce que les activités de la bibliothèque au jour le jour ne peuvent généralement faire (sauf, la plupart du temps, pour des raisons négatives : coupes budgétaires, par exemple) et suscitent de larges échos dans les médias, touchant de vastes secteurs d'opinion. Le public, ainsi sensibilisé, est plus susceptible non seulement d'apporter son aide, financière ou en tant que bénévole, mais fait également plus volontiers pression sur les politiciens pour défendre le budget.

Du fait de leur prestige et de leur aspect international, ces expositions sont au cœur de la stratégie de la NYPL pour aller chercher des mécènes.

Visant la qualité, sans déroger au prestige de l'institution, faisant appel aux meilleurs spécialistes, elles vulgarisent les richesses de la bibliothèque à l'intention des audiences les plus variées. Malgré les contraintes commerciales auxquelles elles sont soumises, elles ne renient rien des principes d'origine de gratuité et de large ouverture à tous.

Le programme des conférences, nécessaires à l'image de la bibliothèque comme centre de culture vivante et d'échanges, est animé du même esprit. S'il attire un public plus réduit, il connaît néanmoins des prolongements dans la presse ainsi qu'à la radio et dans le monde de l'édition. Il complète les expositions en contribuant à renforcer le rôle de forum de la NYPL.

Le cas des publications est plus complexe. Le Bulletin, malgré sa qualité intellectuelle et sa valeur de symbole, a été supprimé parce qu'il servait mal l'image de la bibliothèque. De diffusion confidentielle et attirant peu la publicité, c'est plutôt son manque de rentabilité qui a causé sa mort. Le problème est toutefois de savoir s'il est possible à des publications savantes de rapporter de l'argent ou si elles ne nécessitent pas un sacrifice financier.

Quant aux livres, l'évolution vers des prises en charge complètes par le privé - la NYPL devenant auteur - est rendue nécessaire autant pour cause d'évolution technologique que pour des raisons financières ; elle risque cependant de privilégier les considérations de profit dans le choix des sujets.

En ce qui concerne les encyclopédies, c'est encore plus inquiétant. Elles ont été lancées contre l'avis des bibliothécaires pour des raisons financières, et selon des principes discutables, puisqu'il s'agit de donner sa griffe à des opérations extérieures, comme une célébrité le ferait d'un parfum. Cette « mauvaise » édition risque de galvauder la réputation de la NYPL. Cependant, elle impose le lion dans des lieux qu'il n'avait pas coutume d'atteindre et c'est peut-être le prix à payer pour que se maintiennent des éditions spécialisées ne pouvant prétendre qu'à des tirages confidentiels.

Octobre 1990

Illustration
Un service spécialisé à la NYPL

  1. (retour)↑  Ce qui correspond en anglais au concept d'Interpretive Programs.
  2. (retour)↑  Beaucoup d'informations sont ici tirées de deux textes de la directrice Susan. F. SAIDENBERG : What an exhibition can do for your institution, conférence prononcée dans le cadre du 5e Congrès annuel sur la conservation à Washington en mars 1990 et « Displaying our wealth : exhibitions make an auspicious comeback », American libraries, 1991, n° 2, p. 128-132.
  3. (retour)↑  Le NEH est un organisme parapublic fédéral chargé de financer des projets précis dans le domaine des sciences humaines. Il existe aussi un National endowment for the Arts (NEA) qui peut aussi aider la NYPL, notamment au Lincoln Center.
  4. (retour)↑  Sur 1 013 personnes interrogées d'avril à juin 1989 à la Centrale (Clark, Martire and Bartolomeo, Inc. : New York Public Library user survey, nov. 1989).
  5. (retour)↑  Certaines conférences sont parfois des charities, dont le but est de recueillir des fonds pour le programme : ainsi, début 1989, le cycle de l'actrice britannique Claire Bloom, dont le prix d'entrée était fixé à 20 dollars. Les concerts sont à 7 dollars 50.
  6. (retour)↑  Une collaboration a déjà eu lieu dans le passé avec cette station, à l'occasion de l'exposition Censorship : 500 years of conflict. La réception de WNYC-AM n'étant pas actuellement assez bonne, la NYPL a préféré différer la programmation jusqu'à ce que les problèmes d'émetteur soient résolus.
  7. (retour)↑  Avec une assistance moyenne de 400 personnes.
  8. (retour)↑  La New York Public Library est officiellement fondée le 24 mai 1895 par la réunion de la bibliothèque Astor et de la bibliothèque Lenox, enrichie d'un legs de Samuel J. Tilden. Le bâtiment actuel de la Centrale, commencé en 1902, est achevé en 1911.
  9. (retour)↑  Personne ayant une idée de livre et trouvant un éditeur pour le financer.
  10. (retour)↑  Dont le siège est à la Mid-Manhattan library, proche de la Centrale et tête du réseau de lecture publique.