Valeur et compétitivité de l'information documentaire

l'analyse de la valeur en documentation

par Anne Curt

Jean Michel

Éric Sutter

Paris : Association française des documentalistes et des bibliothécaires spécialisés, 1988. - 136 p.
ISBN 2-901046-22-3

Mon Dieu, quelle histoire ! La méthode de l'analyse de la valeur est née aux Etats Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Laurence D. Miles, responsable des approvisionnements à la General Electric, en jette les bases. Il en définit les principes et en systématise l'emploi. L'objectif de cette méthode est de trouver des solutions de remplacement à la pénurie de matériaux de qualité en en modifiant les spécifications tout en conservant le service rendu sans le modifier et en générant d'importantes économies.

Les entreprises américaines vont employer cette méthode surtout dans les années 60. Le secrétaire d'Etat à la Défense obligera les industries qui passent contrat avec lui à appliquer la méthode de l'analyse de la valeur pour réaliser des économies. Les différents partenaires partageront entre eux les économies ainsi réalisées. Les fournisseurs du Departement of Defense l'exigent eux-mêmes de leurs sous-traitants puis, bientôt, suivront les entreprises de consommation.

Maintenir une certaine qualité

La méthode est appliquée peu à peu en Europe et au Japon puis arrive en France dans les années 1958. Cependant, c'est surtout à partir de 1970 qu'elle est réellement pratiquée et elle n'est pas appliquée à la documentation avant les années 80.

L'Association française pour l'analyse de la valeur est créée en 1978 et réunit des experts d'entreprise et de cabinets de conseils. Cette association a contribué à l'élaboration de normes pour promouvoir la méthode et offrir des outils de référence afin d'unifier les applications. Ellea établi avec l'Association française de normalisation (AFNOR) en 1984 et 1985 les normes X 50-150 à X 50-153 définissant le vocabulaire, les caractéristiques fondamentales de l'analyse de la valeur, ainsi que des recommandations pour sa mise en oeuvre et pour l'élaboration du cahier des charges fonctionnel (plus la norme X 50-100 « de l'expression du besoin à la compétitivité »). Inventée et utilisée au départ pour réduire les coûts des produits industriels en maintenant une certaine qualité, la méthode s'étend aux services tertiaires, et bientôt apparaît l'analyse de la valeur administrative (études d'organisation, audit,...).

A partir de 1986, les séminaires mis en place par l'ADBS suscitent un grand intérêt chez les responsables de centres de documentation. Cette méthode permet de considérer l'information et la documentation sous l'angle d'une bonne gestion et d'un management performant.

Mais au fond, qu'est-ce-que l'analyse de la valeur ? Elle est définie dans la norme X 50-150 du vocabulaire de l'analyse de la valeur (AV) « comme une méthode de compétitivité organisée et créatrice, visant la satisfaction du besoin de l'utilisateur par une démarche spécifique de conception, à la fois fonctionnelle, économique et pluridisciplinaire ».

Quant à l'analyse de la valeur en information et en documentation (AVID), elle s'applique non seulement à la documentation et à l'information, mais aussi aux produits, services et activités qui y sont liés. La méthode se caractérise par :
- une approche fonctionnelle qui permet de formuler le problème en termes de finalités et non de solutions ;
- une prise en compte systématique des évolutions du marché, de l'environnement et de la technologie ;
- une analyse critique des données, informations et solutions avant leur prise en compte ;
- une référence systématique aux coûts ;
- une démarche créatrice qui vise à ouvrir l'éventail des solutions à considérer ;
- un travail de groupe contribuant ainsi à l'amélioration du dialogue entre partenaires concernés à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise ;
- une démarche systématique et organisée faisant appel à un plan de travail-type.

L'analyse de la valeur est en quelque sorte une remise en cause de la conception du produit ou du service à partir de l'analyse des fonctions de celui-ci. Son but est de réaliser un produit ou un service ou un procédé ou processus à un moindre coût tout en remplissant des fonctions reconnues réellement nécessaires avec un niveau de qualité défini. La démarche fonctionnelle va permettre d'aborder le problème des finalités avant celui des moyens.

Marché de l'offre ou de la demande ?

L'application de la méthode repose sur une réflexion et un travail de groupe réunissant les principales personnes concernées par un produit, afin de maîtriser l'ensemble des données d'un problème et de mobiliser les différents acteurs pour mieux atteindre le résultat visé. Il est de règle de ne pas investir plus de 10 % des gains espérés par l'application de l'analyse de la valeur à l'issue de l'opération. Donc son coût doit rester faible.

Et l'information et la documentation là-dedans ? Le marché de l'information est aujourd'hui plus un marché de l'offre que de la demande. La France représente 10 % du marché mondial de l'information en ligne. Cependant, beaucoup dans les milieux professionnels jugent les produits et services d'information disponibles inadaptés aux besoins par méconnaissance de ceux-ci. Ils les qualifient de « fruit d'évolution de désirs et de pratiques de documentalistes ». Cela peut être le cas du bulletin de documentation qui satisfait plus ses concepteurs que ses réalisateurs, ou de la base de données qui ignore les besoins réels de l'utilisateur potentiel.

