Conservation, communication, élimination

Le problème bibliothéconomique des silos

Denis Pallier

Faute de place ou à la suite d'une révision de leurs missions, les bibliothèques sont de plus en plus amenées à élaborer une politique d'élimination et de conservation partagée. Une solution est déjà trouvée à l'étranger, les bibliothèques de dépôt, dont l'histoire et les caractéristiques sont retracées à partir d'articles tirés de revues professionnelles ou de récents séminaires de l'IFLA. En France, bien que leur insertion soit lente, ces fonctions d'élimination et de conservation partagée pénètrent de plus en plus la pratique et les formations professionnelles. Cependant, même si les principaux critères d'efficacité sont établis, on regrette l'absence de recommandations générales. Un projet de centre technique du livre est à l'étude pour les bibliothèques universitaires et de grands établissements de la région parisienne.

Through lack of space or following a revision of their assignments, libraries are more and more induced to work out a plan for weeding and shared conservation. In foreign countries the solution consists in deposit libraries. History and features of these foreign experiences are taken from articles or workshops at IFLA. In France, even if their insertion is rather slow, those weeding and shared conservation functions are more and more put into practice and appear in training too. But, if the main criteria of efficiency are drawn up, general recommendations are missing. Actually, a plan of a Technical centre for books is in the process of being carried out, but only for academic and university libraries of Paris and its region.

Dans une période de transformation rapide des connaissances, toutes les bibliothèques ne peuvent fonctionner sur le mode de l'accumulation et de la stratification des collections. L'élimination est souvent liée aux contraintes physiques du manque de place, élément initiateur d'une pratique, sinon d'une politique de révision des collections. En fait, l'obligation d'évaluer et de remodeler les fonds documentaires est diverse, suivant les missions et l'organisation des bibliothèques.

Elimination et conservation

Dans différents pays, des bibliothèques publiques ont mis en place des politiques d'élimination régulière, pour assurer l'actualité de collections généralement offertes en libre accès. C'est, en France, la démarche de la Bibliothèque publique d'information. Le même mouvement se produit dans les centres de documentation voués à la satisfaction de besoins précis et immédiats.

Dans les organismes qui ont, ou qui assument une fonction de conservation pour la recherche rétrospective, le « retraitement » des fonds couvre ou devrait couvrir :
- la restauration ou le remplacement d'ouvrages utiles, mais abîmés,
- le transfert sur microsupports de séries très consultées, mais fragiles ou encombrantes,
- la relégation (refoulement) dans des magasins annexes, à faible coût de stockage, de documents de faible usage,
- l'élimination (retrait ou rebut) de doubles et de documents qui ne correspondent plus aux objectifs de l'organisme documentaire, ou excèdent ses missions de conservation.

Les réflexions sur l'élimination et la conservation en coopération atteignent des stades différents d'un pays à l'autre, sans doute à proportion de la richesse des collections et de la capacité de recherche bibliothéconomique et d'anticipation. Aux Etats-Unis, les discussions sur le « weeding » (désherbage) ont abouti à des publications dès les années 1940.

En complément du jugement subjectif du bibliothécaire et de l'avis des usagers, ont été proposés deux types d'approche quantifiée, l'une mesurant la fréquence d'utilisation, l'autre s'intéressant à l'âge de l'information détenue. Avec la généralisation des contraintes de place, ce qui était décision volontaire au niveau d'une bibliothèque ou d'un groupe de bibliothèques a dû faire l'objet, en Europe, de recommandations nationales pour un type de bibliothèques.

En 1976, un groupe de travail de l'University Grants committee 1 a proposé aux bibliothèques des universités anglaises le concept de « self renewing library », bibliothèque où, passé le stade de croissance, les documents doivent être relégués ou éliminés à proportion des nouvelles acquisitions. Il était prévu que ces documents soient d'abord stockés dans un magasin annexe au niveau local, puis envoyés à la bibliothèque nationale de prêt. Le même concept a été proposé aux bibliothèques des universités de la République fédérale d'Allemagne, par des recommandations du Wissenschaftsrat 2, qui a préconisé, en 1986, de fixer un maximum aux collections locales et de créer des bibliothèques de dépôt régionales ou interrégionales pour les collections anciennes de périodiques scientifiques et médicaux, les manuels, catalogues industriels, thèses, ainsi que les collections closes de faible usage.

Dans les deux cas, la solution proposée est la coopération pour permettre la conservation et l'accessibilité des collections, même obsolètes. La forme retenue est celle des bibliothèques de dépôt, nées aux Etats-Unis et en fort développement en Europe depuis les années 1980.

