Politique de préservation et de restauration à la Bibliothèque de France
Jean-Paul Oddos
La Bibliothèque de France devra prêter davantage et plus vite que ne le faisait la Bibliothèque nationale dont elle hérite. Aussi doit-elle être très exigeante en matière de conservation. L'innovation sera le caractère méthodique, « industriel », de toutes les opérations de maintenance, dont le déménagement sera l'amorce réelle. Le futur site de Tolbiac doit respecter des conditions de température, d'hygrométrie et de sécurité incendie optima. Il est par ailleurs prévu une reproduction des documents à très grande échelle, ainsi qu'un examen annuel minutieux qui les orientera vers une dizaine de « chaînes de traitement ». Ces opérations requièrent la formation de l'ensemble du personnel.
The « Bibliothèque de France » will have to lend more and faster than the National library was used to do. Consequently it has to take very much care of the preservation. The innovation in this matter will consist of the systematic nature of every maintenance unit operation.The moving will begin with this. In the future place of Tolbiac, the best conditions of temperature, hygrometry and security will be respected. The documents will be duplicated on a very large scale and, every year, they will be examinated to be directed to ten or so « processing lines ». These operations need to train all the staff.
La Bibliothèque de France, on le dit bien souvent, sera l'héritière de la Bibliothèque nationale. Cela signifie entre autres que recevant les collections, inestimables par leur volume et leur qualité, de cette dernière, elle devra poursuivre les missions de conservation et de communication attachées à celle-ci.
Poursuivre et innover, faire aussi bien que la Bibliothèque nationale, et si possible mieux. D'un côté par la mise à disposition sous 48 heures des documents entrés à la bibliothèque, ceux-ci étant en volume trois fois plus nombreux ; par la communication en quinze minutes maximum des ouvrages conservés en magasin, 800 000 volumes étant offerts en libre accès ; par l'usage tout à fait banalisé des outils de substitution (microformes, numérisation) permettant l'accès à des documents que leur état, ou leur absence simplement de la bibliothèque, laissaient à l'écart ; et enfin, sinon surtout, par le développement d'un catalogue offrant non seulement de multiples critères de recherche, mais aussi des enrichissements comme résumés, analyses, tables de matière et même images.
Communiquer davantage, plus vite, dans les meilleures conditions d'efficacité intellectuelle, ceci constitue la part la plus apparente, la plus directement perceptible de cet ambitieux programme : faire mieux.
Mais il est un autre versant où cette exigence doit se manifester avec la même urgence : c'est celui de la préservation, de la conservation des documents. Héritière, la Bibliothèque de France recevra des collections où le temps, les médiocres conditions climatiques, la pollution urbaine, l'usage intensif, les manipulations plus ou moins adroites ou soigneuses, ont laissé des traces profondes. La première partie du programme, ouverture large de collections à un nombre accru de chercheurs (cinq fois plus au moins) serait un leurre sans une maîtrise parfaite de l'état physique des fonds et sans la mise en œuvre, à une large échelle, de moyens nouveaux en matière de conservation.
C'est cette partie du programme qu'un rapide survol permettra ici d'examiner.
Diagnostic sur l'état des fonds
En 1979 - il y a à peine douze ans ! - un cri d'alarme avait été jeté : les collections de la Nationale, et en particulier les ouvrages imprimés après 1850, se dégradaient inexorablement. Le rapport Caillet 1, qui s'appuyait sur un sondage partiel mais déjà accablant, recommandait la mise en place d'un plan de sauvegarde, combinant traitement chimique des papiers, renforcement par doublage et reproduction photographique des documents traités : le Centre de conservation du livre, à Sablé (Sarthe) allait naître, laboratoire d'idées et station-pilote à la fois, dont l'expérience acquise au fil des ans est pour nous capitale.
