Bibliothèques universitaires et entreprises

Martine Poulain

Une étude 1, demandée par l'ex-DBMIST 2, et réalisée par une équipe de chercheurs de l'université de technologie de Compiègne, fait le point sur les relations (ou l'absence de relations) entre les bibliothèques universitaires et les entreprises.

Les buts de l'étude étaient les suivants :
- définir une stratégie de communication avec les entreprises : quelles prestations de services par les BU pour les entreprises ? Et inversement, quel mécénat ?
- définir une stratégie de formation des personnels de bibliothèques pour qu'ils prennent des initiatives en ce domaine, sous forme de propositions de prestations pour les entreprises.

Le cas de Compiègne

La bibliothèque de l'université de Compiègne est l'une des rares bibliothèques universitaires à avoir quelque expérience en ce domaine : entre 1985 et 1988, 155 entreprises ou organismes ont été utilisateurs de la BU : 89 % d'entre eux sont des petites et moyennes entreprises, PMI de divers secteurs (mécanique, agroalimentaire, chimie, parachimie).

Les contacts entre la bibliothèque et ces entreprises ont eu lieu à l'occasion soit d'actions de formation effectuées par l'université à destination des professionnels, soit de stages d'étudiants en entreprises.

Les services proposés par la bibliothèque sont les suivants :
- services gratuits : documentation simple, diffusion de sommaires ;
- services payants : interrogation de bases de données (45 % des clients en sont utilisateurs) ; diffusion de documents spécifiques ; recherche manuelle à partir des fonds locaux ; évaluation, conseil sur l'état de la documentation dans l'entreprise.

L'enquête nationale

L'enquête nationale auprès des entreprises sur les attentes à l'égard des BU a nécessité l'envoi de 5 000 questionnaires. 356 entreprises ont répondu et ce panorama a été complété par des entretiens. Ce petit nombre de réponses doit conduire à penser que ce sont les plus motivées, ayant des pratiques documentaires effectives qui ont le plus répondu.

Dans les activités de l'entreprise, l'information joue un rôle :
- très important 57,5 %,
- assez important 31,9 %,
- peu important 9%.

Les types d'information les plus utilisés sont: l'information commerciale et industrielle (78,8 % des entreprises y ont recours), l'information sociale (72,9 %), l'information scientifique et technique (68,4 %), l'information financière et fiscale (59,7 %), l'information concernant la formation (58,8 %), l'information juridique (55,7 %). Viennent ensuite l'information concernant les normes et règlements, celle concernant la conjoncture, ou l'économie générale.

Les informations faisant le plus défaut aux entreprises concernent l'évolution du marché (12,9% d'entre elles rencontrent ces difficultés), la concurrence (9,5 %), les activités de sociétés étrangères (7%), les produits, l'Europe, l'activité régionale sectorielle, l'information scientifique et technique, l'information synthétisée, le Tiers-monde ou la prospective.

L'information dont disposent les entreprises provient de revues professionnelles (dans 90,4 % des cas), des syndicats professionnels (70,7%), des partenaires commerciaux (66,2 %), des manifestations du type foires ou salons (60,9 %), de documents commerciaux, de la publicité commerciale ou industrielle, des répertoires professionnels ou encore de communications interpersonnelles. Les sources les plus importantes sont donc, selon les entreprises, dans l'ordre, les revues, les syndicats, les partenaires.

La qualité et la pertinence des informations ainsi recueillies convient à trois entreprises sur quatre : 75,5 % des entreprises sont satisfaites ; 20,5 % sont insatisfaites, que l'information soit considérée comme parcellaire (pour 14 %) ou inexacte (pour 13,5 %).

Les domaines privilégiés

Dans quels domaines les entreprises ont-elles le plus besoin d'information ?
- surveillance et anticipation 27,5 %,
- nouveaux produits 23,3 %,
- procédés 22,4%,
- stratégie générale de l'entreprise 15,1 %
- réglementation sociale 10,1 %.

Plus de la moitié des entreprises se disent intéressées ou très intéressées par des études de la concurrence, des études de marché, une bonne orientation vers des sources pertinentes, des études prospectives, des fournitures de documents, des interrogations de banques de données, des veilles technologiques, des consultations à distance de documents électroniques, des synthèses documentaires, etc.

