Politique pour le livre et les bibliothèques
Le Conseil régional de Bourgogne
Gilles Gudin de Vallerin
Bien avant la décentralisation, le Conseil régional de Bourgogne subventionne la bibliothèque de l'université de Dijon et les bibliothèques centrales de prêt. Depuis mai 1982, les élus ont amplifié cette action en définissant des critères d'intervention (aménagement de bibliothèques, acquisition de livres, bibliobus). L'exemple bourguignon conduit à s'interroger sur la spécificité des politiques culturelles régionales. Quelle est la réalité de la compétence culturelle attribuée aux régions par la loi du 2 mars 1982 ?
A long time before the beginning of decentralisation, the Regional council of Burgundy has been subsidizing the Dijon university library and the Burgundy central lending libraries. Since may 1982, municipalities have amplified this action and defined action criteria (library arrangements, books acquisitions, mobile libraries). The Burgundy exemple questions the specificity of regional cultural policies. What is the real meaning of the decisional rights on cultural matters granted to the regions by the 2 march 1982 act ?
Le bilan des actions de la région Bourgogne en matière de livre et de bibliothèques n'avait pas été dressé avant 1988. Mon étude 1 se proposait d'esquisser une évaluation des programmes de développement de la documentation nécessaire à la recherche, d'aide à la lecture publique et de promotion du livre (éditeurs et libraires régionaux, animations en faveur du livre). Ces interventions correspondaient-elles à une politique unique souhaitée par le Conseil régional ou formaient-elles trois actions engagées séparément par la région et indépendantes l'une de l'autre ? Les dotations budgétaires importantes attribuées par le Conseil régional complétaient-elles simplement le catalogue des aides publiques de l'Etat, des départements et des communes 2 ou traduisaient-elles l'émergence d'une politique réellement originale par rapport aux autres acteurs culturels ? Dans l'élaboration de cette politique de la région Bourgogne, quel était le rôle des lois de décentralisation ?
Compétence culturelle
Avant 1982, les interventions culturelles des régions n'ont aucun caractère obligatoire. La loi du 5 juillet 1972 stipulait que les établissements publics régionaux (EPR) n'avaient pour mission que de « contribuer au développement économique et social » (art. 4). Pourtant, dès les premières années de son existence, le Conseil régional de Bourgogne participe à l'installation du Théâtre national dramatique de Bourgogne, favorise la sauvegarde du patrimoine archéologique, soutient les fédérations musicales et finance plusieurs bibliothèques. Il n'est pas sans intérêt de déterminer l'origine et les motifs de ces premières mesures.
Avant 1982, c'est le préfet de région qui assure l'exécutif de l'EPR tout en représentant l'Etat. La double fonction du préfet pose un problème fondamental: l'origine de la politique culturelle se trouve-t-elle au Conseil régional ou à la préfecture ? Peut-on affirmer comme Yves Meny que « bien des politiques locales sont suscitées par les autorités supérieures qui, par le biais fiscal ou réglementaire, incitent ou obligent les élus locaux à la prise en compte de besoins jusque-là négligés » 3?
A la précocité des interventions du Conseil régional de Bourgogne s'ajoute la diversité des secteurs touchés par cette démarche originale, tantôt liée à la prise de conscience des élus (bibliothèque de l'université de Dijon, en 1974, bibliothèque scientifique de l'Ecomusée du Creusot, en 1979), tantôt due aux suggestions du préfet de région (bibliothèques centrales de prêt, à partir de 1977). Dès 1974, il attribue 200 000 F à une opération de caractère culturel: l'acquisition de livres et de périodiques pour la bibliothèque de l'université de Dijon, subvention qui fut assimilée à une subvention d'équipement, la loi du 5 juillet 1972 interdisant aux EPR d'intervenir en matière de fonctionnement. Avant la décentralisation, la décision de financer la construction des BCP, fortement influencée par les services de l'Etat, n'en demeure pas moins exceptionnelle : en 1984, le Rapport Yvert constate que les régions ne participent « que dans une minorité de cas aux frais de construction et de mobilier » 4.
La loi du 2 mars 1982 relative aux « Droits et libertés des communes, des départements et des régions » confie aux conseils régionaux la mission de « contribuer au développement économique, social et culturel de la région » (art. 64). L'article 59 précise que le Conseil régional élu au suffrage universel direct « a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des départements et des communes ». Cette nouvelle compétence culturelle, dont la répartition avec l'Etat n'est pas strictement délimitée dans les textes, sera-t-elle définie par la pratique respective des collectivités territoriales et de l'Etat ?