En France, la construction d'une bibliothèque de dépôt pour les bibliothèques d'enseignement supérieur de la région parisienne est programmée. Parallèlement, le thème de l'élimination revient à l'ordre du jour des réunions professionnelles. Quels problèmes bibliothéconomiques sont posés par les bibliothèques de dépôt ? Pour faire un rapide état de la question, il convient d'abord de rappeler l'histoire et les caractéristiques des équipements étrangers, aux intitulés encore multiples (Depository ou Repository library, Speicherbibliothek ou Bücherdepot...). Au champ français, Noé Richter notait en 1975 que « l'acte d'élimination est de ceux sur lesquels la conscience profesionnelle bronche ». La réflexion qu'il lançait alors sur l'élimination et la conservation partagée n'en a pas moins porté ses fruits, qu'il importe d'évoquer. Du croisement de ces deux sources, il apparaît clairement que les bibliothèques de dépôt ne sont que la partie émergée d'un iceberg bibliothéconomique : pratiques et circuits de relégation, définition et partage des rôles de conservation.

Bibliothèques de dépôt : première génération

Deux articles fournissent un état très complet de la question à la veille des années 1980. Le premier est l'article consacré aux bibliothèques de dépôt, par Maurice Line, dans l'Encyclopedia of library and information science 3. On y trouve l'histoire du concept de relégation des documents de faible usage dans des locaux à faible coût, depuis son apparition à l'Université d'Harvard en 1900. Cette organisation a été illustrée par les bibliothèques nationales (dépôt de la British library à Colindale en 1905, National central library créée en 1916, dépôt de la Bibliothèque nationale à Versailles en 1934), par quelques dépôts de bibliothèques particulières et par quatre entreprises collectives américaines : New England deposit library, Boston, 1942; Center for research libraries, Chicago, 1949 ; Hampshire inter-library center, Amherst, 1951 ; Medical library center de New York, 1964.

Maurice Line rend compte des premières études techniques liées à la constitution de ces dépôts : éclairage, température, types de rayonnages, modes de classement (y compris sur la tranche ou sur trois rangs !), problèmes de sélection des documents.

Le second article, donné par D. Kennington et B. White dans Interlending review, sous le titre « National repository plans and programmes » 4, repose sur une enquête financée en 1981 par l'IFLA - dans le cadre du programme « Accès universel aux publications » - et la Deutsche Forschungsgemeinschaft. De 59 réponses reçues de 38 pays, il ressort que, au début des années 1980, des dépôts coopératifs existaient dans 9 pays, dont 3 socialistes, que des bibliothèques de dépôt propres à un établissement avaient été créées dans 19 pays. De nombreux projets étaient lancés.

Deuxième génération

Une grande part des sources récentes sur les bibliothèques de dépôt est fournie par des séminaires de l'IFLA, qui, dans le cadre de sa section Acquisitions et échanges, a appuyé la réflexion sur le stockage, la préservation et l'accès aux collections de faible usage. Un premier séminaire, tenu à Oslo en 1987, n'a traité que de la situation et des projets scandinaves. De l'évocation des problèmes des bibliothèques de recherche et des bibliothèques publiques, dans des pays où elles forment des réseaux fréquemment séparés, se dégageaient néanmoins des conclusions générales. L'atelier organisé lors du congrès de l'IFLA à Paris en 1989 avait un thème élargi : « le rôle des silos à livres dans la planification ». Il a fait le point sur les progrès des bibliothèques de dépôt dans les pays socialistes et les pays scandinaves, sur la situation en RFA et aux Etats-Unis. Une recherche bibliographique dans LISA, pour la période 1982-1989, axée sur les descriptions techniques de bibliothèques de dépôt, fait apparaître une géographie comparable. Pour l'Europe de l'Ouest et du Nord, les réalisations les plus fréquemment citées figurent dans le tableau ci-après.

Constructions ad hoc

Le mouvement constaté est non seulement quantitatif mais aussi qualitatif. Du rapport fait en 1983 par Geneviève Simonot après un voyage d'études aux Etats-Unis, pour préparer le projet de bibliothèque universitaire de dépôt en région parisienne, ressortaient les limites des enseignements techniques à tirer des premiers dépôts. Ainsi, le Medical library center de New York fonctionnait dans deux étages d'un ancien parking couvert. La New England deposit library, construite en 1942, était dotée de rayonnages simples, pour partie en bois, à cause de la rareté de l'acier pendant la guerre. En revanche, l'évolution des bibliothèques de dépôt américaines montrait l'association rapide d'autres fonctions à celle de stockage: catalogues collectifs, prêt, planification des acquisitions. Dans la même période, D. Kennington et B. White faisaient des constatations pessimistes: peu de bâtiments spécifiques, pas de consensus sur les définitions du matériel ancien, une majorité de dépôts passifs, sans lien avec une politique générale d'acquisitions, de prêt ou de conservation.

