Les non-utilisateurs
Le cas de la BM de St-Étienne
Marie-Christine Bernard
Il est relativement aisé pour une bibliothèque de connaître les attentes de ses utilisateurs. En revanche, quelle opinion ont, à son égard, les personnes non inscrites ? De nouvelles prestations, liées aux techniques de communication les plus récentes, peuvent-elles élargir son public ? Une enquête réalisée auprès de deux cents Stéphanois montre que 70 % des non-utilisateurs n'ont pas d'aversion pour la lecture. La création d'une nouvelle bibliothèque proposant diverses activités est très bien perçue. Les aspirations se concentrent à trois niveaux : un service de prêt centré sur l'écrit et l'image avec le développement de prestations à domicile pour pallier un certain nombre de contraintes ; sur le site même, la mise à disposition d'équipements sophistiqués - que les personnes n'ont pas les moyens d'avoir chez elles - associée à un souci de formation aux nouvelles technologies ; enfin, le souhait de faire de la nouvelle bibliothèque un véritable espace culturel convivial.
A library knows rather easily the requests of its users. But what do think about it non registered people ? Can the fact to offer new activities, related to the more recent communication technics, enlarge the public ? An inquiry realized among two hundred inhabitants of Saint-Etienne establishes that 70 % of the non-users have no aversion for reading. The creation of a new library offering various activities is very well perceived. Wishes are centered on three levels : a loaning service centered on providing mainly text and image, but also developing ways to facilitate reading at home, in some special cases ; in the very library, placing at disposal sophisticated equipments - that people cannot have at home - caring for the formation in new technologies ; finally, the whish that the new library becomes a truly convivial cultural space.
Si les bibliothèques connaissent généralement avec précision les caractéristiques de leurs utilisateurs, leurs demandes et leurs exigences, elles ont en revanche plus de difficultés à cerner l'opinion qu'ont à leur égard les personnes qui ne les fréquentent pas. Le fait pour une bibliothèque d'intégrer les nouvelles techniques de communication et d'élargir la gamme des prestations offertes au-delà de la simple activité de lecture peut-il correspondre à une attente chez ces personnes et être un élément décisif de leur future inscription ?
Une enquête a été réalisée, début avril 1989, auprès des Stéphanois non inscrits à la bibliothèque municipale. Son objectif était d'appréhender les raisons de cette non-inscription, la connaissance que ces non-inscrits avaient de la bibliothèque et l'intérêt qu'ils portaient aux nouvelles activités qui seraient proposées dans le cadre de la future construction 2.
Méthodogie
L'échantillon servant de base à l'étude a été établi suivant la méthode probabiliste qui consiste à choisir au hasard certains éléments de la population de base. Cette méthode a été préférée à une méthode par choix raisonné, telle la méthode des quotas, qui fixe a priori les caractéristiques de la population, et dont l'inconvénient majeur est de déterminer un échantillon représentatif des seuls critères choisis. L'annuaire téléphonique de la commune de Saint-Etienne est apparu comme la liste la plus proche de la population de base permettant d'effectuer le tirage aléatoire dans les conditions optimales que suppose cette méthode. L'échantillon qui devait porter sur deux cents personnes, taille requise pour obtenir une précision correcte des réponses, a toutefois été élargi, certaines ayant refusé de répondre, d'autres étant inscrites à la bibliothèque.
L'élaboration du questionnaire a été réalisée en plusieurs étapes, la forme n'étant devenue définitive qu'après un test auprès d'un échantillon réduit. La constitution d'un questionnaire clair et parfaitement compréhensible est, en effet, déterminante pour obtenir des réponses précises. Ainsi les termes professionnels d'« estampes » et de « phonogrammes » ont-ils été remplacés par « gravures et reproductions » d'une part, « disques » d'autre part, expressions accessibles à tous.
