Des perspectives de développement
Le témoignage et l'expérience d'ABCD
Alain Néris
Mettre en place une politique pour les biblothèques à l'échelon régional nécessite des chefs de projet responsables disposant d'une marge de manœuvre suffisante, une bonne compréhension de la gestion du fonctionnement, des orientations précises en fonction de la situation régionale documentaire, et bien distinctes de celles du centre régional du livre. Il faut capitaliser les savoir-faire pour être un partenaire reconnu des bibliothèques et des collectivités locales, avoir une politique sélective de la conservation et de la restauration en matière de patrimoine culturel, intégrer le patrimoine écrit aux autres (architectural, archéologique, etc.)...
Setting up a regional policy for the libraries needs : heads of plans who really may act, a good understanding of the management of working, precise directings according to regionaal documentary situation, and abolutely distinct from the « Centre régional du livre ». It's necessary to accumulate « savoir-faire », to be recognized by the profession and local communities, to have a selective policy of conservation and restoration as regards cultural patrimony, to integrate the written patrimony into the others (architectural, archaeological,...)
Il n'est pas une région en France où l'on ne s'interroge aujourd'hui sur la coopération entre bibliothèques menée par les agences régionales de coopération. Qu'il y ait des réalisations ou des projets en cours ou qu'il n'y en ait pas, un courant d'opinions défavorables est apparu. S'il y avait un sondage à ce sujet, on peut imaginer qu'il ferait ressortir cette tendance. Bien entendu, la réalité est plus complexe, et le paysage de la coopération régionale beaucoup plus disparate.
Et il en va de même en Poitou-Charentes. Bien que les différentes actions menées par ABCD aient donné et donnent encore des résultats tangibles et appréciables, ce sont toujours les mêmes problèmes qui sont posés. Ces problèmes sont de l'ordre de l'organisation générale, de la répartition des missions, des compétences, des problèmes de pouvoir et de responsabilité,... Ils sont communs à la plupart des agences de coopération entre bibliothèques.
Ils se posent face à une absence de projets, mais ils se posent également quand des projets aboutis deviennent des enjeux. Ces derniers apportent alors du grain à moudre. Et la question qui sous-tend toute la réflexion est bien de savoir si on admet ou non qu'une agence de coopération se développe. L'admettre implique la prise en compte par les régions d'une politique en faveur des bibliothèques et implique aussi que les différents partenaires de cette entreprise acceptent certaines réalités.
l'association de coopération
« Association de coopération », il est impressionnant de constater à quel point cette appellation a été mal interprétée et a entretenu d'illusions. On a tant parlé d'un état d'esprit de la coopération qu'on a souvent oublié qu'il s'agissait de mettre en place à l'échelon régional une politique pour les bibliothèques avec des moyens et des méthodes propres. Cet objectif premier, qui est le plus difficile à atteindre, a trop souvent été éclipsé par d'autres préoccupations socioprofessionnelles plus facilement abordables. Nous nous proposons, non pas de revenir à l'esprit de la coopération - s'il en est un, il se révélera de lui même -, mais à ce qui, selon nous, sert de fondement à une structure de coopération et à son ancrage régional.
La gestion de projet
Force est de constater que l'élaboration collective des projets n'a pas toujours abouti à des résultats significatifs au sein des structures de coopération. Faute d'avoir accordé l'importance qu'il convenait à la gestion de projets, certains n'ont jamais vu le jour. L'absence de gestion des moyens humains est souvent en cause. L'absence de moyens logistiques (fichiers d'adresses, micro-informatique à la fois pour les fonctions d'administration courante et comme outil conceptuel,...) a également constitué un sérieux handicap de départ. Il est pourtant indispensable de confier la rédaction, la gestion, le suivi d'un projet à un responsable de projet qui dispose d'un minimum de moyens logistiques et conceptuels. Beaucoup d'agences de coopération ont perdu au moins deux ans avant de parvenir à cette conclusion. Si 25 personnes peuvent échanger leurs points de vue respectifs sur un projet, une seule est amenée à finaliser les choses au moment de la rédaction du projet. Celle-ci doit se sentir assez responsable pour faire prendre des décisions à une assemblée de professionnels. Si elle tient simplement un rôle de secrétaire permanent de l'Association et n'a pas de manière explicite d'autres missions, les résultats tarderont à venir.