Les années 1980 ont apporté des éléments nouveaux, des constructions ad hoc, dont la bibliothèque de Garching paraît l'état le plus élaboré 5, et une floraison de la littérature sur la coopération. Dans la ligne de l'accès universel aux publications, stockage et préservation ont d'abord un but utilitaire. Cependant, dans le cadre de l'atelier de 1989, K.H. Jugelt (RDA) mettait l'accent sur la collecte et la préservation de l'héritage culturel national, autour des bibliothèques nationales. En République fédérale d'Allemagne, comme dix ans plus tôt en Angleterre, les recommandations de 1986 ont été suivies d'un vif débat, instructif à plusieurs égards. Dans la tradition allemande de richesse régionale, les universités sont réticentes à se déposséder, d'où insistance sur le cadre régional des dépôts, débat sur l'abandon de propriété et les critères de relégation. A cette occasion ont été examinées les solutions alternatives de stockage (numérisation), sans conclusion décisive. Dans le fil du premier rapport, en revanche, le Wissenschaftsrat a émis en 1988 des recommandations sur le catalogue rétrospectif et la conversion des catalogues existants, qui soulignent que le contrôle bibliographique est une condition d'une politique nationale d'acquisition et de « désacquisition » 6.

Dans une perspective large, des principes généraux et d'organisation des dépôts, au niveau national, ont été proposés dès 1988 par Maurice Line 7. Cependant, depuis l'origine, les bibliothèques de dépôt sont différentes. Parmi les quatre modèles américains, on trouvait: un pur dépôt, la New England deposit library de Boston, et trois centres de services communs, pour lesquels la fonction de dépôt n'a constitué qu'une phase de leur existence (Hampshire inter-library center), ou un élément d'un dispositif plus complexe d'acquisitions et de services (cas du Center for research libraries). De même, les descriptions des dépôts en fonctionnement font apparaître des statuts différents. L'objectif de base (organiser des locaux permettant une forte densité de stockage à faible coût, pour des documents de faible usage) est celui des dépôts particuliers, créés par la Bibliothèque de Bavière, l'Ecole polytechnique de Zürich, ou des universités américaines. Il semble encore également le principal objectif de la State repository library suédoise.

Le même concept peut être repris, sous forme coopérative et active, tant pour des bibliothèques publiques que pour des bibliothèques universitaires. Au Danemark, le Centre de Ballerup assure 40 000 prêts par an et abandonne le rangement en compactus vu l'usage des fonds. En Suède, le Centre de Malmö gère 130 000 livres et revues issus pour une large part du centre régional de prêt des bibliothèques publiques, fonds disponibles pour le prêt-inter et pour les écoles, avec des copies multiples. Il joue un rôle de conservation et d'élimination en liaison avec des spécialistes. En RFA, le centre universitaire de Bochum, situé au centre du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie refond les collections et assure une fonction de prêt. Au bénéfice des bibliothèques publiques comme des bibliothèques universitaires, le centre finlandais de Kuopio assure le même type de fonctions. Dans ces derniers cas, l'accent est mis sur le transfert de la propriété des fonds aux centres, qui conditionne leur politique de tri, de préservation, d'accessibilité plus ou moins forte (catalogues, moyens de communication, reproduction). Les centres semblent partager des cadres de classement simples, numerus currens et formats.

La situation française

Si l'élimination est mentionnée dès 1915 pour les bibliothèques scolaires, dès 1945 pour les bibliothèques centrales de prêt, son histoire réelle est plus courte en France. Une enquête menée en 1978, dans le cadre de l'Association des bibliothécaires français (ABF), a montré que l'élimination existait dans différents types de bibliothèques, mais qu'il s'agissait, dans la plupart des cas, d'une nécessité récente.

