Librairie en mutation ou en péril ? Rapport présenté à M. Jack Lang.

par Philippe Hoch

Jean-Pierre Colin

Norbert Vannereau

Paris : Publisud, 1990. - 200 p. : tabl. ; 23 cm.
ISBN 2-86600-351-9 : 69 F.

Des voix diverses, autorisées les unes et les autres, ont ces temps derniers manifesté la vive inquiétude que pouvait inspirer la situation de la librairie en France. Ainsi, pour ne citer que deux exemples, Baptiste-Marrey, dans un petit ouvrage éloquemment intitulé Eloge de la librairie avant qu'elle ne meure et, sur un registre certes différent, Patrice Cahart, auteur d'un rapport officiel relatif à l'avenir incertain du livre français, attiraient de façon opportune l'attention sur les nombreuses difficultés de ce secteur d'activité, irremplaçable mais menacé.

Diagnostic et thérapeutiques

La librairie apparaît bien comme un malade, auquel il importe d'administrer d'urgence d'énergiques remèdes. Un diagnostic et des indications thérapeutiques ont été demandés par le ministre de la Culture à Jean-Pierre Colin et Norbert Vannereau qui, sur le mode interrogatif (Librairies en mutation ou en péril ?) rendent public le rapport remis à son commanditaire.

Le premier obstacle rencontré par les rapporteurs réside dans l'extrême diversité des établissements réunis sous le vocable de « librairie » et, par voie de conséquence, dans l'attribution hasardeuse d'un label de qualité ou d'authenticité à certains d'entre eux plutôt qu'à d'autres. Qui sont aujourd'hui les « vrais » libraires ? Combien sont-ils ? Moins de mille, sans doute, sur quelque vingt-huit mille points de vente proposant des livres, si du moins on adopte les critères traditionnels à l'aide desquels, durant des décennies, on put juger de ce que devait être une « bonne » librairie, animée, comme il se devait, par un personnage « intellectuel plutôt que commerçant, culturel plus que gestionnaire ».

Les libraires d'autrefois, qu'évoquent J.-P. Colin et N. Vannereau lorsqu'ils s'efforcent, dans un chapitre préliminaire, de passer « d'un mythe à la réalité », ces commerçants singuliers, donc, comment les dépeindre sinon en soulignant leur « passion », l'« amour profond pour le livre-objet » qui les guidait ? Pour ces érudits, en somme, la lecture était « un ferment ».

Mais, « l'image d'un José Corti dévorant des ouvrages au fond de sa boutique, près du poêle » semble bel et bien condamnée à s'effacer des esprits, remplacée par des représentations fort différentes, tant il est vrai que des changements profonds sont intervenus, qui ont affecté le monde de la librairie sur des points fondamentaux.

Il y eut ainsi les conséquences des bouleversements qu'a connus, en amont, l'édition, laquelle « aujourd'hui doit être rentable, bénéficiaire et compétitive ». Une incompréhension croissante entre les deux secteurs - l'édition et la librairie - aggravée par la désunion des libraires au plan des organisations professionnelles et syndicales.

La logique d'un commerce

La réalité contemporaine est celle de « la logique d'un commerce» (chapitre 1), qui se manifeste sous différents aspects : la remise accordée par l'éditeur au libraire, rétribution dont les auteurs estiment qu'il est « urgent d'engager le processus de réévaluation»; l'office, qu'il conviendrait, lui aussi, de modifier, non dans son principe, car il reste fort utile, mais de manière à en éliminer les abus, « qu'il faut déplorer ».

Jean-Pierre Colin et Norbert Vannereau mettent aussi l'accent sur le caractère vital pour les libraires d'une gestion du stock plus rigoureuse et proposent la constitution, à l'échelle locale, de stocks communs à plusieurs maisons. Il importerait enfin, selon les rapporteurs, de moderniser le système de commande et de rationaliser le circuit de distribution.

A la « logique d'un commerce » fait face et peut être opposée, d'une certaine façon, « la logique d'une politique publique » (chapitre 2). De cette dernière, la loi sur le prix du livre de 1981 apparaît évidemment comme un élément central, d'autant plus qu'elle «est aujourd'hui unanimement acceptée ».

Jean-Pierre Colin et Norbert Vannereau examinent aussi le problème épineux et d'actualité des commandes de documents effectuées par des organismes publics, ou encore l'aide financière pouvant être apportée à certains libraires selon différentes modalités. Les auteurs plaident, en outre, en faveur de «l'institution d'un code des usages commerciaux », qui contraindrait tous les points de vente, y compris les grandes surfaces, à garantir le minimum de prestations que chaque client est en droit d'exiger.

Pour finir, sont analysés de manière critique les différents types d'action en faveur du livre, que ces initiatives émanent, par exemple, de la Direction du livre et de la lecture (DLL) ou de milieux tels que celui, particulièrement faible en France, de la critique littéraire.

Mutation ou péril ?

Dernier volet du triptyque, « la logique d'une profession », dominée, elle aussi, par le problème de la formation. « Il n'y aura pas de vrai libraire au XXIe siècle sans un considérable effort» dans ce domaine. L'autre grand défi est celui de la transmission des entreprises qui, trop souvent, se déroule dans des conditions tout à fait insatisfaisantes.

Le pari sera-t-il aisément gagné ? Jean-Pierre Colin et Norbert Vannereau en doutent fort et ne cachent pas, dans les dernières pages de leur ouvrage, qu'ils sont habités par « un grand pessimisme ». A l'heure de conclure, « force est de reconnaître que la logique du marché, si elle peut aller de pair avec le maintien, dans certaines conditions, d'un modeste commerce de proximité, condamne probablement à terme la vraie librairie ». Mutation ou péril ? Peut-être l'application des mesures proposées dans le rapport laisserait-elle au premier terme de l'alternative sa chance.