Il s'agit en fait d'avoir, au service des agences de coopération, des chefs de projet qui disposent de compétences suffisantes et à qui on confie une responsabilité et une marge de manœuvre nécessaire. C'est la seule attitude à adopter quand on veut obtenir des résultats, celle qui consiste à prendre en compte les besoins de ressources humaines et d'outils à mettre à leur disposition.
Le fonctionnement associatif
On a pu constater aussi que les bibliothécaires ont souvent découvert avec la coopération le fonctionnement administratif d'une association qui dispose d'un budget de plusieurs centaines de milliers de francs et qui emploie du personnel. Bien entendu, les bibliothèques municipales, départementales ont toujours plus ou moins eu à faire avec des associations d'amis, des associations relais ou des associations culturelles locales. Mais l'association de coopération nécessite une prise en compte plus fondamentale des problèmes de comptabilité, de gestion et d'administration. Il est assez significatif, à cet égard, que beaucoup d'associations de coopération aient cherché du côté des professionnels de la gestion des entreprises culturelles l'expérience qui leur manquait. Aujourd'hui, cette fonction de gestion doit être prise très au sérieux, d'autant plus que les associations de coopération montent des budgets avec des crédits publics de différentes origines, Etat, collectivités locales, et une part de ressources propres. Tout cela réclame une attention particulière, notamment par rapport aux problèmes de charges sociales et fiscales.
Les élus qui connaissent bien ce type de structure ont aidé à instaurer des pratiques de gestion professionnelle dont la plupart des bibliothécaires ont compris la nécessité.
Reste qu'une méconnaissance de la gestion du fonctionnement d'une association de ce type soulève encore des interrogations de la part des bibliothécaires sur le bien fondé de l'affectation des ressources financières.
Il est juste de préciser que si les associations de coopération sont dans la nécessité « existentielle » de faire apparaître leurs frais de fonctionnement et leurs moyens d'exploitation, les bibliothécaires qui participent à des projets n'ont pas toujours l'occasion de faire valoir l'importance et le prix de leur collaboration.
Si on voulait assez logiquement le faire, cela entraînerait un accroissement de l'administration des projets disproportionné, non pas par rapport à l'enjeu lui-même de la participation de professionnels des bibliothèques - il est toujours important de souligner la valeur de leurs contributions matérielles et intellectuelles à un projet -, mais par rapport au montant des financements engagés.
Il faudrait alors présenter des budgets gonflés au point d'être dissuasifs, évaluer la participation de chacun en temps et en coût, la faire connaître aux employeurs, étudier de près le bénéfice retiré pour chaque collectivité et le rapporter au niveau d'équipement de sa bibliothèque. Toutes choses extraordinairement complexes qu'on peut évaluer ponctuellement sur un projet mais qu'il serait déraisonnable de mettre en oeuvre de manière systématique. Les employeurs pouvant à leur tour être pris de zèle et contrôler de manière excessivement étroite leurs employés, cela ne manquerait pas de réduire une marge de manoeuvre qu'on s'accorde par ailleurs à considérer bien souvent comme déjà réduite. Il est préférable que les associations de coopération affichent chaque fois qu'elles le peuvent la participation des bibliothécaires aux projets. En retour, il est juste d'attendre des bibliothécaires, qui sont presque tous des fonctionnaires de l'Etat ou des collectivités locales, une totale compréhension de ce que représente la gestion du fonctionnement, et notamment du personnel d'une association.
L'association de coopération ne peut pas être une banque où un compte serait ouvert à un groupement de bibliothécaires. Tous les professionnels ont compris qu'il s'agissait d'une structure de gestion de projets.
