La bCD, une nécessité

Odile Britan

La mise en place de BCD dans les écoles maternelles et primaires s'inscrit dans le cadre d'une réflexion plus globale sur l'apprentissage de la lecture et de la pédagogie différenciée. L'expérience prouve que c'est un projet d'équipe, qui mûrit lentement et fait évoluer les pratiques pédagogiques des enseignants. Par rapport aux autres lieux de lecture que l'enfant est amené à fréquenter, la BCD est une structure originale qui fait partie de son quotidien, où il a un rôle actif à mener tant sur le plan de l'animation que sur celui de la gestion. Cette formation à l'appréhension d'un espace documentaire au moment même de l'apprentissage de la lecture contribue à développer même chez les plus petits des comportements de lecteurs et de chercheurs autonomes.

The introduction of the libraries-documentation centres in the schools lies within the scope of a more general thinking about the initiation to the reading. The facts prove it is a plan of a team which mature slowly and develop new educational practices. In comparison with other reading places, the BCD is an original structure of the children daily life where they may be active. Frequenting a documentation space as they learn reading develop, even for the youngest, some behaviours of independant readers and searchers.

De nombreuses écoles maternelles et primaires sont prises par la « mode » BCD. Mais qu'est-ce, au juste, que ces bibliothèques-centres de documentation ?... Une mode passagère ? Une nécessité pédagogique ? Depuis quinze ans qu'elles font l'objet d'études et d'expérimentations, peut-on encore parler d'innovation ? Quelles sont donc ces écoles qui ont fait le choix BCD, et quelles sont ces BCD ?

De la classe à la BCD

Pour représenter la BCD on ne peut pas se référer à un modèle. Aucune expérience n'est transposable d'une école à une autre. Tout dépend du secteur géographique, de la population scolaire et surtout de l'équipe éducative. On ne peut pas non plus identifier la BCD à une personne, comme c'est le cas dans le secondaire où chaque CDI (centre de documentation et d'information) ou presque a un documentaliste. En effet, aucun personnel supplémentaire n'a été nommé lors de la création de la BCD, ce qui pose bien sûr de réels problèmes de fonctionnement et d'organisation pour l'accueil des élèves et l'utilisation des ressources.

Malgré tout, des solutions sont trouvées ponctuellement, grâce à l'aide de parents d'élèves ou parce que les enseignants de l'école ont choisi de se répartir autrement les élèves dans les classes, libérant ainsi un collègue qui assurera tout ou partie de son service en BCD. Cette situation pose problème mais amène les enseignants à organiser différemment la vie de l'école, à travailler davantage en équipe et à penser la BCD en terme de projet dans une politique locale de la lecture.

Avant qu'on ne parle officiellement de BCD 1, la plupart des écoles fonctionnaient déjà avec des bibliothèques de classe. Chaque maître commandait pour sa classe le matériel pédagogique nécessaire - documents audiovisuels, jeux, fichiers de lecture, etc. - et des livres, surtout des livres de fiction. Cette façon de procéder entraînait la dispersion des ressources, l'achat en double ou en triple exemplaire d'un même document, la méconnaissance totale de l'ensemble du fonds et donc sa sous-utilisation. Le système fonctionnait malgré tout, chacun sachant ce dont il disposait dans sa classe.

Regrouper les ressources n'est donc pas chose facile. On ne renonce pas du jour au lendemain à un type de fonctionnement traditionnel où l'enfant, même s'il a accès à d'autres documents que le manuel scolaire, reste dans sa classe sous la tutelle du maître. La prise de décision du passage de la bibliothèque de classe à la BCD est donc une étape révélatrice des résistances et des aspirations de l'équipe enseignante, ce qui permet d'évaluer le degré de maturation du projet, de réfléchir sur les objectifs de la BCD et de mieux cerner sa spécificité. Les difficultés rencontrées ne sont pas seulement d'ordre matériel. Bien sûr, il faut aménager une salle, équiper les livres. Pour cela l'aide de partenaires extérieurs est précieuse: personnels municipaux, parents d'élèves. Quant au fonds, il s'avère souvent plus riche que prévu ; la rédaction d'un PAE (projet d'action éducative) ou la demande d'un FAI (fonds d'aide à l'innovation) permettra de l'actualiser. En fait, les vrais problèmes sont d'ordre pédagogique, car une école qui se dote d'une BCD n'est pas une école avec quelque chose en plus mais une autre école, où l'on va apprendre autrement, vivre autrement. La BCD amène à repenser les pratiques pédagogiques, à redéfinir le rôle du maître et le statut de l'enfant dans l'école et dans l'acte même d'apprendre.

De nouvelles pratiques pédagogiques

Aucune évaluation de caractère scientifique n'a été menée jusqu'à présent sur les activités en BCD, leur impact auprès des élèves et des enseignants. Ce que l'on sait cependant c'est que, partout où ce type d'offre nouvelle de lecture a eu lieu dans l'école, il a contribué à éveiller la curiosité de l'élève et à diversifier ses lectures.

Créer des BCD dans les écoles maternelles primaires, c'est permettre le contact quotidien avec des supports d'information variés, actualisés, attrayants, conformes aux centres d'intérêt des enfants, et cela, au moment même de l'apprentissage de la lecture. C'est une expérience capitale qui permet de développer chez l'enfant des capacités de lecteur-chercheur réinvestissables dans tout autre lieu de lecture : à la bibliothèque municipale, au CDI du collège, lors du passage en sixième.

