Le marché du livre
Paris : Bayard-presse, 1988. - 188 p. : ill. ; 24 cm.
N° spécial de : Médiaspouvoirs, avril-juin 1988, n° 10, p. 74-122.
II semble qu'on ne s'est jamais autant penché au chevet du marché du livre. La revue Médiaspouvoirs, qui se consacre aux problèmes de la communication, s'était jusque-là davantage préoccupée de la presse, de la publicité, de la télévision, des relations entre médias et politique ou sport que du livre et de la lecture. Est-ce parce que le livre est un média dépassé, que la communication se fait désormais hors de lui, ou parce qu'économiquement « le secteur de l'édition ne pèse guère » ? Est-ce surtout parce que la relative bonne santé économique du marché du livre cache une misère culturelle et/ou morale difficile à analyser? Huit articles tentent ici de faire le point.
Pascal Fouché 1 propose tout d'abord quelques données sur l'histoire récente de l'édition française, de la pénurie des années 45-50 aux concentrations des années 80. II conclut que, si le chiffre d'affaires global de l'édition représente moins de 0,1 % du produit intérieur brut français, la lecture reste selon les sondages le meilleur instrument de culture générale pour 55 % des Français. Le prix unique du livre est plaidé généreusement par François Gèze 2, mais contesté par Jean Castarède, délégué régional du Groupement national des hypermarchés, qui justifie en particulier la naissance du nouveau club « Succès du livre ». Prix unique ou pas, Pierre Lepape démontre que c'est le service rendu qui distinguera toujours le vrai libraire 2.
Hervé Hamon étudie, quant à lui, un produit récent : le document d'enquête et signale qu'il est devenu difficile de bricoler des non-livres, étant donné que, compte tenu de la brève durée des livres, l'éditeur ne peut plus se tromper de sujet, de moment ni d'auteur ! François Taillandier daube sur la faiblesse du discours publicitaire appliqué à la littérature, spécialement au roman. Que de sagas ! Que de romans « envoûtants, éblouissants, somptueux » ! Certes, et que de navets dissimulés sous ces adjectifs interchangeables ! Le mieux, au fond, n'est-il pas en cette matière d'être soi-même ? Et l'auteur conclut que les livres des Editions de Minuit, « identifiés comme tels par la majorité des habitués des librairies », n'ont, par exemple, pas besoin de tapage publicitaire.
Et la critique, joue-t-elle encore un rôle ? On trouvera ici, sous la plume de Jean-Maurice de Montrémy, l'article le plus vivifiant de cet ensemble. Il démontre qu'au lieu de chercher à atteindre un hypothétique grand public, la critique devrait plutôt s'attacher à toucher les « 5 000? ou 10 000 payeurs de bonne volonté qui permettent aux vrais livres de s'accrocher, durer... » Il regrette qu'on fasse beaucoup de bruit autour du livre, en oubliant ainsi le livre lui-même et en appauvrissant la réflexion intellectuelle sur la littérature. Enfin, Martine Poulain propose un petit dictionnaire des idées reçues en matière de lecture : de l'illettrisme à la pseudo-révolution du « poche », en passant par les « la lecture se meurt », « les jeunes ne lisent plus » ou autre « baisse déplorable du niveau culturel », il ne manque guère que les tartes à la crème sur les méthodes d'apprentissage de ladite lecture. Martine Poulain montre judicieusement qu'aucune mesure matérielle ne modifiera sans doute la relation au texte ni ne créera le désir de lire.
Ce petit dossier, qui a le mérite d'être très lisible, nous laisse quelque peu sur notre faim : en particulier, on aurait aimé que soient analysés aussi la concentration de la vente sur un nombre restreint de titres, la durée de vie du livre, la marginalisation de la littérature, le savoir-faire du marchand de livres, la manière de toucher et de convaincre le lecteur, toutes choses qui ne sont ici qu'esquissées.