BU d'hier et de demain
Entretien avec André Miquel, professeur au Collège de France
Ce rapport s'inscrit dans le cadre d'une politique d'intervention en faveur du premier et du second cycle universitaire, conduite par le ministre de l'Education nationale. Il affirme le rôle primordial que la bibliothèque doit jouer sur le campus universitaire, en tant que canal de distribution de l'édition universitaire et scientifique, et outil pour la recherche. Il recommande la mobilité des documents : la bibliothèque ne doit plus chercher à être exhaustive et constituée une fois pour toutes, mais offrir des collections spécialisées correspondant aux cursus et aux recherches de l'Université à laquelle elle est rattachée (quitte à réorienter ses collections si ceux-ci changent) ; mobilité également du personnel : les responsables ne devraient pas rester plus de cinq ans dans un même poste, et revalorisation des salaires et des fonctions. Il prévoit un Conseil interministériel des bibliothèques (composé de 12 à 15 membres) qui aura en charge toutes les bibliothèques de France, définira une politique, donnera les moyens de la suivre et exercera un contrôle. Deux projets se font jour : - un silo à livres pour soulager les bibliothèques saturées et éliminer les doublons ; - une bibliothèque pour les étudiants qui soulagera la BPI et la BN, et fera un effort particulier dans la reproduction des documents.
Discussion about the report on university libraries. This report lies within the framework of an intervention policy for the first and the second " cycle " held by the minister of National education. It asserts the essential part the library must play on the university campus, as a channel for distribution of the scientific and academic publications and as a tool for research. It recommends document mobility : the library should not try to be comprehensive any more or settled for good, but offer special collections related to the programmes and researches of the parent university (even if it means a change in the collections) ; mobility of staff also - representatives should not hold the same appointment more than five years - as well as salary raising and job promotion. The report plans an interdepartmental council for libraries (consisting of 12 to 15 members) who will be responsible for all types of libraries in France ; it will define a policy with all the necessary means of action, and will maintain a control over it. Two projects are emerging : - a silo for books in order to relieve saturated libraries and get rid of copies ; - one library for all students, relieving the Bibliothèque publique d'information and the National library, with a special emphasis on document reproduction.
Les biblitohèques d'université font l'objet de la sollicitude ministérielle : le rapport d'André Miquel dénonce vigoureusement la misère des BU et prévoit toutes les mesures de rattrapage nécessaires. On peut célébrer l'événement comme il se doit. On peut aussi se demander si ce redressement ne concerne pas des BU fort différentes de celles d'antan. Le BBF a été poser la question à André Miquel, dans son bureau du Collège de France. Celui-ci a répondu sans équivoque : la BU de papa a vécu. Vivent les BU !
BBF. Ne serait-ce que par sa seule publication 1, le rapport Miquel fera sans doute date dans l'histoire des bibliothèques universitaires : c'est la première fois qu'on voit aussi brutalement énoncés les enjeux scientifiques et économiques liés à la mise en œuvre d'une politique nationale en leur faveur. Vous faites des comparaisons accablantes pour la France et vous chiffrez un certain nombre de mesures de rattrapage qui apparaissent fabuleuses dans la situation actuelle : pensez-vous que cette politique puisse être crédible ?
André Miquel. La commission que j'ai présidée a, en effet, avancé des chiffres qui, dans l'absolu, peuvent paraître élevés - 240 MF en budget annuel d'investissement pendant dix ans, création de 1 500 postes, 600 MF en budget de fonctionnement -, mais ces chiffres, il faut le préciser, sont des chiffres minimaux. Si on regarde le nombre de postes, on arriverait, si nous sommes suivis, à un effectif global de 4 700 postes. La France resterait encore loin de la République fédérale d'Allemagne où l'on compte 6 400 emplois.
BBF. Serez-vous suivis ?
AM. C'est là une question à laquelle je ne puis répondre et qui est d'ordre politique, d'ordre national. Il faut réellement mettre en oeuvre une politique nationale des bibliothèques universitaires avec un calendrier et des affichages budgétaires clairs. Il le faut d'autant plus qu'est programmé le projet de très grande envergure de la TGB 2 et que ce projet risque d'être voué à l'échec s'il ne s'inscrit pas sur un tissu documentaire de qualité.
