Prévenir ou guérir ?
Actes du Colloque sur la conservation des collections, Montréal, 16-17 novembre 1989
« Nous, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». C'est sur cette citation de Paul Valéry que s'ouvre cet important ouvrage qui fait le point sur la conservation au Québec, et notamment sur les problèmes de détérioration des collections. Ce colloque, organisé les 16 et 17 novembre 1989, s'inscrit dans le plan d'action d'un groupe de travail créé en 1986 par les bibliothèques universitaires (BU) du Québec.
J.C. Robert, professeur d'Histoire à l'Université de Montréal, dans « la détérioration des collections vue de l'autre côté du comptoir » présente le point de vue du chercheur, conscient de sa responsabilité dans le processus de dégradation des documents. Il rappelle, en citant Umberto Eco, les problèmes d'accès aux livres, mais il est conscient de l'augmentation de la demande.
Il se positionne comme « utilisateur critique » des nouveaux supports (microfiches, microfilms, CD-ROM,...), dont il souligne à juste titre qu'ils n'ont pas été étudiés à des fins de recherche scientifique, et pose le problème de la pénurie d'appareils. Vu l'augmentation du temps nécessaire à l'accès aux documents, il prévoit à terme une réorientation de la recherche vers de nouveaux types de sources. Il souhaite en conclusion que les usagers soient davantage associés à ces problèmes et à leur solution.
Le président-directeur général de Bibliothèque nationale du Québec (BNQ), Philippe Sauvageau, donne les grandes lignes d'une politique de conservation et précise le rôle que peuvent y jouer les bibliothécaires. Il propose une négociation entre bibliothécaires et éditeurs, notamment au niveau des droits attachés aux transferts de supports. Il insiste sur la question de la formation des personnels de bibliothèque, et sur la nécessaire complémentarité entre les bibliothèques du Québec, la BNQ ne pouvant tout assumer à elle seule.
Marianne Scott, directeur général du même établissement, pose les trois questions fondamentales : que doit-on conserver, comment assurer cette conservation, comment en défrayer les coûts ? Elle rappelle opportunément que les autres supports vieillissent aussi. L'un des intérêts de sa communication est de se replacer dans une perspective historique, en rappelant que le XIXe siècle a déjà été confronté à ce type de problématique. Enfin elle développe le nouveau programme de conservation de la bibliothèque, qui désacidifie environ 30000 documents par an depuis 1981 avec le procédé Wei T'o, le plus ancien en service.
Hans Môller, bibliothécaire à l'Université McGill, situe les BU dans le processus de la conservation : entre le quart et le tiers des ouvrages sont actuellement incommunicables. Par contre, depuis 1977, l'Institut canadien de microreproduction historique (ICMH), a microfilmé 70000 titres canadiens parus avant 1900 et s'attaque maintenant à la presse et aux titres parus depuis 1900. Plusieurs universités ont lancé des enquêtes, des recommandations, préparé des plans d'urgence. Dans la région de Toronto, une étude de faisabilité aboutit à des conclusions assez nouvelles : le rapport préconise notamment de faire appel au secteur privé, pour bénéficier du traitement le moins cher et le plus perfectionné, plutôt que de financer un centre qui risque de se démoder très rapidement. Par ailleurs, le grand public commence à être sensibilisé : ainsi Radio-Canada a diffusé la fameuse cassette américaine « Slow fires ».
Roland Blair, directeur adjoint à la BNQ, fait le point sur les mesures préventives et rappelle les conditions d'environnement nécessaires aux collections. Le paragraphe le plus intéressant, intitulé Mesures pro-actives, va de la pression sur les éditeurs aux précautions à prendre pour la manutention, en passant par la désacidification de masse, le renforcement ou le microfilmage. Un manuel sur les précautions à prendre pour la manipulation des documents est en cours de publication.
Les deux communications suivantes, sur le plan d'urgence en cas de sinistre et la sauvegarde, sont pratiquement réduites à leur bibliographie, qui présente tout de même l'avantage d'être en français. Dans la conclusion, Marcel Lajeunesse, directeur de l'Ecole de bibliothéconomie du Québec, rappelle la part nécessaire qu'il faut rendre à la conservation, à côté de la diffusion, dans la formation professionnelle. Les pièces annexes, fort riches, comprennent notamment le plan d'action de la Bibliothèque de Sherbrooke, dont d'autres établissements pourraient utilement s'inspirer.
L'intérêt majeur de cet ouvrage est de proposer une mise au point actualisée et en français, ce qui est encore trop rare, sur un sujet qui préoccupe de plus en plus, et à juste titre, l'ensemble de notre profession.