Vers de nouveaux rapports entre l'État et l'Université
La politique de contractualisation
Daniel Renoult
Depuis mai 1989, le ministère de l'Education nationale a lancé une politique nouvelle de l'enseignement supérieur qui se traduit par la contractualisation des rapports entre l'Etat et les universités. Après un rappel des objectifs généraux de cette politique, figurent l'analyse de la notion de contrat et la présentation des aspects liés à la fonction documentaire. Un premier bilan des contrats signés est dressé.
Since May 1989, the French ministry of Education issued a new policy on higher education, mainly based on the concept of a four year contract between universities and the State. The article describes the aims of this policy, the main features of the contracts and the particular consequences for university libraries and documentation.
Les universités françaises se seront davantage transformées au cours de ces vingt dernières années que pendant la totalité de la période qui va de la IIIe à la Ve République (1871-1958). Mais, après le bouleversement social de 1968 et la réforme de 1984, on aurait pu penser que l'enseignement supérieur, ayant retrouvé un équilibre institutionnel, pourrait se contenter de gérer une situation acquise. Toutes les prévisions montrent aujourd'hui le contraire : c'est au cours de la prochaine décennie que les universités et les grandes écoles devront relever les défis majeurs qui leur permettront d'achever et réussir pleinement leur transformation.
Une réflexion concertée
Il leur faudra tout d'abord accueillir un nombre croissant de jeunes bacheliers. Dans les cinq ans qui viennent, on prévoit plus de 300 000 étudiants supplémentaires. Les taux de scolarisation s'élèvent en effet sans cesse (à 18 ans, 34,9 % d'élèves ou d'étudiants en 1962, 66 % en 1982, 75,7 % en 1988). Les enseignements post-baccalauréat qui ne représentaient que 2,7 % de la population scolaire en 1960-1961 voient leurs effectifs augmenter très rapidement passant de 6 % en 1970-1971 à 9,6 % en 1988-1989 1. Cette tendance profonde de la société correspond aux aspirations des familles, aux souhaits des entreprises, à la volonté du gouvernement. Dans certaines régions, elle constitue une véritable rupture par rapport aux comportements sociaux antérieurs: dans le Nord et dans l'Ouest, régions où l'on entrait traditionnellement tôt dans la vie active, le passage par le système scolaire et universitaire est bien plus qu'autrefois perçu comme un facteur de réussite sociale. Ajouté à la progression démographique, à l'amélioration des capacités d'accueil de l'enseignement secondaire, ce changement culturel entraîne une progression particulièrement forte du nombre de bacheliers.
Le second défi lancé à l'enseignement supérieur concerne sa capacité à former en nombre et en qualité les professionnels de demain. Il revient en particulier aux universités de faire face au renouvellement massif du corps enseignant à tous les niveaux : entre 1991 et 1993, les prévisions de recrutement les plus modestes (sans amélioration des taux d'encadrement) prévoient la nécessité de recruter entre 3 100 et 3 400 enseignants par an pour le seul enseignement supérieur. Une autre préoccupation importante concerne les formations courtes à caractère technique et professionnel, et aussi celles des ingénieurs de toutes disciplines, tous ces besoins répondant à d'impérieuses nécessités économiques. Ces exigences conduiront l'enseignement supérieur (universités, grandes écoles) à doubler rapidement le nombre des diplômés.
Il s'agit enfin de placer les formations de l'enseignement supérieur à un niveau de compétitivité européenne. La recherche de pointe, innovatrice, créatrice de nouveaux savoirs, celle sur laquelle se fonde la valeur de l'enseignement, est en effet devenue totalement internationale. Se placer d'emblée dans la compétition mondiale implique de la part des établissements eux-mêmes une stratégie basée non plus sur la volonté de couvrir à tout prix l'ensemble des champs disciplinaires, mais sur des choix résultant d'évaluations, et des priorités clairement énoncées en faveur de domaines d'excellence.
