Bibliothèque universitaire et coopération régionale
Christian Pierdet
Réflexions d'un bibliothécaire pour qui la coopération n'a pas attendu les années 80 pour exister. Même si l'on peut a priori penser qu'un directeur de bibliothèque universitaire n'a pas sa place dans une association régionale, la réalité prouve que les préoccupations fondamentales sont les mêmes partout.Les grands thèmes d'activité de l'association ACCOLAD sont l'accès à l'information bibliographique, la protection et la mise en valeur du patrimoine écrit et graphique (fonds anciens et régionaux), la formation professionnelle, enfin le conseil et l'animation. Cette coopération, qui permet de rencontrer les élus de la région est pour l'auteur une nécessité.
Here are the thoughts of a librarian who did not wait for the Eighties to practise cooperation : Even if it may be thought a priori that a University library director has nothing to do within a regional association, facts show, however, that their basic cares are always similar. The chief action lines of the association called ACCOLAD are : bibliographic information access, preservation and enhancement of the written and graphic collections (old and regional holdings), professional training, and, last but not least, counsel and leadership. This cooperation, which brings together the regional deputies, seems absolutely essential to the author.
Lors d'une réunion récente, un collègue qui devait faire le point sur la coopération à la fin de 1989 commençait son exposé en rappelant une époque, qu'il qualifiait de préhistorique, où existait pourtant déjà le prêt inter-bibliothèques, l'envoi de fiches au CCOE 1, la diffusion par le SIB 2 de listes d'ouvrages à acquérir, la participation à la formation professionnelle, etc.
Ce rappel me réjouit. Je partage en effet cette conviction que, depuis longtemps, bibliothécaires et bibliothèques coopèrent, de façons diverses, à des niveaux variés, sans le savoir peut-être, sans le dire souvent, de façon informelle en tout cas.
La coopération avant
Quoiqu'en pensent certains, la coopération n'a en effet pas attendu les années 80 pour exister, même si la forte incitation de la Direction du livre et de la lecture, de structures ad hoc lui a donné un développement important, inconnu jusqu'alors. Lorsqu'on a l'ancienneté suffisante pour avoir connu les années où l'ensemble des bibliothèques relevaient d'une façon ou d'une autre d'une direction ministérielle unique, la Direction des bibliothèques et de la lecture publique, ce travail en commun ne surprend pas.
En revanche, lorsque la Direction du livre et de la lecture a souhaité voir des associations de coopération naître dans les régions, certains ont pu se demander s'ils étaient concernés : après le partage des responsabilités entre deux ministères, les « universitaires » pouvaient penser que, seule, la « lecture publique » était intéressée.
Cela n'a été heureusement le fait que d'un petit nombre, tant il est évident que cette dualité administrative est oubliée dans la vie quotidienne. Celle-ci, en province tout particulièrement sans doute, ne se moule pas étroitement sur les préoccupations des administrations centrales. Lorsqu'on a besoin d'un renseignement, d'une aide, on s'adresse à ses voisins, sans se préoccuper de leur appartenance statutaire. C'est pourquoi si, comme cela était naturel, les nouvelles associations de coopération ont recruté la grande majorité de leurs membres dans la lecture publique, elles ont vu également adhérer des bibliothécaires et des documentalistes exerçant dans les universités, dans l'enseignement secondaire ou dans les entreprises, publiques comme privées.
Il ne s'agit pas ici d'exposer une théorie de la coopération, ni d'en faire la philosophie, mais plus simplement de présenter à la lumière de près de cinq années d'expérience les réflexions d'un bibliothécaire universitaire vis-à-vis de cette coopération, au sein de l'ACCOLAD 3 plus particulièrement, non que cette association en soit le modèle suprême mais parce que c'est en son sein qu'elle a été vécue.
Un accord général
Depuis son arrivée en Franche-Comté en 1982, le Conseiller régional pour le livre et la lecture avait mené une action dynamique et noué de nombreux contacts. Lorsqu'à la veille de l'été 1985 une douzaine de professionnels se réunirent à son initiative afin de réfléchir aux possibilités d'une coopération régionale organisée, bien que venant de secteurs divers, ils n'en étaient pas à leur première rencontre. La plupart avaient, en particulier, déjà oeuvré en commun au mois d'avril précédent pour présenter les bibliothèques et la documentation en Franche-Comté, au Salon du livre organisé pour la première fois à Besançon.
