« La réponse est oui, mais quelle est la question ? »

Mireille Pénichon

Cette boutade bien connue de Woody Allen pourrait servir d'exergue à la journée d'étude sur les OPACs organisée le 19 décembre dernier par l'Association de l'Ecole nationale supérieure des bibliothécaires.

En effet, si la conception, la réalisation et la gestion d'un catalogue accessible en ligne par le public, si les performances et les modalités d'utilisation des OPACs actuels sont à présent terrain bien connu des bibliothécaires, en revanche, des questions délicates demeurent, qui sont liées à des phénomènes de perception, imparfaitement explorés : perception que le professionnel a de l'usager et, simultanément, perception que peut avoir l'usager, lecteur potentiel, de son « dialogue » avec la machine.

Les OPACs cités

En l'absence de mise en place et de respect d'un minimum de standards, l'offre, sur le marché, est d'une variété que les possibilités de paramétrage, d'une bibliothèque à l'autre, renforcent encore.

Précédant la publication de l'étude réalisée par la société TOSCA à partir de questionnaires, de visites de sites et de rencontres avec les clubs d'utilisateurs, un panorama des OPACs proposés par 23 systèmes intégrés pour bibliothèques présentait globalement caractéristiques et fonctionnalités des modules actuellement disponibles.

A travers les expériences toutes neuves de la Bibliothèque municipale d'Angers (DYNIX), des Bibliothèques de la Ville de Paris (CLSI), à travers l'expérience renouvelée de la Bibliothèque municipale de Lyon (GEAC 9 000)..., il apparaît qu'à la mise en place d'un catalogue automatisé, fonctionnement en réseau et souplesse maximum dans les possibilités de paramétrage sont les impératifs dominants pour les bibliothécaires, quel que soit le système choisi et l'état d'avancement dans l'informatisation de l'établissement.

Il arrive que, pour des raisons de coût, d'inadéquation aux besoins exprimés et d'exigences en compétences et en personnel, le choix d'un OPAC s'efface devant la solution CD-ROM: l'opération originale lancée en janvier 1990 par Sainte-Geneviève, la Sorbonne et Cujas a abouti à la création d'un CD-ROM « coopératif » où se juxtaposent les notices des trois bibliothèques interuniversitaires du Quartier latin.

OLIVE et autres fruits de l'expérience

Malgré les performances proposées, une très petite minorité de systèmes satisfait, côté confort et facilité d'emploi, aux critères de l'OPAC « spécifique grand public ».

Par-delà les heurs et malheurs que suscite pour le bibliothécaire la mise en place d'un OPAC, il est donc grand temps de s'intéresser à ceux que connaît le public utilisateur d'un catalogue : les services que propose le premier, choisis avec soin, ne correspondent pas forcément aux attentes du second. Micheline Hancock-Beaulieu (City University, Londres) souligne le peu d'intérêt manifesté, en dépit des progrès apparents des constructeurs, pour comprendre les attentes des utilisateurs, jusqu'à maintenant peu sollicitées, peu formalisées, le plus souvent méconnues, et auxquelles la littérature professionnelle n'accorde qu'une place infime.

Bénéficiant de son informatisation originelle et de sa double expérience d'un OPAC et d'un CD-ROM, la Bibliothèque publique d'information a pris avant les autres la mesure du problème. Son enquête sur le comportement des usagers, dont les méthodes font intervenir l'observation aussi bien qu'un jeu de questions et d'interviews non directives, éclaire le décalage entre ce qui est prévu et ce qui se pratique : les difficultés de l'utilisateur face au matériel, à la lisibilité des écrans, aux procédés d'interrogation, si tributaires des techniques d'indexation, et surtout l'inadéquation entre la logique du système qui propose une offre fixe et celle du lecteur qui s'attend à pouvoir établir un dialogue, au sens humain du terme, avec la machine, et pour qui un « silence » est une absence.

Les études menées à la City University s'attachent à tester les nouveaux mécanismes de recherche et les attitudes du public, ses démarches et leur formulation.

Le logiciel OLIVE capture et enregistre individuellement le déroulement d'une interrogation, permet d'introduire un questionnaire en ligne et de repasser les sessions d'une recherche, dont le lecteur peut alors expliquer le processus. OKAPI est un prototype de 3e génération, « créature assez apprivoisée et même quelque peu intelligente » qui crée un système transparent au néophyte, c'est une interface qui permet un vrai dialogue.