On a souvent souligné l'insuffisance des données chiffrées concernant les collections, comme si leur masse décourageait à l'avance les comptages ; aussi, une des premières recommandations du groupe de travail Conservation, réuni à partir de septembre 1989 à l'initiative de l'Etablissement public, futelle de réaliser un sondage significatif sur la totalité des collections : celui-ci, réalisé au printemps 1990, a porté sur 21 000 documents choisis de façon aléatoire. Une partie des résultats vient d'être publiée et permet de mesurer l'ampleur, la profondeur du problème.
Les chiffres bruts parlent : 1,6 million de volumes sont à désacidifier et à renforcer ; 1 million de volumes sont à relier ; 3,4 millions sont à mettre en pochette ou autre conditionnement ; 540 000 volumes demandent une restauration importante ; plus d'un million de titres doivent être microfichés, au risque sinon de voir se perdre un pan entier de notre mémoire ; de même 260 millions de pages de journaux et revues devront être microfilmés.
Ces chiffres sont-ils seulement désespérants, et découragent-ils d'avance toute action ? Si l'on s'en tient aux moyens actuels et aux coûts provoqués par les méthodes, encore largement artisanales, il est vrai que l'objectif d'une « remise à niveau » paraît presque utopique : il faudrait ainsi investir la moitié du coût global de la Bibliothèque de France dans ce programme ! Mais cela peut signifier autre chose : la nécessité d'innover, de traiter en grand, et donc moins cher, de façon industrielle ces questions de restauration, et de mener aussi une ambitieuse politique de préservation, afin d'enrayer le cycle « infernal » dégradation/restauration.
Le premier moment de vérité sera celui du déménagement des quelque 10 millions de volumes ou équivalent volumes des Imprimés, des Périodiques, de la Réserve, de la Phonothèque. D'ici là, septembre 1994, il ne sera pas possible de tout restaurer, de tout reproduire. Mais si l'on veut préserver ne serait-ce que la possibilité de le faire ultérieurement, il faudra non seulement activer les opérations ordinaires de reliure, de restauration, de reproduction (415 000 titres prévus), mais aussi ouvrir un chantier exceptionnel de nettoyage et de conditionnement, opérations qui suivront de près le récolement général des collections qui débute le 1er mars 1991.
Le chantier devrait s'ouvrir en janvier 1992 : d' ici là devront être testées, une « dépoussiéreuse » d'un type nouveau, une machine à fabriquer des emballages, une autre, déjà employée en librairie, à banderoler les volumes. D'ici cette date aussi, études et tests permettront de dire si le suivi des documents utilisera l'identification par code à barres, ce qui entraînerait la pose (manuelle, automatique ?) de dix millions d'étiquettes.
Ces mesures, exceptionnelles dans leur ampleur, qu'un cahier des charges préparatoire décrira de façon méticuleuse, peuvent faire de ce déménagement tant redouté un moment important, un début de réalisation « grande largeur ? » d'une politique de préservation. Mais cet état dégradé ou précaire des collections et leur déménagement vers un site nouvellement édifié soulèvent d'autres interrogations, dont la presse s'est fait longuement l'écho : quelles seront les conditions faites aux documents sur le site de Tolbiac ?
Exigences en matière de conservation
Le rapport du groupe Conservation, présidé par Jean-Marie Amoult, a placé la barre très haut, en faisant la synthèse des expériences françaises, mais surtout anglo-saxonnes, scandinaves et allemandes, face à un projet dont l'architecture très affirmée semblait au départ peu compatible avec ces exigences. Fallait-il simplement se lamenter sur le fait que la future Bibliothèque de France conçue par Dominique Perrault, et retenue par un jury réuni autour du Président de la République, ne ressemblât en rien à un Fort-Knox sur Seine ? Ou bien au contraire imaginer qu'une bibliothèque pouvait être belle et fonctionnelle ?
Belle, cette bibliothèque très inspirée le sera. Fonctionnelle, c'est-à-dire apte à conserver au mieux les documents, elle peut l'être si nous savons rester fermes sur nos exigences. L'architecture est un fait, il ne nous appartient pas de préconiser tel ou tel aménagement technique en nous substituant au maître d'œuvre.