Aussi, la réflexion menée au cours des mois suivants aboutit-elle facilement, dans un accord général.
Tout d'abord, le constat fut fait de l'existence réelle mais limitée, et désordonnée, d'une coopération entre les personnes et/ou certains organismes. Mais, et pour tenir compte de l'évolution tant des responsabilités administratives et politiques (décentralisation) que des techniques documentaires (nouveaux supports, informatisation, etc. ), il apparut tout aussi clairement qu'un organisme « intermédiaire entre les pouvoirs de décision et l'ensemble des coopérants » 4 se révélait utile, voire indispensable. L'idée la plus nouvelle était en effet que si les professionnels devaient poursuivre, et étendre même, leur actions de coopération, ils devaient en outre y intéresser et y associer les responsables politiques locaux: les élus territoriaux. L'intérêt d'une telle démarche était évident.
Cependant, pour un bibliothécaire universitaire qui, de surcroît, est chargé de la direction d'un établissement - ce qui l'engage, en quelque sorte, moralement -, un examen plus approfondi s'imposait. Un certain nombre d'éléments pouvaient en effet amener à penser qu'une bibliothèque universitaire n'avait pas sa place dans un tel mouvement. Eléments d'ordre structurel tout d'abord: composante d'une université et relevant d'une direction du ministère de l'Education nationale, une bibliothèque universitaire n'a de lien administratif ni avec la Direction du livre et de la lecture (ministère de la Culture) ni avec une collectivité territoriale. Eléments techniques d'autre part : le public essentiel de ce type de bibliothèque - enseignants, chercheurs, étudiants - a des besoins précis qui conditionnent, sinon les formes de son travail, du moins l'optique dans lequel il est fait.
Les grands thèmes d'activité
Cette façon de voir les choses est surtout théorique : la réalité montre que même s'il y a loin de la recherche documentaire automatisée à l'heure du conte, les préoccupations fondamentales des bibliothécaires sont les mêmes partout. Et à l'examen des grands thèmes de coopération retenus dans les travaux préparatoires à la constitution de l'ACCOLAD, et que l'on retrouve dans la plupart des autres associations régionales, il apparaît clairement que la réalisation par les BU des missions qui leur sont confiées par les textes réglementaires ne peut qu'être facilitée par leur participation à un tel mouvement. Premier de ces thèmes : l'accès à l'information bibliographique. Il s'agit d'apporter une réponse, à la fois économique et pratique, au problème posé par la dispersion des collections : comment répondre, et au moindre coût, à la demande d'un lecteur ? Comment lui permettre de savoir que tel document qu'il recherche se trouve dans telle bibliothèque de la région ? Sans être le plus grand organisme documentaire de Franche-Comté, la bibliothèque de l'Université en est le plus complet en raison de la pluridisciplinarité de ses collections. Elle abrite un centre régional du Catalogue collectif national, dont le but, en ce qui concerne les périodiques, est de permettre cet accès à l'information bibliographique. Par ailleurs, elle a lancé au sein de l'Université un plan de restructuration de la documentation dont un des éléments est l'établissement d'une sorte de catalogue collectif de l'Université. Il est évident, dès lors, qu'elle ne peut rester à l'écart d'un mouvement plus vaste et plus ambitieux, à l'échelle de la région toute entière.
Second thème, la protection et la mise en valeur du patrimoine écrit et graphique. Comme toutes les « vieilles » BU, celle de Besançon possède des fonds anciens ainsi que de nombreux documents du XIXe siècle, dont on sait qu'ils sont les premiers menacés de destruction. Ses locaux et ses ressources budgétaires ne lui permettent pas d'en assurer actuellement une bonne conservation. Elle ne peut donc être qu'intéressée par un des projets de l'ACCOLAD, la création du CIRCE 5, qui lui permettrait, localement et dans des conditions financières intéressantes, de faire désinfecter et désacidifier une partie de ses collections et d'en permettre une meilleure conservation grâce à l'établissement de reproductions sur des supports de substitution, du microfilm au vidéodisque.
