La médiathèque d'Arles

Vingt mois après

Jean-Loup Lerebours

La Médiathèque d'Arles est née d'un cadre favorable et d'objectifs ambitieux. Elle a atteint des résultats impressionnants de fréquentation et de prêt en très peu de temps. Ceux-ci s'expliquent, selon l'avis de l'auteur, par une série de facteurs positifs mis en place simultanément: bâtiment, relation au public, modernité de l'offre, qualité du personnel, secteur animation-communication spécifique, gratuité. La pratique quotidienne a révélé ou confirmé une série de défauts ou de manques : aménagement de l'espace, bruit, horaires, rythme de l'informatisation, organisation du travail. Les perspectives, pragmatiques, consistent à réduire les manques, à garantir un fonctionnement équilibré du service. Elles sont concrètes.

The Multimedia library of Arles was created in a very good context with ambitious objectives. Very quickly, frequenting and loan have got wonderful results. In the author's opinion, this is due to a whole series of constructive factors put in at the same time : building, relation with the public, modern offer, skilled staff, specific field reserved for cultural activities and communication, free service. The daily practice revealed or confirmed many failings and shortages : fitting out of the space, noise, hours of service, rate of the computerization, work management. The viewpoints are concrete and pragmatic : they consist of reducing the shortages and guaranteing a regular working of the service.

La médiathèque d'Arles a été ouverte au public et inaugurée fin février 1989. La bibliothèque municipale qui l'a précédée était située dans l'ancien archevêché. Elle avait rendu bien des services mais était dépassée : bâtiments exigus, non fonctionnels ; peu d'ouvrages en accès libre, la plus grande part en réserve ; très peu de périodiques et de places assises ; gestion manuelle, etc. Une nouvelle équipe municipale RPR-UDF avait été élue en 1983. Première conjoncture favorable, le maire est dermatologue, chef de service au nouvel hôpital d'Arles *. Il voit tout l'intérêt qu'il y a pour l'établissement hospitalier, comme pour Arles, à ce que la ville rachète à l'hôpital l'ancien Hôtel Dieu. Ce dernier, bâtiment du XVIe et XVIIe siècle, situé en plein centre-ville est presque complètement désaffecté. Van Gogh y fut soigné en 1888. La décision est prise. Ce lieu deviendra l'Espace Van Gogh : il abritera une salle d'exposition répondant aux exigences des dernières normes, condition pour pouvoir organiser l'exposition du centenaire de la venue de Van Gogh à Arles.

On y installera « les ateliers de l'avenir »: la médiathèque, le collège international des traducteurs littéraires, le centre universitaire, les archives municipales. Le maire est convaincu qu'une renaissance de la ville à tous les points de vue, économique, social, urbanistique, culturel passe par une priorité à accorder au livre, à la lecture. La médiathèque devient le grand projet structurant de son premier mandat.

Des objectifs ambitieux

Les objectifs sont divers, difficiles à atteindre simultanément. Ils constituent un véritable défi, très motivant, pour l'équipe de professionnels chargée de mettre en place la structure et son fontionnement.

Il s'agit de concerner, de servir tous les publics: les enfants comme leurs parents, les personnes en formation initiale comme celles en formation continue, les chercheurs et ceux qui sont simplement en quête de loisirs, etc.

La médiathèque ne doit pas oublier l'attachement des Arlésiens à leur histoire, à leur passé prestigieux, elle doit être un lieu de mémoire, d'identité.

La population d'Arles est très diverse, urbaine et rurale, dispersée sur un très vaste territoire (75 000 ha). La médiathèque doit être un lieu de rencontre, un but de promenade.

La ville d'Arles a certes un passé, des traditions, un patrimoine prestigieux mais cela pourrait l'incliner à se recroqueviller. Elle doit au contraire avoir le souci vital de s'ouvrir sur l'extérieur et l'avenir. La médiathèque doit y contribuer, le manifester d'une manière éclatante, permanente.