Le souci de communiquer
Ecartons d'emblée la contradiction apparente entre association ou agence de coopération, qui est un faux problème.
L'association loi 1901 est un cadre juridique assez souple pour que la coopération y plante son décor et fixe elle-même les limites à son action. Si on s'en tient à l'essentiel, l'association, en permettant de réunir des partenaires multiples conformément à ses statuts, permet également de recevoir des subventions et n'interdit pas le développement des ressources propres et de l'autofinancement. Comme on a pu le comprendre ci-dessus, si une association n'est pas très active, il faut en chercher les raisons dans son mode de fonctionnement. Si on veut bien être rigoureux, une association de coopération ne devrait pas ressembler à une « coordination de bibliothécaires », réunis seulement pour des intérêts conjoncturels communs et une communauté de vues sur l'avenir de la profession - c'est le rôle de l'Association des bibliothécaires français (ABF). Il s'agit de tout autre chose. Il s'agit de prendre part au développement des bibliothèques sur un plan régional et dans le long terme. Ce projet intéresse tous ceux qui travaillent dans une bibliothèque et l'association de coopération est là pour les aider à le mener à bien avec le soutien des collectivités locales.
Sur le plan du fonctionnement, il n'y a pas de recettes, mais une association de coopération peut difficilement faire l'économie d'un certain nombre d'orientations : un règlement intérieur donnant au bureau un rôle de décision, un Conseil d'administration régulièrement informé des projets en cours mais amené à se prononcer précisément sur les options de fonds (le choix des projets, leur lancement, leur bilan), un personnel, un chef de projet ou une équipe qui assure la gestion et le suivi des projets, un effort de communication en direction des adhérents et de tous les partenaires.
Il n'est pas utile pour cela de remettre en cause la structure associative qui est à juste titre réputée pour sa souplesse administrative. L'agence de coopération est-elle autre chose qu'une association ? La réponse est bien entendu négative. A travers le terme d'agence, il s'agit de donner, à l'extérieur des bibliothèques notamment, dans la sphère des décideurs politiques et économiques, dans la presse, une image moderne plus valorisante et peut-être aussi plus institutionnalisée à l'action de l'association. Ce terme est employé finalement pour des raisons de communication que tout le monde peut comprendre.
On a très souvent interprété cela dans le sens du détournement d'une activité culturelle vers le secteur commercial. Mais il n'y a pas, d'un côté, des associations de coopération qui feraient cadeau de leurs services et, de l'autre, des agences de coopération qui feraient payer ces mêmes services. Ce schéma est totalement faux. Toutes ont à financer des projets, même si, en fonction des différences importantes d'engagement financier des régions, elles ne s'y prennent pas toutes de la même manière - certaines faisant payer leurs services directement aux collectivités qui les financent, d'autres en partie aux utilisateurs qui sont in fine toujours des collectivités, la collectivité locale se substituant à la collectivité régionale défaillante selon les cas. Cette situation n'est certes pas satisfaisante car elle crée une disparité de traitement des bibliothèques, inquiétante à long terme et dont il faudrait reparler. Mais cela ne constitue pas une frontière entre les associations et les agences.
On doit encore dire que l'appellation d'agence de coopération utilisée dans un souci de communication n'est pas davantage un label.
Des politiques diverses
Les objectifs réels des agences de coopération laissent apparaître des différences mais elles ne figurent pas dans leurs statuts. A l'origine ceux-ci ont été rédigés de manière à permettre des évolutions à venir, des recentrages sur telle ou telle activité. L'inconvénient de cet avantage étant que les agences n'ont pas toujours profité de cette ouverture pour mieux définir leur domaine d'action et ont bien souvent laissé les choses en l'état initial.
Trop calquer les projets sur les objectifs statutaires de l'association contraint à travailler dans toutes les directions sans bien entendu en avoir toujours les moyens. De là un certain nombre d'écueils : la mobilisation des énergies sur tout à la fois entraînant une multiplication des commissions et des groupes de travail pour aboutir lentement à bien peu de choses concrètes. C'est ici que se forment les premières cohortes de déçus de la coopération qui gardent l'amer souvenir d'avoir perdu leur temps.