En 1987, la région Bourgogne se situe au septième rang des régions françaises pour les dépenses culturelles, avec 20,90 F par habitant. Elle privilégie nettement l'investissement puisqu'elle figure en seconde position pour les dépenses en capital, avec 14,80 F par habitant, et en quatorzième place pour les dépenses courantes, avec 6,10 F par habitant. Sont favorisés : la musique, les monuments historiques, le théâtre, l'art contemporain, les muséums d'histoire naturelle, enfin le livre et les bibliothèques.
Création de bibliothèques municipales
En 1982, la Direction du livre et de la lecture voit ses crédits triplés. Parallèlement à cette forte impulsion de l'Etat 5, le Conseil régional de Bourgogne continue de mener sa propre politique de développement de la lecture. Cette indépendance s'exprime, le 10 mai, dans la définition de critères d'intervention spécifiques au conseil : les aménagements internes des bibliothèques, les acquisitions de livres et l'achat de bibliobus pour favoriser la décentralisation des bibliothèques municipales les plus importantes.
L'adoption de ces critères n'a pas donné lieu à des polémiques en séance plénière. En dépit des changements de majorité en 1983 et en 1985, le consensus dans le domaine de la lecture publique ne s'est jamais démenti. Depuis mai 1982, les domaines d'intervention de la région sont demeurés identiques, à l'exception notable de la ligne budgétaire consacrée aux bibliobus qui, faute de demandes suffisantes, a été supprimée en 1984.
Le Conseil régional subventionne les aménagements intérieurs et le mobilier, ainsi que le financement des constructions relevant de l'Etat. Pour ces aménagements internes, la région prend à sa charge 50 % du montant TTC des travaux, avec un minimum de dépense subventionnable de 50 000 et un plafond de subvention à 250 000 F, seuils qui devraient être réactualisés. En ce qui concerne les livres, elle donne des crédits d'achat à hauteur de 60 % du montant des acquisitions envisagées, avec un minimum de 20 000 F de dépense subventionnable par les deux parties et une subvention plafonnée à 60 000 F. Bernard Bardin, président de la commission « culture » du Conseil régional entre1982 et 1986, pense que ce seuil de 20 000 F est fondamental : il évite d'atomiser les efforts de la région et limite donc le dérapage politique. La démagogie consisterait à distribuer un maximum de petites subventions à de nombreuses communes pour des raisons électorales...
En limitant à 60 000 F le crédit d'achat de livres, les élus souhaitent favoriser le « démarrage » de nombreuses petites bibliothèques dont l'installation a été précédemment subventionnée par la région. Selon Nicolas Millet, chef du service des affaires culturelles du Conseil régional, la région se situe au niveau de l'investissement : subvention à l'aménagement de bibliothèques, aide aux premiers achats de livre. Cette politique d'incitation à la création ou à l'aménagement de bibliothèques répond à un réel besoin. Il est toutefois regrettable qu'en 1989 aucune ligne budgétaire spécifique ne soit encore prévue à l'achat de disques ou de vidéos.
Ces critères d'intervention fondés sur des seuils sont finalement assez libéraux. En ce qui concerne les locaux, on ne requiert pas de surface minimale pour subventionner l'aménagement, comme l'Etat l'impose pour la dotation générale de décentralisation (DGD). Un budget local d'achat d'ouvrages et la qualification des responsables de la bibliothèque ne sont pas exigés pour assurer une garantie de suivi - conditions techniques de recevabilité qui ont, en revanche, été retenues, à juste titre, par les départements de la Côte-d'Or et de la Saône-et-Loire. Ces critères de surface, de personnel, de dépenses minimales par habitant sont jugés bien théoriques et trop contraignants par Raymond Janot, président du Conseil régional de Bourgogne. Les critères actuellement retenus par le conseil sont simples, rapidement applicables et laissent toute liberté de décision aux élus régionaux. Des conditions d'éligibilité plus dirigistes ne permettraient pas de s'adapter et limiteraient les actions possibles.
Pour la mise en oeuvre de ces critères, existe-t-il des liens entre l'Etat, les départements et la région Bourgogne ?