Conditions thermiques et hygrométriques
Ainsi il eût été absurde de rechercher une sorte de « compromis » entre architecture et conservation, en réservant aux magasins du socle les collections les plus précieuses, et en abandonnant les tours, caprices de l'architecte, à toutes les dérives climatiques, acceptant par là même qu'y soient reléguées des collections considérées - sur quel critère ? - comme moins précieuses. Notre parti a été tout autre : l'architecture est un tout et nous la respectons ; de même la conservation est un tout, et les mêmes conditions doivent être faites à tous les documents, même les plus humbles d'aujourd'hui, même ceux de demain, dont la fragilité ne sera pas immédiatement manifeste.
La meilleure condition de conservation de la cellulose réside dans un maintien d'une humidité relative moyenne (dans une fourchette de 50 à 60 %) et surtout constante. Une température basse présente un double avantage : les chocs provoqués par une variation de l'humidité relative se trouvent atténués, et les réactions chimiques, liées à la présence dans le papier de particules instables, sont ralenties. Un compromis doit cependant être trouvé avec les exigences de la communication : la température dans les espaces de circulation, les bureaux des magasiniers, les salles de consultation, les ateliers,... doit permettre un travail continu, et aussi ne pas présenter un écart trop sensible avec la température extérieure. Equilibre difficile !
Nous avons décidé de partir de l'exigence la plus fondamentale, la sauvegarde des documents, et d'élaborer ce compromis à partir de la plus haute température admissible pour le document, fixée, d'après les travaux scientifiques de ces dernières années, à 18° de température constante. De là, nous avons admis un écart pouvant atteindre 6° dans les autres espaces, notamment les salles ouvertes au public, l'humidité relative y restant contrôlée entre 50 et 60 %. Ainsi pendant la période la plus chaude de l'année, la température dans les salles pourra-t-elle atteindre 24°, soit un écart avec l'extérieur de 6, 8 et même 10° dans les cas les plus exceptionnels.
A cette exigence, réaffirmée au moment de l'avant-projet sommaire, on nous a parfois objecté des coûts de fonctionnement exorbitants, et difficiles à justifier. Ce à quoi nous avons répondu que, d'une part ces coûts sont d'autant plus réduits que le bâtiment bénéficiera d'une capacité d'inertie thermique propre - à laquelle tendent d'ailleurs les recherches menées par l'architecte et ses bureaux d'étude sur des « volets » qui forment une paroi isolante de bois, de plâtre et de laine de verre - et que, d'autre part, en matière de conservation, il fallait parler de coût global : tout ce qui sera investi pour le maintien de bonnes conditions climatiques sera autant d'économisé sur la restauration, traditionnelle ou de « masse », de documents mal conservés. Enfm, que nous le voulions ou non, les exigences de la Bibliothèque de France serviront de références à de nombreuses réalisations futures.
Stockage et convoyage
Quelques mots sur la sécurité, le magasinage et le convoyage des documents : en matière de sécurité incendie, on dit parfois dans nos professions, sous forme de paradoxe, que l'eau fait plus de mal aux documents que le feu, ou que les livres brûlent mal... Quelques expériences récentes (Léningrad, San Francisco, Bucarest) montrent que les bibliothèques aussi peuvent brûler et que, seuls, la détection très rapide, l'isolement du lieu touché et une action immédiate, très intense, peuvent empêcher la généralisation du sinistre. Le morcellement des lieux de stockage, un système de détection très sophistiqué pouvant préparer, sans le déclencher de façon automatique, un réseau de sprinklers 2, mais aussi une présence humaine répartie sur l'ensemble des lieux sont quelques éléments d'un plan de sécurité que je ne ferai qu'évoquer ici.
