« Il faut que les lumières arrivent par torrents »
La Révolution française et la création des bibliothèques publiques : projets et réalités
La création des bibliothèques en France a pour origine les confiscations révolutionnaires. La volonté de diffuser les lumières a donné lieu à la création de bibliothèques publiques dans les districts en 1794. Leur mise en place s'est heurtée à de nombreuses difficultés au niveau local et, à quelques exceptions près, les bibliothèques publiques sont restées à l'état de projet.
The creation of libraries in France originates in the confiscations of the Revolution. The will to spread knowledge led to the birth of public libraries in the districts in 1794. Their setting up met many difficulties locally ; actually, with a very few exceptions, public libraries still remain at the planning stage.
La France présente en Europe la particularité de posséder une multiplicité de fonds anciens dispersés dans plusieurs centaines de bibliothèques publiques, en majorité municipales. Ce fait est un héritage direct de la Révolution française. Doit-on pour autant imputer à la Révolution toutes ces créations ? Le problème est plus complexe qu'il n'y paraît. Il est de fait que le pays s'est soudainement trouvé chargé de plusieurs millions de livres imprimés et manuscrits, et que les autorités successives ont voulu les utiliser à la propagation des idées du temps, mais cette volonté s'est très vite trouvée entravée par de multiples impondérables, dont la passivité des administrateurs locaux. Entre les cogitations érudites des cercles parisiens et la mise en oeuvre au plan local de leurs recommandations, il y eut plus souvent qu'on ne le croit un fossé, que les urgences politiques et militaires du moment ne contribuèrent pas à combler. Créées sur le papier dans les années 1789-1803, les bibliothèques publiques françaises ne devinrent souvent réalité qu'au cours du XIXe siècle. Pourquoi ?
Sous la main de la Nation
Le 23 février 1791, un relevé des bibliothèques eccélsiastiques des 83 départements 1 mentionnait 4 168 439 imprimés et 25 973 manuscrits.
3 vagues de confiscations
En prononçant la « mise à la disposition de la Nation » des biens du clergé par le décret des 2-4 novembre 1789, l'Assemblée nationale entendait avant tout faire face à la menace de banqueroute du trésor. Elle n'avait sans doute pas prévu qu'elle allait se trouver du jour au lendemain en charge de ces monceaux de bibliothèques, dont il allait bien falloir faire quelque chose. Mesure de rétorsion politique en une conjoncture grave pour le pays, la mise « sous la main de la Nation » des biens des émigrés (27 juillet 1792), puis des déportés et condamnés, amena une seconde vague de confiscations de bibliothèques, qu'il est impossible de quantifier. La suppression des sociétés savantes et académies, le 8 juillet 1793, constitua le dernier apport de livres à la Nation. Aux dires de Grégoire, ces trois vagues de confiscations auraient porté sur quelque dix millions de volumes. Dès le 14 novembre 1789, les Comités réunis (ecclésiastique et d'aliénation) enjoignirent aux communautés religieuses de déposer les catalogues de leurs bibliothèques. Devant le peu d'effets de cette décision, d'autres circulaires ultérieures durent réitérer cette demande, qui, par sa date, témoigne d'une volonté de l'Etat de connaître les richesses bibliographiques dont il devenait dépositaire. Très rapidement donc, les nouveaux pouvoirs publics commencèrent dès l'année 1790 à envisager l'utilisation de ces bibliothèques.
En cette fin du XVIIIe siècle, la France avait connu depuis quelques décennies un grand mouvement de créations de bibliothèques publiques : une quarantaine sur la cinquantaine ouverte en 1789 2. Par ailleurs, la même période fut marquée par l'apparition d'une cinquantaine de cabinets de lecture 3. L'idée de l'ouverture des bibliothèques privées au public lettré et érudit était à l'ordre du jour chez les tenants des idées nouvelles comme chez leurs adversaires, ainsi qu'en témoigne cette réflexion prêtée par Sénac de Meilhan à l'un de ses héros de l'Emigré 4, le président de Longueil : «... Il suffit pour les particuliers qu'il y ait de grandes bibliothèques publiques, qu'ils puissent consulter dans l'occasion... »
Une marée de livres
Cependant, la première difficulté que les nouvelles autorités eurent à surmonter fut de faire face dès la fin 1789 à cet amas de livres. Il fallait éviter, ou à tout le moins limiter, les dilapidations des bibliothèques religieuses, et les recenser. C'est ainsi que des instructions furent données pour rassembler les collections dans des « dépôts littéraires », souvent quelque couvent, où les livres furent entassés par lieux de provenance, dans l'attente d'une hypothétique utilisation. Ces dépôts furent créés dans chacun des 545 districts.