Coopération collectivités territoriales-Etat
Pour l'attribution de subventions aux communes de moins de 10000 habitants, la région demande systématiquement l'avis des directeurs de BCP par lettre officielle adressée aux présidents des conseils généraux ou, directement, aux directeurs des BCP. Lorsqu'il s'agit de constructions entraînant l'intervention financière de l'Etat dans le cadre de la seconde part de la DGD 6, et pour les communes de plus de 10 000 habitants, la région consulte le conseiller technique pour le livre et la lecture. L'intérêt pour le Conseil régional est de recevoir finalement une note technique. Cet avis autorisé atténue les inconvénients dus à l'absence de critères de surface, de personnel qualifié ou de dépense minimale par habitant.
Pour ce qui est de la lecture, la grande majorité des demandes de subvention est acceptée, ce qui n'est pas le cas dans les secteurs du livre et de la musique. En ce qui concerne les bibliothèques, la sélection s'effectue à la base par les directeurs de BCP, qui connaissent bien les communes rurales et leurs maires.
La région et l'Etat ne souhaitent plus subventionner entièrement des constructions de bibliothèques, même si, en 1987 et en 1988, ce fut encore le cas pour deux petites agglomérations. Une commune subventionnée qui montre son implication dans l'aménagement de sa bibliothèque par un réel effort financier lui donnera plus facilement les moyens de fonctionner après son installation (crédits réguliers d'acquisition de livres). Le règlement d'intervention de la région en matière de lecture publique limite d'ailleurs le cumul des aides extérieures à 60 % du montant du projet. Bien qu'une concertation préalable entre le chef du service des affaires culturelles et le conseiller pour le livre et la lecture existe pour éviter de franchir ce taux et harmoniser les deux politiques, les procédures d'attribution des subventions ne permettent néanmoins pas de prendre une décision commune.
Sans fixer de calendrier, les élus régionaux tiennent à traiter rapidement les demandes au fur et à mesure de leur arrivée. En revanche, les services de la DRAC examinent l'ensemble des dossiers de la seconde part de la DGD à une date donnée et impérative. Dans une note, Françoise Duvernier et Bertrand Calenge 7 suggèrent au Conseil régional de « donner une date limite de dépôt des dossiers, pour permettre une étude synthétique de l'ensemble de ceux-ci sur la région » 8.
Dans le cadre de la seconde part de la DGD, l'Etat finance entre 20 et 40 % du montant du projet de construction de bibliothèque. Pour éviter un dépassement du taux de 60 % de co-financement par l'Etat et la région, il est toutefois impensable qu'un préfet accorde à une ville une subvention ne représentant que 10 % de son programme parce que la région a attribué une subvention au taux maximum, c'est-à-dire 50 % du coût d'aménagement. Les préfets souhaitent un partage équitable tant entre les villes que les départements. Or, dans le cadre d'une politique volontariste pour établir un réseau régional de bibliothèques, il conviendrait, une année, d'attribuer davantage de crédits à tel département, et l'année suivante, de privilégier tel autre.
A partir des critères d'intervention, cette procédure de coopération entre la région, l'Etat et les départements se révèle d'autant plus efficace que les sommes engagées sont conséquentes.
Des dotations importantes
En 1986, les bibliothèques municipales bénéficient de subventions régionales d'un montant de 14 905 351 F (tabl. 1), tandis que les bibliothèques universitaires reçoivent seulement 2 689 284 F (tabl. 2). Globalement, les conseils régionaux subventionnent davantage les bibliothèques municipales que les bibliothèques universitaires. En Bourgogne, l'effort consenti par la région est conséquent pour tous les types de bibliothèque.
De 1974 à 1981, les dotations de la région pour le livre et les bibliothèques représentent 18 % des dépenses culturelles, mais restent irrégulières. Cette proportion baisse sensiblement de 1982 à 1988 - 12 % -, mais le Conseil régional intervient désormais chaque année en faveur de la bibliothèque de l'université et des bibliothèques municipales.
En 1984, la Bourgogne dépense deux fois plus que la moyenne nationale pour les bibliothèques. Les données des Rapports annuels concernant les subventions régionales aux bibliothèques municipales confirment cette étude du département des études et de la prospective. En 1985-1986, la Bourgogne figure parmi les sept régions - Aquitaine, Bourgogne, Champagne-Ardennes, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Rhône-Alpes - qui subventionnent fortement leurs bibliothèques municipales, en investissement essentiellement (tabl. 1). De 1985 à 1987, la bibliothèque de l'université de Bourgogne est l'un des services de documentation les plus subventionnés par sa région (tabl. 2).