L'étude a aussi cherché à estimer le budget annuel consacré à l'information par les entreprises. Celui-ci s'échelonne selon les cas, de 1 000 à 30 000 F :
- plus de 30 000 F dans 32,8 % des cas,
- de 10 à 30 000 F (27,8 %),
- de 1000 à 10 000F (27,5 %).

Ce sont les grandes et moyennes entreprises les plus favorables au développement des relations avec les BU, mais ce sont les petites qui en ont le plus :
- un tiers des entreprises ayant répondu ont un service de documentation ;
- 14% des entreprises utilisent des services documentaires, dont 9.8% une BU (31 mentions) ;
- 45 % se disent intéressées à développer des relations avec les BU.

Si les entreprises n'utilisent pas ces ressources potentielles, c'est généralement soit parce qu'elles sont inconnues, soit parce que les universités sont « trop loin », ou ne correspondent pas à l'attente des entreprises. Rappelons que l'échantillon a sans doute involontairement surestimé les entreprises ayant des services de documentation ou des relations avec les BU.

Préconisations

Les auteurs de l'étude se livrent ensuite à une série de préconisations destinées à qui voudrait développer les relations entre bibliothèques universitaires et entreprises :

1. Rapprocher les BU de leurs universités (puisque les étudiants et les chercheurs sont de bons intermédiaires avec le monde professionnel). Faire participer les personnels des BU à des actions de formation des professionnels de l'entreprise, élaborer des produits spécialisés pour les entreprises, proposer des veilles technologiques, etc.

2. Améliorer la connaissance mutuelle BU/entreprises, par des stages, des échanges, etc. Les BU doivent se faire connaître des Chambres de commerce et d'industrie, des Agences régionales de l'information scientifique et technique, des syndicats professionnels.

3. Mettre en place une stratégie de développement des services proposés :
- analyser l'existant,
- étudier le marché potentiel,
- valoriser les services de la BU,
- proposer des produits adaptés,
- se doter de moyens en conséquence.

4. Approfondir la réflexion sur les missions des BU.

Ailleurs

Les auteurs de l'étude se livrent ensuite à un panorama de l'état de l'art dans d'autres pays « en avance », tels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l'Allemagne.

En général, ces activités sont prises en charge par une petite équipe, au maximum de dix personnes, faisant beaucoup d'interrogations en ligne. Ces bibliothèques participent à de nombreux réseaux spécialisés ou régionaux en tous genres.

Les entreprises les plus utilisatrices de ce type de service sont:
- les grandes et moyennes entreprises du secteur industriel (qui complètent ainsi leur propre service de documentation) ;
- quelques petites entreprises « high tech » ;
- des cabinets conseils.

Les services proposés sont variables :'
- services documentaires : recherches en ligne, fourniture de documents, recherche sur place, service de référence ;
- services bibliothéconomiques : prêts de documents, photocopies, conseil, recherche bibliographique ;
- services à valeur ajoutée : indexation, traduction, formation des utilisateurs, reproduction, synthèse « état de l'art », organisation de conférences et de séminaires.

Mais, même dans ces services « de pointe », on offre encore peu de services de retraitement de l'information, pas de veille technologique, d'études de marché, de prospective.

La facturation des services est générale et le marketing indispensable. Celui-ci consiste en une promotion des services par mailing, téléphone, annonces, etc.

Unique en son genre, cette étude est riche de renseignements et d'enseignements pour qui voudrait tenter l'aventure et développer des bibliothèques universitaires qui, non contentes de contribuer à former les professionnels de demain, seraient aussi plus fortement utiles à ceux d'auiourd'hui.

  1. (retour)↑  Rapport sur les relations entre les bibliothèques d'universités et les entreprises : situations et perspectives, sous la direction de Liliane Vézier, Sylvie Mony, Bernard Stiegler, Alain J.-M. Bernard. Département technologie et sciences de l'homme, université de Compiègne, janvier 1990.
  2. (retour)↑  DBMIST : Direction des bibliothèques, des musées et de l'information scientifique et technique, ministère de l'Education nationale.