C'est aussi à la fin de l'année 1790 que remontent les premières propositions du biliothécaire du roi, d'Ormesson, pour entreprendre un catalogage de tous les livres des dépôts, préfigurant la « Bibliographie universelle de la France » à laquelle devaient travailler les responsables des dépôts jusqu'à l'arrêt de l'entreprise sur ordre ministériel le 4 avril 1796 5.
Lorsqu'on relit aujourd'hui les textes réglementaires 6 des premières années de la Révolution relatifs aux livres confisqués, on est frappé de constater qu'ils ne portent que sur la préservation et le traitement catalographique des différents types de documents confisqués. Il n'est jamais fait allusion à une éventuelle mise à disposition du public. Pourtant, un certain nombre de propositions pour la création de bibliothèques circulaient déjà parmi les savants parisiens et les bibliothécaires d'Ancien Régime reconvertis dans la direction des dépôts. Dès 1790, une brochure de l'abbé Tuet, ancien chanoine de Sens, intitulée Projet sur l'usage que l'on peut faire des livres nationaux insistait sur les services que cette masse de volumes pourrait rendre à l'instruction publique. Parallèlement, un anonyme Projet d'établissement de bibliothèques dans le Royaume, qu'il faut sans doute attribuer à d'Ormesson, préconisait l'enrichissement de la Bibliothèque royale, et la répartition du surplus de livres des dépôts entre des bibliothèques à créer dans tout le pays. L'idée de fonder des bibliothèques publiques faisait son chemin dans les milieux lettrés et politiques, tant à l'assemblée que dans les administrations locales. Elle ne devait pourtant trouver un début de réalisation que sous la Convention.
Répandre les Lumières !
Les projets des petits cénacles de spécialistes du livre devaient trouver un écho favorable auprès des députés et des gouvernements successifs. N'oublions pas qu'un personnage comme l'abbé Grégoire, qui sous la Convention devait pourfendre le « vandalisme », avait, lorsqu'il n'était encore que curé de campagne, fondé une bibliothèque paroissiale où ouvrages de dévotion voisinaient avec des traités d'agronomie. Les nouveaux responsables du pays virent dans ces amas de volumes confisqués un vecteur à la propagation des idéaux des Lumières et de la liberté, ainsi qu'un moyen de combattre « l'obscurantisme » et le « fanatisme » dans les populations. Ce faisant, ils avaient peut-être oublié quel pouvait être le contenu réel de ces collections ! Ce projet, somme toute généreux, correspondait à une demande des autorités locales, mais aussi de simples particuliers, ainsi que l'attestent quelques exemples que nous extrayons d'une volumineuse masse de demandes similaires.
Propositions...
Le 3 octobre 1792, les administrateurs du Maine-et-Loire 7 s'adressaient à la Convention : « ... Les bons livres ont fait nos deux révolutions. Les bons livres seuls peuvent en rendre le succès permanent et glorieux. C'est en faisant circuler, pour ainsi dire, des canaux d'instruction dans tous les départements, et à la portée de tous les citoyens, que la saine Philosophie, qui n'est autre que l'amour de la liberté et de l'égalité, pourra s'enraciner et fructifier toutes les âmes... Législateurs nous vous demandons, nous vous prions avec les plus vives instances de nous autoriser à rassembler dans un établissement public les livres, qui, dans notre département se trouvent être à la disposition de la Nation. Tous les administrés réclament de vous ce bienfait, et, au moment de déposer nos fonctions, il nous serait doux de leur avoir obtenu un monument où, par la lecture de Platon, de Sidney et de Rousseau, ils sauraient se fortifier dans l'Amour des bonnes loix, et dans la haine des tyrans... ».