Pour ce qui est du stockage, le choix se portera sans doute majoritairement sur des rayonnages mobiles, constitués de blocs moyens (10/12 travées de 6/7 mètres de long, par 2,20 de haut), des rayonnages de type traditionnel étant réservés aux zones de grande proximité, et des magasins robotisés (quatre sans doute) accueillant des documents de taille standardisée (microfilms et microfiches, cassettes, CD audio ou vidéo, peut-être ouvrages de poche...) Mais l'innovation portera surtout sur l'assistance au magasinage (système d'information permettant le repérage immédiat des documents, l'ouverture des travées,...) et sur le confort apporté aux documents (tablettes en forme de bacs par exemple).
Les techniques les plus modernes de la transi tique (petits chariots automoteurs, sans doute munis de cartes permettant aux « opérateurs », magasiniers, bibliothécaires de « dialoguer » en permanence avec eux) seront mises en œuvre pour que les documents circulent vite, mais sans risque : ainsi le volume confié aux petits chariots automoteurs sera-t-il enfermé dans un bac monté sur balancelle, automatiquement verrouillé, et maintenu par quatre matelas d'air... Le mode de transport en passe d'être retenu dérive de celui utilisé pour le convoyage automatique des éprouvettes dans les laboratoires ou hôpitaux, ou des disques de scilicium pour le montage des ordinateurs.
Toutes ces techniques ne constituent donc pas du « jamais vu », même dans les bibliothèques, même en France ; ce qui sera nouveau c'est leur usage à grande échelle, et leur intégration.
La maintenance généralisée des collections
De même, on ne peut pas prétendre que la maintenance des collections soit une idée tout à fait nouvelle. Le plan de sauvegarde, la création d'une Direction technique à la Bibliothèque nationale, service « transversal » disposant d'outils comme les centres de Sablé et Provins, constituent des préalables. Mais l'innovation, ce sera le caractère méthodique de la démarche, l'intégration de tout ce qui concourt à préserver les documents, et découlant de cela, l'organisation la plus industrielle possible de toutes les opérations de maintenance.
Un examen annuel
Un objectif est fixé : examiner - et si nécessaire intervenir selon un niveau déterminé -, chaque année, un dixième des collections globales de la bibliothèque, c'est-à-dire un million de volumes sur les dix millions estimés aujourd'hui. Objectif ambitieux, et pourtant bien modeste - examiner chaque document au moins une fois tous les dix ans ! - qui commande la mise en place de structures correctement dimensionnées.
Les choses pourraient se passer de la façon suivante : chaque année, chaque département, et à l'intérieur, chaque équipe gérant une partie de collection, détermine, au sein d'un plan d'ensemble 3, la part annuelle à prélever pour maintenance. Celle-ci n'est pas constituée de documents sélectionnés un à un, mais d'ensembles non triés. Un mode convoyage de masse (chariots tractés par exemple) permet le transfert journalier d'environ 4 000 documents vers une « gare de triage », où des spécialistes les examinent et les orientent selon leur état.
Un traitement « lourd » apparaît-il nécessaire ? Selon les résultats de l'enquête sur l'état des fonds, déjà citée, 42 % des documents sont en mauvais ou très mauvais état ; 80 % d'entre eux réclament une restauration individuelle ou « de masse » ; et 60 % parmi ceux-ci sont édités en France, donc relèvent d'une mission prioritaire pour une Bibliothèque nationale. Ainsi 21 % des collections relèveraient de la restauration, soit 200 000 volumes par an, ce qui paraît peu réaliste, notamment pour la restauration traditionnelle. Il est proposé que les objectifs de la restauration de masse soient atteints en 20 ans (soit environ 100 000 par an) et ceux de la restauration traditionnelle en... un siècle (soit 5 400 volumes par an).
Un choix est donc opéré : un document sur deux est orienté vers le futur « Centre technique du livre », à Marne-La-Vallée, où seront installés les ateliers de maintenance lourde. L'autre est dirigé vers l'atelier de conditionnement et attendra donc un second passage - à moins que sa reproduction ne soit jugée prioritaire.
