« Libraries from the inside out »
Thomas Gaughan
American libraries publie un rapport annuel sur l'état de l'art de la construction et de l'aménagement des bibliothèques aux Etats-Unis. Contrairement aux rapports du Library journal, on n'y trouve ni statistiques ni tableaux chiffrés impressionnants, mais des idées et des controverses sur la conception et la réalisation des bibliothèques, à travers de superbes illustrations en couleurs et des articles d'architectes spécialisés, de designers, de consultants et... de bibliothécaires.
Comme le dit Gaughan, les « politiques » ont une vue totémique de la fonction des bibliothèques : elles sont le symbole d'une révérence obligée au savoir et à la conservation de notre patrimoine. Le biliothécaire qui peut aussi être atteint de ce virus, a plus de révérence pour le totem de la fonctionnalité. Les articles de cette revue tentent de réconcilier les points de vue divergents.
Une collaboration entre architectes et bibliothécaires
Le premier article : « Talking to architects » est l'œuvre d'Elaine Cohen, du célèbre cabinet Aaron Cohen Associated 1. Comment faire pour qu'architectes et bibliothécaires se comprennent et que les premiers produisent des bâtiments qui satisfassent les seconds ? Si l'on en juge par les résultats qui vont de l'absolument merveilleux au tout aussi absolument affreux, tout n'est pas simple. Obtenir le prix de l'AIA 2, ou de l'ALA 3, pour un bâtiment coûteux et magnifique, mais peu fonctionnel, ne vaut pas mieux que travailler au quotidien dans une bibliothèque peu coûteuse et fonctionnelle mais sinistre. En effet on ne conçoit pas aux Etats-Unis de construire un bâtiment qui ne joindrait le fonctionnel et l'esthétique, mais chacun n'a pas la même conception de l'un et de l'autre. Pour Elaine Cohen, l'architecte est un designer qui cherche à construire du durable et du massif. Sa façon de travailler sur une grande échelle le pousse à un goût identique pour le mobilier. Par exemple, des tables surdimensionnées achèvent esthétiquement de grands espaces. Au contraire, le bibliothécaire préfère de petites tables, qui seront d'un usage plus flexible. Elaine Cohen relève bien d'autres points de frictions entre les vues théoriques de l'architecte et du bibliothécaire. Pour y remédier, elle nous donne 4 clefs qui permettront d'atteindre au grand oeuvre.
1. Ecrivez un programme cohérent de bâtiment qui définisse aussi les besoins en mobilier et en matériel pour chaque espace. Indiquez par des diagrammes les relations entre les différents départements et leurs interactions. Chaque bibliothèque est unique et il n'y a pas de moule unique qui serve à fabriquer à la chaîne des bibliothèques.
2. Testez vos exigences dans l'espace. Pour ce faire, utilisez le CAD (computer aided design). Si un problème de conception arrive, le CAD le révélera et vous aidera à le résoudre.
3. Construisez un bâtiment flexible en concevant une approche systémique de l'intérieur. Dans la mesure du possible, tout doit être modulaire. Par exemple, pas de murs porteurs, mais au contraire des murs modulaires ; même chose pour les rayonnages, le mobilier et les équipements. Prévoyez un câblage sous le revêtement de sol, ce qui vous donnera la meilleure flexibilité ultérieure.
4. N'oubliez pas qu'un architecte souhaite un client satisfait. Les rapports avec votre architecte ne doivent pas être conflictuels mais si possible amicaux.
Le rôle d'un designer
Le second article, « Interior at work : leading the user with color and light - a designer tells why style must fit function », écrit Janet McClintock, est un bréviaire de l'architecte d'intérieur et le compte rendu d'une expérience de 75 projets. Le travail d'un designer commence là où en France, nous avons généralement l'habitude de nous arrêter lorsque nous construisons et meublons une bibliothèque, surtout universitaire. « Lorsque j'ai satisfait, nous dit l'auteur, les exigences communes à toutes les bibliothèques - rayonnages, sièges, catalogues, etc. -, mon travail commence, passionnant et excitant. C'est à peu près la même chose, ajoute-t-elle, que choisir de façon subtilement coordonnée les vêtements que mon comptable de mari doit porter... ». Décrivant brièvement 4 de ses expériences, McClintock démonte la méthode, faite de science, d'expérience, de goût et d'art, qui permet de faire la différence entre ce que l'on pourrait appeler une bibliothèque de bibliothécaire et une bibliothèque de designer.
Une bibliothèque est la vitrine d'une communauté. Il faut d'abord identifier les différences et se concentrer sur les besoins spécifiques pour donner à une bibliothèque son identité propre et unique, à la fois fonctionnelle et attractive. Le style doit épouser la fonction. Tout est porteur de sens et le plus petit détail doit être à la fois un indicateur fonctionnel et un élément d'agrément et de confort. Le choix des matériaux, des types de matériaux, des couleurs, des formes, de l'éclairage donne à l'utilisateur une réponse intuitive aux questions d'organisation et d'orientation qu'il se pose en entrant et en circulant dans la bibliothèque.