De la même veine est la demande des commissaires du conseil exécutif en Corse, adressée au Comité de salut public le 3 pluviôse an II (22 janvier 1794) 8: «... Il est désormais notoire que la maladie des Corses est l'ignorance... Les particuliers n'ont pas le goût des livres et pas même un bon magasin de livres n'existe en Corse... Si on veut y consolider la liberté et la rendre véritablement français (sic), il faut que les lumières y arrivent par torrents... », et les pétitionnaires de solliciter l'attribution de livres des « infâmes villes de Lyon et de Toulon ».
Tout aussi intéressante est là proposition du ci-devant duc de Charost 9. Philanthrope, agronome et physiocrate, cet ancien membre de la Société des amis des Noirs, un temps incarcéré sous la Terreur, publiait en 1795 des Vues générales sur l'organisation de l'instruction rurale en France..., dans lesquelles il préconisait la création dans chaque canton d'une ferme modèle dotée d'une bibliothèque : «... une bibliothèque contenant les livres qui ont traité de l'Agriculture en général d'une manière utile, les traités particuliers, toutes les instructions données par le gouvernement, tout ce qui a été ou sera imprimé, et qui pourra contribuer à perfectionner l'économie rurale, doit, ce semble, présenter à tous les yeux une utilité trop évidente pour qu'elle ne soit point regardée comme une partie essentielle d'une institution rurale ».
... et réalisation
De la conjonction de ces demandes du pays, et des préoccupations des députés, au premier rang desquels les conventionnels Coupé, Grégoire et Lakanal, devait naître le décret du 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) « relatif à l'établissement de bibliothèques publiques dans les districts ». Cet acte fondait sur le papier une bibliothèque par district, par transformation des dépôts littéraires. Son article IV indique : « les bibliothèques des grandes communes, celles qui étaient publiques, sont maintenues. Il n'y sera rien innové quant à présent... », preuve que les bibliothèques publiques antérieures à la Révolution avaient continué à fonctionner. Si ce décret surseoit aux ventes de livres d'émigrés (article VI), et ordonne des récolements des collections, il est fort curieux qu'il ne dise pas un mot des éventuels lecteurs !
Nous aurons l'occasion de voir que la transformation des dépôts en bibliothèques n'alla pas sans difficultés. Quelques mois après ce texte fondateur, la loi Lakanal du 7 ventôse an III (25 février 1795) créait une école centrale par département. Chacun de ces établissements devait comporter une bibliothèque, composée par prélèvements dans les autres dépôts. De fait, sur les 108 écoles centrales théoriquement créées, 32 seulement virent le jour. En l'an VII, un cours de bibliographie confié au bibliothécaire fut ajouté à leur enseignement.
Le 1er mai 1802, ces écoles étaient supprimées et remplacées par les lycées. Un arrêté consulaire du 8 pluviôse an XI (28 janvier 1803) réglait le sort de leurs bibliothèques : « article premier, immédiatement après l'organisation des lycées, les bibliothèques des écoles centrales sur lesquelles les scellés auront été apposés en vertu de l'arrêté du 24 vendémiaire, seront mises à la disposition et sous la surveillance de la municipalité ». Tout en restant propriétaire des collections, l'Etat se déchargeait de leur entretien, ouvrant la voie à la création de bibliothèques municipales, qui allaient voir le jour tout au long du XIXe siècle, au gré des circonstances.
Entre les décisions du pouvoir central, telles que nous venons de les rappeler, et leur application effective, il y avait une marge. En témoignent les multiples répétitions des directives venues de Paris !
Les réalités locales
Après un long et fastidieux travail de triage mené par un personnel improvisé, il fallut bien se rendre à l'évidence que la majorité des livres provenant des communautés religieuses n'était guère propre à favoriser la propagation des Lumières.