Car les enjeux posés sont fantastiques et débordent de très loin le problème des bibliothèques, qui sont un moyen, non une fin. Les bibliothèques sont le canal de distribution de l'édition scientifique et universitaire ; elles sont aussi un outil pour la recherche, et la recherche renferme en elle tout le potentiel de développement intellectuel, culturel, scientifique et économique de la nation. Si rien n'est fait, nous risquons, en 1993, d'être les parents pauvres de l'Europe. J'ajouterais, à titre personnel, que le prolongement de cette situation peut amener une fuite des cerveaux à l'étranger.
BBF. Mais la recherche française ne s'est-elle pas, jusqu'à maintenant, assez bien accommodée du mauvais fonctionnement de l'outil collectif « bibliothèques » ?
AM. Parce qu'elle fonctionne elle-même sur un mode vicieux, celui du système D et de l'individualisme forcené. Chaque chercheur, moi le premier, s'est constitué sa bibliothèque personnelle, 2 000 à 3 000 ouvrages, et arrive à se débrouiller avec des moyens précaires. Mais cette situation, qui étonne nos collègues étrangers, ne saurait se prolonger indéfiniment. Il faudra bien, un jour ou l'autre, que les chercheurs arrivent à changer leurs habitudes, adoptent la démarche anglo-saxonne et aient recours à cet instrument collectif pour toute démarche de recherche.
BBF. Mais l'offre documentaire ne se réduit pas aux seules bibliothèques ; il existe des systèmes de bourses de documentation offertes aux chercheurs et aux étudiants, ne pourrait-on envisager de les développer ?
AM. A mon avis, ces systèmes sont complémentaires, et non rivaux, de la bibliothèque ; nous demandons, au reste, leur extension. Mais le développement de l'un ou l'autre système ne doit pas être pensé en termes de rigidité et de parallélisme absolu. Il n'est plus raisonnable de concevoir la bibliothèque de chaque université comme une institution complète, autosuffisante et immuable. Il faut penser les choses en termes de mobilité : mobilité des étudiants et des enseignants, incités à fréquenter telle université plus adaptée à leurs cursus scolaire ou à leur domaine de recherche ; mobilité du document, qui, à terme, devrait être disponible à partir de toute demande faite à domicile. La bibliothèque de l'avenir sera partout et nulle part : la bibliothèque matérielle, cette collection organisée de documents que nous connaissons maintenant, n'existera plus seule, remplacée ou relayée par cette bibliothèque virtuelle, ce système de communication à distance dont nous voyons les prémices.
BBF. La question est de savoir si cet utilisateur futur arrivera à connaître les documents dont il aura besoin.
AM. Ce sera son problème : un chercheur, a priori, sait dans quel champ de recherche il doit travailler. Sa capacité à formuler sa question sera, au reste, la preuve de son aptitude à la recherche.
BBF. On pourrait vous opposer un chercheur illustre, Umberto Eco, qui plaide pour la bibliothèque matérielle, car elle permet de retrouver non seulement le document que l'on cherche, mais aussi celui qu'on ne cherchait pas.
AM. Dans l'immédiat, il n'est pas question de renier la recherche erratique, la déambulation en libre accès le long des rayonnages. Bien au contraire, le rapport préconise vivement sa généralisation, notamment en faveur des étudiants pour lesquels nous prônons la culture « crue » de la recherche personnelle.
BBF. Ce qui implique une politique d'accueil, sinon nouvelle, du moins différente : des horaires d'ouverture sensiblement élargis, une meilleure signalisation, des sessions d'information et de formation systématiquement organisées, la constitution d'un pôle d'animation autour de la bibliothèque avec des expositions, des points « renseignements », des boutiques d'information.
AM. La bibliothèque devrait être le centre nerveux de l'université : c'est une des recommandations dominantes du rapport. Pour le moment, nous en sommes loin, à preuve ces deux exemples d'implantation qui ne figurent pas dans le rapport : une grande bibliothèque de la région parisienne est placée à la lisière du campus, reléguée près des installations sportives. Dans une université allemande, la bibliothèque est située en plein centre et rayonne par ses onze portes d'entrée sur l'ensemble du campus...
BBF. Dans son ensemble, le rapport met vigoureusement l'accent sur le service à rendre aux étudiants ; beaucoup moins sur le service à rendre aux chercheurs: la création d'une bibliothèque du 3e cycle et de la recherche n'est envisagée que « sous certaines conditions à définir par les universités elles-mêmes ».