Faire face à ces défis suppose que soient simultanément maîtrisés deux processus complémentaires : d'une part la croissance des implantations universitaires sur l'ensemble du territoire facilitant l'accès d'un plus grand nombre de bacheliers à l'enseignement supérieur, et d'autre part, l'identification et le développement de pôles européens. L'Etat conserve la responsabilité première de l'enseignement supérieur, mais la maîtrise de la carte et de l'aménagement universitaires ne peut être de sa seule initiative et de sa seule compétence. Elle exige pour être réussie une réflexion concertée sur l'avenir à moyen terme avec la communauté universitaire, avec les collectivités locales, et une démarche de programmation à tous les niveaux. Elle exige aussi un management différent des universités et une définition nouvelle des rôles respectifs des administrations centrales de l'Etat et des établissements d'enseignement supérieur. Ceux-ci vont voir accrues leurs responsabilités pédagogiques, financières. Plus autonomes, ils seront les réels interlocuteurs de l'Etat, qui conserve ses responsabilités financières d'impulsion et de mise en cohérence d'objectifs nationaux. La participation croissante des collectivités locales aux constructions universitaires, notamment dans le cadre de contrats conclus entre l'Etat et les régions démontre bien que la dynamique du développement passe par la mobilisation de l'ensemble des partenaires régionaux.
Lancée en mai 1989, la mise en oeuvre de cette politique s'effectue rapidement. La redéfinition du rôle de l'Etat s'est traduite par une réorganisation de l'administration centrale chargée de l'enseignement supérieur, et notamment la création d'une direction de la programmation et du développement universitaire chargée de mettre en place la contractualisation et de proposer un schéma national d'aménagement universitaire.
L'organisation du partenariat entre l'Etat, les établissements d'enseignement supérieur et les collectivités locales déjà initiée depuis 1983 par des contrats Etat/région, s'est manifestée notamment par le lancement en avril 1990 de procédures de concertation sur les schémas régionaux d'aménagement et de développement des enseignements supérieurs. Destinés à enrichir le futur schéma national, ils comporteront des prévisions d'effectifs et la hauteur de leurs capacités d'accueil, les grandes orientations de développement, la carte des localisations universitaires. Mais un des axes fédérateurs de la politique nouvelle est la contractualisation, fondée à la fois sur la notion de partenariat et de projet.
La contractualisation : une démarche de projet
Pour un établissement d'enseignement supérieur, passer un contrat 2 avec l'Etat, c'est d'abord élaborer un projet qui se fonde sur un état des lieux (formations initiale et continue, recherche, politique documentaire, relations internationales,...), un diagnostic des forces et faiblesses, des potentialités, une analyse de l'environnement régional (scientifique, économique, industriel). Ce projet, le plus souvent préparé en liaison avec les autres établissements d'enseignement supérieur, détermine en fonction de ces données les axes de développement. Le rôle du président de l'université est renforcé par cette procédure, car il est clairement désigné aux partenaires extérieurs comme l'interlocuteur privilégié. La démarche vise également à mobiliser toutes les composantes de l'université autour d'un projet commun. Recrutés parmi les universitaires ayant l'expérience de la gestion d'une université comme président ou vice-président, des conseillers d'établissements sont chargés d'aider les universités dans la phase de préparation du contrat, et d'effectuer la liaison avec la direction de la programmation et du développement universitaire.
Des contrats définissant les engagements respectifs (orientations, moyens) de l'Etat et des établissements d'enseignement supérieur pour une durée de 4 ans vont ainsi être négociés en quatre phases, de 1989 à 1991. En 1989, afin d'amorcer un rééquilibrage des moyens en faveur des régions conjuguant le sous-encadrement plus élevé et la plus forte poussée démographique, priorité a été donnée à la contractualisation du nord et de l'ouest, et des territoires hors métropole. Les contrats correspondants sont signés ou en cours de signature. Depuis février 1990 la seconde vague de contractualisation touche l'est, le centre-est ; la troisième vague, lancée en avril 1990, concernera le sud-est et le centre-ouest. Le processus s'achèvera en 1991 avec la région parisienne, qui accueille aujourd'hui 30% des effectifs universitaires.
Autonomie et évaluation
On sait qu'en France l'essentiel des moyens de l'enseignement supérieur provient de l'Etat 3. Récemment encore, la répartition de ces moyens était affectée de manière tellement précise que le pouvoir d'orientation budgétaire des conseils et des présidents était extrêmement limité. La logique de la contractualisation a conduit l'Etat à confier aux établissements d'enseignement supérieur des responsabilités accrues dans le domaine financier en mettant en place une dotation globale de fonctionnement. Il revient désormais à l'université, dans le cadre du contrat qu'elle a signé avec l'Etat, de mener sa politique comme elle l'entend et d'affecter elle-même les moyens qui lui sont alloués. Par ailleurs, des réflexions sont en cours concernant l'assouplissement des règles de gestion. Des mesures importantes ont déjà été prises en ce sens dans la loi d'orientation de l'Education nationale (loi n° 89-486 d'orientation sur l'éducation, du 10 juillet 1989) confiant à toutes les universités la maîtrise d'ouvrage des opérations de maintenance et à celles qui le souhaitent les constructions neuves.