Réflexions

La réflexion avait été lancée en 1975 par un article de Noé Richter, auquel il convient de renvoyer, car il contient l'essentiel de la problématique du sujet 8. Dans son prolongement, le thème « Conserver, éliminer » a fait l'objet du Congrès de l'ABF en 1978, où ont été évoquées les solutions anglaises et américaines 9. A l'occasion du rapport au directeur du livre et de la lecture sur le patrimoine des bibliothèques, remis en 1982 par l'inspecteur général Desgraves, l'élimination est évoquée, dans la perspective d'un plan national de conservation partagée, prévoyant des équipements régionaux et des établissements spécialisés 10. Le thème sera repris dans le rapport Décentralisation et bibliothèques publiques, établi en 1984, toujours à la demande du directeur du livre et de la lecture, par un groupe de travail présidé par l'inspecteur général Yvert 11.

En 1986, le premier dossier technique proposant une méthode pratique d'élimination a été fourni par la Bibliothèque publique d'information. Rendant compte de l'essentiel de l'expérience acquise dans le monde anglo-saxon, il demeure toujours d'actualité 12. La BPI a interrogé, en 1988, 183 bibliothèques et centres de documentation qui avaient acquis le dossier. Un tiers seulement a répondu, en majorité des bibliothèques publiques, qui pratiquent l'élimination couramment, alors que les bibliothèques universitaires ne se servent du manuel que sous la contrainte du manque de place, ou pour l'enseignement professionnel. Cependant, les recommandations universitaires de 1988, qui amendent sur plusieurs points les Instructions de 1962, prévoient l'élimination et la relégation 13. Signe d'un regain d'intérêt ou de contraintes plus pressantes, l'élimination a été le thème du dernier congrès du Cercle d'études des bibliothécaires des régions Aquitaine-Languedoc (CEBRAL) à Périgueux.

Réalisations

Sur ces bases, on doit constater que l'élimination et la conservation partagée sont devenues un sujet d'échanges professionnels en France comme à l'étranger. La fonction d'élimination apparaît dans les manuels 14.

Ces réflexions s'accompagnent-elles de réalisations ? A l'initiative de bibliothèques publiques, des associations régionales de coopération, en Bourgogne, en Bretagne, dans les Pays de Loire, ont mis en place des programmes de conservation partagée de périodiques ou de fonds locaux. Le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris a créé une antenne de diffusion et d'échange du livre, comportant une réserve centrale. Les bibliothèques de l'Oise ont défendu le projet d'un fonds collectif. A l'initiative d'organismes d'étude et de recherche ont été créées une bourse des périodiques et des ouvrages des bibliothèques du CNRS, une base des doubles de périodiques des bibliothèques médicales.

Il convient de rappeler le rôle pris par le Centre de prêt de la Bibliothèque nationale, qui constitue, depuis 1958 pour les monographies, 1961 pour les périodiques, un fonds national de recours. Sont accueillis dans ce fonds les documents sur papier ou microformes publiés sur le territoire national ou en langue française, de préférence antérieurs à 1980.

Enfin, un projet de bibliothèque de dépôt est en phase finale, au bénéfice des bibliothèques universitaires et de grands établissements de la région parisienne, qui conservent plus de la moitié des collections universitaires françaises. Engagé depuis 1984, à la suite d'une étude annonçant la saturation des magasins de ces bibliothèques, ce projet est prêt d'aboutir. La préfiguration de son fonctionnement a fait l'objet d'un groupe de travail en 1989.

Au total, en France, la situation des bibliothèques universitaires ou publiques, vis-à-vis de l'élimination et de la conservation partagée, peut se schématiser ainsi : insertion lente de ces fonctions dans la pratique et dans les formations, apparition d'équipements collectifs, mais absence de recommandations générales depuis le rapport sur le patrimoine des bibliothèques. Pour reprendre les termes de Noé Richter, au niveau microbibliothéconomique, celui des établissements, l'information sur les procédures, les critères et les circuits de l'élimination devient disponible. Au niveau macrobibliothéconomique, les objectifs nationaux de conservation et les choix d'organisation nationale, régionale, encyclopédique ou spécialisée, sont à déterminer.

Problèmes bibliothéconomiques

La bibliothèque de dépôt est une réponse à la question « Comment assurer l'accessibilité à la documentation, tout en permettant aux bibliothèques individuelles de se décharger de collections, faute de place ou à la suite d'une révision de leurs missions ? ». C'est une solution moins onéreuse que l'addition d'équipements locaux multiples, qui peut fournir de bonnes conditions de travail, un accès au document satisfaisant. C'est en revanche un investissement important qui n'est à la portée en France que de l'Etat, d'une bibliothèque nationale, ou des régions. Dans un article très clair, Maurice Line a énuméré d'un point de vue théorique les principaux critères d'efficacité d'un tel équipement: cohérence avec le système national d'acquisition et de fourniture du document, accessibilité des documents, capacité de sélection, de conservation, de reproduction, responsabilité permanente, facilité d'usage pour les bibliothèques participantes et confiance de celles-ci, capacité de coopération internationale, maîtrise des coûts... 15.

