Les sortilèges de NUMERIS
Martine Darrobers
« Renis et Numeris sont enfin arrivés ; par eux, bientôt, le monde sera changé ! ». Ainsi a parlé le grand prêtre de Frans Telekôm.
Non ! Il ne s'agissait pas d'une prophétie de l'ancienne Egypte : la scène s'est déroulée à Paris, dans ce nouveau temple qu'est le ministère de la Recherche, et tout cela s'est dit le 13 mars dernier, à une journée d'information de l'Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés (ADBS) organisée en liaison avec France Télécom. Une journée « télé » où on aura beaucoup parlé de télex, télétex, télécopie, Télétel, mais où on aura surtout parlé de... téléphone, plus exactement du RNIS, le réseau numérique à intégration de services : sous le nom de marque NUMERIS, le voici aux portes de l'univers documentaire pour le révolutionner.
Révolution ou prolongation ? En France, le taux d'équipement téléphonique atteint désormais 96 %, soit le seuil de saturation. Depuis dix ans, depuis l'expérience Télétel à Vélizy, depuis l'ouverture de Transpac, l'empire des télécommunications a repoussé fort loin ses frontières. Systèmes en ligne, serveurs, Minitel sont entrés dans les moeurs, mais tous se rattachent à l'univers de l'écrit. Le RNIS, expérimenté dès 1988 à Rennes et à Paris, représente une étape supplémentaire. Ses contenus se diversifient, non seulement la voix, mais aussi les images et l'écrit. Surtout, le RNIS ouvre sur un trafic intense : à 64 kbits par seconde, il est 50 fois plus rapide que le vidéotex et peut transmettre un texte dactylographié de dix pages en moins de deux secondes. Troisième atout, complémentaire du précédent, le RNIS débouche sur un système des services de transmission : Transcom, qui fonctionne depuis 1986, permet le transfert de données en mode bloqué avec facturation à la durée. Tandis que les prises à interface S, sur lesquelles se branchent les combinés téléphoniques RNIS, permettent également le raccordement de télécopieurs groupe N et de micro-ordinateurs : déjà se dessine le bâtiment intelligent de l'an 2000, avec câblage systématique et banalisation des locaux. Dernier atout, non négligeable, du RNIS : sa conformité aux normes internationales du CITT, le Comité international du téléphone et du télégraphe ; d'où, d'ores et déjà, des perspectives d'ouverture sur le marché mondial des télécommunications.
Mais la normalisation n'est pas tout : encore faut-il qu'elle soit fonctionnelle. Le système OSI (open system interconnection), longuement disséqué devant l'assemblée, comporte 7 séries de couches « ouvertes » les unes sur les autres : de la couche physique à la couche applications (fichiers, messageries). Encore faut-il que les différentes normes appliquées à chacun des niveaux soient réellement compatibles, car les normes elles-mêmes sont sujettes à options. D'où la mise en place de normes fonctionnelles définissant, pour une fonction donnée telle la messagerie, un profil extrêmement précis : la Communauté européenne, pionnière en la matière, a déjà développé tout un profil de normes.
Autres mots clés à connaître si l'on s'intéresse à la nouvelle communication : l'EDI (Echange de données informatisées) et son application, le modèle EDIFACT, bien connus dans le monde des entreprises. A l'origine, un constat : 88 % des entreprises de plus de 6 salariés seraient automatisées, alors que la circulation de l'information, largement tributaire du papier, reste bloquée dans le cycle des formulaires, bon d'achat, de livraison, fiches de stock, etc. EDI en est la conséquence, un système de communication via des micro-ordinateurs branchés sur les réseaux de télécommunications. Le dialogue s'effectue par le langage Edifact qui comporte une grammaire et un vocabulaire codifiés et normalisés au niveau international. Si les applications d'Edifact ressortissent pour le moment à la communauté des affaires, leur élargissement au monde des arts, des lettres... ou des bibliothèques peut être envisagé.
Et maintenant ? L'extension du RNIS à l'ensemble du territoire national est prévue pour 1990. D'ores et déjà, l'agence de presse Kipa met en place un système de numérisation, de compression et de transmission d'images à distance. Ce sont 500 000 images qui seront ainsi archivées sur disque optique numérique et diffusées. Et, pour la sphère bibliothèque proprement dite, la banalisation (à assez brève échéance), du télécopieur groupe IV, couplé avec un disque dur et une imprimante laser de manière à assurer une qualité de reproduction satisfaisante, semble bien appelée à révolutionner le circuit de fourniture du document. Le RNIS ne permet plus de parler de mirage technologique lorsqu'on évoque la bibliothèque gérant des flux d'informations, pratiquant la consultation et l'édition à distance, transmettant en quelques secondes des masses d'images ou d'informations écrites, stockées sur papier ou sur disquette : la bibliothèque « invisible » semble en passe de se matérialiser !