Les publications des bibliothèques
Catherine Vallet
« Publier, oui. Editer, non ». C'est par cette recommandation que Jean Gattégno, Directeur du livre et de la lecture, introduisait le 30 janvier 1989 les premières rencontres autour des publications des bibliothèques 1. Une remarque justifiée par l'ampleur récemment acquise par cette activité dans les bibliothèques, et qui n'avait pas pour seul but de ménager la susceptibilité des éditeurs. Avec le développement de la micro-édition, les bibliothécaires sont de plus en plus tentés par la publication, voire l'édition. Mais s'il est devenu relativement facile de publier, il semble très difficile de se faire une place sur un marché sur-saturé. Un handicap majeur à la généralisation de cette activité dont tout le monde s'accorde à reconnaître l'importance, mais aussi, malheureusement, la non-rentabilité.
Que publient les bibliothèques ? Comment? Pourquoi et pour qui ? Pour la première fois, ces questions fondamentales faisaient l'objet d'une réflexion collective, associant des bibliothécaires de tous horizons, ainsi que quelques-uns de leurs principaux partenaires (éditeurs, libraires, distributeurs, institutions de soutien telles que le Centre national des lettres ou le Centre régional des lettres de la région Midi-Pyrénées) .
Les bibliothèques publient, de plus en plus, de mieux en mieux. Si cette activité n'est pas nouvelle, elle connaît depuis quelques années une évolution remarquable, par l'extension de son champ d'application et par l'intérêt nouveau apporté à la mise en forme. Suivant en cela l'exemple de leurs aînés les musées, les bibliothèques, même les plus modestes, s'attachent désormais à soigner la présentation de leurs publications et leurs innovations dans ce domaine réservent parfois d'agréables surprises.
Activité traditionnelle
La très riche exposition présentée tout au long de la journée permettait d'apprécier l'extrême diversité d'une production en mouvement. Longtemps cantonnées aux bibliographies, répertoires, catalogues de fonds et autres instruments de recherche, les publications des bibliothèques se diversifient en s'ouvrant à d'autres publics. Emmanuelle Giuliani (Bibliothèque nationale) distingue ainsi trois types de publications, correspondant à une économie et donc à des modes de production différents : les publications savantes destinées au public « naturel » fréquentant les salles de la bibliothèque (catalogues et inventaires de fonds, guides du lecteur...), les publications savantes « à vocation élargie » (catalogues d'exposition et Revue de la Bibliothèque nationale), enfin les publications « grand public » (ouvrages illustrés, cartes postales, objets), promis à une large diffusion grâce au marché du Grand Louvre.
Autre diversification, celle des supports. La Bibliothèque publique d'information du Centre Georges Pompidou mène ainsi depuis quelques années une politique éditoriale résolument multimédia, s'attaquant à des domaines jusque-là peu explorés par les bibliothèques et « oubliés » par l'édition « classique » : diffusion de « Dossiers techniques » en direction des professionnels, édition de méthodes audio-orales ou audiovisuelles d'initiation à l'apprentissage de certaines langues rares, coproduction de livres cassettes, voire de films documentaires...
Activité traditionnelle des bibliothèques dans ses formes les plus classiques, la publication est aujourd'hui unanimement reconnue comme une activité normale et fondamentale de la bibliothèque, inhérente à sa mission de communication. Naturellement importante dans le cas de gros établissements, elle peut être également le fait, à une échelle différente mais avec le même bonheur, d'établissements plus modestes. Sa légitimité est double : valoriser les fonds - et par là l'image même de la bibliothèque -, mais aussi et surtout combler certaines lacunes du secteur éditorial.
Côté lecture publique, des expériences ponctuelles de soutien à la création littéraire ont ainsi été menées, avec succès. Forte du soutien politique et financier du Conseil général, la BCP de l'Essonne s'est lancée dans l'édition d'un livre de contes ancrés dans l'histoire locale, fruit d'un long dialogue entre l'éditeur commanditaire, soit la BCP, et l'écrivain résident 2. Autre expérience intéressante, celle de la Médiathèque municipale de Corbeil-Essonnes, qui a ouvert ses portes à une revue poétique « résidente », Sapriphage. Objectif: faire se rencontrer des auteurs, des écritures, avec des lecteurs, dans une relation dynamique 3. Situées en marge des activités traditionnelles et régulières de ces établissements, ces deux actions s'inscrivent cependant dans le prolongement logique de leurs activités d'animation - fonds local dans le premier cas, atelier d'écriture dans le second.