Comme tout questionnaire, celui-ci est composé d'une fiche analytique et d'une fiche signalétique (cf. annexe). La fiche analytique se structure en trois grandes parties. Les questions 1 à 5 forment la partie introductive et amènent progressivement la personne au thème évoqué. Elles ne sont pas pour autant dénuées d'intérêt quant à l'étude proprement dite dans la mesure où elles permettent de cerner le rapport à la culture du public sondé. La question 4 est une question filtre qui vise à n'administrer la totalité du questionnaire qu'aux personnes réellement non inscrites à la bibliothèque, et la question 5 a pour but unique de ne pas interrompre trop brutalement le questionnaire avec une personne inscrite.
Les questions 6 à 9 permettent de déterminer la notoriété de la bibliothèque et les raisons pour lesquelles les personnes interrogées ne sont pas inscrites. La question 8, qui est une question ouverte, précède volontairement la liste des réponses envisagées comme possibles (en 9) lors de différentes concertations. Le fait de laisser la personne s'exprimer de façon totalement libre avant de lui soumettre la liste des raisons jugées les plus probables doit fournir des informations beaucoup plus riches. Par la suite, pour permettre l'analyse des données, les raisons obtenues de façon spontanée à la question 8 ont été intégrées dans les réponses à la question 9.
Enfin, les questions 10 à 14 cherchent à mesurer l'intérêt pour le projet de la nouvelle bibliothèque centrale. Elles concernent plus particulièrement les prêts et les services qui pourront être proposés et incluent aussi bien des activités prévues au sein de la nouvelle bibliothèque que des activités absentes du projet en l'état actuel ou qui seront inexistantes à l'ouverture du bâtiment. La question 13, en partie ouverte, permet de mesurer les attentes du public. La fiche signalétique reprend les découpages habituellement utilisés par la bibliothèque pour les statistiques concernant les utilisateurs. Nous avons jugé opportun d'y repérer les possesseurs de minitel afin d'analyser les réponses à la question 14 qui portent sur les activités le nécessitant.
L'enquête a été réalisée par téléphone, ce qui présente de nombreux avantages : à la différence d'une enquête « par correspondance », où la personne remplit elle-même un questionnaire, une enquête par « interviews directes » permet à l'interviewé de s'exprimer plus spontanément et offre la possibilité de noter ses hésitations, ses commentaires et ses initiatives, fournissant ainsi de plus amples informations. Par ailleurs, l'utilisation du téléphone permet d'obtenir rapidement les réponses pour un coût relativement faible. En outre, les gens sont généralement bien disposés à répondre et peuvent être facilement recontactés s'ils ne sont pas disponibles lors du premier appel.
Le traitement des données a été réalisé par informatique, les différentes opérations de tris à plat, tris croisés, analyse factorielle, etc., étant effectuées au moyen de logiciels très performants. L'aspect qualitatif n'a pas été pour autant négligé, L'étude a tenu compte des remarques formulées par les personnes interviewées.
Les résultats
Le premier thème abordé par cette étude était le rapport à la culture et à la lecture des personnes ne fréquentant pas la bibliothèque. La question, qui présentait des activités de loisirs volontairement culturelles, permettait à l'interviewé de retenir autant de propositions qu'il jugeait nécessaires.
Lecteurs quand même
La lecture est venue très largement en tête, avec 77,5 % du public sondé, puis le cinéma, avec 38,5 %, enfin, très loin derrière, le théâtre, les expositions et les concerts, avec chacun moins de 10 % de réponses positives. Certaines personnes n'ont retenu aucune proposition, signifiant ainsi que la majeure partie de leur temps de loisirs était consacrée à la télévision ou à la pratique d'un sport. Ce qui ne les a pas empêchées, lors de la question concernant les types d'ouvrages lus, de reconnaître qu'elles lisaient « bien évidemment » des journaux et des magazines, prouvant, par là, que, pour la plupart d'entre elles, la « lecture » englobait seulement les livres, à l'exclusion de la presse.
