Journées patrimoniales d'Arc-et-Senans, 15-16 octobre 1987

Actes

par Philippe Hoch
organisées par Abidoc, lnterbibly, Accolad, Acored, et al.
Fédération française de coopération entre bibliothèques. 1988. - 131 p. : ill. ; 25 cm
ISBN 2-907420-00-3 : 90 F.

Il n'est guère, en définitive, que les professionnels des archives et des bibliothèques pour s'étonner, voire se scandaliser, de l'absence de toute référence, fût-elle allusive, aux documents écrits ou graphiques dans les propos généreux qu'inspire aux uns et aux autres la nécessaire défense des richesses historiques, artistiques et monumentales. C'est bien ce silence unanime entourant - sans toutefois le protéger, bien au contraire - le patrimoine graphique, que se proposaient de briser les Journées patrimoniales d'Arc-et-Senans, organisées les 15 et 16 octobre 1987 dans la saline édifiée par Claude-Nicolas Ledoux. Les Actes de ce colloque reflètent l'inquiétude des professionnels du livre, témoins de la dégradation parfois rapide des collections, ainsi que l'indifférence que suscite, trop souvent encore, une telle situation. Mais, soucieux de prouver le mouvement en marchant, bibliothécaires et archivistes manifestent également une détermination extrême dans le souci de préserver, par de multiples actions, ces collections souvent ignorées, mal aimées peut-être, dont ils ont la garde.

Proclamée d'emblée par Jean-Marie Daudrix, au nom de la Fédération française de coopération entre bibliothèques, la volonté d'agir est affirmée également, avec non moins d'énergie, par les hommes politiques conviés à la rencontre (François Léotard, Bernard Stasi).

Etat et patrimoine

Par-delà ces prises de position, Claude Jolly analyse, dans la durée, l'attitude de l'Etat à l'égard du patrimoine écrit. Sous l'Ancien Régime, rappelle-t-il, les bibliothèques privées ou religieuses sont de loin les plus importantes et le rôle de l'Etat reste on ne peut plus effacé. Ainsi, « le patrimoine écrit est immergé dans la société civile ». On sait quelles transformations décisives sont imputables, ensuite, à la Révolution française qui, par les confiscations, procéda à une « mise à la disposition de la nation » du patrimoine écrit. Mais c'est, en vérité, à la tradition postrévolutionnaire qu'il faut faire remonter la situation actuelle. L'Etat, en effet, à partir du XIXe siècle, se pose comme propriétaire de richesses qu'il ne parvient plus à protéger efficacement. « L'histoire de notre patrimoine écrit est en définitive celle d'un malentendu, dans la mesure où notre Etat centralisateur et omniprésent a simultanément revendiqué et abandonné ses propres collections ».

Qu'en est-il aujourd'hui ? Insuffisante, sans doute, eu égard à l'immensité du travail à réaliser, l'action de l'Etat, en l'occurrence de la Direction du livre et de la lecture, n'est pas, cependant, négligeable et Jean Gattegno se plaît à souligner les progrès effectués, ces dernières années, dans le domaine de la conservation et de l'exploitation des fonds anciens, rares et précieux des bibliothèques. Les préoccupations et les espoirs des responsables de ces collections sont ceux aussi, dans une large mesure, des archivistes. Aussi est-il éminemment souhaitable, aux yeux d'Odile Jurbert, que la collaboration déjà amorcée, ici ou là, entre deux institutions si proches l'une de l'autre à bien des égards, puisse s'intensifier. Il restait, après qu'eurent été exposés les points de vue du Directeur du livre et de la Direction des archives, à entendre la voix de la Direction des bibliothèques, des musées et de l'information scientifique et technique. Le nombre de documents anciens conservés dans les établissements relevant de l'Education nationale s'élève à environ un million, concentrés principalement à Paris et à Strasbourg. Denis Pallier ne peut pourtant faire état que d'un « bilan modeste », en raison principalement de l'absence de crédits spécifiques et d'une « cellule patrimoniale » susceptible d'intervenir dans ce domaine. Aussi, s'agissant des collections anciennes, l'accent a-t-il été mis sur leur valorisation, notamment par la réalisation de vidéodisques et de reprints.