Les associations sont donc amenées très vite à définir leur domaine d'intervention en étroite dépendance de la situation régionale qui prévaut en matière de diffusion du livre.
Cette situation est très variable, bâtie sur l'existence d'un réseau de libraires plus ou moins dense, sur la présence d'éditeurs en région, enfm sur le niveau d'équipement du réseau des bibliothèques. Là où un Centre régional des lettres (CRL) ou un Office régional du livre existe déjà, portant son action sur l'aide à l'édition, l'aide à la création, l'aide à la librairie, c'est une orientation facile à prendre pour une agence de coopération que de se tourner immédiatement vers les questions de réseau de bibliothèques et de réseau documentaire multimédia. Là où il n'y a pas ce type de structure, cette orientation est beaucoup plus difficile à définir.
Mais à vrai dire, ces deux domaines sont suffisamment différents pour que deux types d'actions disctincts soient menés parallèlement. Et il aurait été souhaitable que cette différence ait été posée comme une donnée de départ. Ainsi, aurait-on pu éviter une certaine confusion qui règne actuellement et dont les bibliothèques ne profiteront certainement pas.
La fonction documentaire d'une bibliothèque ou d'un réseau de bibliothèques au service de tous les citoyens n'a pas de rapport direct avec la fonction d'aide à des entreprises commerciales d'édition ou de librairie, si ce n'est que ces activités peuvent être mises sous le même chapeau, « la diffusion du livre », bien commode mais peu significatif, dans la mesure où les bibliothèques ont à diffuser bien d'autres supports que le livre et à offrir des services d'information et de documentation dans tous les domaines, à des publics très variés. Eu égard à la population concernée, l'enjeu social, économique, culturel de la bibliothèque dans la ville dépasse tout de même l'enjeu commercial de telle ou telle entreprise d'édition ou de librairie. Toutes choses qui requièrent des moyens non négligeables au service d'un travail de fond et qui se retrouvent pourtant à la remorque de politiques d'aide à l'édition et d'aide à la librairie dont les intérêts sont malgré tout plus restreints.
Il y a certes une synergie entre un bon réseau de librairies et un bon réseau de bibliothèques. Mais sans remettre en cause ces fonctions d'aide à l'édition et à la librairie qui sont pleinement justifiées et légitimes, comment peut-on les faire passer avant les fonctions des bibliothèques ?
Dès lors, parler d'une politique du livre en général tend à gommer cette difficulté, et de cette vision globale, seule une impression de synergie semble se dégager.
Mais localement, il n'en va pas de même. Quand on associe une politique de prestige, parfois brillante, appuyée sur les gloires locales reconnues, sur la vie littéraire au sens noble du terme, à une politique de fond pour les bibliothèques qui s'efforce d'anticiper sur les besoins et les comportements culturels, qui part à la conquête de nouveaux publics, qui s'intéresse à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine, il est évident que cette association se fait au détriment de la politique en faveur des bibliothèques. Comment pourrait-il en être autrement ?
Certaines agences de coopération sont également des CRL. Mais que sont-elles avant tout ? Des CRL.
En effet, les fonctions d'aide à l'édition ou à la création littéraire sont bien plus facilement identifiables par les élus. On voit tout de suite quels en sont les bénéficiaires. Les aides sont attribuées dans le court terme. Elles peuvent donc se répéter, être fréquentes même, toucher des personnalités dans différents secteurs. Elles procurent ainsi pour un investissement donné un effet de retour bien plus important dans le court terme qu'une politique documentaire en faveur des bibliothèques qui ne produira un effet de retour qu'à plus long terme. Disons encore que les notabilités locales y trouvent aussi pleinement leur compte de reconnaissance sociale.