Le corollaire de la politique contractuelle, comme des mesures d'assouplissement de la gestion, est la mise en place d'une évaluation en fin de contrat permettant à chacun de mesurer si les engagements ont été tenus et les objectifs atteints. En dehors de l'évaluation prévue au terme des quatre ans, une évaluation à mi-parcours des contrats autorisera des ajustements et, si nécessaire, des avenants. L'amélioration des processus d'évaluation suppose la mise au point d'un système d'indicateurs internes et externes, permettant à la fois une véritable photographie de l'établissement et la quantification des objectifs inscrits dans le contrat.
La politique documentaire
Toutes les mesures qui viennent d'être décrites vont dans le sens d'une réelle décentralisation des responsabilités, et d'une autonomie authentique des universités. Il va de soi que la politique documentaire des établissements d'enseignement supérieur et celle des bibliothèques universitaires ou interuniversitaires ne peut s'inscrire que dans le cadre général de cette politique nouvelle. Publié au début de 1989, le rapport de la commission Miquel 4, fait explicitement référence à une décentralisation des bibliothèques comprise comme une totale insertion dans le tissu régional et universitaire (« Il s'avère indispensable de faire des universités, des régions et des entreprises les principaux moteurs de la rénovation documentaire ») et invite l'administration centrale à évoluer vers des fonctions « d'étude et de conseil ». La « tutelle » des bibliothèques universitaires ne peut être autre que les universités elles-mêmes, qui doivent avoir l'entière maîtrise de leur politique documentaire. Exprimant le voeu que les futurs contrats « lient explicitement l'attribution de moyens à l'obligation de résultats », le rapport propose les objectifs types d'une politique documentaire : « plan cohérent d'organisation dans le cadre du statut de service commun, regroupement de moyens, appel à des personnels professionnellement qualifiés, aménagement de locaux visant à faciliter le libre accès, larges horaires d'ouverture, coopération avec les partenaires régionaux ». Enfin, si les bibliothèques universitaires se voient assigner un rôle « pilote », le rapport invite expressément les partenaires de la politique contractuelle à envisager « l'ensemble du tissu documentaire dans un site donné », c'est-à-dire les bibliothèques des unités de formation et de recherche, les bibliothèques des instituts et des laboratoires, organismes qui ne bénéficiaient jusqu'à présent d'aucun subventionnement direct. Ces recommandations ont été bien reçues par la communauté universitaire comme par les professionnels des bibliothèques et forment un cadre de travail pour les négociations en cours.
L'Etat a été conduit à redéfinir son rôle. La réorganisation de l'administration centrale s'est traduite, pour les bibliothèques universitaires, par la suppression de leur direction de tutelle (DBMIST), et la création d'une structure plus légère (la sous-direction des bibliothèques), intégrée à la direction de la programmation et du développement universitaire. Cette sous-direction a, entre autres, pour mission de suivre le volet documentaire de la politique contractuelle.
Dans le même temps, l'organisation statutaire de la documentation universitaire a été modifiée : désormais capable de réunir dans une structure de type fédéral les différentes bibliothèques de l'université, le service commun de documentation peut devenir l'instrument d'une politique menée par les présidents d'université en accord avec les objectifs nationaux de développement de ce secteur.
La méthode préconisée pour le contrat dans son ensemble vaut pour la politique documentaire. L'état des lieux doit inclure non seulement les principaux éléments statistiques concernant la bibliothèque universitaire, en général déjà connus par une enquête nationale annuelle 5, mais aussi et surtout ceux qui se rapportent aux autres bibliothèques, dont les moyens cumulés sont parfois supérieurs à ceux des bibliothèques centrales, et jusqu'à présent mal connus 6. L'université indique ensuite les objectifs qu'elle s'assigne dans le domaine de la documentation, en précisant ses priorités. Les plus fréquemment mentionnées sont l'accroissement des collections, la rationalisation des espaces documentaires et de leur répartition dans l'université, l'amélioration des services (libre accès, heures d'ouverture, catalogues informatisés accessibles au public), et enfin les constructions nouvelles. On cherche ensuite à fixer des objectifs quantitatifs sur quatre ans, et à évaluer les moyens nécessaires (financement, emplois) pour y parvenir.