Un succès public

Les résultats sont très importants, intéressants, réconfortants, pour certains surprenants.

Le service de lecture publique de la ville d'Arles, nouvelle manière, compte, au bout de 20 mois de fonctionnement, plus de 17 000 inscrits, soit le tiers de la population. C'est déjà plus du double de la moyenne nationale et pourtant le rythme des inscriptions continue d'être très soutenu. Nous n'avons pas le sentiment d'avoir atteint le sommet de la courbe. C'est d'autant plus remarquable, qu'avec l'effectif dont elle dispose aujourd'hui, la médiathèque ne peut être ouverte au public que vingt-trois heures trente par semaine. Tous les types de public, tous les âges, tous les niveaux culturels, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentés. Est-ce que des personnes à faible, voire très faible niveau social ou intellectuel, franchissent régulièrement la porte de la médiathèque d'Arles ? Le nombre des inscrits, celui des entrées (300 000 en 1989), mais surtout le regard porté sur le public et les cahiers de suggestions l'attestent. Dans quelle proportion ? Est-elle plus importante que dans d'autres établissements ? Seule une étude fine et comparative permettrait de répondre à ces dernières questions. Nous notons par ailleurs un très large et profond respect des utilisateurs, en dépit de leur nombre et de leur hétérogénéité socioprofesionnelle, pour les locaux, les matériels, le personnel de la médiathèque. Nous n'échappons pas cependant comme tous les collègues, à un certain pourcentage de vols et de découpages de documents.

Les prêts

L'ancienne bibliothèque ne prêtait que des livres. L'usager de la médiathèque emprunte des livres, mais aussi des revues, des livres-cassettes, des disques laser, des audiocassettes, des vidéocassettes VHS, des oeuvres d'art (gravures, estampes, photos, sculptures...). Entre le 1er janvier et la fin septembre 1990, le service de lecture publique de la ville d'Arles a prêté à domicile 205 118 documents, dont 141 177 livres, 7 150 périodiques, 25 970 disques laser, 7 707 audiocassettes, 481 livres cassettes, 18340 vidéocassettes et 278 oeuvres de l'artothèque.

L'imprimé représente actuellement 75 % des prêts et l'audiovisuel 25 %, mais la part relative de ce dernier ne peut que croître dans le futur, et ce pour deux raisons principales. La première est que, les fonds audio et vidéo étant en cours de constitution et, dans le souci de maintenir un choix, l'usager ne peut emprunter à la fois qu'un document de chacune de ces deux catégories alors qu'il a droit à quatre livres et deux revues. La deuxième raison est qu'il faut en général beaucoup plus de temps pour lire un livre ou une revue que pour écouter un document sonore ou visionner une cassette vidéo.

Ne sont pas comptabilisées ici les consultations sur place, quel que soit le support. Là encore, il faudrait une étude spécifique fine pour mesurer la répartition des usagers selon les supports qu'ils utilisent, pour vérifier dans quelle mesure l'incitation à découvrir, à utiliser tous les supports fonctionne.

Les raisons d'un succès

Les origines de ce succès sont nombreuses et bien malin celle ou celui qui pourrait dire laquelle est la plus déterminante.

Le bâtiment et sa situation présentent certes des caractéristiques favorables, positives. L'espace Van Gogh est situé en plein centre-ville, à proximité de la gare centrale du réseau de transport urbain. Ancien hôpital, il est connu de très nombreux Arlésiens qui, pour la plupart, ont sans doute voulu voir ce qu'il était devenu. Les architectes, Denis Froidevaux et Jean-Louis Tetrel, ont réalisé un bâtiment qui allie harmonieusement et en même temps spectaculairement l'ancien et le contemporain. La plupart des visiteurs, des utilisateurs expriment leur admiration, leur satisfaction. Dès qu'on entre dans la médiathèque, l'oeil est attiré sur l'ensemble des services. On est invité à les découvrir.