Mais ce type de politique ne peut suffire pour prendre en compte l'accès à la culture du plus grand nombre. Permet-elle d'élargir le cercle des initiés ?
Sans remettre en cause une politique qui a incontestablement des effets positifs, en particulier pour ce qui concerne l'édition d'ouvrages documentaires d'intérêt régional ou d'oeuvres littéraires d'une très grande variété, il faut la dissocier des actions menées pour la coopération entre bibliothèques.
Capitaliser les savoir-faire
Au-delà de la politique du livre, les associations de coopération sont confrontées à trois orientations déterminantes pour leur développement : faire, faire faire ou redistribuer.
Chacune de ces orientations peut être suivie au coup par coup. Une association peut être amenée à faire faire ce pour quoi elle n'est pas compétente ou pas équipée. A contrario, une étude de faisabilité peut aussi bien être menée par l'agence et un chef de projet qui effectuera un travail de documentation et de synthèse et cherchera des solutions plus originales que ne l'aurait fait un cabinet conseil choisi par l'agence.
C'est pourquoi, du point de vue de l'agence, il est utile de capitaliser les savoir-faire afin d'être un partenaire reconnu des bibliothèques et des collectivités locales et afin d'assurer un développement des activités.
Redistribuer des fonds, par exemple pour la sauvegarde du patrimoine, ne suffit pas à légitimer une agence de coopération. Une administration pourrait le faire sur les conseils d'un comité technique. Faire faire, présente des inconvénients. Bien souvent, c'est acheter très cher un service à Paris qu'on aurait pu trouver localement. Il est préférable de faire faire le moins possible pour des raisons économiques. Mais si l'on doit malgré tout commander un travail à l'extérieur, il est aussi préférable de chercher à le faire en région dans la perspective de partenariats suivis.
Faire une étude, un produit de A à Z, mener un projet de bout en bout, c'est ce à quoi doit tendre une association de coopération, en vue de réduire ses coûts mais aussi d'accumuler un savoir-faire qui pourra être réemployé par la suite. A ce propos, nous hasardons cette hypothèse que la création des agences de coopération sous le statut d'associations loi 1901 était une incitation plus ou moins consciente de la part de l'Etat à doter les régions de structures susceptibles de développer des produits documentaires. Même si, à l'origine des associations de coopération, il n'était question que d'une seule catégorie de produits documentaires : ceux tirés d'une base bibliographique régionale.
Le produit documentaire
Il en résulte que le produit documentaire semble constituer un des plus fructueux aboutissements des missions de coopération entre bibliothèques, que ce soit des publications d'études, de recherches, de colloques, des rapports d'études de faisabilité sur la numérisation des documents, des cahiers des charges pour l'informatisation d'une bibliothèque ou d'un réseau de bibliothèque, des revues spécialisées, des microfilms, des vidéodisques, des CD-ROM,...
Les nouvelles technologies de la documentation offrent un éventail considérable de possibilités à la portée d'une agence de coopération, parce que leur mise en œuvre n'est pas dans tous les cas extrêmement sophistiquée. Reste qu'il faut savoir intelligemment en tirer profit. CD-ROM, DON (disque optique numérique), vidéodisques,... Loin du discours sur le bon média, il ne nous appartient pas seulement de mener un travail d'information sur les exploitations possibles de ces nouvelles technologies mais encore de mettre en œuvre des expériences concrètes sur le terrain.
Il est maintenant avéré que les bibliothèques publiques, municipales, départementales et universitaires peuvent prendre une part active à la production et à l'exploitation d'outils documentaires relevant des nouvelles technologies de la documentation et de l'archivage. Les agences de coopération qui ont à faire essentiellement dans le domaine de la diffusion culturelle des bibliothèques de lecture publique sont bien placées pour expérimenter avec leurs partenaires des produits documentaires destinés à un large public.
Ce terrain d'expérimentation doit permettre également aux bibliothèques de se préparer à l'Europe de l'audiovisuel et de l'informatique de 2010, où les produits de communication et les réseaux vont transformer les conditions d'accès à la culture.