Traitements et fiche de santé
Un mot sur le futur Centre technique de Marne-La-Vallée, dont le programme théorique est en cours d'élaboration. Peu de chose à voir avec un sinistre « silo à livres ». Centre destiné à conserver l'exemplaire de conservation absolu ou de recours, il disposera en plus de magasins très performants, de vastes ateliers pour la reproduction, d'une unité de désinfection, d'un atelier de restauration traditionnelle et, liés à ce dernier, d'un laboratoire de recherches appliquées, d'un centre de documentation et d'un centre de formation de haut niveau ; également, si nos recherches aboutissent, d'une unité industrielle de désacidification et de renforcement simultané du papier. D'autres fonctions encore, mais ne relevant pas de la conservation, seront rattachées à ce centre. Celui-ci pourra, naturellement, faire appel à la sous-traitance, sur place ou en région, pour tout ou partie des traitements nécessaires, la seule exigence étant une qualité de travail très poussée.
Revenons à la part la plus importante des documents en maintenance, à la sortie de la « gare de triage » : selon leur état, leur âge, leur nature..., ils seront orientés vers une bonne dizaine de « chaînes de traitement ». Tous les traitements de maintenance ont été « recensés » - dépoussiérage, réparation des couvertures, réparation du papier, débrochage et nouvelle reliure, nettoyage à sec par gommage ou air pulsé, nettoyage humide et cirage pour les cuirs, étiquetage, titrage, mise sous pochette ou autre conditionnement, etc.
La part de documents destinés à chaque atelier est très variable : elle a été estimée en tenant compte de la composition du fonds et de leur état actuel. Ainsi on prévoit que tous les volumes seront dépoussiérés (un poste de travail très automatisé est à l'étude), que 80 % recevront un conditionnement neuf, que 20 % nécessitent une réparation sur un feuillet déchiré, 25 % une petite réparation de la couvrure, 10 % un nettoyage humide, 50 % un nouvel étiquetage, etc., sur place ou à l'extérieur...
Au total, les surfaces estimées pour ces ateliers, zones de stockage ou de montage des conditionnements comprises, s'approchent de 2 500 mètres carrés 4.
Il faut noter que les spécialistes chargés de diagnostiquer les maladies graves ou les « bobos », et de contrôler au retour la qualité des thérapies, devront disposer de moyens sûrs d'identification des documents (le code à barres sans doute) et d'un outil de gestion informatisé performant : cela sera d'autant plus nécessaire que les traitements engagés seront longs et complexes, comme en restauration traditionnelle 5. Mais ainsi l'ensemble des documents disposera d'une « fiche de santé », où resteront inscrits tous les traitements de maintenance, comme les opérations de transfert sur un autre support.
La politique de reproduction
Aussi massive soit-elle, aussi organisée et industrielle qu'elle puisse devenir, la maintenance ne suffira pas à préserver ces collections, fragiles par nature, de la pression considérable qu'on peut attendre sur certaines parties d'entre elles. Il ne s'agit pas de priver les chercheurs des documents originaux, mais de substituer à ceux-ci, chaque fois que le recours à l'original n'est pas indispensable, une microfiche, un microfilm, une page-écran, ou un document papier obtenu rapidement, à bas prix, à partir de ces nouveaux supports.
On le voit, plus que jamais une politique de reproduction photographique à très grande échelle est à l'ordre du jour. Elle prendra deux directions. D'une part, l'élargissement de la politique menée au titre du plan de sauvegarde 6, avec l'ouverture d'un chantier au début 1991, portant sur 415 000 titres à reproduire d'ici à l'ouverture de la Bibliothèque de France, et la poursuite d'une politique rétrospective, menée par grand ensemble, et pensée en harmonie avec le travail réalisé en région, autour des pôles associés.
D'autre part, l'objectif, en matière de reproduction courante, est de photographier toute la production de livres et de périodiques, à partir du « troisième exemplaire » du dépôt légal. Cet exemplaire, à l'exception des ouvrages dont la valeur marchande, esthétique, bibliographique... excède un certain seuil, n'est pas destiné à être conservé. On pourra donc faire usage, nous l'espérons, de caméras automatiques (comme celles en usage dans les banques) dont la cadence dépasse les 400 vues par minute.