Dans une perspective de planification nationale, les expériences sont courtes. Du moins, le séminaire IFLA d'Oslo a-t-il exprimé des recommandations : les bibliothèques de dépôt doivent recevoir la propriété des documents déposés, les collections doivent être cataloguées, les prêts assurés par le dépôt... Le fonctionnement des dépôts pose nombre de problèmes pratiques complémentaires (navettes, possibilité de consultation sur place ou non, adaptation à l'usage réel, services annexes, prestations payantes). L'existence de tels équipements réveille surtout des problèmes d'organisation locale et nationale.

Pratique de l'élimination

Quand une bibliothèque de dépôt est établie, le personnel des bibliothèques participant au dépôt doit avoir le temps d'éliminer, la compétence pour le faire et la permission de reléguer des collections. Actuellement, un seul manuel d'élimination existe en français, à l'intention des bibliothèques publiques. Une expérience menée en 1990 avec des bibliothèques et centres de documentation dépendant des services du Premier Ministre, dans le cadre de la Commission de coordination de la documentation administrative, m'a permis de constater qu'élaborer des recommandations pour l'élimination est un travail de longue haleine. La présence d'une bibliothèque de dépôt le simplifie partiellement. En effet, alors que les circuits d'élimination par dons ou échanges, qui permettent de garder les documents accessibles, ont été visiblement saturés au cours des dernières années, le dépôt offre un nouveau recours. De même, la bibliothèque de dépôt peut décharger les bibliothèques individuelles des procédures de désaffectation des documents du domaine public. Mais, il n'en faut pas moins identifier des critères valides pour l'élimination des différents types de documents et organiser un processus régulier et formalisé, comme a su faire la Bibliothèque publique d'information. Cela suppose un personnel formé en nombre suffisant, des statistiques, une bonne analyse théorique, puis la validation par l'expérience.

Objectifs nationaux

La France, plus tôt que d'autres pays, a défini systématiquement la notion de patrimoine et le régime juridique des fonds, mais notre pays ne compte pas encore parmi les modèles de coordination des acquisitions et de la conservation, même si des actions importantes ont été lancées depuis 1980.

La création d'un équipement lourd, tel qu'une bibliothèque de dépôt, a pour conséquence naturelle de faire resurgir des questions déjà posées en France : qui assume la responsabilité de la conservation et de l'accessibilité au capital imprimé ? A qui, en corollaire, incombe le financement de ces fonctions coûteuses ? Enfin, que faut-il conserver ?

Peu nombreuses sont les bibliothèques clairement dotées d'une fonction de conservation. La Bibliothèque nationale assure statutairement ce rôle et a développé ses équipements techniques. Les Centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST) ont une fonction de conservation, dans leur spécialité. Pour les collections anciennes et spécialisées des bibliothèques publiques, des bibliothèques universitaires et des bibliothèques de grands établissements, des programmes ont été engagés par les directions ministérielles. La conservation de la documentation régionale est assurée par les bibliothèques municipales, les bibliothèques de sociétés savantes, les bibliothèques centrales de prêt. Au-delà du champ de compétence du ministère de la Culture et du ministère de l'Education nationale, les rôles sont moins nets. Dans les bibliothèques administratives par exemple, les volumes éliminés peuvent être considérables, faute d'organisme régulateur, jouant pour les livres et périodiques le rôle que jouent les Archives nationales pour les documents d'archives.

En ce qui concerne les pôles de recours, ni le Centre de prêt de la Bibliothèque nationale, ni la future bibliothèque universitaire de dépôt en région parisienne, intitulée Centre technique du livre, n'ont vocation universelle. En l'état de leur définition, ils devraient être complétés par d'autres pôles, régionaux ou spécialisés.

Mais, garantir l'accès à un maximum de documents peut se subdiviser en nombreux objectifs spécifiques, qu'il s'agisse de répartition de rôles ou de choix de supports pour la conservation de la production nationale, ou de participation à des programmes internationaux 16.