Un premier bilan plutôt positif
S'agissant d'un processus en cours, il est naturellement prématuré de proposer des conclusions d'ensemble. Cependant le fait que sur les 21 universités concernées par la première tranche de contractualisation, 17 établissements aient signé un contrat et que 5 soient dans la phase ultime de rédaction autorise déjà quelques réflexions générales. On peut tout d'abord souligner que la méthode proposée est très bien accueillie par les établissements : l'intérêt d'un auto-diagnostic et d'une analyse en profondeur des besoins, la pertinence d'une démarche de projet dépassant le cadre trop étroit de l'annualité budgétaire, la souplesse du processus de négociation ont été ressentis positivement par de nombreux présidents d'université. Il ne fait aucun doute également que la contractualisation est aussi l'occasion d'une prise de conscience collective de l'ampleur des besoins en matière d'investissement, mais aussi des lacunes de la gestion des universités. Comment, par exemple, mettre en place une gestion prévisionnelle lorsque l'on ne dispose pas d'éléments de tableau de bord ? L'amélioration des méthodes de prévision, là mise en place d'une programmation budgétaire à moyen terme, est également une conséquence logique de la démarche engagée et l'un des objectifs de la direction de la programmation et du développement universitaire.
Pour les bibliothèques, la contractualisation s'effectue dans un contexte d'expansion : les crédits de fonctionnement des bibliothèques universitaires, et de grands établissements sont en effet passés de 85,6 MF en 1987 à 197,9 MF en 1990, soit une progression de 131 %. Simultanément, la reprise des créations d'emploi en 1990 a permis d'en faire prioritairement bénéficier les établissements contractualisés. C'est ainsi que les 21 universités concernées par la première tranche de contractualisation, qui représentent 20 % des étudiants, ont pu recevoir en moyenne 45 % des emplois (40 % pour les bibliothèques). L'engagement de construire des bibliothèques (35000 places nouvelles) est également à inclure dans ce contexte d'expansion. Mais au-delà de ces facteurs qualitatifs favorables, il faut souligner qu'un des mérites de la politique nouvelle est de valoriser dans les contrats la fonction documentaire, qui est désormais considérée comme aussi importante que les fonctions d'enseignement et de recherche.
Le retard accumulé par les bibliothèques universitaires a conduit la commission Miquel à préconiser en leur faveur des procédures dérogatoires de financement (« fléchage des crédits »). Après discussion, il a paru préférable de ne remettre en cause en aucune manière l'autonomie financière des établissements. Le principe de la dotation globale de fonctionnement n'a donc fait l'objet d'aucune mesure d'exception pour la fonction documentaire. Toutefois, les annexes financières des contrats précisent par objectifs les concours apportés par l'Etat au développement de la documentation.
En pratique, la politique contractuelle permet de commencer à mettre en oeuvre de nombreuses recommandations du rapport Miquel. Des opérations importantes ont pu être soutenues : développement des fonds de bibliothèques universitaires récentes comme Le Havre, Valenciennes, Corte, Angers ou Compiègne ; opérations de modernisation d'envergure à Nantes, Rouen et Caen ; constructions de nouveaux locaux de bibliothèques à Amiens, Le Havre, Angers ou La Réunion ; mise en place de réseaux documentaires locaux ou régionaux par exemple à Lille, Saint-Etienne, Nantes ou au Mans ; extension des heures d'ouverture en soirée par exemple à Nantes, Angers ou Caen.
Vers un schéma d'aménagement des enseignements supérieurs
Première priorité nationale, l'éducation bénéficie et va bénéficier dans les prochaines années d'investissements exceptionnels, notamment l'enseignement supérieur. L'importance de ces investissements (16 milliards consacrés entre autres aux constructions et à l'aménagement des campus), la recherche de meilleurs équilibres régionaux, les enjeux européens, justifient la mise en place d'un schéma d'aménagement des enseignements supérieurs articulé sur trois niveaux : national, régional et local. Les bibliothèques ont et auront bien entendu toute leur place dans un tel schéma. Au niveau local, elles doivent être un des points d'appui de l'aménagement des campus. A l'échelon régional, en liaison avec les bibliothèques des collectivités locales, elles peuvent être un des éléments déterminants de rééquilibrage des forces documentaires régionales par rapport au poids considérable de Paris et de l'Ile-de-France. Participant à des réseaux nationaux ou internationaux (catalogues collectifs, prêt entre bibliothèques), elles sont enfin au niveau national un élément structurant pour l'enseignement supérieur. D'ores-et-déjà, la décision a été prise de faire de la fonction documentaire un des axes majeurs des futurs pôles européens.
avril 1990