L'âge est une variable explicative importante de la pratique de la lecture et du cinéma : le pourcentage des lecteurs croît avec lui, les personnes de plus de 51 ans étant les plus forts lecteurs (85 % d'entre elles) ; inversement, la proportion de celles qui vont au cinéma décroît considérablement : 72,4 % des 18-25 ans contre 4,9 % des plus de 65 ans. Seule la classe 18-25 ans connaît le même pourcentage pour les deux activités, soit 72,4 %. La catégorie socioprofessionnelle revêt également une certaine importance : ainsi, ce sont les retraités qui vont le moins au cinéma (10,7 %), suivis des femmes au foyer (25 %) et des ouvriers et contremaîtres (33 %), mais également des cadres supérieurs (33 %). La lecture obtient toujours un pourcentage supérieur à 50 % : elle atteint 100 % chez les enseignants et les demandeurs d'emploi. Elle l'emporte toujours sur le cinéma, sauf chez les personnes qui travaillent dans les services médicaux sociaux : cinéma, 75 % ; lecture, 63%.
Il convenait alors de cerner avec plus de précision ce que les personnes interviewées lisaient (cf. tabl. 1) : non seulement le type d'ouvrage lu de manière générale, mais aussi le titre exact de l'ouvrage en cours de lecture, renseignement qui avait, en outre, l'avantage de vérifier la sincérité des réponses précédentes et de mesurer la pratique effective de l'interviewé. Comme à toutes les questions, celui-ci pouvait donner plusieurs réponses : avec 66,5 %, les journaux et les magazines sont arrivés au premier plan ; venaient ensuite les romans, avec 46,5 %, les autres catégories obtenant autour de 20 % ; enfin les bandes dessinées, avec seulement 8,5 %. La formulation de la question laissait volontairement la place à d'autres réponses possibles visant ainsi à obtenir un aperçu des goûts réels et des attentes de ces utilisateurs potentiels. Pourtant, seuls 5,5 % de l'échantillon ont mentionné d'autres types d'ouvrages ou apporté des précisions supplémentaires. Ont été cités : les pièces de théâtre, les recueils de poésie, les livres de sociologie, de pédagogie, de théologie, les ouvrages de politique nationale ou internationale, les romans historiques et ceux de la collection « Harlequin ».
Les titres exacts des ouvrages plusieurs fois signalés peuvent être classés en trois grandes catégories. D'abord les revues et les journaux: Femme actuelle, Elle, Femmes d'aujourd'hui, Le Point, L'Evénement du jeudi, Sciences et Vie, Géo, La Vie, Ca m'intéresse, Notre temps, Télé loisirs, Télé 7 jours, Le Monde, La Tribune, Loire-matin, etc. ; puis, des classiques comme Victor Hugo, Molière, Stendhal, Zola ou de grands écrivains du XXe siècle tels Camus, Simone de Beauvoir, Nabokov ; enfin la production littéraire récente avec L'étudiant étranger de Philippe Labro, L'exposition coloniale d'Eric Orsenna, De Gaulle de Jean Lacouture, Le bûcher des vanités de Tom Wolfe, Les corbeaux d'Alep de Marie Seurat, Le palanquin des larmes de Chow-Ching-Lie, ainsi que différents ouvrages traitant de la Révolution.
Ces premiers enseignements, tirés des seules questions introductives, réfutent déjà de manière catégorique l'idée trop facile selon laquelle les non-utilisateurs de la bibliothèque municipale pourraient être assimilés sans distinction à des non-lecteurs invétérés. Cette constatation a d'ailleurs été confirmée par le deuxième thème de l'étude, lorsque nous avons enquêté sur les raisons de la non-inscription. Seules 30 % des personnes interrogées ont reconnu qu'elles n'aimaient pas assez lire et que le manque de motivation était la cause de leur non-inscription - aspect qui aurait pu être occulté dans la mesure où, alors qu'il est de plus en plus question d'une montée de l'illettrisme, il n'est pas valorisant d'avouer son aversion pour la lecture.