AM. L'étude qui a été demandée s'inscrit dans le cadre d'une politique d'intervention en faveur du 1er cycle et du 2e cycle, proclamée et conduite par le ministre de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, et qui est vitale : car c'est au stade de la formation initiale des étudiants que se déterminent les orientations de la recherche, tout comme l'enseignement primaire joue un rôle fondamental dans la formation des individus. Le volet étudiants était donc une priorité.
Mais cette priorité ne doit pas se définir, ne se définit pas, au détriment du secteur recherche. La formulation conditionnelle qui a été adoptée s'inscrivait dans une optique précise, éviter de faire des bibliothèques universitaires complètes dans chaque université. Il est bien évident, qu'avec la multiplication et la généralisation de la recherche, aucune université ne peut prétendre à faire de la recherche dans tous les secteurs possibles. Elles doivent choisir. Leurs bibliothèques aussi. Dès le moment où telle université est appelée à jouer un rôle majeur dans un secteur de pointe d'une discipline donnée, il est tout à fait normal qu'elle développe une collection importante dans ce domaine ; il est également possible que cette spécialité documentaire devienne un pôle d'information au niveau national. Par contre, il est hors de question que la bibliothèque prétende atteindre ce niveau de spécialisation documentaire dans tous les domaines de la connaissance. C'est dans cet esprit que le terme de conditions a été évoqué pour le 3e cycle.
BBF. La bibliothèque universitaire encyclopédique, se donnant mission de couvrir tous les niveaux de la recherche dans ses différentes sections, serait un modèle désormais révolu...
AM. C'est le modèle universitaire sous-jacent qui est révolu. Le temps n'est plus où chaque université était découpée en facultés, toujours les mêmes, et où chaque faculté recouvrait exactement les mêmes disciplines. Ce temps n'est plus. L'interdisciplinarité, le décloisonnement sont passés par là. Ainsi que la spécialisation, la segmentation de plus en plus fine en domaines de la connaissance de plus en plus pointus. Il est temps d'en tenir compte au niveau de la carte documentaire qui devra comprendre des pôles d'excellence complémentaires greffés sur un tissu documentaire plus ou moins serré. Il est encore plus temps d'en prendre compte au niveau de la carte universitaire tout court. Il faudra se dégager de la vision traditionnelle qui considérait l'université française comme un ensemble d'universités égales entre elles, tant au niveau scientifique qu'au niveau administratif ; il faudra avoir une autre vision des choses, considérer les universités comme un ensemble fédéré, dont la somme représente l'Université française.
Bien entendu les bibliothèques universitaires devront s'intégrer à cette vision d'ensemble, dresser des plans de développement de collections, rationaliser et orienter leur offre documentaire en fonction des options prises par leur université : il ne me paraît point choquant que, le jour où l'on décide de supprimer telle chaire, la collection spécialisée correspondante soit déposée dans une autre bibliothèque. Tout cela s'inscrit dans cette politique de mobilité que j'ai évoquée : mobilité des documents et mobilité des personnes. Il suffit de mettre en place un système de primes à la mobilité, comme dans le secteur privé, pour assurer les conditions de sa mise en place.
BBF. Ce qui nous ramène aux problèmes de politique. Vous préconisez une politique de rattrapage sur plusieurs années, « avec un calendrier et des affichages budgétaires clairs ». Vous préconisez aussi la mise en place d'un conseil supérieur des bibliothèques, dont le rôle n'apparaît pas clairement.
AM. Sur les modalités d'application, je n'en dirai pas davantage car nous touchons là à une question qui relève de l'autorité politique. Le Conseil supérieur des bibliothèques, quant à lui, devrait être un conseil interministériel, en charge de toutes les bibliothèques de France, et chargé de suivre la politique mise en oeuvre à leur égard, d'en suivre le déroulement et d'en assurer le contrôle.
Il devrait aussi être une instance de rencontres et de concertations : il y a des erreurs à ne pas renouveler, il y a des initiatives à promouvoir. Même si les niveaux de développement sont inégaux, même si le dialogue entre les différents secteurs est difficile, le Conseil des bibliothèques devrait jouer un rôle de plate-forme et de carrefour. Ce conseil devrait être une structure assez souple, assez légère, pas plus de 12 ou 15 personnes à mes yeux, où se retrouveraient des représentants du ministère de l'Education nationale, de la Recherche, de la Culture et, aussi, du Secrétariat général du gouvernement.