Dans la majorité des cas où il n'y a pas de personnel affecté spécifiquement à la BCD, la vie de la bibliothèque dépend essentiellement des activités de la classe. C'est lorsque le besoin est créé dans une séquence de classe que l'on a recours à la BCD. Ce besoin est de plusieurs types: rechercher une information dans une encyclopédie, un atlas, comparer des définitions dans plusieurs dictionnaires, utiliser des documentaires ou des périodiques pour répondre à une question d'histoire, par exemple, mais aussi se donner du temps pour choisir un livre, pour terminer une lecture, etc, etc. Cela suppose une réorganisation du travail scolaire, et pour le maître une autre préparation des séquences pédagogiques afin de développer plus qu'on ne l'avait fait jusqu'alors la participation de l'enfant à la construction de son savoir et d'aller vers un enseignement plus individualisé. Les méthodes actives de la pédagogie ou du travail autonome sont tout à fait adaptées aux activités en BCD.

On est donc dans une situation très particulière où l'absence de personnel permanent sur lequel reposerait l'ensemble de la gestion et de l'animation a conduit à se poser les questions essentielles sur les BCD. Celles-ci ne sont pas de pâles reflets de bibliothèques municipales ; elles n'en auront jamais ni les moyens ni les finalités. C'est pourtant l'écueil dans lequel sont tombées certaines écoles qui, après l'installation du local, n'avaient envisagé comme activités que le prêt de livres et quelques animations conçues par les adultes et faites par eux. Après l'enthousiasme du début, l'essouflement fut général et peu à peu les enseignants et les enfants se détournèrent de la BCD. Il est important que ces activités aient lieu, que les élèves puissent emporter s'ils le souhaitent des livres chez eux, qu'il y ait des animations du type « heure du conte », mais que celles-ci soient préparées avec les enfants et, pourquoi pas, assurées par eux à l'intention d'autres enfants plus jeunes, par exemple. Mais la vie de la BCD ne doit pas se limiter à cela. Sa fonction première est d'être un lieu de formation à part entière, complémentaire mais non concurrent de la classe.

Un apprentissage actif

On sait combien il est important aujourd'hui de savoir actualiser ses connaissances. Aussi la BCD est-elle là, au moment des apprentissages, pour permettre à l'enfant de développer des capacités de lecteur et de chercheur autonome. Apprendre à varier ses lectures en fonction de son projet personnel : lire pour se détendre, lire pour s'informer, lire un texte en entier, lire en survol, prendre conscience qu'il n'y a pas qu'un seul type de lecture, un seul type d'écrit, que l'information est véhiculée par des supports variés. C'est rendre l'enfant plus actif dans ses démarches de lecture ; c'est le préparer à s'adapter à l'offre, à varier ses stratégies. C'est motiver l'enfant dans sa découverte du sens d'un message écrit, visuel, sonore en lui donnant les moyens et les occasions de réinvestir immédiatement ses acquis, en lui donnant confiance en lui-même.

Les capacités que l'enfant est amené à développer en BCD ne sont pas seulement d'ordre cognitif, elles concernent également des savoir-être tout aussi importants. La BCD est un lieu central où les enfants de classes et d'âges différents se rencontrent, ont des activités communes, ce qui les amène à développer des capacités de travail de groupe. La BCD est un lieu de socialisation où l'on apprend à écouter l'autre, à le respecter, à lui apporter son aide. C'est un lieu d'apprentissage de la vie sociale. L'enfant participe à la gestion, au prêt, au rangement des livres, à l'élaboration des commandes, les comités de gestion des BCD et les comités de lecture sont les moteurs de la BCD.

Le fait d'avoir un rôle actif dans la bibliothèque en participant à l'aménagement, à la gestion et à l'animation amène l'enfant à être tout à fait à l'aise dans l'espace documentaire. Il y a ses repères, qui évoluent, qui se complexifient au fil des ans. En école maternelle les enfants de grande section participent au classement des livres : ils les classent par thèmes, attribuent à chaque thème une couleur, etc. et élaborent avec les enseignants la signalétique. Sans être un lecteur confirmé on peut aimer les livres et comprendre l'utilité d'avoir une bibliothèque bien rangée ; les enfants s'avèrent même très pointilleux sur ce sujet.

En primaire, la participation des enfants peut aller beaucoup plus loin. Pourquoi ne pas élaborer avec eux, à partir des documents qu'ils ont déjà utilisés, les fichiers de recherche: fichier titres pour les ouvrages de fiction, fichier matières pour l'ensemble des ressources de la BCD. Certaines écoles travaillent déjà dans ce sens, en utilisant une liste de mots-clés normalisée 2. Ce travail se fait en classe et devient une activité nouvelle de lecture et d'écriture où l'on apprend à analyser un document et à le représenter sous une forme synthétique : la fiche, les mots-clés.

Les enseignants qui ont fait le choix BCD ont pris conscience qu'il fallait repenser l'apprentissage de la lecture, réfléchir à d'autres stratégies de formation pour aller vers une pédagogie plus différenciée, que cette démarche ne pouvait pas être celle d'une personne isolée mais le choix d'une école : BCD et projet d'établissement vont souvent de pair. C'est une évolution lente des habitudes de travail et de vie dans l'école. La BCD est une expérience originale, très formatrice. En diversifiant les supports et les lectures, on crée un environnement motivant, non contraignant, où l'enfant prend ses repères, s'expérimente, s'exprime. La découverte simultanée de la lecture et de l'espace de lecture est un atout majeur : l'enfant qui arrive en sixième connaît déjà le classement des livres, les différents supports d'information, sait utiliser une table des matières, un index, un fichier de recherche. Cet apprentissage se continuera, se confirmera tout au long de sa scolarité, mais aussi de sa vie d'adulte.

Mars 1991

Illustration
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