Bibliothèques-médiathèques = libraries-mediatheques
Dans : Techniques et architecture, revue internationale d'architecture et de design.
Jolie surprise que ce numéro bilingue d'Architecture bibliothéconomique dans la pochette remise aux inscrits de l'IFLA 89 ! Luxe et volupté de la mise en page, parfois quelque peu surchargée, où dessins et photos alternent, couleur et noir à l'infini. On en oublierait le texte. Les textes. Ils sont 27, sur 88 pages. Inégaux. Passionnés ou passionants, partiels ou répétitifs. Qu'importe !
Par un fantastique plongeon, la couverture nous propulse au coeur du sujet. Direction : la salle de lecture du Caran (Centre des archives nationales, à Paris). Puis, l'une après l'autre, les pages construisent l'espace sous nos yeux fascinés, nous faisant oublier d'un seul coup la fiche, l'écran et le livre au profit d'une délectation d'esthète. Le regard apprécie la netteté des plans et des coupes, embrasse les constructions, longe les façades, se faufile à l'intérieur, suit une courbe, tourne à l'angle, stoppe sur un gros plan, s'échappe au-dehors par les vitres toujours immenses, revient irrésistiblement pour franchir des espaces sans frontières, grimpe en plein ciel dans un trou de lumière sublime, descend une rampe, se perd dans les étages, saute d'un plan à l'autre, prend l'oblique et caresse le bois, caracole dans la couleur, s'étale sous l'éclairage tamisé, dérape dans les zones d'ombre...
Boîtes à livres
On continuerait bien, paresseusement, mais il y a les discours. Des propos de bibliothécaires, de rédacteurs et d'architectes, très différents les uns des autres mais qui contribuent tous à dresser la même image, se recoupant à grands traits pour projeter la bibliothèque du XXIe siècle : ample et claire, intime et luxueuse, fonctionnelle et informative, informatisée et efficace, urbaine et universelle...
Finie l'architecture où le livre imposait son espace au lecteur. Les premières bibliothèques étaient des boîtes à livres enfermant dans une salle unique une lecture de repli. Aujourd'hui, l'espace, comme le savoir, éclate et se fractionne, selon les fonctionnalités, en sous-espaces, « unités modulaires différenciées » (Kenneth Dowlin, bibliothécaire à San Francisco), surfaces non cloisonnées où le lecteur voyage librement, uniquement guidé par les poteaux, les travées, la disposition, les parements, les meubles ou les couleurs. « Dynamique d'échos, confrontations des possibles », écrit dans un article inspiré Jean-François Pousse, rédacteur. Les murs disparaissent, les niveaux bougent, les strates se décalent, les plans communiquent...
Ce foisonnement n'est nullement le reflet d'un désordre, bien au contraire. L'unicité de la bibliothèque moderne « réside dans son approche globale de l'accès à l'information et au savoir» (Kenneth Dowlin), dans sa volonté d'intégrer toutes les lectures et tous les supports. Logique interne, équilibre que l'architecture doit rendre évidents par la clarté de la distribution, immédiate lisibilité des fonctions par les espaces que celles-ci déterminent. « La bibliothèque est une architecture narrative », dit avec justesse Franco Zagari, architecte.
Un parcours lumineux
Ainsi, le verre, matériau idéal de la transparence et bon résistant phonique, envahit les nouvelles constructions, isolant le lecteur tout en ouvrant visuellement l'espace, et lui permettant de s'emparer physiquement d'un lieu désiré, peut être plus intime, davantage personnalisé, avec le sentiment paradoxal d'être seul au milieu de tous : la « bibliothèque au fond de la mer », que souhaitait un enfant. Même retrait. Même quiétude. La lumière joue également un rôle très important. naturelle ou non, zénithale ou latérale, ponctuant l'espace, présente partout et dans tous les esprits. On l'adapte au support de lecture selon qu'il est papier ou écran, au lieu selon qu'il est étude ou circulation. L'évidement central, puits de lumière qui perce l'édifice sur plusieurs niveaux en les rendant visibles de l'intérieur, est particulièrement apprécié à Villeurbanne, à Berkeley et ailleurs... Conquête du vertical, « traversée des apparences » (J.F.Pousse).
« Quel que soit l'endroit où il se trouve, circuits, passerelles, rampes, volumes font du lecteur l'acteur principal du lieu » et son circuit devient un « parcours lumineux» (le même Pousse). A cette facilité de parcours du lecteur, correspond celle du savoir sous toutes ses formes dont les nouvelles technologies produisent le flux ininterrompu et accélèrent la communication. La bibliothèque moderne n'est plus chapelle fermée sur ses trésors, mais mémoire invisible ouverte à tous. L'architecture n'est plus schéma péremptoire, structure figée, mais ensemble d'éléments transparents, mobiles, évolutifs et transformables à volonté : « Dans ce palimpseste, les mouvements de construction-déconstruction s'enchaînent, produisant l'image énergétique du savoir d'aujourd'hui», déclare Alain Pélissier, architecte.
Si le livre perd de sa matérialité, bâtiments et techniques concourent à le rendre immédiatement et universellement accessible. Il n'est qu'à voir les milliers d'écrans généralisant la consultation informatique, l'intrusion des robots à la Médiathèque de Bordeaux, l'architecture en aile d'avion de la BCP de l'Ardèche, symbole du déplacement et de la vitesse... La bibliothèque devient pôle urbain d'information, « centre virtuel de toutes les communications », « démocratie électronique » (Dowlin), avec l'objectif ambitieux d'immenses connexions internationales pour que chaque lecteur puisse enfin avoir tout, tout de suite et n'importe où.
Le livre n'est plus au centre, dans sa magnificence sacrée, mais omniprésent pour l'homme, au centre et à la périphérie de la « Noothèque » où règne l'esprit sans partage, nerf invisible d'une architecture irradiante en jeux de lumières, transparences horizontales et verticales, ouverte sur la ville et le monde qu'elle représente, lisible au-dehors comme au-dedans, espace fluide de réseaux, univers de signes et signe de l'univers où le lecteur, totalement autonome, devient créateur de sens.