BBF. Ce Conseil des bibliothèques, où le situez vous ? Dans un numéro resté fameux du Débat, vous vous étiez déclaré partisan d'un secrétariat d'Etat aux bibliothèques.
AM. Je me situais alors dans un autre contexte. A l'heure actuelle, je ne fais aucune proposition quant aux modalités d'organisation administrative. Je me contente d'insister sur le fait que les bibliothèques en général, et les bibliothèques universitaires en particulier, doivent être inscrites au coeur d'une politique prioritaire de la part du gouvernement. Peu m'importent les formes administratives de la chose !
BBF. A ce propos justement, vous semblez préconiser une certaine « mise en veilleuse » de l'autorité de tutelle des bibliothèques universitaires, la DBMIST 3.
AM. J'aurais plutôt tendance à préconiser une mise en lumière et, en conséquence, une clarification des rôles. Vous ne trouverez pas dans ce rapport de remise en cause de la politique menée en direction des bibliothèques universitaires, qu'il s'agisse de la politique documentaire, de la coopération, du suivi de la gestion, de la contractualisation, de l'organisation administrative fixée par le décret de 1985. Par contre, je pense que la DBMIST, comme toute administration centrale confrontée à la logique de la décentralisation, verra sa compétence évoluer vers l'étude, le contrôle et le conseil.
D'ores et déjà, j'estime que certains projets menés par l'administration centrale, certains projets bien définis, dont on peut cerner les contours et les moyens, devraient être « extériorisés » de manière à bénéficier de toute la liberté nécessaire : la création du Centre national chargé de gérer le Catalogue collectif des publications en série a été un premier pas ; il faudrait que la même démarche soit suivie pour la liste d'autorité RAMEAU et pour le Pan-catalogue, de manière à dissocier ces opérations « de terrain » du rôle joué par l'administration qui exercera des fonctions de tutelle, de pilotage, de suivi et d'audit. Autrement dit, la fonction spécifique de l'administration centrale sera de définir une politique, d'en donner les moyens et de vérifier le bon usage de ces moyens.
BBF. Et dans ce cas de figure, la responsabilité financière des bibliothèques passerait par les régions et les universités ?
AM. Il est clair qu'un jour ou l'autre les régions devront considérer que l'université est leur affaire, tout comme les départements ont pris en charge les lycées. Et les universités, elles aussi, auront à prendre les choses en charge, à considérer que la bibliothèque est leur affaire, et à se prendre elles-mêmes en charge. Car, pour moi, il est bien clair qu'à l'heure actuelle, l'autonomie des universités reste un leurre. Il faut que chaque université définisse sa politique de formation, de recherche, de documentation, d'une façon responsable, en fonction de sa taille, de ses moyens et de ses aspirations.
BBF. Pourtant, en parallèlle, vous semblez édifier un garde-fou contre cette décentralisation puisque vous insistez sur la nécessité d'attribuer aux bibliothèques universitaires une enveloppe budgétaire fléchée.
AM. Vous avez remarqué que la formulation de la commission est restée très prudente sur ce point. Il faut en effet que la dotation globale affectée à l'université prenne en compte la manière dont celle-ci traite sa bibliothèque. Nous avons suggéré plusieurs voies possibles pour l'affectation des crédits aux bibliothèques, mais il ne s'agit là que de moyens pour aboutir au seul résultat important : la nécessité pour l'université de prendre conscience du caractère vital que représente pour elle une bibliothèque - un tissu documentaire car la politique documentaire concerne l'ensemble des bibliothèques au niveau local - en bon état de marche. D'où la nécessité d'assurer un contrôle, d'avoir un système de clignotants permettant d'alerter l'université sur les implications de ses choix budgétaires. En fait, tout dépendra de la clarté avec laquelle sera affichée la politique générale.
BBF. Il est en tout cas un projet qui est très clairement affiché dans votre rapport; c'est celui d'une grande bibliothèque d'étude pour les étudiants du 1er et 2e cycle, une bibliothèque qui ne ferait pas moins de 5 000 ou 6 000 m2 et que vous situez dans le Quartier latin.
