Des remises pour les périodiques
Annie Le Saux
Un périodique coûte cher. Au prix de l'abonnement, s'ajoute le temps passé au bulletinage, au catalogage, aux réclamations, à la reliure. Sans compter le stockage. Des coûts à établir minutieusement avant de tenter de les minorer.
C'est l'objectif qu'a poursuivi la Direction des bibliothèques, des musées et de l'information scientifique et technique, en demandant, en juillet 1987, aux bibliothèques universitaires de devenir des observatoires des coûts de la documentation. Vingt-huit établissements ont accepté, dont le CADIST des sciences de la terre de Jussieu, qui a fait une enquête sur 286 périodiques, 260 étrangers et 26 français. Cette enquête lui a permis d'établir des grilles de résultats, malgré des difficultés d'uniformisation : selon les fournisseurs, les factures n'indiquent pas la même chose, les frais de service et les taux de change varient suivant les dates où l'on paie le fournisseur. Une chose est sûre : un périodique étranger coûte deux fois plus cher qu'un périodique français. Ces observatoires du prix des périodiques, visant à quantifier le coût réel d'une collection dans une discipline donnée, à rechercher un indice de coût, verront, en permettant d'établir des statistiques comparatives, leur utilité croître dans l'Europe de 1990.
Risque d'asphyxie
En attendant, on peut appliquer cet axiome : plus un périodique est utilisé, plus son prix diminue. Il s'agit donc de mettre en valeur et de rendre accessible au maximum d'usagers les périodiques de la bibliothèque. Pour en faire connaître le contenu, les bibliothécaires dépouillent les périodiques ou en diffusent les sommaires, transformant ainsi une information brute en une information utilisable par le chercheur.
La bibliothèque administrative de la ville de Paris a choisi, depuis le mois de septembre 1987, de distribuer à 310 agents - chargés, eux-mêmes, de la circulation interne auprès des 34 000 agents répartis dans chaque direction de la ville de Paris - un bulletin de sommaires hebdomadaire. D'environ 50 pages, ce bulletin reproduit la photocopie du sommaire de 190 titres de périodiques. Ces titres sont répartis selon des grands domaines tels que le droit, les sciences administratives, les sciences politiques, l'économie, l'urbanisme, les constructions, les logements, ainsi que les publications et bulletins officiels des Ministères. A la suite de cette diffusion, des demandes de photocopies sont adressées à la bibliothèque, qui les réalise dans les 24 heures. Les demandes peuvent remonter dans le temps, car tous les périodiques sont conservés.
Toutes les bibliothèques ne peuvent en faire autant. Car les périodiques s'étendent sur les mètres linéaires au risque d'asphyxier les monographies. En ces temps de grands encombrements, le moindre mètre disponible est apprécié. Et le stockage des périodiques fait lui aussi partie du prix à payer.
La survie de l'ancien
Alors, que conserver ? Combien de temps conserver ? Comment conserver ? Relier un in-octavo coûte 97F TTC, un in-quarto : 161F et un in-folio : 268F ; mettre les fascicules dans des boîtes en carton neutre coûte de 25 à 32F la boîte et, dans une boîte, on met, en moyenne, les fascicules d'un mois ; pour pouvoir remplacer les périodiques par des microfilms, il faut acquérir un lecteur avec un plan incliné : 22 000F, un meuble de rangement : 1 830F pour L'Humanité, 5 500F pour le Times, un lecteur reproducteur: de 40 000 à 50 000F, plus l'entretien et le prix du microfilm. Des études comparatives sur l'encombrement, le coût des systèmes et des appareils, le coût de l'entretien sont donc nécessaires avant d'opter pour l'une ou l'autre de ces solutions.
C'est l'existence même des périodiques qui est menacée. Or, ce besoin culturel ne se nourrit pas seulement d'articles tout frais parus, mais s'appuie sur une conservation sur une longue durée. Dans le domaine des sciences humaines et sociales particulièrement, la survie de l'ancien se doit d'être assurée. Mais alors, lorsque l'asphyxie est inéluctable, qu'éliminer et selon quels critères ? Selon l'usure du papier, l'obsolescence du domaine couvert ou le double emploi des cumulatifs ? Quelques centaines de mètres sont ainsi gagnés par élimination. Mais après, où conserver ? Sur place - l'idéal pour la communication -, c'est de plus en plus irréalisable. Dans un magasin éloigné, cela signifie un à deux jours pour obtenir les numéros demandés et ressemble fort à de la dissuasion.
Effets de croisement
Sans coopération et sans catalogues collectifs à l'échelon national et à l'échelon régional, pas de prestations possibles dans les bibliothèques. Des projets de coopération comme celui du centre de documentation de l'Institut d'études politiques de Grenoble avec la BIU, ainsi qu'avec la BM pour examiner qui achète quoi et qui conserve quoi de la presse quotidienne et hebdomadaire, sont à l'étude. Mais tout ne va pas sans difficultés.
D'autres formes de coopération visent à minorer les coûts tout en améliorant le travail des chercheurs : la répartition des acquisitions par domaines, comme le font les CADISTs, le catalogage partagé, le prêt interbibliothèques, les catalogues collectifs (le Catalogue collectif national des publications en série (CCN), le Catalogue collectif international et interdisciplinaire de doubles (CCID). L'apport réel de l'informatique, dans la gestion ou dans la localisation, ira-t-il jusqu'à fournir les textes sur commande sous formes numérisées ? La Bibliothèque de France va-t-elle créer un système central où l'on puisse visualiser tous les périodiques du monde entier et les transmettre à distance ? Cette solution de la transmission de la seule information, si elle règle le problème de la conservation, amène une uniformisation, une banalisation et un risque de déshumanisation.
L'idéal serait de concevoir des réseaux informatiques avec des périodiques. Car le feuilletage des revues permet la circulation d'un domaine à l'autre et c'est souvent par effets de croisement, de contamination et de juxtaposition que vient l'information utile, imprévisible. Les bibliothèques sont là pour, entre autres, perpétuer l'existence des périodiques - véhicule privilégié pour la recherche - et maintenir un contact physique avec le papier.