S'il est vrai qu'une bibliothèque doit être fonctionnelle, elle doit aussi être belle et attractive. L'imagination d'un designer peut faire la différence. Les catastrophes architecturales que sont les biliothèques universitaires construites en France depuis plus de 25 ans devraient encourager des architectes à se spécialiser dans ce design, s'il est vrai que de nouvelles constructions sont en vue.
Des bibliothèques fondionnelles et attractives
L'auteur du troisième article « Setting your house in order : straightforward advice on creating user-friendly libraries », Robert H. Rohlf, est directeur de la bibliothèque publique du comté de Hennepin (Min) et consultant réputé, puisqu'il a participé à plus de 100 projets. Son obsession est la construction de bibliothèques qui soient « friendlyuser », ce qui signifie à la fois accueillantes, faciles d'utilisation, conviviales et attractives. Vaste programme. Si la forme suit la fonction, et si la fonction est bien définie par les bibliothécaires, il n'en demeure pas moins que l'arrangement et la disposition définitive de toutes les fonctions dans un bâtiment doivent se faire en ayant toujours à l'esprit le lecteur futur. Partant du principe fondamental, et presque unique, qu'une bibliothèque doit être user-friendly, Robert H. Rohlf examine successivement les points essentiels qui en découlent, dans le cas d'une bibliothèque publique.
Sont étudiés brièvement et successivement :
- l'emplacement des services publics quelle qu'en soit la nature. En fonction de son principe de base, Robert H. Rohlf définit une série d'exigences qui doivent conditionner emplacement et forme de ces services ;
- la surface optimale de chaque étage, de façon à ce que les distances ne soient pas un obstacle au bon fonctionnement et à une bonne utilisation de ces services ;
- la configuration des bureaux des services publics. Rohlf définit la forme idéale, qui serait une sorte de moyeu central auquel se rattacheraient, en rayons, les collections et outils nécessaires ;
- l'organisation générale devrait tenir compte de la nature des utilisateurs, soit occasionnels, soit habituels, tout en sachant qu'un occasionnel peut et devrait devenir habituel. Bien que spécifique, tout service doit s'articuler logiquement avec les autres et même doit pénétrer le service voisin afin de suivre la démarche intellectuelle du lecteur.
A bien y regarder de près, le caractère user-friendly d'une bibliothèque est bien le critère essentiel d'efficacité. Comme conclut Rohlf, « quand l'architecture inhibe le lecteur, le bâtiment est un échec ».
Les tendances des architectes
Eric Rockwell est le pseudonyme d'un chef d'entreprise fournissant en mobilier high-tech bibliothèques, centres audiovisuels et centres de calcul. Le seul titre de son article explique pourquoi ce personnage a préféré garder l'anonymat : « The seven deadly sins of architects : gluttony and lust aren't on the list, but ignorance and myopia in library design are ».
De façon humoristique, Eric Rockwell met en garde le malheureux bibliothécaire chargé d'une construction : si votre architecte présente l'un des 7 péchés capitaux que je vous décris, n'hésitez pas à le mettre à la porte. Son successeur sera au moins au courant et saura que c'est vous le « boss ».
Premier péché: l'orgueil. Ne vous laissez pas prendre au vocabulaire chéri des architectes. Un architecte voit souvent les choses au niveau macroscopique et vous éblouira par de superbes projets qui cacheront par un vocabulaire spécieux des défauts rédibitoires.
Second péché : l'arrogance. Architectes et designers ont inventé la « sensibilité esthétique ». Vous et moi ne sommes que des ignorants au dernier degré, incapables de la moindre invention. Au nom du design et de l'esthétique, on va vous imposer une décoration et un mobilier qui non seulement dateront très vite, mais encore ne seront ni fonctionnels, ni confortables, ni faciles d'entretien.
Troisième péché : l'ignorance. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, de très nombreux architectes ignorent certaines bases essentielles de leur métier. Par exemple, le b-a-ba de l'éclairage. Les cas sont nombreux où il est impossible de lire dans une salle dite de lecture tellement l'éclairage est affreux.
Quatrième péché : la myopie. La technologie change, les besoins changent, mais les architectes changent rarement. Il suffit de voir le peu de bibliothèques où le cablage a été prévu pour s'en convaincre.
Cinquième péché : le gaspillage. Comme ce n'est pas leur argent que les architectes dépensent, ils peuvent se permettre de gaspiller de façon inconsidérée et ridicule des fortunes qui seraient mieux utilisées ailleurs.
Sixième péché : la procrastination. Lenteur et procrastination provoquent des surcoûts lorsqu'il faut respecter un planning de travail sur lequel de nombreux retards ont été accumulés. Protégez-vous en liant le règlement des honoraires aux résultats avec les entreprises.
Septième péché : le désordre. N'hésitez pas à visiter les bureaux de votre architecte. Si vous n'y voyez que chaos, attendez-vous à un résultat identique pour votre projet.
Muni de ces bons conseils, vous pouvez partir à l'aventure. Mais, avec architecte, designer, consultant, montrez toujours que vous êtes le maître.