AM. L'étude ne comporte de propositions précises que pour Paris : il est clair que nous ne pouvions prendre en compte les bibliothèques des 74 universités françaises. Mais, pour les bibliothèques des académies de Paris, Créteil et Versailles, il est deux projets qui, s'ils sont pris à bras-le-corps, permettront de résoudre pas mal de problèmes pour les années à venir. Le premier concerne la mise en oeuvre d'un silo à livres de manière à « dégraisser » les stocks des bibliothèques parisiennes qui sont à la limite de la saturation, à éliminer les doublons et à permettre une première vue d'ensemble sur les politiques d'acquisition des bibliothèques parisiennes. Ce projet est déjà chiffré ; il ne suffit que d'une volonté politique pour le réaliser.
Le second projet concerne effectivement la mise en oeuvre d'une grande bibliothèque pour les étudiants, de manière à soulager les autres bibliothèques d'une clientèle à la fois très encombrante de par ses effectifs et, en même temps, essentielle, car encore une fois, c'est par le 1er et le 2e cycle que tout commence. De manière aussi à soulager la BPI et la Bibliothèque nationale d'une partie de leur clientèle estudiantine. Cette bibliothèque prendrait en compte les différents modes d'accès des étudiants à la documentation, livres et périodiques, mais aussi manuels, polycopiés, et tout l'appareillage technique lié aux nouveaux supports de l'information, CD-ROM, disques optiques numériques, vidéodisques, terminaux 80 colonnes et minitels, sans oublier la consultation de microformes et des batteries de photocopieurs.
BBF. Vous insistez beaucoup sur cette notion d'accès au document reproduit qui se substituerait à l'accès au document original. Ne pensez-vous pas que cette approche, aussi rationnelle soit-elle, va à l'encontre des mentalités actuelles et sera difficile à appliquer ?
AM. Il faudra changer les mentalités ! Encore une fois, je parle à titre personnel et n'exprime pas le point de vue d'un bibliophile. Mais, dans 99 % des cas, lorsque je m'intéresse à un livre, je m'intéresse à son contenu, au savoir que ce livre renferme ; et il me suffit que la reproduction soit de bonne qualité pour m'en satisfaire. Ma seule exigence de lecteur-utilisateur porte sur l'ergonomie des systèmes de consultation.
Par ailleurs, le passage à la reproduction me paraît une échéance inéluctable quoi qu'on puisse en dire : autrefois, un livre passait entre quelques dizaines de mains ; aujourd'hui, c'est par des milliers de mains qu'il va être manipulé tout au long de sa vie de livre. Il est donc infiniment plus fragile et périssable qu'auparavant, sans parler du problème de l'acidité du papier. Aussi ne pourra-t-on pas continuer à contourner indéfiniment cette question de la reproduction - pas plus que celle du copyright, que nous avons abordée en termes prudents, mais auquel il faudra bien, un jour, s'attaquer.
BBF. A votre avis, est-ce que la reproduction ruine réellement l'édition scientifique ?
AM. Je n'en suis pas si sûr. La crise de l'édition scientifique française relève d'un problème global, lié au coût et au tirage. Nous sommes dans une situation complètement bloquée : les livres français ont la plupart du temps un prix très élevé, calculé de façon à rentabiliser l'opération même si n'est vendue qu'une faible part du tirage. Et ce prix devient du même coup prohibitif pour des bibliothèques, démunies, qui devraient constituer le principal canal de distribution pour ces ouvrages. Conséquence : face à des ventes de plus en plus faibles à des prix de plus en plus élevés, les éditeurs sont de plus en plus malthusiens. Dans ma discipline, l'orientalisme, je sais les efforts que je dois faire pour faire publier l'ouvrage - non rentable ! - de tel ou tel de mes collaborateurs. Parallèllement, une université américaine m'écrit pour me demander un manuscrit qu'elle se charge de traduire et de publier...
BBF. Prôneriez-vous la mise en place d'un Centre national du livre universitaire ?
AM. C'est une solution qui mériterait en tout cas d'être étudiée. Mais il faudra poser le problème de façon globale car se pose aussi la question des manuels d'enseignement, jamais assez nombreux sur les rayonnages des bibliothèques et toujours dévalisés. Le recours aux presses d'université et à la micro-édition devrait permettre une édition, à faible coût, de ces nouveaux polycopiés. Il est sans doute d'autres formules, également intéressantes, mais rien n'aboutira véritablement s'il ne se crée pas de relation symbiotique entre l'éditeur, l'universitaire-auteur et le bibliothécaire d'université.
