Plan d'action mode d'emploi

Annie Le Saux

Tout citoyen peut envoyer directement à Luxembourg un projet de modernisation des bibliothèques. Mais, est-ce le meilleur moyen de le voir aboutir ? Savoir s'orienter dans cette jungle administrative que constituent la Commission des Communautés européennes et plus particulièrement les deux directions qui concernent le plus directement les bibliothèques - la DG X (Information, communication et culture) et la DG XIII (Télécommunications, industries de l'information et innovation) - semble la condition sine qua non pour bénéficier du Plan d'action pour les bibliothèques de la Communauté européenne.

Le point focal

Connaître le mode d'emploi de ce Plan d'action est une nécessité et un gain de temps si l'on a un projet de recherche à déposer. Mais, avant toute chose, en quoi consiste un tel projet ? Qui en apprécie la faisabilité ? Quel est le meilleur moyen de le mener à bien ? Où se procurer les informations nécessaires ? A quelles instances s'adresser - locales, régionales, nationales ou européennes ? Comment se faire financer ? Autant de questions illustrant les ramifications complexes de ce labyrinthe européen, et posées lors des journées d'étude organisées par les différentes associations professionnelles (ABF, ADBS, AENSB et FFCB) à Strasbourg les 19 et 20 juin derniers.

La deuxième version du Plan d'action - qui n'a toujours pas été adopté par le Conseil des ministres de la Communauté européenne - a été diffusée dans tous les pays de cette même Communauté. Pour servir d'interlocuteurs nationaux, des points focaux ont été créés, qui s'appuient, suivant les pays, sur une structure déjà existante ou non. Le déséquilibre entre le Nord et le Sud est non négligeable : dans les pays du Nord, il s'agit souvent d'une structure forte, alors que les pays du Sud accusent, pour la plupart, un retard dans le domaine des structures d'information. Au Portugal par exemple, où Marie-José Moura regrette le manque d'infrastructures, le point focal repose sur les bonnes volontés individuelles.

En Grande-Bretagne, c'est la Library association qui sert de point focal, en Italie, l'Observatoire des programmes internationaux des bibliothèques, en République fédérale d'Allemagne, le Comité pour les affaires européennes des bibliothèques. De même qu'au Portugal, en République fédérale d'Allemagne, les bibliothèques de lecture publique sont exclues des attributions du point focal. Le cas de la RFA est d'ailleurs un peu particulier du fait même de la répartition du pouvoir dans les différents Länder. Et, bien qu'ils aient depuis longtemps établi une coopération à l'intérieur du pays, ils ont quelques difficultés à définir une politique nationale des bibliothèques. La réunification des deux Allemagnes risque de compliquer une situation déjà complexe et d'avoir des conséquences sur les bibliothèques.

En France, le Comité français de pilotage du Plan d'action (CFPPA) a été créé pour servir de point focal. Composé entre autres de représentants de la Direction du livre et de la lecture au ministère de la Culture, de la Sous-Direction des bibliothèques au ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports et de la Direction de l'information scientifique et technique au ministère de la Recherche et de la Technologie, qui définissent des priorités, le CFPPA est d'abord une instance d'incitation, qui joue ensuite un rôle d'intermédiaire : il aide les bibliothèques françaises à préparer et à présenter des dossiers. Un projet reçu par le CFPPA est répercuté sur les ministères de tutelle avant d'être transmis à la Commission des Communautés européennes. Il sert donc de relais entre la DG XIII et les bibliothèques françaises ou entre les bibliothèques étrangères et les bibliothèques françaises et il fournit des informations sur les actions communautaires dans le domaine de la documentation. Moyen pratique, pivot indispensable, le CFPPA n'a cependant pas de pouvoir décisionnel ni juridique.

Projets européens

De même que le CFPPA, avec lequel il travaille en étroite coopération, le Conseil supérieur des bibliothèques (CSB) 1 joue le rôle de médiateur pour accélérer le mouvement des projets. Quels projets voudrait-il voir émerger en priorité ? Ceux dont le bénéfice puisse être perçu par l'utilisateur final, ceux qui visent le décloisonnement des différents mondes des bibliothèques en favorisant le partenariat, en faisant communiquer les organismes de différents types, publics et privés, ceux qui mettent en valeur les points forts français (les télécommunications par exemple), ceux, enfin, qui corrigent les déséquilibres européens.

Pour avoir des chances d'être pris en considération, un projet doit nécessairement s'intégrer dans les cinq lignes d'actions proposées, qui répondent aux exigences suivantes : avoir une composante d'innovation, respecter les normes en vigueur en privilégiant les normes internationales quand elles existent, être compatible avec d'autres activités nationales et régionales, encourager une coopération internationale et avoir au minimum une participation de trois Etats, enfin, promouvoir et rendre accessibles les technologies modernes.