Coopération avec les éditeurs
Côté bibliothèques universitaires, la pratique éditoriale est dans les faits plus communément assumée par les universités. L'expérience éditoriale de la Bibliothèque de l'université de technologie de Compiègne (BUTC) est à cet égard relativement atypique. Constatant l'indigence de la production scientifique et technique de langue française, la BUTC a entrepris la publication de travaux universitaires et envisage l'édition de cours polycopiés, renouant en quelque sorte avec la tradition universitaire médiévale de la pecia. Elle a bénéficié pour ce faire de l'aide matérielle de la DBMIST (Direction des bibliothèques, des musées et de l'information scientifique et technique), qui envisage de doter les bibliothèques universitaires intéressées de chaînes de PAO (publication assistée par ordinateur) destinées à assurer une meilleure diffusion des thèses, revues internes et outils documentaires. Parallèlement, la DBMIST a organisé sur concours la publication de reprints d'ouvrages scientifiques indisponibles (libres de droit) recherchés par les universitaires 4.
Comme le rappelait Alain Giffard (DBMIST), le succès d'une telle politique implique une connaissance exacte de la demande. Il ne saurait être complet sans la perspective d'une coopération étroite avec les éditeurs, chargés d'améliorer le produit ainsi testé avant de le diffuser dans les circuits commerciaux. « S'il s'agit bien d'encourager les bibliothèques à publier, il n'est pas souhaitable de les voir se transformer en véritables éditeurs », avait d'emblée précisé Jean Gattégno. A chacun son métier, celui du bibliothécaire le destinant plutôt, comme le proposait Ludovic Plaquevent (Directeur du Livre français), à tenir le rôle d'un editor. Différents intervenants devaient d'ailleurs souligner les avantages d'une telle coopération : meilleure maîtrise de la conception graphique par l'éditeur ; évaluation du plus juste prix, règle d'or de l'édition commerciale que les bibliothèques, en tant que services publiques, ne sont pas toujours libres d'appliquer ; mesure et surtout prise en charge des risques éditoriaux après avoir opté pour la forme de diffusion la plus appropriée...
Promotion, diffusion, distribution
Travaillant sur les créneaux les moins couverts par l'édition traditionnelle, mais aussi les moins recherchés du public, les bibliothécaires connaissent toutes les difficultés de promotion et de diffusion afférant à la micro- et à la petite édition. Comme le soulignait Bernard de Fréminville (Distique), le public n'accorde qu'une attention très réduite à la mention d'édition ; que celle-ci porte l'adresse d'une bibliothèque n'est donc pas préjudiciable en soi à la publication, pour peu que celle-ci respecte les règles du marché (lisibilité de la couverture, juste prix...). En revanche, il est clair que la plus grande facilité de publication entraîne une surabondance de produits sur le marché, pour lesquels il est de plus en plus difficile de trouver acquéreur. Avant toute chose, il est donc indispensable de bien cibler son lectorat au départ, et de choisir un tirage et un circuit de diffusion appropriés.
Bernard de Fréminville rappelait à cette occasion les trois étapes jalonnant la circulation du livre en circuit commercial et qui correspondent chacune à trois métiers distincts: la promotion, la diffusion, la distribution. La première, très aléatoire, n'a que peu d'incidence sur la vente. La troisième est amplement facilitée, dans le cas des publications de bibliothèques, par les services proposés par des sociétés telles que Distique, spécialisées dans la gestion des ouvrages à rotation lente. Reste la diffusion, problème crucial pour tout éditeur, et plus spécialement pour la petite édition, qui ne peut compter sur les best-sellers pour compenser ses titres déficitaires 5! A cela s'ajoutent les différentes marges perçues par les libraires, les diffuseurs et les distributeurs, qui se soldent par l'abandon d'environ 60 % du chiffre de vente. Dans ce contexte, on comprend que l'édition de bibliothèque ne puisse qu'être déficitaire ! Or il n'est pas dans les possibilités financières d'établissements publics d'assumer un tel déficit sur une activité qui n'a même pas d'existence budgétaire et ne peut en général être subventionnée 6 ! Pour une activité reconnue comme fondamentale, c'est pour le moins paradoxal...