Novembre 1990

Illustration
Réalisations pour l'Europe de l'Ouest et du Nord

  1. (retour)↑  Cet article est extrait de l'intervention faite par l'auteur à un préséminaire du congrès de l'Association des bibliothécaires français, à Valenciennes, le 28 septembre 1990.
  2. (retour)↑  Cet article est extrait de l'intervention faite par l'auteur à un préséminaire du congrès de l'Association des bibliothécaires français, à Valenciennes, le 28 septembre 1990.
  3. (retour)↑  L'University Grants committee, devenu depuis Universities funding council, est responsable en Angleterre de la répartition des crédits alloués par le gouvernement aux universités. Le groupe de travail évoqué était présidé par le professeur Atkinson et ses conclusions sont généralement connues sous le nom de rapport Atkinson. Sur la situation britannique, cf. Geoffrey FORD, « Achetez, éliminez : la gestion des stocks dans les bibliothèques universitaires anglaises », Bulletin des bibliothèques de France, vol. 33, n°5, 1988, p. 394-401.
  4. (retour)↑  Le Wissenschaftsrat (conseil scientifique), créé par convention entre la Fédération et les Lânder a pour mission de faire des recommandations aux pouvoirs publics pour le développement des structures et contenus de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ses recommandations conjuguent toujours le souhaitable et le possible, car elles résultent du travail de deux commissions, scientifique et administrative. Le titre du rapport cité, publié par le Conseil à Cologne en 1986, est : Empfehlungen zum Magazinbedarf wissenschaftlicher Bibliotheken.
  5. (retour)↑  T. 29, 1980, p. 101-133.
  6. (retour)↑  Interlending review, t. 10, 1, 1982, p. 3-7.
  7. (retour)↑  Michaël MÜCKE, « Die Speicherbibliothek Garching », ABI-Technik, 9, n°4, 1989, p. 297-307.
  8. (retour)↑  Cf. Richard LANDWEHRMEYER, « Retrospective conversion and repository planning in the Federal republic of Germany », Alexandria, t. 1, 2, 1989, p. 37-43.
  9. (retour)↑  Maurice B. LINE, « National repository planning », Library review, 20, 1988, p. 309-319.
  10. (retour)↑  Noë RICHTER, « Les éliminations dans les bibliothèques françaises », Bulletin des bibliothèques de France, vol. 20, n° 5, 1975, p. 199-209.
  11. (retour)↑  « Conserver, éliminer ? Eléments pour une gestion rationnelle des fonds. Congrès de Versailles, 20-22 mai 1978 », ARF Bulletin d'informations, n° 101, 4e trim. 1978, p. 181-230.
  12. (retour)↑  Le Patrimoine des bibliothèques, rapport à Monsieur le directeur du livre et de la lecture, Paris, ministère de la Culture, 1982, p. 81-83 et annexes, p. 25-29 (contribution de Noé Richter sur la révision critique des collections). Le Rapport du groupe de travail sur les bibliothèques municipales classées, présenté au directeur du livre et de la lecture en 1989, s'il cite élimination et accueil des collections éliminées, n'aborde pas explicitement cette fonction dans ses propositions. Elle peut cependant trouver place dans le dispositif proposé, différent des centres régionaux du rapport Desgraves :
    - service régional léger pour le patrimoine des bibliothèques, avec rôle de contrôle et d'assistance, sur le modèle de la conservation régionale des Monuments historiques ;
    - intervention contractuelle de l'Etat apportant son concours aux collectivités territoriales, dans le cadre de conventions, éventuellement permanentes pour des équipements lourds (p. 31, 58-61, 67). Sous l'angle réglementaire, le décret n° 88-1037 du 9 novembre 1988, relatif au contrôle technique de l'Etat sur les bibliothèques des collectivités territoriales, a mis en place par son article 10 une procédure de désaffectation des documents anciens, rares et précieux qu'elles conservent, requérant l'avis du ministre de la Culture, après consultation du Conseil national scientifique du patrimoine des bibliothèques publiques.
  13. (retour)↑  Rapport publié dans le Bulletin des bibliothèques de France, t. 29, n° 4, 1984, p. 277, 288, 293.
  14. (retour)↑  Françoise GAUDET et Claudine LIEBER, Le désherbage : élimination et renouvellement des collections en bibliothèque publique, BPI, Centre Georges Pompidou, 1986.
  15. (retour)↑  Cf. Bulletin des bibliothèques de France, t. 33, n° 6, 1988, p. 465.
  16. (retour)↑  Elle est particulièrement bien traitée dans le Précis de bibliothéconomie de Brigitte Richter, Paris, Saur, 1987.
  17. (retour)↑  National repository planning, art. cit., p. 315.
  18. (retour)↑  Ibid., p. 310-314.