L'estime manifestée au public

Tout est pensé pour lui assurer le maximum de confort, d'autonomie. Dès l'entrée, un poste d'accueil général est mis à sa disposition pour lui donner les premières informations nécessaires, recueillir son éventuelle inscription, lui remettre le guide de l'utilisateur, lui présenter le service lors de sa première venue ou l'informer des manifestations culturelles qui peuvent l'intéresser. La plupart des documents sont en accès libre. Quand l'usager arrive à la médiathèque, c'est à priori le moment où il dispose d'un peu de temps. Il rend ses documents là où il les a empruntés et ses interlocuteurs sont les bibliothécaires responsables des acquisitions de la zone concernée, Il a donc tout le loisir de faire les remarques, demandes, réservations ou suggestions qu'il souhaite. En revanche, au moment où il sort de la médiathèque, on suppose qu'il est pressé. Ceux qui enregistrent les prêts ont pour consigne d'effectuer ces opérations le plus rapidement possible.

Autre et dernier exemple car il serait fastidieux de chercher à être exhaustif, le lecteur ne s'inscrit qu'une fois pour tous les supports, tout le réseau, pour une durée indéterminée ou presque, puisque chaque année on ne lui demandera qu'une validation de carte, grâce à la présentation d'une quittance récente.

La modernité

La modernité et la qualité du service proposé sont appréciées. Tous constatent la qualité, la quantité, la variété, la présentation incitative des collections et expriment leur satisfaction. La gestion informatisée réduit les erreurs, les délais, permet une recherche documentaire plus fine et beaucoup moins fastidieuse. Les détenteurs de minitel apprécient de pouvoir interroger la médiathèque d'Arles de leur domicile, en appelant le 90-49-38-88. Ceux qui écoutent ou visionnent sur place des documents audiovisuels le font dans des fauteuils confortables, et avec des casques sans fil, à infrarouge.

La qualification et la motivation de l'équipe professionnelle sont aussi des atouts importants: l'équipe compte aujourd'hui 39 personnes : cinq cadres A (deux bibliothécaires 1ère catégorie, deux bibliothécaires 2e catégorie, un attaché chargé de l'animation et la communication), vingt sous-bibliothécaires, trois personnes chargées de la gestion et du secrétariat, une personne pour l'accueil et dix personnes pour l'équipement et l'entretien des collections.

Il est certain que les performances d'une médiathèque dépendent d'abord de la qualification et de la motivation de l'équipe chargée de la faire fonctionner.

L'équipe municipale d'Arles l'a bien compris et, depuis 1987, le niveau moyen de qualification n'a cessé de s'élever tant par recrutement de personnel nouveau qualifié que par participation à des actions de formation permanente. De façon plus générale, la confiance, l'intérêt, le soutien de la municipalité ont été encourageants et motivants.

Une politique d'animation et de communication

La création d'un secteur animation-communication spécifique a été un élément décisif. Un service qui veut atteindre et fidéliser un large public ne peut se passer d'une bonne politique d'animation et de communication. Dans le cas où elle n'est pas prise en charge par quelqu'un de qualifié et dont c'est la tâche spécifique, elle bat de l'aile. Et si elle bat de l'aile, les médias se désintéressent de l'activité du service, plus personne n'en entend parler. Il se condamne alors à tourner sur lui-même, à devenir moins vivant, moins intéressant.

Une gratuité indispensable

La gratuité est complète à la médiathèque, réelle. Aucun droit d'inscription pour aucun support. Si certains ne sont pas convaincus de l'effet de la gratuité, qu'ils en fassent l'expérience. Toutes les informations à ce sujet sont concordantes. Le service payant qui devient gratuit voit le nombre de ses inscrits augmenter. Dans le cas contraire on obtient l'effet inverse. Quand on sait cela ou qu'on le reconnaît, et qu'on parle de lutte contre l'illettrisme, une première mesure à prendre ne serait-elle pas d'obtenir le retour à la gratuité de toutes les bibliothèques publiques de France ?