Objections
Un examen global de toutes les raisons invoquées permet de dégager quelques grandes tendances (cf. tabl. 2). Le manque de temps est le plus fréquemment cité - 53 % des réponses -, ce qui n'est guère surprenant: malgré l'augmentation considérable du temps consacré aux loisirs ces dernières décennies, cela confirme l'attitude pressée et « stressée » des gens, qui trouvent ainsi une excuse facile. Seuls 12 % ont invoqué une inadaptation réelle des horaires d'ouverture de la bibliothèque municipale (34 % des 18-25 ans). Des plages horaires plus grandes, ainsi que l'ouverture de la bibliothèque le dimanche, réviseraient certainement ce premier argument à la baisse.
Les rubriques « accueil, renseignements, conseils », « fonds documentaire », « état des livres », qui sont des données intrinsèques à la bibliothèque, ne sont que très faiblement mises en cause, respectivement 2 %, 4,5 % et 4,5 % ; elles ont surtout été évoquées par les « étudiants et élèves », les « services médicaux et sociaux » et les « cadres moyens ». Toutefois, n'étant jamais allée à la bibliothèque, la grande majorité de l'échantillon ne pouvait émettre le moindre jugement sur une caractéristique spécifique. 10% des personnes interrogées reconnaissent que leur manque de connaissance des conditions d'accès à la bibliothèque, notamment la gratuité des services offerts, a eu une influence négative et a directement contribué à leur non-inscription. Ce phénomène n'est pas négligeable, d'autant qu'un effort publicitaire pourrait y remédier.
En revanche, 49,5 % des personnes sondées, soit environ une sur deux, ont soulevé d'autres objections ou des objections beaucoup plus précises que celles qui leur étaient proposées. Ces raisons spontanées ont pu être regroupées suivant différentes caractéristiques : « les achats personnels de livres » (21 % des personnes interrogées), avec parfois la mention d'un abonnement à France-Loisirs ; « l'obtention de livres par l'intermédiaire de l'entourage » (6 %), que l'un de ses membres soit lui-même inscrit à la bibliothèque ou qu'il se procure les livres d'une autre façon ; « les contraintes » inhérentes au système de fonctionnement des bibliothèques (retour obligatoire à la bibliothèque au bout de 15 jours pour restituer l'ouvrage emprunté) ; « les voyages et déplacements » hors de Saint-Etienne que sont amenées à effectuer certaines personnes, argument qui est un cas particulier de la raison plus générale « manque de temps »; la « négligence » de ceux qui n'ont pas eu « l'occasion » de s'inscrire ou « n'y ont pas pensé » ; enfin « la concurrence » d'autres bibliothèques (environ 9 % des réponses), que ce soit la bibliothèque universitaire, les bibliothèques d'entreprises (SNCF, Casino,...), les bibliothèques des résidences du troisième âge ou de centres sociaux. Ces bibliothèques concurrentes semblent plus proches de la vie quotidienne des individus. Pourtant le problème de proximité-accessibilité n'est apparu comme prépondérant que pour 10 % et, contrairement à ce que l'on pouvait penser a priori, le quartier d'habitation ne constitue pas une variable explicative significative, sauf pour un quartier particulièrement excentré de Saint-Etienne.
Connaissance de la bibliothèque actuelle
Le troisième thème de cette étude abordait la notoriété générale de la bibliothèque municipale de Saint-Etienne. Cette bibliothèque comprenant un établissement central, six bibliothèques de quartier et deux bibliobus, nous avons d'abord demandé aux personnes interviewées de mentionner la connaissance qu'elles avaient de l'existence et de la localisation de l'une des bibliothèques, puis de préciser à quel(s) établissement(s) elles faisaient allusion. Information supplémentaire qui a permis de vérifier à la fois l'exactitude des réponses et le rayonnement propre à chaque site. 68,5 % connaissent au moins l'une des bibliothèques municipales et, globalement, ces personnes lisent plus que la moyenne de la population. Ce pourcentage chute à 53,6 % chez les plus de 65 ans qui semblent moins informés. On peut noter quelques variantes suivant l'appartenance socioprofessionnelle sans que cela descende toutefois en dessous de 50 %.