BBF. Si l'on en croit votre rapport, ce bibliothécaire d'université est appelé à connaître maints changements, tant dans son statut que dans son cursus professionnel. Lorsque vous évoquez ces quelque 1 500 personnes supplémentaires qui seraient nécessaires, vous insistez à la fois sur la spécificité de leur formation et sur leur mobilité professionnelle. Comment concilier ces deux caractéristiques ?
AM. Le rapport tient un discours très global sur la question du personnel. Tout d'abord, c'est dit de la façon la plus nette, nous disons qu'une instance de formation de ces personnels qui resterait en deçà du 3e cycle serait une mauvaise solution. Ensuite, nous posons la question de la revalorisation des trois principaux corps travaillant dans les bibliothèques universitaires (conservateurs, bibliothécaires-adjoints et magasiniers). Cette revalorisation devrait porter non seulement sur les salaires, mais aussi sur les fonctions : les bibliothécaires-adjoints doivent devenir les premiers acteurs du service public ; les magasiniers, quant à eux, devraient assurer le pilotage du public dans l'ensemble de la bibliothèque.
Enfin, nous insistons sur la question de la mobilité, qui, sauf cas très exceptionnel, devrait être la règle : il est malsain que des personnes restent 20 ou 30 ans dans le même poste. Aussi, pour les postes de responsabilité, 5 années, éventuellement renouvelables, apparaissent le délai maximum. Il faut que les gens puissent bouger, passer d'un poste à l'autre, d'une catégorie de bibliothèques à une autre.
BBF. Vous avez pourtant eu à cœur de défendre la spécificité des tâches accomplies à la Bibliothèque nationale.
AM. Pour certains secteurs très spécialisés tels les monnaies et médailles, une étude cas par cas est sans doute nécessaire. Mais pour le reste, il est sans doute possible de recruter du personnel venu d'ailleurs, qui, après avoir suivi la formation indispensable sur le terrain, s'avérera parfaitement capable de remplir ces tâches. Mais cette adaptation préalable sera nécessaire partout, pour les bibliothèques universitaires et spécialisées, pour la lecture publique, pour d'autres encore...
Il y a aussi un autre moyen d'assurer la mobilité, en mettant en place un système de primes liées aux fonctions de technicité et de responsabilité ; à l'heure actuelle, la façon de marquer par des indemnités convenables l'intérêt que la collectivité nationale porte aux fonctions de responsabilité reste insuffisamment mise en oeuvre - qu'il s'agisse des grands départements de la Bibliothèque nationale, de la direction de grandes bibliothèques municipales ou universitaires.
BBF. Vous préconisez aussi l'ouverture des bibliothèques d'université aux personnels extérieurs, documentalistes, enseignants, informaticiens...
AM. Cette recommandation rejoint une préoccupation qui a toujours été la mienne : un des impératifs faits au corps des bibliothécaires est de travailler avec d'autres. Et dans le cadre des bibliothèques universitaires, il faut que cette ouverture se fasse à tous les niveaux, depuis les étudiants-moniteurs qui devraient être recrutés en plus grand nombre jusqu'aux conservateurs qui devraient s'intégrer davantage à la communauté universitaire. Cette attitude serait bénéfique, car elle permettrait de faire percevoir aux universitaires la technicité et l'efficacité du personnel d'information ; par ailleurs, les conservateurs, par une redéfinition de leurs tâches, seraient mis en mesure de dialoguer d'égal à égal avec les enseignants.
BBF. Ce tableau, idyllique, n'est-il pas un peu futurologique ?
AM. Encore une fois, tout dépend des mentalités ! Le chercheur devra apprendre à connaître et à « reconnaître » la bibliothèque matérielle, élément de base de son travail, ainsi que la bibliothèque virtuelle de la communication à distance. Le personnel des bibliothèques devra reconnaître qu'il est au service de la communauté universitaire avant d'être au service de la science bibliothéconomique. Beaucoup de choses restent à faire, mais nous pouvons déjà voir des indices prometteurs : l'informatisation démarre, des réseaux se mettent en place au niveau national et international, des systèmes de transmission à distance sont en cours de test, des chercheurs (y compris moi-même !) intègrent l'outil informatique dans leurs habitudes de travail, et le ministre de l'Education nationale demande que soit conduite une mission de réflexion sur la situation des bibliothèques universitaires. Voilà de bonnes raisons pour être optimiste !
décembre 1988
Annexes
Préliminaires
Il n'est que grand temps de doter enfin notre pays de bibliothèques universitaires dignes de l'avenir qui lui est proposé. Trois raisons majeures militent en ce sens.
