La réforme et le livre

l'Europe de l'imprimé (1517-v. 1570)

par Louis Desgraves

Jean-François Gilmont

Paris, Les Editions du Cerf, 1990. - 534 p. ; 25 cm.
ISBN 2-204-04130-0.

Les développements récents de l'histoire du livre et les orientations fécondes prises en ce domaine permettent à une quinzaine d'historiens groupés autour de Jean-François Gilmont, conservateur à l'Université de Louvain-la-Neuve, de répondre à une double question sans cesse posée : quel est l'impact du livre sur la première diffusion de la Réforme, mais aussi quel est celui de la réforme sur le développement de l'imprimerie ?

Traces historiques

Si, dès le XVIe siècle, certains Réformés ont parfaitement compris le rôle essentiel joué par l'imprimerie dans la diffusion des idées des Réformateurs, si, à leur suite, on ne cesse de répéter que « la Réforme est fille de Gutenberg », on ne saurait oublier que pour Luther lui-même, les livres inutiles et même nuisibles abondent. De son côté, Mathaeus Judex, dans son De typographica inventione (1566), tout en étant convaincu que l'imprimerie a fait avancer la « restauration de la pureté de la doctrine et la révélation de l'Antéchrist », se préoccupe de la mainmise des autorités civiles et religieuses sur le livre.

Pendant la période étudiée ici, la situation du livre n'est pas figée ; elle évolue dans le temps et dans l'espace selon les fluctuations du développement de la Réforme et selon les pays aux mentalités diverses. A côté d'une problématique classique étudiant le rôle de l'imprimerie au service de la lithurgie, de la catéchèse, de la théologie et de la diffusion de l'Ecriture sainte, des perspectives nouvelles apparaissent pour tenter de déceler le type de lecture qui est fait de cette abondante et diverse littérature religieuse, malgré la rareté des traces historiques dans ce domaine.

Pour tenter de dégager des réponses à ces questions complexes, l'équipe internationale et interdisciplinaire constituée autour de Jean-François Gilmont a retenu un plan en trois points : 1. les conditions de fabrication du livre, 2. l'analyse de son contenu, 3. l'étude de sa réception. Cette troisième partie, la plus neuve mais aussi la plus délicate, s'intéresse aux pratiques de lecture pour déterminer comment l'imprimé agit sur une société largement analphabète, en déterminant le taux d'alphabétisation de la société, en réunissant des indices sur le public visé par les éditeurs, sans négliger les réponses catholiques aux écrits protestants témoignant de leur influence sur l'opinion publique.

Une synthèse provisoire

Tenant compte du développement de la Réforme et de l'industrie typographique dans toute l'Europe, l'ouvrage, après une introduction de J.-F. Gilmont, qui marque bien les difficultés d'une telle entreprise considérée comme une « synthèse provisoire », débute par les principaux pays producteurs d'éditions protestantes, les pays germaniques, français et néerlandais où la Réforme a pris naissance et s'est développée. Trois chapitres consacrés à des villes situées à la frontière des mondes germanique et roman, Anvers, Strasbourg et Bâle, nuancent une certaine rigidité de la répartition linguistique. Le reste de l'Europe, Grande-Bretagne, péninsule ibérique, Italie, Europe centrale (Hongrie, Bohême, Moravie et Pologne), pays nordiques sont ensuite parcourus.

Au terme de ces études si riches d'enseignements, mais qu'il n'est pas possible d'analyser ici, on se bornera à souligner l'intérêt tout particulier du chapitre consacré à l'Italie, grâce à l'utilisation des archives de l'Inquisition qui éclairent la diffusion des écrits. La conclusion souligne l'utilité d'une confrontation des problématiques et des techniques de recherches, la nécessité d'une connaissance aussi complète que possible de la production typographique, la profondeur nouvelle donnée aux textes par l'étude de leur fabrication et des circuits de distribution. L'analyse des pratiques de lecture constitue l'apport le plus fécond, mais aussi le plus difficile, en montrant que, dans une société encore largement illettrée, l'influence du livre n'a pu s'exercer que par le relais des lectures publiques et familiales à haute voix.

Cet ouvrage fait honneur à son maître et à ses collaborateurs. Il sera certainement le point de départ de recherches fructueuses. On ne peut que recommander sa lecture attentive à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire du livre envisagée dans toutes ses acceptions, au mouvement des idées, à la lente évolution des idées religieuses, intellectuelles et politiques.