Le développement des mémoires optiques au service des bibliothèques

Jean-Jacques Levive

Dans cet article, l'auteur envisage que, dans l'avenir, tous les documents soient disponibles sur supports compacts, ce qui permettrait d'avoir toujours un exemplaire disponible pour la consultation et de faire des économies substantielles en matière de PEB.

In this article, the author envisages that in some years all the documents will be on compact media. In this case, there will always be an available copy in the library and the cost of the interlibrary lending will decrease.

MYRIADE, Electre, Grolier, Pascal... Depuis un certain temps déjà, les produits numérisés sur mémoires optiques se multiplient. Qu'il s'agisse de donner un nouvel accès, souvent plus commode, voire, à long terme, plus économique, à des banques de données, à des encyclopédies, à des dictionnaires, à des instruments de recherche bibliographique, les applications du CD-ROM, du vidéodisque et du disque optique numérique sont innombrables et commencent sans doute seulement à être exploitées dans toutes leurs possibilités et sous tous leurs aspects.

Il est urgent pour les professionnels de la documentation de réfléchir systématiquement et en profondeur aux conséquences de ces technologies, qui, à l'instar de l'informatique, commencent à bouleverser totalement les données de l'activité bibliothéconomique. Les quelques lignes qui suivent sont destinées à évoquer, de manière modestement prospective, quelques pistes de réflexion sur les applications de ces CD-ROM, vidéodisques, disques optiques numériques ... dans les bibliothèques françaises. Il va de soi que ces idées, qui s'inspirent dans une grande mesure de projets en cours ou de réalisations effectivement menées à bien, sont dans l'air du temps et ne prétendent nullement à l'originalité.

Numériser les fonds

Toutes les publications françaises, puis les principales publications étrangères, devraient être disponibles sur mémoires optiques - qu'il s'agisse de supports existants ou, éventuellement, à venir. La première phase de l'opération consisterait à numériser les principaux périodiques et les documents tels que : encyclopédies, dictionnaires, juris-classeurs, ouvrages avec mises à jour ou refonte annuelle, etc. Bien entendu, ce processus est déjà largement entamé, au gré d'initiatives quelque peu dispersées, mais il reviendrait aux administrations de tutelle d'adopter un rôle d'incitation et surtout de coordination et de planification dans ce domaine.

L'un des principaux problèmes auxquels on serait confronté, concernant en particulier les périodiques, serait celui des délais entre la publication du document primaire sous sa forme papier et la parution du même document sur mémoire optique. Si l'on ne pouvait trouver une solution satisfaisante en la matière - en s'inspirant, par exemple, du modèle des Current contents, en remplaçant toutefois les sommaires par les textes complets des articles -, on pourrait admettre, au moins dans une première phase, un délai relativement long, voire une limitation de l'opération au rétrospectif.

Il faudrait ensuite que toute la production française de monographies soit également disponible sur CD-ROM, vidéodisque ou disque optique numérique, par disciplines et par années, à partir d'une date déterminée.

Dans un troisième temps, seraient concernés les principaux ouvrages étrangers. Dans le cas des monographies, on peut estimer qu'un délai de deux à trois mois en moyenne serait acceptable. Dans les conditions actuelles de travail des bibliothèques, on peut estimer que ce délai n'excéderait guère celui qui existe déjà entre la publication de la monographie sous forme papier et sa mise à la disposition des utilisateurs : avec les mémoires optiques, on économise, en effet, le temps d'équipement et de traitement des ouvrages.

Le coût d'une telle opération ne devrait pas être astronomique, compte tenu des capacités de compression actuelles de ces techniques, capacités qui tendront sans doute à croître à l'avenir. Toutefois, il est vraisemblable qu'il dépasserait les capacités d'un seul établissement, aussi important soit-il, et cette opération ne pourrait relever que des organismes de tutelle.

Bien entendu, chaque bibliothèque de recherche française - à tout le moins les bibliothèques interuniversitaires, les bibliothèques universitaires et les bibliothèques municipales classées - devrait posséder un exemplaire complet de ce fonds sur mémoire optique. Il faudrait évaluer le nombre d'unités physiques du support choisi (ou de plusieurs d'entre eux) nécessaire pour mener à bien l'opération dans sa totalité ; on peut cependant estimer qu'il ne devrait pas être très élevé pour une année de production éditoriale. On pourrait ainsi envisager qu'une bibliothèque spécialisée se procure uniquement la fraction de la collection couvrant la discipline qui l'intéresse.