La gestion de cette masse considérable d'images à venir va poser des problèmes tout à fait nouveaux. Il faudra bien sûr harmoniser nos plans de reproduction entre établissements, à l'échelle nationale, sans négliger la part qui reviendra aux producteurs privés d'images ; il faudra aussi organiser l'information et la diffusion de ces images sur le plan international, par exemple en développant le projet de catalogue collectif européen des microformes.
En même temps doit s'ouvrir une vaste réflexion sur les attentes du public, sur ses besoins en matière d'images, de photocopies ou de copie d'écran : que veulent les chercheurs, quelle politique tarifaire attendent-ils, quels délais admettent-ils et quel prix ? La préservation des documents doit cohabiter avec un service aux usagers, aux objectifs différents, parfois contradictoires. La nette séparation des fonctions : d'un côté, une reproduction de masse à fin de conservation, de l'autre une reproduction plus artisanale dans son échelle, plus « commerciale » dans son esprit, permettra, nous l'espérons, de développer l'une et l'autre, sans concurrence, la totalité des images se retrouvant à la disposition de tous au sein d'une grande « photothèque », accessible par le catalogue.
La numérisation d'un nombre important de documents (plusieurs centaines de milliers d'ici 1995) ne relève pas au départ d'une politique de transfert à fin de conservation. La numérisation appartient plutôt - et ceci est souvent l'objet d'un débat vif entre bibliothécaires et informaticiens en charge de ses aspects techniques - à deux domaines.
Elle appartient d'abord au domaine éditorial. La numérisation d'un corpus thématique, par exemple, s'apparente à sa réédition, en rendant à nouveau disponible, sous une forme certes nouvelle, à de multiples « exemplaires », des éditions anciennes devenues rares, introuvables. En ce sens, la numérisation devra être menée en partenariat avec des éditeurs, qui ne resteront pas longtemps étrangers à cette nouvelle technique.
Elle appartient aussi à une sorte de « stockage de proximité », assez proche de ce qui se pratique pour l'image animée. Des ensembles de textes éloignés, dispersés, disponibles sous des formes ou des formats disparates peuvent être ainsi « approchés » des lecteurs - lecteurs présents sur le site comme lecteurs « en ligne », éloignés et proches à la fois - et donnés à lire, à étudier, à travailler sous une forme égale, unifiée.
Parce qu'elle diminue aussi la fréquence du recours à l'original, tout en facilitant sa communication, la numérisation est au même titre que la réédition, le reprint, une technique de préservation 7.
Même ainsi résumée, la politique qu'entend mener la Bibliothèque de France en matière de conservation apparaît surtout innovante par son ambition. La conservation ne sera pas comme ce petit couplet qu'on entonne à la fm des congrès, parce qu'une incantation fait, croit-on, parfois venir la pluie. Elle a été d'emblée mise parmi les préoccupations majeures de l'Etablissement public de la Bibliothèque de France, par la création d'un groupe de réflexion, et par la mise sur pied progressive d'une équipe, au sein de la Délégation scientifique, chargée de suivre l'ensemble de ses dossiers, en relation constante avec la Bibliothèque nationale.
Mais cela sera insuffisant demain si les exigences de préservation et de conservation devaient rester l'affaire d'une seule équipe, même très motivée, même intervenant à tous les degrés du circuit du document. Tous les personnels, demain, seront engagés peu ou prou dans cette politique. Il faudra les y préparer, les y aider, donner à tous ce goût du document, tout autant découverte que respect de la forme. Une vraie politique de conservation commence par la mise en place d'une formation généralisée et se poursuit jour après jour, par la mise en pratique de principes communs et admis de tous. A ceci on mesurera, tout autant qu'aux moyens sans précédent mis en œuvre, qu'un pas immense a été franchi.
Janvier 1991