Il n'apparaît pas de différence notable entre les attitudes du public universitaire et celles du grand public. Une démarche fréquemment observée consiste en une amorce de recherche dans le catalogue, qui aboutit à la fourniture d'une ou deux références et qui se poursuit dans la moitié des cas directement sur les rayons ; la formulation de la recherche est d'habitude assez générale, les sessions brèves ; peu de gens font la distinction entre mot-clé et mot-matière, très peu interrogent en liant les divers points d'accès, le plus souvent par méconnaissance de cette possibilité...

Ce qui ressort de la manière la plus évidente, à la BPI comme à la City University, c'est qu'au bout du compte, c'est à l'utilisateur de s'adapter au système.

Pour éviter Charybde...

Le challenge pour les chercheurs et les professionnels de l'information serait alors d'avoir suffisamment d'influence sur les concepteurs et les constructeurs pour qu'enfin l'offre corresponde à l'attente, et non l'inverse.

Dans ce sens, la BPI prévoit la mise en service prochaine d'une nouvelle version de LISE qui améliore le système, tandis que son service informatique met à l'étude un prototype utilisant les liens hypertextes pour la navigation entre les notices.

La Bibliothèque Royale, à Bruxelles, développe son propre système d'OPAC, conçu pour qu'un usager occasionnel l'utilise sans formation préalable. L'indispensable critère de convivialité a donc conduit à y introduire cette technique de la navigation, moyen très souple de feuilletage du catalogue, qui permet la recherche non linéaire dans la base de données où les enregistrements-vedettes sont liés par des relations installées: il est ainsi possible de savoir quels livres un même auteur a écrit ou un même éditeur fait paraître, dans telle ou telle collection...

D'autres solutions, qui relèvent de l'intelligence artificielle et de la linguistique automatique, ouvrent d'audacieuses perspectives où l'OPAC, en tant que « système spécifique d'accès à des ressources via des moyens », satisferait à des fonctions d'affinement (le passage d'une logique informatique à une logique d'usage), d'élargissement du sujet ou de glissement. L'utilisation en particulier du langage dit « naturel » serait une aide précieuse pour faciliter l'accès à l'information contenue dans un catalogue : cela permettrait l'identification et l'interprétation, au cours d'une interrogation, des mots et des rapports qu'ils entretiennent entre eux, ce qui suppose une énorme base de connaissances et d'informations et un système sachant tester les connaissances linguistiques, lexicales, les liens entre notices, entre vedettes...

...et ne pas tomber dans Scylla

Un autre écueil majeur demeure, en amont de l'OPAC : du professionnel prestataire de l'information à l'utilisateur se maintient une distance difficile à réduire et particulièrement sensible dans l'emploi des techniques de classement et d'indexation, qui s'opèrent sans prise en compte du contexte où ils seront utilisés.

L'indexation, loin d'atteindre son but, c'est-à-dire de faciliter l'accès à l'information, y fait plutôt obstacle par la complexité de son langage, si différent du langage de l'utilisateur que les OPACs sont faits, dit-on, par des bibliothécaires pour des bibliothécaires : miroir, petit miroir...

On s'accorde de ce fait à penser qu'un bon système d'indexation est un élément stratégique pour la réussite d'un OPAC, ce qui peut se résumer en une formule proposée par Pierre Le Loarer (Société GSI-ERLI) : « Pour interroger naturellement, il faut avoir indexé correctement ».

D'où l'intérêt des travaux actuels qui, tout autant que de l'aide à l'interrogation, se préoccupent de l'aide à l'indexation, en étudiant par exemple les possibilités de proposition automatique d'une indexation RAMEAU à partir du titre des documents.

Une fois encore, les bibliothécaires ont à s'interroger sur leur position centrale dans la chaîne qui va du document à son lecteur.

Enquête à l'appui, 25 % des usagers des OPACs ne réussissent pas à y trouver ce qu'ils veulent, 50 % connaissent une réussite partielle et 25 % y trouvent ce qu'ils souhaitent et plus ; il n'y a donc pas de différence sensible avec les performances des systèmes manuels... et la conclusion de la journée pouvait prendre des allures quelque peu iconoclastes puisque, un catalogue en ligne n'étant à priori ni plus ni mieux consulté qu'un fichier papier, on pouvait s'interroger sur l'opportunité d'installer celui-là plutôt que celui-ci !

Au-delà de la provocation, il faut voir dans cette réflexion le souci de ne pas dissocier de la pratique quotidienne des attentes peut-être irréalistes, et des solutions parfois trop coûteuses pour être raisonnables : la réponse est oui, mais pas à n'importe quel prix !