Parallèlement, les organismes de tutelle devraient encourager l'installation dans les différentes bibliothèques de lecteurs de mémoires optiques avec juke-box, capables d'assurer à la fois une manipulation simple du support, la lecture simultanée de plusieurs supports de même type, voire la lecture simultanée du même support par plusieurs utilisateurs installés chacun sur une console. Une imprimante associée à ce dispositif permettrait à l'intéressé de conserver sous forme papier le passage du document qui lui convient. Ce service serait sans doute payant. Il faudrait donc prévoir la possibilité d'un monnayeur et/ou d'une carte magnétique associée à cette imprimante.

Il va de soi que cela ne dispenserait nullement la bibliothèque qui en bénéficierait d'acquérir les ouvrages et documents sous leur forme papier traditionnelle - celle-ci restant, à juste titre, dans un avenir prévisible, le support favori des lecteurs. Mais il permettrait à toute bibliothèque française de proposer cette solution de dernier recours au cas, très fréquent dans la situation actuelle, où l'ouvrage demandé ne serait pas disponible sur place sous sa forme papier. Il s'agirait là, à n'en pas douter, d'un service extrêmement apprécié des usagers, en dépit du handicap que constitue la lecture sur écran. L'existence d'un tel fonds sur mémoire optique permettrait également de diminuer les risques en matière d'acquisition et de n'acheter en quelque sorte qu'à coup sûr, puisqu'on aurait la garantie de ne pas pénaliser excessivement les lecteurs en menant une politique d'acquisition de documents traditionnels plus étroite, plus sélective... et plus économique...

En cas de doute sur l'intérêt pour telle bibliothèque de posséder un document déterminé sous sa forme papier, on pourrait en effet choisir de renoncer à l'acquérir, sans que les conséquences en soient exagérément fâcheuses pour le public. On peut d'ailleurs envisager la possibilité, à plus long terme, de micro-édition locale sur support papier de documents en nombre limité d'exemplaires, à partir des textes inscrits sur mémoire optique. Bien entendu, ces diverses propositions - cette dernière, en particulier - ne vont pas sans poser le délicat problème de la protection des droits financiers légitimes des auteurs et des éditeurs. Il est permis d'espérer, toutefois, que des solutions satisfaisantes pour toutes les parties concernées pourraient être trouvées et, surtout, que ces différents intervenants garderaient toujours présent à l'esprit l'intérêt final des utilisateurs (les responsables de l'opération Foudre * indiquent quelques voies et solutions possibles en matière de protection de ces droits).

Les retombées positives

Il faut, en effet, insister sur l'avantage incomparable pour le lecteur d'avoir la garantie de toujours trouver dans sa bibliothèque le document qui l'intéresse, en s'évitant de longues recherches, souvent pénibles et infructueuses, particulièrement dans le cas des monographies. Ce gain intellectuel est tel qu'il pourrait, à la rigueur, justifier une diminution sensible des dépenses documentaires sur support « classique » si cela s'avérait nécessaire pour réaliser l'opération proposée (ce qui n'est pas certain). Bien entendu, dans un premier temps, tous les ouvrages ne pourraient être ainsi disponibles sur mémoire optique, puisqu'il faudrait bien déterminer une date de départ de cette opération et que celle-ci, par la force des choses, ne pourrait sans doute prendre en compte, dans le meilleur des cas, que les monographies parues au cours de l'année précédant sa mise en oeuvre.

Mais, en cas de succès, il faudrait, bien entendu, prolonger l'entreprise pour le fonds rétrospectif, en remontant aussi loin que possible dans le temps.