A quoi s'applique la mystérieuse méthode ? L'analyse de la valeur peut s'appliquer non seulement à la conception, à la révision de produits, mais aussi à celles des procédés de fabrication de ces produits. Elle peut concerner outre les processus et procédures, des organisations elles-mêmes,... c'est-à-dire l'ensemble des activités d'un service, d'un établissement (étude de l'ensemble d'un centre de documentation existant ou à créer par exemple).

Quels en sont les bénéfices ? L'application de l'analyse de la valeur peut avoir plusieurs finalités :
- accroître la qualité du service rendu,
- concevoir un plan d'acquisition de documents mieux adapté aux besoins des utilisateurs du centre,
- dégager des économies,
- réduire les coûts,
- favoriser la créativité et l'innovation (par exemple par la recherche d'un produit nouveau d'information).

Mais aussi et surtout, l'analyse de la valeur permet de développer la motivation et d'améliorer le climat social au sein d'une organisation par le travail de groupe.

Les scénarios

On conçoit ou on révise un système d'information selon trois grandes étapes d'un plan de travail type (norme X 50-152) :
- l'étude préalable,
- la conception détaillée, - la réalisation.

Il faut par conséquent mettre en place des instances de travail et de décision, c'est-à-dire un Comité directeur qui prendra les décisions. Il faut également établir un groupe de projet avec un chef de projet maître d'œuvre, afin de rechercher des informations utiles, et d'étudier, d'évaluer et surtout de trouver des solutions valables et réalisables. Enfin doit être mise en place une instance de contrôle (qui quelquefois est permanente), afin de fournir des informations, et de donner un avis sur les scénarios retenus par le groupe de projet.

La première étape se décompose en quatre phases :
- la première est celle de l'étude préalable, c'est-à-dire celle qui consiste à déterminer les objectifs et à délimiter l'étude. (Qui demande l'étude ? ... Pourquoi ? ... De quoi s'agit-il ? ...). Elle réunit les données du problème, l'es contraintes, les moyens mis à disposition, le(s) participant(s);
- la deuxième phase est celle du diagnostic. Elle s'appuie sur l'analyse de l'existant, c'est-à-dire sur l'analyse de l'environnement et sur la détermination des contraintes, sur l'analyse des besoins ou de la demande en matière d'information et de service d'information (besoins globaux et besoins spécifiques), sur l'identification des sources, des fournisseurs d'information et de technologies associées ;
- la troisième phase prépare des solutions. Elle recherche des idées et propose des solutions... une conception d'ensemble... une évaluation sommaire des solutions... un bilan prévisionnel et une proposition de choix. Il est courant de choisir trois scénarios, un à court terme, un à moyen terme et un à long terme (en distinguant le scénario idéal et le scénario réaliste) au niveau des solutions proposées. Le choix final incombe bien sûr au décideur, le directeur de l'établissement par exemple ;
- la quatrième phase va définir la fonction et l'architecture du système d'information. Tout ce travail présidera à l'élaboration du cahier des charges fon tionnnel.

La conception détaillée constitue la deuxième étape et la réalisation des objectifs la troisième étape.

Maître d'ouvrage et maître d'œuvre ?

L'application de cette méthodologie normalisée repose sur la décision d'un dirigeant-décideur d'une part, et sur la responsabilité d'un animateur de l'analyse de la valeur qui anime le groupe de travail de l'analyse de la valeur d'autre part.

Ainsi l'élaboration d'un cahier des charges fonctionnel (CdCF) permet d'exprimer précisément, dans ses moindres détails, son ou ses besoins..., ses objectifs, en passant par la description de l'environnement et l'exposé des contraintes. Il précise donc la commande, définit le programme, recherche des solutions, organise l'action en proposant un choix de scénarios, développe le scénario choisi et guide la mise en oeuvre du projet.

Ce petit livre pratique comporte une partie théorique quelquefois un peu maladroite, mais illustrée par de nombreux exemples concrets qui permettent d'imaginer à quoi pourrait servir l'analyse de la valeur en information et en documentation. N'est-ce pas la méthodologie d'analyse communément utilisée par les sociétés d'audit et leurs ingénieurs-consultants ?

L'auteur plaide pour une meilleure organisation et une productivité efficace et adaptée des services d'information et de documentation, en un mot, un management de qualité. Avec raison, il souligne combien une formation à ces méthodes est primordiale pour le gestionnaire et conclut en insistant non seument sur la formation continue, mais aussi la formation de base des bibliothécaires-documentalistes qu'il appelle bizarrement des « ingénieurs-managers ».

Ce texte éminemment pratique n'évite pas le recours aux normes. Il est indispensable de les consulter. Elles sont au nombre de 5 : X 50-100, X 50-150, X 50-151, X 50-152, X 50-153. Elles sont très claires et permettent une parfaite appréhension de la méthode de l'analyse de la valeur.