Par ailleurs, la BU dispose de documents originaux qui, bien que sans valeur marchande, constituent un élément du patrimoine régional: des diplômes d'études supérieures et des mémoires de maîtrise soutenus par des étudiants de l'Université. Grâce à une subvention spéciale du ministère de l'Education nationale, une quarantaine sont en cours de microfilmage, en plusieurs exemplaires, d'une part pour assurer leur conservation et leur diffusion par la bibliothèque elle-même, d'autre part, pour être confiés, en fonction de leur sujet, à d'autres bibliothèques de la région : tout en enrichissant ces collections, ils seront ainsi mieux connus et le travail de leur auteur valorisé.
La formation professionnelle est un domaine où les bibliothécaires ont toujours coopéré. Il n'est donc pas surprenant qu'elle ait été également retenue par l'ACCOLAD comme un thème important d'activité. Déjà prise en charge à certains niveaux par le Centre régional de formation professionnelle de Besançon (devenu depuis Bibliest par fusion avec celui de Dijon) ou par le groupe régional de l'Association des bibliothécaires français, elle est réalisée avec la participation de plusieurs membres du personnel de la bibliothèque. Il n'a jamais été question pour l'ACCOLAD d'organiser des formations venant concurrencer celles qui existaient mais soit de les soutenir, soit de les compléter.
Dans ce domaine, la bibliothèque universitaire est intéressée à divers titres. Certes, son personnel titulaire est recruté par l'Etat, qui propose aussi une formation continue, mais celle-ci n'est que partielle, et des stages ou journées d'étude organisés localement par une association de coopération sont utiles à ce personnel, qui y a effectivement participé à plusieurs reprises. Par ailleurs, comme bien d'autres organismes, la bibliothèque accueille de nombreux stagiaires (au titre des TUC 6 en particulier) auxquels il est souhaitable de donner une formation minimale. Enfin, dans l'optique de la mise en place, dans l'Université, d'un service commun de la documentation, la BU traditionnelle, centre de ce service, doit assurer une formation bibliothéconomique de base aux personnels travaillant dans les bibliothèques d'institut et de laboratoire, qui en sont dépourvus dans plus de 90 % des cas. La présence d'une association de coopération peut apporter ici une aide certaine à la bibliothèque, qui, seule, n'a pas les moyens d'organiser ces formations.
Le dernier des grands thèmes d'activité pris en compte par l'ACCOLAD intéresse certes moins une bibliothèque universitaire : il s'agit de l'information et du conseil, ainsi que de l'aide à leur animation. Néanmoins, si la bibliothèque disposait de locaux convenables et pouvait donc jouer un rôle d'animation, sur le campus en particulier, dont elle devrait être le centre des activités culturelles, nul doute que là aussi la coopération l'intéresserait vivement : fourniture de matériel, location d'expositions réalisées par d'autres, etc. Et, en retour, une information ainsi qu'une présentation des activités des autres bibliothèques de la région, dont la majorité des étudiants est originaire.
Au-delà de cette coopération « bibliothéconomique », un autre aspect est également important. En même temps qu'il décentralisait l'enseignement primaire et secondaire, l'Etat continuait à se réserver la charge de l'enseignement supérieur. Cela n'empêche cependant pas les collectivités territoriales de s'y intéresser et ce, de plus en plus : suscitant la délocalisation de premiers cycles, subventionnant certains enseignements et certaines recherches, participant à la construction et à l'aménagement de locaux... La présence, dans les associations de coopération, des élus de la région ne peut manquer de leur faire découvrir la bibliothèque universitaire si celle-ci y participe également : davantage conscients de ses activités et de son rôle, ils devraient à plus long terme se soucier de ses problèmes et agir au sein des collectivités qu'ils représentent pour que celles-ci lui apportent un soutien actif.
Il semble inutile d'insister davantage : il n'est nullement paradoxal qu'une bibliothèque universitaire, ses responsables, son personnel, participent aux activités d'une association régionale de coopération. En fait, c'est une nécessité.
janvier 1990