l'avenir du papier

La seconde partie de l'ouvrage, après l'examen de la « politique patrimoniale », hier et aujourd'hui, concerne, de manière plus précise et plus technique aussi, la préservation matérielle des documents graphiques. Françoise Leclerc, d'abord. décrit la « pathologie du papier », support dont elle retrace également l'histoire, pour mieux en comprendre la fragilité. Face au péril qui guette les collections, que faire, comment agir ? David Clements présente les mesures de conservation prises dans les établissements du Royaume-Uni et notamment à la British library où 90 % des fonds se composent « de documents imprimés sur du papier de pâte à bois dune durée de vie limitée ». L'une des solutions possibles réside dans le microfilmage. Mais il est indispensable, souligne David Clements, qu'une coopération internationale s'instaure, à charge pour chaque pays de reproduire prioritairement sa propre production.

Jean-Marie Arnoult analyse, quant à lui, la notion de « plan de sauvegarde » et s'intéresse en particulier à celui de la Bibliothèque nationale, mis sur pied après la publication du rapport Caillet et qui s'est traduit par la création des centres de Sablé et de Provins. Pour la presse périodique, traitée à Provins, comme pour les autres types de documents, la survie de l'information passe souvent par son transfert sur un support de substitution. Opération salutaire, qui n'est cependant pas sans poser, dans bien des cas, des problèmes juridiques d'une grande complexité, qu'expose Sylvie Delfante avec une remarquable clarté. Sans doute, ce modèle de pédagogie encouragera-t-il les bibliothécaires à devenir, comme le souhaite S. Delfante, « juristes et gestionnaires », en complément des qualités d'« érudits et de techniciens », qu'on leur reconnaît déjà...

La voix de l'argent

Peut-être alors les responsables des bibliothèques se sentiraient-ils mieux préparés à l'indispensable dialogue avec les élus. Pour un maire, un adjoint chargé des affaires culturelles, un directeur de service administratif, que représente le patrimoine écrit ? Trois expériences diverses, mais témoignant toutes d'un même désir de travailler pour le futur, sont évoquées (Auxerre, par Mme Janson ; Troyes, par M. Brangbour ; Dole, par Danièle Ducout). Le secteur public, cependant, n'est plus seul à intervenir. Des entreprises privées contribuent, dans le cadre du mécénat, au financement de certaines opérations. Si la Bibliothèque nationale, dont parle Emmanuelle Guiliani, forte de son prestige, attire naturellement donateurs et mécènes, d'autres établissements, tels que la bibliothèque municipale de Rouen (Marie-Françoise Rose) peuvent bénéficier d'une générosité parfois toute prête à se répandre.

De tels apports financiers restent cependant incertains autant qu'insuffisants. L'union des bibliothèques entre elles s'impose dans certains domaines. La coopération régionale, nationale, voire internationale, peut précisément trouver dans la conservation du patrimoine un terrain d'entente et de labeur privilégié. Les voies du microfilmage (Bernadette Calmel), de la conservation et de l'élimination des périodiques (Marine Bedel), des fonds locaux (Bernadette Blandin), de la restauration (Agathe Bischoff) ou encore de la publication de catalogues (Anne Weymuller) sont explorées depuis plus ou moins longtemps ; sans parler de réalisations moins classiques, telles que le vidéodisque portant sur les images d'histoire locale des archives et des bibliothèques de la région Rhônes-Alpes, présenté par Jeanne-Marie Dureau et Martine Mollet. Autant d'initiatives qui méritent à la fois d'être coordonnées et soutenues. Telle est la mission, précisément, du service du patrimoine du Centre national de coopération des bibliothèques, représenté à Arc-et-Senans par Marie-Lise Tsagouria.

Au titre des conclusions, Jean-Luc Rio, Pascal Sanz et Claude Laks mettent chacun l'accent sur l'importance et la richesse du patrimoine écrit, sur la gravité des menaces qui pèsent sur les collections et, par conséquent, sur l'urgence des mesures à arrêter. L'une d'elles pourrait consister, du côté des éditeurs, à utiliser du papier non acide, ne fût-ce que pour quelques volumes destinés à être préservés des atteintes du temps. Imprimés sur papier neutre, ces Actes des journées d'Arc-et-Senans devraient pouvoir témoigner durant fort longtemps des balbutiements de la conservation à l'aube du troisième millénaire.