De 1982 à 1989, l'intervention du Conseil régional pour les bibliothèques de lecture publique passe de 1 185 379 F à 2 800 000 F (tabl. 3 et 4). Sur 225 opérations financées par le Conseil régional de 1982 à 1988, seules 91 concernent l'aménagement interne des bibliothèques municipales (tabl. 5), mais ce chiffre représente 72 % des crédits consommés. A l'opposé, les dossiers d'acquisition de livres, qui sont bien plus nombreux - 134 -, absorbent à peine 28 % des sommes engagées (tabl. 6). Et si ces deux dernières années, l'aide aux acquisitions a pourtant réellement augmenté en nombre d'opérations et surtout en masse budgétaire - en 1987, 40 %, et en 1988, 42 % -, le plafonnement des crédits d'achat de livres à 60 000 F limite le phénomène. En dépit de cette évolution en faveur du fonctionnement des bibliothèques, la Bourgogne intervient sensiblement moins dans le fonctionnement que l'ensemble des conseils régionaux, dont les interventions culturelles en fonctionnement ont été multipliées en francs constants par 2,3 entre 1984 et 1987 9.
Pour un réseau de bibliothèques
Ces critères d'intervention, cette procédure d'examen des dossiers, ces sommes engagées doivent tendre vers un seul objectif, que la région a fixé clairement dans un document intitulé La politique culturelle de la région de Bourgogne 10. Le règlement d'intervention relatif au livre et à la lecture publique préconise : « la mise en place d'un réseau de bibliothèques publiques, notamment dans les petites communes desservies par les bibliothèques centrales de prêt » 10.
Dans ce texte programme, il est relevé très justement (IVe partie, 1er chapitre) que « la Bourgogne est un conglomérat de pays... ». Françoise Duvernier et Bertrand Calenge proposent au Conseil régional de tenir compte de cette réalité : « Pour les bibliothèques, développer des réseaux et assurer une irrigation en profondeur suppose que les « pôles » de ces pays disposent d'équipements forts, solides, bien équipés. Si des départements peuvent penser rééquilibrer la desserte territoriale par des bibliothèques de pays ou bibliothèques centres de ressources, la région Bourgogne peut se préoccuper prioritairement de « bibliothèques de référence » à vocation patrimoniale affirmée. Ces bibliothèques se sont inscrites sur la « carte patrimoniale » 11 ; leur intérêt régional ne pourrait-il être reconnu spécifiquement dans les aides apportées par le Conseil régional ? » 12. Georges Curie, conseiller interrégional pour le livre et la lecture en Bourgogne et en Franche-Comté pourrait-il encore dire comme en 1983: « Actuellement, des dossiers de création de bibliothèques arrivent au Conseil régional. Est-on capable de dire : non, celle-là n'est pas prioritaire par rapport à un réseau régional cohérent ? » 13.
Pour favoriser la constitution de ce réseau régional, les différents partenaires qui interviennent dans le domaine de la lecture devraient renforcer leur coopération. Dès 1984, le Rapport Yvert a montré que la coopération entre bibliothèques était susceptible de devenir une des missions culturelles des régions. Il a préconisé la constitution de structures régionales décentralisées de bibliothèques en déterminant leurs fonctions. ABIDOC ne pourrait-elle pas être chargée par le Conseil régional de structurer ce réseau, comme ce fut le cas entre la région Franche-Comté et ACCOLAD (association comtoise de coopération pour la lecture, l'audiovisuel et la documentation) dans le cadre du contrat de plan Etat-région (1984-1988) ? Dans l'immédiat, cette concertation entre l'Etat, la région, les départements, les communes et les associations s'effectue sans contractualisation, tandis que dans le secteur du livre elle avait été institutionnalisée dès février 1985 par le contrat particulier « culture » du contrat de plan. Six régions, dont celle qui nous concerne - Aquitaine, Bourgogne, Champagne-Ardennes, Languedoc-Roussillon, Provence et Rhône-Alpes -, ont intégré le livre à leur contrat particulier « culture ».