Tous ces chiffres ont cependant été légèrement minorés car, en dépit des précautions prises, il est apparu, au cours de l'enquête, qu'un petit nombre de personnes considéraient ne pas « connaftre » l'une des bibliothèques, simplement parce qu'elles n'y étaient jamais allées, alors qu'elles n'en ignoraient point l'existénce. Mais s'il est vrai que, dans l'ensemble, les Stéphanois ne sont pas sans savoir qu'ils disposent d'une bibliothèque municipale, la notoriété des différents établissements varie considérablement. Précisons ici que seule la « notoriété spontanée » a été mesurée : autrement dit, les personnes devaient citer d'elles-mêmes les installations qui leur venaient à l'esprit, aucune liste ne leur étant soumise, ce qui est bien plus révélateur de l'effet réel produit sur le public.
Deux ou trois localisations ont été, au plus, évoquées. Le site le plus connu est sans conteste celui du Centre-ville où se trouve la bibliothèque principale (79 % des personnes connaissant au moins un établissement la citent), puis vient une bibliothèque située non loin du Centre-ville (17,5 %), enfin les bibliobus (16%). Les bibliothèques localisées dans différents quartiers sont rarement mentionnées (jamais plus de 5 %), le quartier d'habitation n'ayant qu'un lien faible avec l'évocation de ces établissements. La notoriété particulière des deux installations du Centre-ville s'explique par des emplacements privilégiés, de très grande circulation et bien desservis par les transports en commun.
Le projet de la nouvelle bibliothèque est peu connu des non-utilisateurs de la bibliothèque actuelle. Seules 15,5 % des personnes interrogées savent qu'un nouveau bâtiment disposant d'équipements de haute technologie verra le jour d'ici 1991. Ce taux monte à 19 % si l'on considère uniquement les personnes qui connaissent l'une des bibliothèques. S'il est vrai que le faible taux obtenu peut être dû au fait que la nouvelle bibliothèque n'est pas encore sortie de terre, il est toutefois à noter que différents médias l'ont déjà largement évoquée. Des articles ont paru dans la presse locale, dans le magazine municipal Saint-Etienne aujourd'hui distribué gratuitement dans les boîtes aux lettres, et le service minitel « Télém Loire » y consacre une rubrique. En outre, la maquette de la future bibliothèque a été exposée lors de la 3e Fête du livre de Saint-Etienne, en octobre 1988. Soulignons également que le sondage a été effectué après la campagne des élections municipales pendant laquelle il a été question du projet dans différents tracts. Mais, noyé dans la masse d'informations quotidiennes, il n'a guère attiré l'attention. L'appartenance à telle ou telle catégorie socioprofessionnelle a toutefois un impact important à cet égard puisque 40 % des enseignants sont au courant du projet alors qu'aucun ouvrier n'en a entendu parler.
En dépit de l'assez faible notoriété de ce projet comparativement aux campagnes d'information somme toute non négligeables, le dernier thème de l'étude visait à appréhender si de nouveaux services pouvaient amener le public sondé à devenir utilisateur effectif de la future bibliothèque. L'étude globale des 19 propositions soumises au jugement du public fait apparaître que 6,3 activités sont en moyenne retenues. Mais cela cache de grandes disparités. 16,5 % des personnes affirment catégoriquement que, quoi qu'il en soit, elles n'iront pas à la nouvelle bibliothèque, 48,5 % étant âgées de plus de 65 ans alors que 3 % seulement ont entre 18 et 25 ans. A l'opposé, 1,5 % des personnes retiennent pratiquement toutes les possibilités offertes, ce qui dénote, certes, un enthousiasme pour toutes les nouveautés, mais peut-être aussi une certaine légèreté dans les réponses fournies. De grandes différences ressortent également dans les suffrages que recueillent les diverses propositions.