Deux projets pilotes, auxquels participe la France, répondent actuellement aux exigences du Plan d'action: le CD-ROM européen des bibliothèques nationales d'une part et l'interconnexion des systèmes européens de prêt entre bibliothèques - LASER, PICA et PEB -, ce dernier projet étant baptisé ION (Interlending OSI 2 network).

Prenons l'exemple du projet du CD-ROM européen 3. Son financement est assuré, d'une part, par la Commission des Communautés européennes et d'autre part par chaque bibliothèque nationale. La participation exceptionnelle de la Commission - 61,9 % répartis entre les participants en fonction de l'avancement du travail et de la participation de chacun, alors qu'habituellement le plafond est établi à 50 % - est due au nombre important de partenaires. Chacun des sept pays participants a pris des engagements de résultats et devra fournir des rapports sur l'avancement du travail. Ce projet est divisé en 9 sous-projets : celui confié à la Bibliothèque nationale porte sur la spécification d'une interface multilingue, ceux confiés à la British library concernent les liens entre le CD-ROM et les systèmes en ligne et les liens entre le CD-ROM et les systèmes locaux de bibliothèques. La gestion du projet est faite par la British library. « Autre engagement pris vis-à-vis de la Commission, ajoute Alix Chevalier, de la Bibliothèque nationale, celui de tenir informée la communauté des bibliothèques en participant à des congrès ou des journées d'étude ou en publiant des articles dans des revues professionnelles ». Outre des moyens financiers importants, un tel projet nécessite des moyens en personnel. Cela n'exclut-il pas d'office les petites bibliothèques ? Y a-t-il des solutions à l'étude pour éviter que seuls les établissements qualifiés de « grands » puissent porter des projets européens ?

Réalisations et souhaits

Afin de familiariser les bibliothécaires avec les procédures, chaque point focal a fait état des actions menées dans ce domaine. Russel Bowden, représentant de la Library association, a notamment mentionné des stages ayant pour thème la Communauté européenne. L'Italie propose des séminaires sur la façon de rédiger et de présenter des projets européens. L'ENSB, outre un séminaire sur la politique culturelle européenne, organise des stages à l'étranger. Elle a aussi comme projet une université d'été, en collaboration avec des écoles étrangères.

En plus de ces réalisations, plusieurs souhaits ont été émis. Peter Borchardt, du Deutsches Bibliothekinstitut, a proposé des rencontres des différents points focaux ainsi que des jumelages de bibliothèques. Ces propositions ont été plusieurs fois entendues lors de ces journées, reflétant les difficultés qu'il y a à identifier des partenaires européens. Le regroupement des associations de bibliothécaires de l'Europe communautaire en une Fédération permettrait également de mieux cibler les éventuels partenaires.

D'autres propositions concernaient des échanges de personnel entre établissements, une plus grande mobilité du personnel, des étudiants et des enseignants, une meilleure connaissance des formations et du niveau de recrutement. Un inventaire exhaustif des différentes formations devrait être établi, de même qu'une reconnaissance mutuelle des diplômes, ce qui risque de poser quelques difficultés, la rigidité actuelle du statut du système universitaire français n'étant pas la moindre.

Ouvrir l'accès aux emplois dans tous les pays de la Communauté européenne deviendra une réalité d'ici quelques années. Pour cela, il faut dès à présent renforcer les outils du multilinguisme en créant des laboratoires de langue dans les bibliothèques, car, a déclaré Michel Melot, « la diversité des langues est une richesse et une nécessité et il faut la préserver ».

En conclusion, si vous avez une bonne connaissance de l'anglais, si vous savez compter en ECU, si vous êtes un bon financier, un bon gestionnaire en plus d'un bon technicien, si vous avez une bonne équipe d'informaticiens, et si vous avez des idées, n'hésitez pas à participer à ce marathon européen, qui consiste à vous faire ouvrir les bonnes portes et acheminer votre dossier jusqu'au Saint des Saints qu'est la Commission des Communautés européennes. Le faire accepter est une autre histoire !

Illustration
L'industrie des bibliothèques au niveau européen. Quelques chiffres

  1. (retour)↑  Adresse du CFPPA et du CSB : BP 132, 75960 Paris Cedex 20. Tél. 46.36.11.13.
  2. (retour)↑  OSI: Open systems interconnection.
  3. (retour)↑  Cf. dans ce même numéro l'article d'Elisabeth FREYRE, Le CD-ROM de la BN et le projet européen.