Il faut également souligner quelques autres retombées positives que l'on pourrait espérer de ce projet :
- Economies substantielles en matière de prêt entre bibliothèques (en temps, en personnel, en matériel...). Les économies réalisées devraient permettre un redéploiement au profit des bibliothèques, afin de développer d'autres fonctions essentielles (formation des utilisateurs, marketing, nouveaux services, etc.) et non une suppression ou une diminution des moyens.
- A terme, c'est le besoin de catalogue collectif qui disparaîtrait peut-être pour les principaux périodiques ainsi que pour les monographies françaises. Il ne serait, en effet, plus indispensable de savoir quelle bibliothèque détient tel ouvrage, puisqu'on aurait la certitude de se le procurer sur place quasi instantanément.
- En revanche, le problème du signalement des documents demeurerait. C'est pourquoi la collection de monographies sur mémoire optique devrait comporter son propre catalogue incluant toutes les entrées habituelles (il faut évoquer la Bibliothèque nationale, dont le rôle est fondamental - sa base OPALE est déjà sur CD-ROM). Mais cela ne suffirait pas. Les solutions en la matière sont nombreuses et non exclusives les unes des autres : catalogue en ligne accessible sur minitel, catalogue général sur CD-ROM, catalogue informatisé local correspondant à la seule fraction de la collection effectivement disponible dans la bibliothèque concernée (dans le cas où une bibliothèque de médecine, par exemple, déciderait de n'acheter que la partie « médecine » de la collection)... Dans tous les cas, la mention d'un code spécifique indiquant sur quelle unité physique de la collection se trouve le document primaire, devrait apparaître dans l'un des champs de la notice.

Pour la fourniture de documents aux bibliothécaires étrangers par la voie du prêt entre bibliothèques, des solutions devraient également être trouvées. La combinaison des méthodes existantes (rappelons que même dans l'hypothèse évoquée il resterait - heureusement ! - de nombreux documents papier dans nos bibliothèques) et de la micro-édition locale permettrait de répondre à la plupart des demandes. A terme, le Centre national de prêt, qui devrait disposer à la fois d'une collection complète de ces documents sur mémoire optique, du catalogue général correspondant et d'un matériel de micro-édition, pourrait être en mesure de répondre aux demandes qui ne seraient pas satisfaites par la bibliothèque sollicitée.

- Il faut aussi remarquer que ce dispositif aurait l'avantage appréciable de résoudre, à plus ou moins longue échéance, le problème des livres épuisés et/ou absents des bibliothèques : les documents sur mémoire optique seraient, en principe, conservés indéfiniment et ne seraient pas susceptibles de disparaître du fait de vols et de dégradations, contrairement aux documents sur support papier (bien entendu, des études devraient être réalisées pour estimer la durabilité physique de ces supports).

- A terme, c'est peut-être même le concept d'organisation des bibliothèques en grands réseaux bibliographiques qui devrait être révisé. En effet, la plupart des fonctions qu'ils remplissent pourraient être soit assurées, soit rendues caduques, par les dispositifs brièvement décrits ci-dessus (catalogage partagé, catalogue collectif, PEB, etc.).

- En revanche, bien entendu, les nécessités du catalogue local (de préférence informatisé) et de la gestion des prêts des ouvrages papier demeureraient. Mais les techniques actuelles permettent de « pomper » des notices catalographiques à partir d'un CD-ROM, par exemple, pour les transférer sur un système local.

Il y a quelques années, les PTT obtenaient un remarquable succès avec le lancement du vidéotex et la popularisation du minitel, donnant à la France plusieurs longueurs d'avance dans ce domaine. Cette opération, on le sait, a été rendue possible et efficace - entre autres raisons - par le caractère centralisé à la fois du projet et de son exécution. Toutes choses égales par ailleurs, et pour s'en tenir au seul domaine des bibliothèques, on peut penser qu'une chance est désormais à saisir en matière de supports optiques. Un objectif ambitieux dans ce domaine pourrait s'intégrer dans l'ensemble des grands projets documentaires du pays, en complément, en particulier, de la Bibliothèque de France.

Août 1990

  1. (retour)↑  Le projet Foudre « consiste à automatiser la partie finale de la chaîne de prét de périodiques entre bibliothèques universitaires, par la mise en place d'un système de fourniture électronique de documents, via Numeris, associé à un dispositif d'archivage électronique décentralisé, sur disque optique numérique (DON) ». Voir : Documentaliste, vol. 26, n° 6, nov.-déc. 1989.