Difficultés rencontrées

Les difficultés rencontrées sont de plusieurs types. Nous les énumérerons dans un ordre pour ainsi dire chronologique. L'afflux massif du public accentue certaines d'entre elles.

L'insuffisance du programme a été la première et la plus notable. D'où une sous-estimation du personnel nécessaire au fonctionnement d'une telle structure et donc des bureaux, des surfaces de travail interne. La majorité des postes de travail est intégrée dans les espaces dévolus au public avec les difficultés que l'on imagine pour le personnel. Une autre erreur a été de ne pas prévoir un couloir, une circulation séparée entre l'entrée de service et le hall d'accueil. Il en résulte des circulations perturbatrices dans les deux salles destinées à l'équipement et au catalogage des documents.

La prise en compte par les architectes des demandes et mises en garde de l'utilisateur final a été insuffisante : cela a abouti à la nuisance la plus importante dont public et personnel se plaignent, le bruit. Les architectes, vivement alertés à ce sujet, n'ont accepté que quelques très petites concessions à propos de la discothèque, mais n'ont rien changé en ce qui concerne l'escalier central qui dessert tous les niveaux. Dommage, car dans l'ensemble les relations ont été plutôt positives.

Les horaires d'ouverture au public sont insuffisants et irréguliers : la médiathèque n'est ouverte que vingt-trois heures trente par semaine (dont un dimanche par mois de 15h à 19 h ). Avec le personnel disponible (39 personnes) pour l'ensemble du service (médiathèque centrale, quatre annexes « enfants », une annexe « adultes », un bibliobus), il n'est pas possible de faire plus. L'irrégularité des horaires actuels s'explique par le souci d'offrir des plages d'ouverture correspondant aux possibilités et souhaits des différents publics, celle du dimanche permettant à n'importe qui de venir à la médiathèque au moins une fois par mois.

L'informatisation du service ne s'est pas faite sans peine. Dans l'ensemble, celle-ci (système OPSYS) a surtout apporté des avantages. Le personnel s'y est en général bien adapté, le public aussi. Simplement, la masse de travail est telle qu'une partie du fonds n'a toujours pas pu être informatisée et n'est donc que très relativement accessible au public. Les difficultés ont été aussi liées à l'ampleur des changements intervenus et à l'intégration des nouveaux venus avec l'ancienne équipe: transition délicate, inhérente à tout service qui passe brusquement à une tout autre dimension, à une organisation complètement renouvelée. Elle requiert le maximum de tact, de patience, d'explications. Elle s'estompe au fur et à mesure, chacun trouvant petit à petit ses nouvelles marques, intégrant, comprenant sa fonction dans l'organisation d'ensemble, cette dernière s'adaptant en retour du mieux qu'elle peut aux capacités, aux demandes légitimes des uns et des autres.

Perspectives

Pour ainsi dire, les perspectives sont d'ores et déjà tracées. Il s'agit d'adapter chaque jour davantage la médiathèque aux besoins du public tels qu'ils sont perçus et se manifestent, de remédier aux difficultés rencontrées, de veiller à continuer de moderniser le fonctionnement quotidien en intégrant les avancées que permettent les progrès des nouvelles technologies.

Les échéances dépendant de la capacité financière de la municipalité à consentir des efforts supplémentaires tant en investissement qu'en fonctionnement. Celle-ci continue d'apprécier au plus haut point sa médiathèque et les services qu'elle rend, non seulement à la population d'Arles, mais aussi à celle du « Pays d'Arles » (10 % des inscrits viennent des communes limitrophes ou proches). Des possibilités d'extension, d'aménagement, existent et sont en cours d'étude.

Décembre 1990

Illustration
Quelques chiffres