L'École des normes
Martine Darrobers
C'est parti ! Le premier plan de formation aux normes va être lancé. Objectif: intégrer la normalisation à tous les niveaux de formation initiale et continue. On n'apprendra plus seulement à lire et à écrire, mais aussi à normaliser. Enfin presque ! Car la formation aux normes se fera à Villeurbanne, au Conservatoire national des arts et métiers ou à Sciences-Po : ce sont la documentation, la bibliothéconomie qui sont en lice et qui, nouvelles technologies aidant, devront bientôt se colleter avec la normalisation.
D'aucuns s'étonneront : il y a beau temps que la norme, surtout la norme de catalogage, figure au programme de toutes ces formations. Verserait-on du vin nouveau dans les vieilles outres ? Après « Normes et documentation », la journée d'études tenue le 17 novembre à Villeurbanne, il est permis de démentir. Seconde étape d'une campagne d'information 1, l'initiative croisée de l'AFNOR, du Centre national de coopération des bibliothèques publiques (CNCBP) et de l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires (ENSB) a réinséré la norme dans la finalité des activités documentaires - produire, stocker, diffuser l'information - et a apporté sur des pratiques anciennes un éclairage nouveau, celui des nouvelles technologies.
Nouvelles technologies, mais aussi nouveaux produits : le CD-ROM 2, la nouvelle coqueluche, est la démonstration par excellence du bien-fondé de la normalisation. Les travaux qui ont été effectués sur le format physique (Yellow book), permettent déjà à n'importe quel CD-ROM de passer sur n'importe quel lecteur, tandis que la normalisation sur le format logique avance à grands pas grâce au High Sierra Group. Objectif : élaborer un format de base commun à tous les CD-ROM, quels que soient les logiciels et les machines utilisés. En d'autres termes, si la normalisation n'est pas la cause du succès des CD-ROM, elle en aura été la condition déterminante.
Exemplaire CD-ROM ! Non content d'être un modèle de normalisation, il constitue un nouveau modèle de la chaîne production-diffusion de l'information. Finies les chaînes distinctes, liées à un seul support tel que papier, microforme, disque optique ou banque de données ! L'information, une fois générée, est désormais numérisée pour être stockée et diffusée par ces différents canaux. D'où la nécessité de .normaliser « aux frontières » : pour passer d'un support à un autre, pour naviguer d'une banque à l'autre en harmonisant les procédures d'accès, pour décrire de façon univoque en unifiant la syntaxe des langages documentaires. En bref, la normalisation constitue le passeport obligatoire pour la société de l'information, pour le marché de l'information.
Normes = catalogage. L'activité de la Commission générale 46, dont l'organigramme calque les structures de l'International standard organisation (ISO), contredit cette idée reçue. Pour occuper une place importante, le catalogage se définit en référence aux us, coutumes et formats internationaux, intègre dans ses évolutions celles préconisées par l'ISO et l'IFLA. D'autres programmes se mettent en place : statistiques sur l'édition ou sur l'activité des bibliothèques, édition électronique, vocabulaires bilingues de terminologie pour les archives et pour la documentation, translittération, conservation, commande pour les systèmes de recherche interactive. Et on se préoccupe déjà de normaliser, dans le cadre de l'OSI 3, les systèmes de prêt entre bibliothèques. L'internationalisation, le dialogue, les échanges sont désormais le maître-mot.
Mode d'emploi ou dénominateur commun
Mais certains maîtres-mots ont du mal à passer : pour nombre de documentalistes et de bibliothécaires, la norme s'inscrit sous le signe de l'ambiguïté. Elle est la clé qui permet d'ouvrir d'autres portes, notamment celles du marché de l'information bibliographique ; mais elle est aussi la formule magique, le mode d'emploi pour toutes les situations catalographiques, le moyen de réussir les examens professionnels. D'où une vision quelque peu réductrice des normes et de leur rôle, une assez forte propension, surtout parmi les bibliothèques publiques, à déléguer l'élaboration des normes à la Bibliothèque nationale, mère de tout savoir catalographique. L'image de la normalisation, telle qu'elle ressort d'une enquête menée auprès d'anciens élèves de l'ENSB, de l'Institut national des techniques de la documentation (INTD) et de l'Institut d'études politiques (IEP), se résume grossièrement en deux mots, AFNOR et catalogage...
Pourquoi ne pas espérer ? concluait Jean Meyriat, rapporteur de résultats douloureux à entendre. Certaines réponses témoignent d'une vision plus saine des choses, reliant la normalisation à l'informatisation, à la coopération et... à la relativisation. Car les normes n'ont rien d'un article de foi ; elles évoluent en fonction d'un contexte économique et technique. Elles sont un commun dénominateur, soumises à de constants ajustements, entre partenaires de tous bords. Il n'y a plus qu'à enfoncer le clou, évacuer toute vision dogmatique dans l'enseignement des normes et ne pas en faire ce qu'elles ne sont pas, des manuels de catalogage. Conclusion : pour une refonte de l'enseignement initial des normes ; pour la mise en place de sessions de formation continue sur la normalisation. Au programme, les enjeux et le rôle des normes, le repérage des normes, l'information sur leur contenu, l'évaluation des normes. Tout un programme !
Et en attendant ? On normalisera. « Il n'y a pas de normes pour la littérature grise et pour les formats de catalogage » ont pleuré certains utilisateurs. « Faites-en ! » ont répliqué les responsables de l'AFNOR. Réponse du berger à la bergère ? Plutôt une application du principe fondamental de l'AFNOR : les normes sont l'expression des besoins des utilisateurs. Donc on normalisera - du moins on essaiera. Pour les formats, en prise directe sur les trafics internationaux de l'information bibliographique, l'affaire risque d'être chaude. L'opposition UNIMARC/USMARC a donné lieu à un débat style Bêbête-show, le micro allant et venant entre les champions des deux parties, assis pour la plupart au premier rang. Les partisans d'UNIMARC se recommandent de l'IFLA ; ceux d'USMARC de la prépondérance des réseaux américains. En fait, le débat ne se posera plus en ces termes : les avancées informatiques, l'abandon du catalogage à niveaux (principale cause d'incompatibilité) dans la nouvelle version de la norme 44-050 ouvrent une nouvelle problématique des formats et des réseaux en France et, bientôt, en Europe. Et le format de l'avenir, normalisé ou non, sera un format MARC. Conclusion : l'AFNOR est bien le point de rencontre qu'elle se veut être et la guerre des MARC n'aura - peut-être - pas lieu !