Le patrimoine local
Le terrain des agences de coopération a ceci de particulier qu'il associe étroitement une dimension géographique et culturelle à un cadre administratif, la région. Les identités culturelles régionales sont parfois malmenées par le cadre administratif et elles ne s'y insèrent pas toujours très bien. Mais, quoi qu'il en soit, à travers les bibliothèques et les autres institutions patrimoniales du réseau culturel (les archives, les musées, les cercles d'histoire locale, la mission d'ethnographie régionale...), l'agence de coopération se trouve au cœur de ce problème d'identité culturelle. Si sa mission première est de contribuer au développement du réseau régional des bibliothèques, elle ne peut la mener à bien qu'en partant de ce qui en constitue le socle même, le patrimoine des bibliothèques, la mémoire locale.
Dès lors, l'agence de coopération va se consacrer à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine des bibliothèques, non pas seulement parce qu'il est le patrimoine des bibliothèques, mais parce qu'il constitue un patrimoine local. Deux grandes directions d'action s'offrent alors, la conservation et la diffusion, que dans un assez large consensus les bibliothécaires s'efforcent de rapprocher.
Il existe désormais quantité de projets où l'on réunit, d'un même élan, l'atelier de microfilmage, l'atelier de restauration et, dans des conditions beaucoup plus vagues et imprécises, un centre d'étude et de mise en valeur du patrimoine. Cohérence du projet, logique du projet, nous dit-on. Mais la faisabilité n'est pas toujours évidente. Sans prétendre épuiser le sujet, il semble opportun de réfléchir à des perspectives de coopération patrimoniale relatives à la conservation et à la diffusion.
Une conservation de qualité
Sur le plan de la conservation, et notamment au sujet des ateliers de microfilmage et de restauration, on observe que les projets cherchent toujours - et c'est un de leurs mérites - à prendre en compte la totalité du problème. Néanmoins, c'est aussi un handicap : il est utopique à plus d'un titre de penser que les moyens pourront être mis en œuvre à court terme pour la globalité des besoins. Les financements des collectivités territoriales ne sont pas toujours débloqués pour remplir le carnet de commandes des ateliers. Et l'activité peut très vite être mise en péril. Se pose alors le problème de la rentabilité de ces ateliers qu'il ne faut pas, semble-t-il, considérer seulement du point de vue économique. Qu'entend-on par rentabilité ? Si c'est asseoir l'activité de l'atelier sur une réputation de qualité et que, chemin faisant, cette situation progressivement confirmée attire davantage de clients, il y a effectivement à escompter une certaine rentabilité qui n'ira pas cependant sans un développement de l'atelier et un accroissement de ses charges. Dans ce cas, la rentabilité, c'est d'abord la qualité - même si c'est au détriment de la quantité de documents traités -, et c'est ensuite la rigueur de gestion.
Si, en revanche, on considère le problème sous son seul aspect économique et si l'on ne voit que le caractère exorbitant du prix à payer, on est amené à conclure que le marché est très étroit, qu'il ne peut se développer et qu'il faut le limiter à des opérations de prestige. Cette dernière hypothèse ne porte en elle-même aucune perspective de développement des ateliers.
Dès lors, pour engager les agences de coopération qui gèrent des ateliers dans une dynamique de développement, il faut sans doute faire valoir la qualité des opérations effectuées, en abaisser le coût par une politique de subvention et observer une rigueur de gestion. C'est ce qui tend à être fait actuellement. On en connaît les limites. Mais il ne faut peut-être pas exclure parallèlement une politique de la conservation et de la restauration qui soit plus sélective et qui consisterait à procéder en matière de patrimoine écrit comme en matière de patrimoine archéologique. Décider, après inventaire sommaire d'un fonds permettant d'en mesurer l'intérêt et en s'étant assuré qu'il est accessible par ailleurs, qu'on ne lui fera subir aucun traitement, hormis un traitement d'urgence destiné à assurer la stabilité de sa conservation.