A de rares exceptions près, les bibliothèques des couvents étaient vieillies, les acquisitions récentes rares... Quant aux thèmes abordés, ils étaient majoritairement religieux ! Non sans humour, l'administrateur de Narbonne dépeignait ainsi le cas de sa ville le 9 fructidor an II (26 août 1794) 10: « Narbonne avant la Révolution n'était qu'un grand village ou s'engraissaient à lard les fainéans composant trois chapitres, et les animaux familiers de neuf à dix couvents; d'après cela il était probable que, comme Gilblas, nous ne trouverions dans la bibliothèque de ces pieux porceaux, que des bréviaires tous neufs, et des Cuisiniers français fort usés... ». Seules les bibliothèques saisies chez les émigrés renfermaient les nouveautés et les auteurs philosophiques, tout au moins dans la haute noblesse et chez les gentilhommes citadins. Mais ces collections furent les premières à attirer les convoitises de gens peu scrupuleux. De plus, le législateur ordonna très vite leur restitution aux émigrés rentrés ou à leurs héritiers, tant et si bien que la proportion de ces bibliothèques demeurées dans les collections publiques est minime. Fallait-il expurger les bibliothèques ?
Certains esprits préconisèrent une telle mesure. Marmontel, par exemple, considérait qu'une bibliothèque devait contribuer à la « moralisation » du peuple, et qu'il fallait en exclure les ouvrages « douteux ». Dans les faits, de nombreux livres de théologie ou de droit féodal partirent en fumée, au pilon, ou contribuèrent à la défense de la patrie sous forme de cartouches.
Même s'il ne faut pas en exagérer les effets - les révolutionnaires ont, dans l'ensemble, témoigné plus de respect à l'égard du livre qu'envers les archives ou certains monuments - le vandalisme dénoncé par l'abbé Grégoire a fait des ravages dans certains dépôts littéraires 11. Quoi qu'il en soit, le contenu des collections répondait bien imparfaitement à la mission d'instruction publique que le législateur leur avait impartie.
De nombreux obstacles
Il faut par ailleurs constater que, sur le terrain, la création des bibliothèques se heurta à de nombreux obstacles. Certes, dans leurs lettres adressées à Paris, les administrateurs locaux n'oublient jamais de vanter les mérites à attendre des bibliothèques, mais lorsqu'il s'agit de passer aux actes, les obstacles paraissent insurmontables. Force est de reconnaître que ces administrateurs avaient d'autres priorités politiques, économiques ou militaires. L'une des premières difficultés consistait à trouver un local propre à abriter les livres. A Belfort 12, l'histoire de la bibliothèque jusqu'au début du XIXe siècle est celle d'une épreuve de force entre la municipalité et le département. Les maires successifs ne cessent de réclamer son départ de la pièce qu'elle occupait à la mairie, empêchant l'établissement du tribunal et d'une salle de classe.
Autre exemple, parmi beaucoup d'autres, le district de Saint-Dié attirait en l'an II 13 l'attention des autorités sur la détérioration de la bibliothèque de l'abbaye de Moyen-Moutier. Mais lorsque le département ordonna son transfert à Saint-Dié, la commune répondit qu'il n'existait aucun emplacement pour la recevoir. Le département se résolut alors à la faire transporter à Epinal : « mais ayant examiné les différentes loix relatives à la conservation des bibliothèques et autres monuments des arts, elle n'y a trouvé aucune disposition qui l'autorisat à faire ce déplacement qui deviendroit couteux par la distance... » Il concluait malgré tout « il est cependant très intéressant de pourvoir à la conservation de cette riche bibliothèque dont nous craignons le dépérissement... ».
Il est de fait que les districts et les municipalités se refusaient à des dépenses en ce domaine. Certaines communes pourtant, comme Castres ou Langres, firent fabriquer du mobilier: rayonnages ou tables dont les esquisses sont parvenues jusqu'à nous. Il nous manque encore une étude menée à l'échelle nationale pour mesurer la réalité de la transformation des dépôts littéraires en bibliothèques, conformément au décret de pluviôse an II. Il y a cependant fort à parier que ces dépôts restèrent majoritairement ces amas de volumes dans lesquels se débattaient des bibliothécaires improvisés. Quant aux bibliothèques des écoles centrales, nous avons vu combien elles furent minoritaires.