La nouvelle bibliothèque
En ce qui concerne les catégories de prêt soumises à l'intérêt des interviewés, les livres arrivent en tête avec 41 % ; quant aux activités offertes sur place, la consultation de livres et de périodiques remporte la préférence avec 47 % de réponses positives.
L'écrit et l'image
Cette place prépondérante reconnue aux livres, qui semble, de prime abord, tout à fait surprenante chez un public ne fréquentant pas de bibliothèque dont les prestations sont centrées sur la lecture, révèle très clairement le règne incontestable de l'écrit, malgré l'existence des nouveaux moyens de communication. Les termes de « bibliothèque » et plus généralement de « médiathèque » demeurent, dans l'esprit des gens, étroitement liés aux livres, qui constituent toujours la première référence culturelle.
La création d'une nouvelle bibliothèque est, en elle-même, susceptible d'amener de nouveaux utilisateurs même si les activités proposées restent sensiblement les mêmes, une partie du public étant uniquement attirée par un cadre neuf, avec les améliorations et les innovations que cela suppose. Par ailleurs, intervient sans doute le poids des habitudes : les personnes interrogées sont souvent surprises par des offres telles que les estampes (11,5% des personnes en emprunteraient) ou les jeux (19%). Immédiatement après l'écrit, l'image obtient, quant à elle, une part non négligeable, avec 31 % de personnes qui emprunteraient des vidéos et 37 % qui les visionneraient sur place.
Au-delà de ces considérations globales, le choix de tel ou tel type de prêt et de telle ou telle activité varie énormément suivant l'âge et la catégorie socioprofessionnelle. Ainsi, les jeunes montrent une préférence indubitable pour l'emprunt de vidéos plutôt que pour celui de livres (58,6 % contre 44,8 % pour les 18-25 ans), alors qu'après 50 ans la tendance s'inverse totalement, avec un accroissement de l'écart entre les deux prêts (50 % contre 25 % pour les 51-65 ans et 36,6 % contre 7,3 % pour les plus de 65 ans ; cf. tabl. 3). On retrouve, au niveau des catégories socioprofessionnelles, l'opposition qui existe au niveau des classes d'âge entre les « étudiants et élèves » et les « retraités ». A noter aussi une préférence plus marquée pour les prêts de vidéos chez les personnes travaillant dans les services médicaux et sociaux, alors que les prêts de livres restent totalement prépondérants chez les enseignants.
La comparaison des choix et goûts exprimés par le public a mis en évidence un problème d'équipement en matériel hi-fi, vidéo et informatique, ainsi qu'un manque de connaissance des nouvelles techniques de communication. Le prêt de phonogrammes a ainsi suscité divers commentaires car la question, qui utilisait le terme général de « disques » et qui a tout de même recueilli 26 % des suffrages, ne précisait pas, volontairement, s'il s'agissait de disques laser ou non. De nombreuses personnes ne souhaitaient pas que ce soit ce genre de disques qui soient prêtés, car elles ne possèdent pas de platine adéquate. Notons que seule cette question a soulevé dans le public une interrogation sur le fonds qui serait disponible (classiques ou variétés). De la même façon a surgi un problème d'équipement en magnétoscopes pour les prêts de vidéos ; ainsi le visionnement sur place de vidéos demeure, avec 37 %, plus prisé.