Valoriser le patrimoine
Sur le plan de la mise en valeur du patrimoine des bibliothèques, on est amené à confronter un public d'aujourd'hui à des ressources documentaires très particulières. C'est aussi bien des œuvres du corpus théologico-juridique de l'Ancien régime, dont seuls les spécialistes tireront profit, que des fonds iconographiques, des œuvres d'art, des reproductions d'oeuvres d'art ou encore des illustrations de nos « belles provinces » au siècle dernier (...), accessibles à tous.
Aussi faut-il bien différencier ce qui n'est, tout compte fait, qu'une fonction bibliothéconomique. la mise à disposition des chercheurs d'une documentation spécialisée, et la mise en valeur de collections, qui relève d'initiatives de présentation élargie des fonds et de communication du patrimoine. C'est là précisément que l'agence de coopération a un rôle à jouer puisqu'elle représente l'articulation entre le niveau local et un espace culturel plus large qui peut être régional ou éventuellement interrégional.
Le patrimoine des bibliothèques se suffit-il à lui-même dans sa présentation au public ? Sa diversité le laisse penser, mais la curiosité de l'historien comme celle du visiteur ne sauraient toujours se satisfaire de la présentation des œuvres écrites et imprimées. Pour la compréhension d'un large public, il faut également représenter les relations des oeuvres avec l'architecture, l'archéologie, la géographie,... Il s'agit le plus souvent de reconstituer la trame ou le tissu de l'histoire littéraire, artistique, économique ou sociale,...
Or, que fait-on le plus souvent ? On singularise le patrimoine des bibliothèques à l'extrême, allant parfois jusqu'à le considérer comme un patrimoine à part et en gommant ses liens avec le patrimoine architectural, archéologique et, dans une moindre mesure, archivistique et muséographique.
Il est clair que les différents secteurs du patrimoine sont le produit d'une organisation administrative par type d'établissement : bibliothèques, archives, musées, monuments historiques,... Mais il est aussi évident pour le public que ce patrimoine en morceaux est difficile à identifier et plus encore à interpréter comme héritage. Heureusement les guides touristiques viennent au secours des visiteurs, mais ils s'attachent davantage à indiquer la cohérence d'un itinéraire architectural qu'à donner une idée d'un espace culturel.
Le patrimoine Monuments historiques en est pour l'instant le principal bénéficiaire. S'il est fréquent que l'on s'intéresse au patrimoine des églises romanes des régions, il est peu probable que le même intérêt puisse naître pour les bibliothèques. Dans les bibliothèques, le public se rend avec des motivations si différentes que l'expression « patrimoine des bibliothèques » n'a pas beaucoup de sens pour lui. C'est néanmoins une notion qui est assez significative pour que les professionnels de la conservation souhaitent la faire partager à leur public.
Il est par conséquent nécessaire de procéder à un effort de communication en expliquant, d'une part, ce qu'est le patrimoine des bibliothèques et, d'autre part, quelle est sa place au sein du patrimoine culturel, notamment par rapport aux archives, aux musées et aux monuments historiques.
L'agence de coopération peut jouer un rôle déterminant à cet égard à travers diverses initiatives de publications susceptibles d'intéresser les différents partenaires du réseau culturel : nous retrouvons, du même coup, le besoin de produits documentaires qui soient à la fois des outils pour les bibliothécaires et de nouveaux accès pour le public. Il s'agit de publications diverses.
C'est aussi ce qu'ABCD a entrepris avec son programme de banques d'images régionales : un premier vidéodisque d'archivage diffusé, un second en préparation pour l'automne 1991 et des projets de CD-V (laserdisc) thématiques. Nous ne parlerons pas ici de la première édition de Mémoire d'images en Poitou-Charentes dont nous avons ailleurs largement rendu compte 1. Mais pour l'avenir, ce qui nous préoccupe, c'est autant de réaliser un produit d'archivage utile aux bibliothèques que des sous-produits adaptés d'une part aux besoins des enseignants, du secondaire au supérieur, et d'autre part, dans une certaine mesure, à un plus large public non institutionnel 2.