Il faut cependant saluer le zèle des bibliothécaires qui travaillèrent sans relâche à mettre de l'ordre dans ces collections. Nombreux parmi eux étaient les anciens ecclésiastiques. Ils mirent beaucoup d'ardeur à s'acquitter d'une mission en laquelle ils croyaient. Le plus clair de leur temps se passa à trier puis à cataloguer leurs livres. Ils n'hésitaient pas à solliciter des éclaircissements des experts parisiens lorsqu'ils étaient confrontés à des difficultés de catalogage, ainsi qu'en témoigne une volumineuse correspondance.
Des bibliothécaires méconnus
Le plus souvent abandonnés à eux-mêmes, ces personnages encore méconnus, et qui mériteraient une étude, n'ont bien souvent jamais été rétribués. Il est de multiples cas où les préfets de l'Empire ordonnèrent des ventes de livres, pour leur payer des indemnités dérisoires pour les salaires qui leur étaient dûs depuis de nombreuses années. La lecture de leurs correspondances, comme celle de nombreux arrêtés des administrations locales touchant aux bibliothèques, laisse songeur : il n'y est jamais question du public que leurs établissements auraient dû accueillir. Si nous prenons le cas de la bibliothèque de Nevers, l'une des rares à avoir fait l'objet d'une étude 14, nous constatons que le premier règlement de l'établissement date du 25 messidor an V (13 juillet 1797), encore se borne-t-il à fixer les jours d'ouverture et à exiger le silence de la part du public. Il faut attendre le 17 mai 1817 pour qu'un nouveau texte règle de façon précise le comportement des lecteurs.
Ces constatations conduisent à s'interroger sur l'ouverture réelle de ces bibliothèques au public. Dans le meilleur des cas, seules les élites locales les fréquentaient, pour de simples consultations sur place. Il semble bien que ces bibliothèques n'aient jamais répondu au but d'instruction des couches populaires que le législateur leur avait assigné. Figées par le processus des confiscations, dépourvues de moyens leur permettant une politique d'acquisition, elles ne devaient avoir d'attraits que pour les érudits. Les contemporains, avides de nouveautés en une époque où le temps semblait s'accélérer, devaient préférer les cabinets de lecture, où, pour une somme modique, il leur était loisible de se tenir informés.
Ces bibliothèques, surtout parisiennes, avaient une clientèle, ainsi qu'en témoigne cette requête du 28 messidor an V (16 juillet 1797) au ministre de l'Intérieur 15: «... la distribution uniforme des heures destinées à la lecture est cause que beaucoup de citoyens sont privés de s'instruire... Ne pourroit-on faire un règlement... qui seroit tel qu'à toute heure du jour une [bibliothèque] au moins seroit ouverte ?... Par exemple, si l'une ouvroit depuis 8 heures du matin jusqu'à midi, une autre depuis 10 heures jusqu'à 2 et enfin une de 2 à 6 ou 7 heures du soir, chaque citoyen ainsi pourroit choisir l'heure qui lui seroit plus commode... ». Mais ce texte est l'un des rares à évoquer les lecteurs. Le silence des sources à leur sujet pose question.
A l'exception des bibliothèques publiques avant 1789, et de quelques créations, comme celle du Muséum le 10 juin 1793, il semble bien que les bibliothèques voulues par la Révolution en soient restées à l'état de projet, ou à tout le moins de dépôts assez informes. L'arrêté de 1803, créant les bibliothèques municipales, ne réglait pas pour autant la question. Elles n'étaient que quelque 350 vers 1870, à l'époque où les livres de certains anciens dépôts littéraires n'avaient pas encore été mis à la disposition du public, comme à Bernay où 4 000 volumes passèrent trois quarts de siècle dans un grenier municipal. La Révolution avait péché par excès d'optimisme en voulant répandre ses idéaux par le bais de collections souvent obsolètes. En ce domaine, comme en d'autres, les pesanteurs locales ont joué, d'autant que les gouvernements successifs n'ont jamais débloqué les moyens nécessaires à la réalisation de leurs louables objectifs. Il n'en demeure pas moins que nous sommes redevables à cette époque des textes fondateurs de nos bibliothèques publiques, et de la constitution de leurs fonds.
avril 1989