L'utilisation sur place de micro-ordinateurs remporte aussi, avec 22,5 % de réponses favorables, un pourcentage supérieur aux prêts de logiciels (12,5%), mais de grandes disparités existent selon la catégorie socioprofessionnelle. Seules les réponses des cadres supérieurs représentent un pourcentage plus élevé pour les prêts de logiciels (50 %) que pour l'utilisation de micro-ordinateurs sur place (16,6 %). En revanche, les contremaîtres et les ouvriers n'emprunteraient jamais de logiciels. N'en concluons pas pour autant trop hâtivement qu'ils se désintéressent de l'informatique, car 20 % se serviraient d'un micro-ordinateur s'ils en avaient la possibilité. Certaines personnes expriment d'ailleurs le souhait de bénéficier d'une initiation à l'informatique. Et l'on retrouve le même souci pour la consultation des banques de données. Ce moyen d'information est plus sollicité chez les 18-25 ans, les étudiants et élèves, les enseignants et les personnes qui travaillent dans des services médicaux et sociaux, déjà familiarisés avec ces procédés.
Ces résultats mettent donc en avant trois grandes aspirations du public : une nouvelle bibliothèque doit non seulement remplir un service de prêt, mais aussi fournir les installations que les personnes n'ont pas les moyens d'avoir chez elles et assurer une formation permettant de bénéficier pleinement des nouvelles possibilités qu'offrent les progrès en matière de communication.
Un espace culturel
La question portant sur l'ensemble des prestations complémentaires visant à élargir le champ culturel du public et à améliorer son bien-être a confirmé, par le succès qu'elle a remporté (le plus fort pourcentage de toutes les propositions), le bien fondé de l'intention de faire de cette nouvelle bibliothèque une véritable structure culturelle autonome (cf. tabl. 4). L'intérêt des personnes interrogées s'est manifesté par de nombreux commentaires. Les expositions, sollicitées par 64,5 % du public, ont suscité des suggestions quant à leurs futurs thèmes, et l'idée d'organiser des conférences et des débats a également été très appréciée (56,5 %). La proposition de l'implantation d'une librairie, qui a recueilli 56,5 % d'avis favorables, a toutefois été sujette à controverse. Si la majorité trouve qu'elle serait tout à fait complémentaire et souhaite même, pour certains, qu'elle soit spécialisée, d'autres répondent négativement parce qu'ils ont de la « bibliothèque » l'idée d'un lieu où l'on vient emprunter et non acheter. L'approbation de l'hypothèse d'une cafétéria (44,5 %), ainsi que les suggestions émises spontanément par les personnes interrogées - lieu spécialement aménagé pour les enfants, salle de cinéma, point d'accueil, club poétique, etc. -, atteste l'exigence du public de faire de cette nouvelle bibliothèque un espace privilégié alliant modernité, culture, confort et convivialité.
Les services à domicile
La possibilité d'utiliser le minitel pour consulter, de chez soi, les catalogues de la bibliothèque, réserver ce que l'on désire emprunter et, à terme, avoir accès aux documents eux-mêmes grâce au réseau câblé serait appréciée par environ 26 % du public. Un service de renseignements par minitel est davantage attendu - 35 % du public -, mais peut-être est-ce uniquement lié au fait que « renseignements » est un terme plus général pouvant recouvrir différentes choses. Ces pourcentages augmentent bien sûr considérablement si l'on prend uniquement en compte la population qui possède un minitel, qui, elle, se sent particulièrement concernée. La proposition d'instaurer un service de portage à domicile de livres, vidéos, etc., faisant l'objet d'un prêt a surtout suscité l'intérêt des 18-25 ans, avec 34,5 % de réponses favorables, mais aussi celui des 26-50 ans, avec 26 %, c'est-à-dire les personnes actives ; contrairement à ce qu'on aurait pu supposer, 12 % seulement des personnes âgées (plus de 65 ans) ont été attirées par ce service qui évite les déplacements. Une forte corrélation existe entre l'intérêt pour cette prestation, d'une part, et l'évocation du « manque de temps » et des « horaires inadaptés », comme raisons de non-inscription, d'autre part. Son paiement (prix mentionnés, lors de l'enquête, entre 5 et 20 F) n'a vraisemblablement pas constitué un frein car, même globablement, le pourcentage de réponses favorables n'est pas négligeable (23 %).
Quatre archétypes de non-utilisateurs
Au terme de cette étude, l'analyse factorielle a permis de distinguer quatre grands groupes de non-utilisateurs.
