Langues vivantes et bibliothèques publiques

par Philippe Hoch
BPI. Paris : Centre Georges Pompidou / BPI, 1990.- 73 p. ; 30 cm. - (Dossier technique 8, ISSN 00298-1564)
ISBN 2-902706-32-4

A l'heure où les frontières européennes sont promises à une mort annoncée, tandis que la Grande-Bretagne se prépare, dit-on, à n'être plus une île et que les Pyrénées promettent de s'effacer des esprits, il n'est plus guère qu'un seul mot d'ordre, omniprésent, martelé dans les universités comme dans les entreprises, à la « une » des journaux comme sur les écrans, au Café du commerce non moins que dans les réunions politiques : « Parlons, le mieux possible, la langue de nos voisins ».

Objectif ambitieux, sans doute, d'autant plus que les carences du système éducatif français dans ce domaine ont été maintes fois soulignées. Aussi, parallèlement à l'école, d'autres institutions, toujours plus nombreuses et diversifiées, proposent leurs services.

Le monde des langues

La moindre de ces initiatives n'est assurément pas la médiathèque des langues mise en place à Paris dès l'ouverture du Centre Georges Pompidou, en 1977, à la Bibliothèque publique d'information (BPI). Comme tout l'ensemble auquel il appartient, ce vaste laboratoire - à tous les sens du terme - remporta d'emblée un succès qui, depuis lors, ne s'est jamais démenti, bien au contraire. Aussi, sur ce terrain particulier comme dans d'autres domaines, la BPI fait-elle figure de pionnier. L'expérience d'une bonne décennie confère aux responsables de la médiathèque de langues une sorte de statut d'expertise et de conseil, au bénéfice d'autres bibliothèques désireuses d'offrir à leurs lecteurs un service comparable - toutes proportions gardées - à celui dont bénéficient les usagers de la BPI.

Cette dernière est ainsi à l'origine de plusieurs stages, d'une enquête relative à la place des langues étrangères dans les bibliothèques publiques, ainsi que d'un « dossier technique » sur ce même sujet, indispensable à tout bibliothécaire qui voudrait mettre sur pied un semblable équipement.

Michel Melot, ancien directeur de la BPI, s'emploie dans sa préface, à convaincre quiconque en douterait encore, que « la médiathèque de langues est au cœur même des services que doit rendre une bibliothèque ». Qui plus est, restât-il modeste, se réduisit-il à un poste de travail unique, un tel équipement « devrait être une obligation dans toute bibliothèque ». L'appel est lancé en des termes d'autant plus vigoureux qu'il reste, de fait, bien du chemin à parcourir, comme le montrent à la fois l'introduction du fascicule et les résultats d'une enquête entreprise en 1989 et marquée par un taux à vrai dire peu commun de « non-réponses », beaucoup d'établissements ayant estimé qu'ils n'étaient nullement concernés par l'objet même du questionnaire. C'est dire déjà que, dans l'ensemble, la place occupée par les langues vivantes dans les bibliothèques françaises demeure « furtive et comme souterraine ».

Il n'était point déplacé, dès lors, de présenter, dans le cadre d'une première partie, « le monde des langues », sous l'angle de la formation continue, qui y voit « un terrain de prédilection », mais aussi du point de vue de la didactique, dont les principales tendances, depuis les années 1960, sont rapidement passées en revue. Les auteurs du dossier - Nicole Druet et Josette Vuillaume, avec la collaboration de Jacqueline Ekizian - mettent particulièrement l'accent sur l'autoformation, dimension en effet majeure de l'apprentissage des langues étrangères en dehors des structures scolaires et universitaires, qui suppose l'existence d'équipements spécifiques. Et la bibliothèque apparaît bien, encore une fois, comme le « lieu idéal » susceptible de les abriter ; le succès de la médiathèque créée à la BPI en est le signe tangible.

Nicole Druet, Josette Vuillaume et Jacqueline Ekizian rappellent, bien sûr, les grands étapes de la mise en place du service, depuis les quarante postes de consultation et les soixante-dix langues représentées à l'ouverture, en 1977, jusqu'à la configuration actuelle de la médiathèque, offrant en outre, depuis 1987, les « écrans sans frontières » captés par satellite ou grâce au câble.

Conception d'une médiathèque de langues

La seconde partie du document, fortement orientée vers la pratique, expose les différentes étapes de la conception et de la réalisation d'un projet de médiathèque de langues. Si les choix effectués à la BPI sont, comme il se doit, rappelés, voire détaillés, ils n'apparaissent cependant jamais comme les seuls possibles. Préalablement à la mise en route de l'opération, une étude s'impose, portant à la fois sur les besoins et sur les structures existantes. Une bonne connaissance des aspirations, des attentes manifestées par les usagers permettra notamment de procéder de manière pertinente au choix des langues à offrir, lequel pourra évidemment varier en fonction de données locales ou régionales.

Sont ensuite abordés les différents aspects de la constitution des fonds. Ces derniers pourront réunir, outre les méthodes - diverses quant aux niveaux et aux supports - des didacticiels, du matériel audio-informatique ou encore vidéodisques et CD-ROM, sans parler des écrans de télévision, des « documents authentiques » ou encore des usuels. En conformité avec le souci de fournir des informations pratiques et aisément utilisables qui a présidé à son élaboration, le dossier n'omet point l'aspect central et déterminant des coûts et des droits à verser.

Il est question encore de la communication des documents, itinérante grâce à un « Linguabus », à domicile ou, bien entendu, sur place ; cette dernière solution présentant l'avantage notable de mettre à la disposition des usagers un matériel à la fois diversifié et performant, ainsi que tout un « environnement linguistique ». Le matériel, précisément, est un aspect majeur du projet, lié aux problèmes de l'architecture et de l'aménagement de l'espace réservé au service. L'entretien de l'appareillage, le conditionnement et l'équipement des documents, leur catalogage et leur mise en place font également l'objet de développements « bibliothéconomiques ». Quelques remarques, enfin, portent sur le personnel affecté à la médiathèque (lequel devra manifester une réelle ouverture d'esprit et un vif intérêt à l'égard des civilisations étrangères), ainsi qu'à la nécessaire promotion du nouveau service.

Une bibliographie complète les informations livrées tout au long du dossier, tandis qu'en annexe, parmi six autres pièces, figurent, présentés et commentés par Marc Fontana, les résultats de l'enquête déjà évoquée concernant la place réservée aux langues vivantes dans les bibliothèques publiques. Sans doute une telle publication, qui vient à son heure, contribuera-t-elle à mettre fin à cet état de fait souligné par le rapporteur : « Pour les bibliothécaires, le domaine des langues demeure encore terra incognita ».