Le livre : début prometteur, résultats modestes
Dans les années 1982-1984, la diffusion et la promotion du livre sont soutenues financièrement par les instances régionales : 305 625 F en 1982, 108 829 F en 1983 et 425 676 F en 1984 (tabl. 7). En revanche, le centre régional des lettres prévu par la convention de développement culturel entre l'Etat et la Bourgogne (juillet 1982) ne verra finalement pas le jour. Une structure minimale moins contraignante lui sera préférée : une commission technique du livre ou commission mixte. De 1984 à 1988, l'Etat et la région Bourgogne se sont engagés à consacrer chacun 250 000 F par an pour la réalisation du programme « livre ». A chaque session, des dates limites pour le dépôt des dossiers étaient indiquées de manière à pouvoir procéder à des choix correspondant aux critères et à l'enveloppe budgétaire. Les critères d'intervention de cette commission mixte se caractérisaient par leur variété et leur hétérogénéité : bourses d'auteur, aides aux associations d'auteurs bourguignons, subventions aux bibliothèques pour constitution d'un fonds régional, édition et mise à jour d'un catalogue régional des livres disponibles, aides aux manifestations et actions en faveur du livre et de la lecture.
En février 1986, cette commission refuse d'aider l'édition, ce qu'a pourtant entrepris le centre régional des lettres d'Aquitaine, par des subventions et par l'intermédiaire d'un fonds de prêt pour les éditeurs. A compter de cette même date, les crédits sont, d'un commun accord, diminués de moitié: 125 000 F pour chaque partie. Selon Michel Alessio, chargé de mission à la mission d'action régionale (DLL), ce refus de la région s'expliquerait par le raisonnement suivant : « Quel que soit le siège de la maison d'édition ou le lieu de résidence de l'auteur, la distribution du livre est centralisée et la Bourgogne est dans la mouvance de Paris; rien ne distingue en fait un éditeur installé à Dijon, plutôt que dans le sixième arrondissement: il n'a aucune spécificité régionale ; rien ne justifie donc une aide de la région. Quant au contenu, le Centre national des lettres est là pour aider à la publication d'ouvrages difficilement commercialisables » 14. Aussi le consensus rencontré pour le développement de la lecture publique et pour l'animation autour du livre ne se réitère-t-il pas pour l'aide à l'édition.
De 1982 à 1988, les subventions en faveur du livre représentent 8,51 % des dotations budgétaires relatives au livre et aux bibliothèques (tabl. 7). Aussi les interventions financières de la commission technique du livre apparaissent-elles bien faibles par rapport à celles du centre régional des lettres d'Aquitaine.
L'actuel contrat de plan Etat-région Bourgogne (1989-1993) ne prévoit pas la reconduction du programme « livre » - ce qui entraîne la disparition de la commission technique du livre. Il n'envisage la culture que sous l'aspect des monuments historiques dans la rubrique « tourisme ». La région Bourgogne souhaite toutefois continuer à favoriser certains projets : les salons du livre des auteurs de Bourgogne et du bébé-lecteur, la connaissance de la littérature internationale du XXe siècle, la promotion de la poésie contemporaine et l'édition d'une Anthologie des auteurs de Bourgogne à l'usage des collèges et des lycées de la région.
Petites bibliothèques et grands établissements
Lors de la journée d'étude du 17 octobre 1988 organisée par l'ABF-Bourgogne et consacrée au rôle de la région en matière de livre et de lecture, le débat s'est engagé « pour savoir si la région a vocation à densifier le réseau des petites bibliothèques, autour des bibliothèques centrales de prêt des départements, ou si elle doit plutôt inscrire son action à un autre niveau pour intégrer son système d'information documentaire dans le cadre européen en renforçant les missions spécifiques de certains établissements autour de l'informatique, de la documentation scientifique et technique, de la Bibliographie bourguignonne, du dépôt légal... » 15.
Aujourd'hui, la région Bourgogne semble s'orienter vers la prise en compte de ces deux pôles complémentaires. Parallèlement à sa politique de développement de la lecture en milieu rural, le Conseil régional vient de consentir, le 10 juillet 1989, une subvention de 150 000 F pour le projet d'informatisation de la Bibliographie bourguignonne présenté par la bibliothèque municipale de Dijon et par ABIDOC. Cette banque de données bourguignonne se situe dans la logique du Schéma directeur de l'information bibliographique du ministère de la Culture (1989) qui préconise de « recentrer » la coopération sur la mise en valeur de fonds locaux par l'intermédiaire des catalogues collectifs régionaux. Le Conseil régional de Bourgogne va donc financer l'équipement informatique de cette banque de données - comme l'avait déjà décidé, en 1985, le Conseil régional d'Alsace pour les « Alsatiques » poursuivant ainsi son aide à l'édition de la bibliographie bourguignonne qu'il avait subventionnée à 82 % (97 100 F) de 1982 à 1988. En favorisant une diffusion plus moderne de cette bibliographie, qui devrait s'ouvrir dorénavant à l'ensemble des disciplines, il. entend promouvoir une opération vraiment régionale puisqu'elle intéresse tous les types d'établissements et surtout un public bien plus large.
