La coopération est-elle devenue une imposture ?

Jeannette Amestoy

Les agences de coopération sont le principal vecteur de la coopération régionale en matière de livre et de lecture. Dans le contexte inédit de la décentralisation, la coopération s'est avérée une nécessité professionnelle. L'Etat n'a fait que donner un cadre à une pratique informelle, mettant des aides techniques et financières à la disposition des professionnels et des élus. Il semble aujourd'hui se désengager progressivement... Le réseau ne cesse pourtant de s'accroître et requiert l'engagement de tous les partenaires à tous les niveaux.

The cooperation agencies are the main vehicle of the regional cooperation for books and reading. In the new context of decentralization, cooperation became a professional necessity. State only gave a frame to an informai practice, helping the professional and elected people by technical and financial means. It seems now more and more missing. The network however goes growing and requires the agreement of every partner at every level.

La coopération ne se résume certes pas aux seules politiques menées par les agences de coopération mais celles-ci en sont le principal vecteur. Je n'aborderai, pour ma part, que la coopération sous l'angle des structures régionales, laissant à d'autres le soin de faire le bilan de leurs politiques.

Politique d'incitation

La Direction du livre et de la lecture (DLL) n'a pas imposé artificiellement ce concept au niveau national et régional, elle a donné, en son temps, un cadre à une pratique informelle. Celle-ci correspondait à une nécessité professionnelle pour le développement du livre et des bibliothèques, dans le contexte inédit de la décentralisation, qui ouvrait des perspectives nouvelles pour les régions 1.

Aussi l'Etat a-t-il eu une politique d'incitation auprès des professionnels et des élus, mettant à leur disposition aides techniques et financières. Tous les chargés de mission pour le livre et la lecture ont oeuvré à la création d'agences de coopération dans leur région. Le ministère de la Culture et de la Communication a engagé plusieurs milliards afin de mettre en place ce dispositif.

Il convient de rappeler ce qui présidait à cette politique. Aucune bibliothèque isolée, quelle que soit sa taille - la Bibliothèque de France en est la parfaite démonstration - ne peut répondre à la totalité des besoins et des savoirs de son public et de ses publics potentiels. Seuls plusieurs réseaux capables de se concerter sont aptes à faire face aux demandes et à l'évolution de notre société.

Cette idée n'est ni nouvelle ni obsolète.

Alors pourquoi aujourd'hui se pose-t-on la question du rôle, de la place et des orientations des agences de coopération ?

Les professionnels sont convaincus de l'intérêt d'une structure de coopération qui réponde à leurs besoins ; ils participent aux actions en fonction de leurs attentes. La coopération conçue comme un engagement « militant » bénévole s'est épuisée. La coopération prise en main par l'ensemble des professionnels, des directeurs d'établissements aux agents sans qualification, est révolue.

Le cadre associatif permet aux professionnels d'être décideurs et acteurs, aux élus, s'ils sont engagés, de s'appuyer sur les compétences et le savoir-faire d'experts qui, au quotidien, dans leur bibliothèque, évaluent les besoins nécessaires au développement du livre et de la lecture. Cette forme juridique a l'avantage de la souplesse et le risque de la fragilité. Les politiques menées par les agences de coopération sont le reflet d'une concertation entre plusieurs partenaires. Le troisième partenaire, l'Etat, a deux niveaux de compétence : l'un sur le plan national, l'autre, plus récent, à l'échelon régional, dans le cadre de la déconcentration. Cet état de fait engendre des situations complexes et différentes.

En effet, les agences de coopération couvrent le même champ d'action que celui des conseillers pour le livre et la lecture (CRL), qui peuvent soutenir leur politique ou la vivre comme concurrente, car les agences échappent à un pouvoir oligarchique par leur forme contractuelle.

Un retrait progressif

La direction du Livre et de la lecture avait d'abord défini des missions pour les agences de coopération : l'information bibliographique au travers des bases bibliographiques régionales, le patrimoine écrit et imprimé, la diffusion et l'action culturelle autour du livre, la formation et l'information... « A ces quatre principaux secteurs, s'ajoutent désormais l'audiovisuel et la littérature de jeunesse » 2. Citons encore : « La politique d'incitation menée par la Direction du livre et de la lecture en faveur des associations régionales de coopération s'exprime dans les budgets de celles-ci ».

Puis l'administration centrale a donné des consignes de désengagement de l'exécutif des agences aux conseillers pour le livre et la lecture et, cette année, lors de la déconcentration des budgets en région, elle a abandonné la ligne 43.1025 intitulée « coopération ». Hormis le rapport Briand-Alessio, nous ne disposons d'aucun outil d'évaluation émanant de la DLL.

L'absence de politique globale du partenaire fondamental engendre déséquilibre et désorientation. La déconcentration maximum laisse à chacun des représentants de l'Etat le loisir d'agir à sa guise : désengagement total de l'Etat de l'agence de coopération ou, au contraire, implication plus importante des représentants de l'Etat en région, dans l'exécutif de l'association. Le ministère avait une politique en harmonie avec les professionnels des bibliothèques et des objectifs communs. Il est étonnant que l'intervention de l'Etat soit légitime dans certains secteurs du livre et de la lecture (loi Lang par exemple) et qu'elle semble délaissée dans d'autres... Quel sens donner au démantèlement du Centre national de coopération des bibliothèques publiques (CNCBP) de Massy et à l'arrêt de ses activités - formation exceptée ?

Dans le rapport « Yvert », « le rôle attribué à la structure nationale doit se limiter à permettre à l'Etat d'intervenir rapidement lorsqu'une mesure de sauvegarde s'impose de manière particulièrement urgente ; d'être pilote en matière technique et apte à conseiller les collectivités dans la prise en charge par leurs moyens propres... »

La coopération, pratique indiscutable

La coopération est en pleine mutation. Ce n'est. plus le réseau d'information bibliographique qui en est le moteur mais la production de biens et de services pour un réseau encore plus large, qui comprend les centres de documentation et d'information (CDI), les bibliothèques universitaires et bien d'autres partenaires encore, comme par exemple le secteur interculturel.

Les agences de coopération ont su convaincre de nombreuses collectivités régionales qui ont, certes, des compétences globales dans le domaine culturel, mais pas d'obligations précises dans celui du livre et de la lecture. Dès lors, tout conduit à penser que demain les régions qui ne sont pas encore acquises à la coopération le deviendront car c'est un formidable outil de développement culturel.

A côté de la Bibliothèque de France, le public a besoin d'un réseau de bibliothèques accessibles et efficaces. C'est l'affaire de tous les partenaires, à tous les échelons, de s'engager pour construire ce réseau novateur : chacun son rôle, sa mission et sa place.

Il n'y a pas de modèle de coopération, il y a plusieurs formes de coopération selon les contenus qui nécessitent un partenariat diversifié.

La coopération n'est pas une fin en soi mais une pratique indiscutable, qu'elle soit interinstitutionnelle, interprofessionnelle, régionale, départementale, locale, voire européenne. Qu'elle ait pour objet des domaines aussi variés que le patrimoine, le développement de la lecture, l'information bibliographique, la formation, la recherche en est une preuve supplémentaire. Pour que les structures de coopération rassemblent le plus grand nombre de partenaires, elles ne peuvent être un service technique régional ni même un service de l'Etat en région, ce qui risquerait de réduire l'impact des actions.

Avril 1991