Informatique et formation continue
On trouvera peut-être curieux que la question de la coopération informatique ne constitue pas un élément important de cette réflexion -la gestion de l'information bibliographique constitue, ne serait-ce que d'un point de vue théorique, un niveau élémentaire de coopération entre les bibliothèques. La raison de cette absence tient évidemment encore à la réalité locale. Celle qui fait que les bibliothèques de la région Poitou-Charentes étaient jusqu'à très récemment très peu informatisées, même si les choses ont depuis considérablement évolué.
On s'en tiendra dès lors à cette simple évidence : un réseau est créé pour réaliser des économies et non pas pour gérer la pénurie. Il faut avant tout disposer de « réservoirs de données bibliographiques avec localisation », comme l'a souligné Serge Salomon, ingénieur conseil chez Silogia, avant qu'on puisse élaborer des projets de catalogues collectifs et mettre en place des passerelles entre les systèmes, ou produire des catalogues collectifs sur CD-ROM éventuellement... Il reste évident, qu'en fonction de l'évolution du paysage régional de l'informatisation des bibliothèques, des projets de ce type pourront ici ou là être réactivés.
Pour ce qui est de la formation continue, c'est la mission qui paraît la plus simple à mettre en oeuvre : elle ne nécessite pas forcément de moyens matériels propres mais un important travail de conception de gestion et d'organisation.
Cette question est pourtant très délicate et complexe à traiter : de l'évaluation des besoins, à l'offre de formation, puis au bilan des opérations menées, un certain nombre de partenaires doivent être associés, comme la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), le CNFPT 3, les centres de ressources-formation régionaux, etc. La formation continue des bibliothécaires est amenée à considérablement évoluer dans le cadre de la nouvelle filière culturelle avec, par surcroît, la formation post-recrutement, mais il est encore trop tôt pour définir le rôle que pourraient avoir à y jouer les partenaires régionaux actuels, Centre de formation aux métiers du livre, Agence de coopération, CNFPT, Université, etc.
Nous pouvons néanmoins indiquer deux types d'orientation pour les agences de coopération.
La première consiste à réemployer les crédits obtenus au titre de la formation pour payer les frais pédagogiques des participants. Ce qui a, alors, pour conséquence immédiate, la réduction de l'offre de formation de l'agence à une ou deux activités par an jusqu'à sa quasi-disparition. Autre conséquence, sauf exception, la délégation régionale du CNFPT, l'organisme qui gère les crédits de formation résultant des cotisations des collectivités locales, ne sera nullement incitée à prendre en charge la totalité des besoins spécifiques des bibliothèques. En l'absence d'un organisme régional spécialisé susceptible d'assurer le suivi de ces besoins, la collectivité régionale ne sera pas davantage portée à les prendre en considération. On le voit bien, cette première orientation est une impasse.
La deuxième consiste à agir en organisme de formation, avec toutes les contraintes que cela comporte en termes d'évaluation, de programmation annuelle, de contrôle par les différents partenaires qui apportent leur concours, et de prise en compte des coûts réels. Ainsi, l'offre peut être maintenue, les besoins correctement et régulièrement évalués et des perspectives de développement pour la formation continue des bibliothécaires peuvent être dégagées au sein de l'agence de coopération.
En conclusion de ce tour d'horizon de la coopération, à la fois trop bref et sans doute incomplet, il faut réaffirmer l'indispensable engagement des collectivités locales et de leurs élus à soutenir ses missions. Mais, à la différence de 1985-1986, où il ne s'agissait encore que d'une demande d'adhésion à une pétition de principe, en ce début 1991, la coopération doit devenir une politique qui mise sur des objectifs précis et concrets - ils ne manquent pas - susceptibles de dégager des perspectives de développement des bibliothèques mesurables dans le temps.
Mars 1991