A chaque région sa politique culturelle
La compétence culturelle des conseils régionaux se concrétise peu à peu par des interventions multiples et variables d'une région à l'autre, puisque la loi du 2 mars 1982 institue une nouvelle mission régionale sans en définir les limites.
« Avant 1986, la région Aquitaine a participé au financement de grandes bibliothèques municipales (Bordeaux, Périgueux) et des BCP des Landes, de la Gironde et des Pyrénées-Atlantiques (annexe d'Hasparren). A partir de 1986, la région considère que la lecture publique n'est plus de sa compétence : les BCP sont transférées aux départements et les communes disposent désormais de la dotation générale de décentralisation » 16. Ce changement de politique se traduit par une chute notable des subventions de la région Aquitaine aux bibliothèques municipales : 1 598 000 F en 1985, 101 500 F en 1986 (tab. 1). Toutefois, en 1988, elle consacre 6,94 % de son budget culturel au livre, soit 2 900 000 F - dont 700 000 F pour le centre régional des lettres.
Le Conseil régional de Franche-Comté est intervenu, dès 1984, en subventionnant quatre bibliothèques municipales pour un montant de 200 000 F et six, en 1985, pour une somme de 400 000 F. A la suite de l'avenant au contrat de plan Etat-région signé en 1986, ces opérations d'équipement sont abandonnées, la région Franche-Comté et l'Etat souhaitant favoriser la coopération entre les bibliothèques et le secteur du livre.
En 1989, la France-Comté attribue 400 000 F au premier Salon du livre des régions frontalières de langue française (Suisse, Belgique, Canada, Franche-Comté) et 150 000 F pour le centre régional des lettres créé en 1988. Elle continue parallèlement à subventionner ACCOLAD à hauteur de 50 000 F par an et participe, pour 100 000 F, à l'achat d'une cellule de désinfection par la ville de Besançon, cellule qui devrait composer le premier élément du Centre interrégional pour la restauration et la conservation de l'écrit (CIRCE). Cette participation régionale à l'acquisition d'une cellule de désinfection, qui sera utilisée dans un premier temps pour traiter les archives municipales et les collections de la bibliothèque de Besançon, s'inscrit en effet dans un projet plus important. Le contrat de plan Etat-région Franche-Comté (1989-1993) prévoit ainsi la création du CIRCE : « Indépendamment du problème du local qui devra être réglé par la mise à disposition d'un bâtiment par une collectivité et de l'investissement qui sera traité hors contrat (en faisant appel notamment à l'Etat, à l'ANVAR et aux collectivités locales), le fonctionnement de ce centre associera l'Etat et la région: Etat 0,5 MF (MCC-DLL), région 0,5 MF » 17.
Par rapport à l'Aquitaine et à la Franche-Comté, le Conseil régional de Bourgogne se singularise par le choix de secteurs aussi diversifiés que la lecture publique, les bibliothèques scientifiques, le livre et l'informatique documentaire. Les secteurs du livre et de la lecture publique ont été intégrés au programme « culture » tandis que le développement du service commun de documentation de l'université de Bourgogne relève du programme « recherche ». La ventilation entre ces deux programmes démontre que ces interventions ne correspondent pas à une politique d'ensemble. A l'avenir, il serait souhaitable que le Conseil régional de Bourgogne élabore un plan prenant véritablement en compte ces trois secteurs complémentaires.
La précocité des interventions, l'importance des dotations votées en faveur des BCP, de la bibliothèque de l'université et des bibliothèques municipales ainsi que l'adoption de critères particuliers pour la lecture publique caractérisent cette politique à la fois originale et évolutive qui s'articule dans un souci de coopération avec les politiques menées par l'Etat et les autres collectivités territoriales. Toutefois, les dotations budgétaires attribuées par le Conseil régional ne complètent pas simplement le catalogue des aides publiques, mais participent de cette volonté de constituer un réseau de bibliothèques en milieu rural.
Aussi conviendrait-il de continuer à susciter la création de petites bibliothèques dans le cadre d'une politique d'aménagement plus efficace du territoire tout en favorisant le développement des nouvelles technologies de communication (audiovisuel, informatique) ainsi que l'émergence de « bibliothèques de référence ».
septembre 1989