Le premier est constitué de personnes âgées de plus de 50 ans, inactives - personnes sans profession, femmes au foyer, retraités -, qui ne possédent pas le minitel. Elles ne sont pas inscrites à la bibliothèque actuelle tout simplement parce qu'elles n'aiment pas lire. Elles ne sont pas informées du projet de construction de la future bibliothèque et aucune des activités proposées ne sera susceptible de les amener à en devenir des utilisateurs effectifs.
A l'opposé, le second groupe est principalement représenté par les jeunes, les étudiants, les élèves et les personnes travaillant dans les services médicaux et sociaux. Toutes ces personnes lisent mais le fonctionnement actuel de la bibliothèque ne leur convient pas : elles manquent de temps et sont gênées par les horaires ; elles ne trouvent pas les ouvrages recherchés et aimeraient être conseillées. Elles sont au courant du projet et espèrent qu'il palliera les défauts qu'elles reprochent à l'actuelle bibliothèque. Elles sont tournées ver la plupart des activités qui mettent en œuvre les nouvelles techniques de communication et privilégient l'image et le son. Le portage à domicile, perçu comme un gain de temps et la disparition des contraintes de déplacement, serait le bienvenu.
Le troisième groupe comprend les personnes de 26 à 50 ans, employés de bureau et de commerce, ainsi que les contremaîtres et les ouvriers. Il représente une catégorie charnière, peu encline aux nouveautés, dont les préférences restent centrées sur les activités traditionnelles, à savoir le prêt de livres et la consultation de livres et de périodiques sur place.
Le quatrième groupe englobe les cadres supérieurs et les artisans et commerçants possesseurs de minitel. Il s'agit donc d'une catégorie aisée, individualiste, qui achète ses livres. Les services par minitel correspondent à leur attente et les expositions, conférences et débats les amèneraient sur le nouveau site.
S'il existe incontestablement un noyau de non-utilisateurs irréductibles fermé à toute forme d'activités culturelles, il apparaît que des personnes ne fréquentant pas actuellement la bibliothèque municipale souhaitent réellement pouvoir disposer d'un espace spécialisé qui regroupe toutes les nouvelles formes de communication. Le développement des prestations à domicile qui supprimera bon nombre de contraintes n'est pas en contradiction avec la nécessité de maintenir un site mettant à la disposition de tous des équipements de haute technologie et accueillant des activités culturelles variées. Un nouveau rôle semble aussi dévolu aux bibliothèques : celui de l'orientation et de la formation des non-initiés aux moyens d'information du XXIe siècle.
Il est tout à fait souhaitable, qu'à l'instar des entreprises commerciales, les bibliothèques adoptent une « approche marketing », c'est-à-dire qu'elles soient à l'écoute du public, avec le souci réel de satisfaire ses attentes. Et il est particulièrement courageux, pour un service public dont la gestion n'est pas orientée vers le profit, de renoncer à la démarche beaucoup plus sécurisante qui consiste à imposer aux utilisateurs ce qu'on a jugé bon pour eux sans les avoir aucunement consultés. Si les bibliothèques veulent véritablement remplir leur mission - la notion de secteur public impliquant l'adhésion du plus grand nombre -, elles ne peuvent ignorer les désirs de chacun, à l'heure où les moyens de communication se multiplient. L'étude réalisée pour la bibliothèque municipale de Saint-Etienne, qui atteste sa volonté d'ouverture, souligne cependant la difficulté qu'il y aura à concilier des exigences très éloignées les unes des autres. Sur ce point, à la différence d'une entreprise privée, la bibliothèque ne pourra pas se positionner sur un créneau particulier en faveur de tel groupe au détriment de tel autre. Elle devra faire face au difficile mais combien stimulant défi de répondre, à la fois, à la requête de celui qui désire consulter de vieux manuscrits et de celui qui recherche la dernière vidéo en vogue.