1. Si la démocratie considère comme l'une de ses définitions essentielles la réparation du scandale et de l'injustice, alors il suffit de dire qu'à lui seul, et malgré quelques rares exceptions et de notables efforts consentis ces dernières années, l'état des bibliothèques universitaires justifie l'effort de la collectivité. Locaux exigus ou périmés, ou pas assez ouverts, manque de postes, démobilisation trop fréquente des personnels, lassitude générale, désaffection des étudiants causée, au moins en partie, par le manque de moyens offerts, renonciation à lire ou découragement devant les difficultés de la documentation (que l'on comparera, à notre désavantage, avec telle ou telle bibliothèque étrangère fonctionnant comme un intense et permanent appel à la curiosité), inexistence ou insuffisance de l'apprentissage de la lecture spécialisée, tout incite à ce constat, que les bibliothèques constituent une des zones sinistrées de l'ensemble universitaire et, au-delà, du tissu national. Un seul exemple : sait-on que la bibliothèque universitaire de Paris VII (Jussieu), en sa section Lettres, n'offre, sur le campus, que 44 places disponibles pour environ 12 000 étudiants en lettres et sciences humaines, soit 0,004 place par étudiant (ou 270 étudiants pour la même place) ? Appliquée au chemin de fer métropolitain, cette équation ferait passer, aux heures dites de pointe, une « rame » - d'une seule voiture - chaque demi-heure.
2. La réparation de l'injustice et du scandale ne se justifie pas, néanmoins, seulement en soi. Elle commande l'avenir dans trois directions au moins :
- Au niveau de l'Université, la situation actuelle est éminemment préjudiciable à la recherche, dont l'apprentissage commence au deuxième cycle, et même au premier. La formation et l'incitation à la recherche, qui sont la fonction primordiale des bibliothèques universitaires, s'avèrent aujourd'hui compromises gravement, et parfois inexistantes. L'insuffisance répétée de la documentation se traduit par l'appel à la débrouillardise, par le recours aux moyens de fortune, par une parcellisation du savoir, pire : par la réduplication de systèmes identiques qui coûte cher à la collectivité et conduit à une perte de temps préjudiciable à la recherche proprement dite. Ne pas assurer les bases du savoir, c'est en reporter, en fractionner, voire en interdire l'accès, et la nation se perd en laissant perdre chaque parcelle de force individuelle de recherche.
- En dehors même de l'Université, la situation induit des effets catastrophiques. Pour parler d'abord de celui-là, tout un secteur de l'édition en langue française est tari à la source par l'appauvrissement de la demande émanant de bibliothèques universitaires (BU) au budget limité et/ou par l'ignorance où se trouve l'usager de la disponibilité d'une documentation qu'il renonce très vite à chercher. De même risque d'être tarie, dans l'avenir, la diffusion de systèmes de communication essentiels pour notre rayonnement. Si la bibliothèque est déficiente, le reste suit, très vite. Mais, beaucoup plus généralement, tous les secteurs de l'activité économique font appel à l'enseignement supérieur pour recruter leurs futurs responsables. Or, cet enseignement ne leur a pas toujours inculqué les bons réflexes quand il s'agit de l'information nourissant l'activité économique. Un défaut d'alimentation en connaissances fraîches et pertinentes peut compromettre la réussite de l'entreprise.
- Le niveau international, que l'on a évoqué au passage, demande lui aussi à être considéré. Sans parler des conséquences de la situation actuelle pour la francophonie, les perspectives de 1993 contraignent, si rien n'est fait, à ce constat: notre pays risque d'être le parent pauvre de l'Europe, et pas seulement du Nord, avec une Université à la traîne. Il y va de la survie de notre langue, de notre patrimoine et de notre tradition.
3. Le grand dessein affirmé par le Président de la République le 14 juillet 1988 doit inciter à plus de résolution encore. Il n'entre certes pas dans les attributions de la Commission de se prononcer sur les modalités de la réalisation de la grande bibliothèque annoncée. Mais le Président a fort justement souligné que l'entreprise était globale et qu'il convenait de veiller, à travers l'ensemble des bibliothèques de France, à la mise sur pied d'un système d'information bibliographique au niveau national. Qui ne voit que, sans les BU ou avec des BU exsangues, cette entreprise perdrait une grande part de sa raison d'être ?
Sans doute serait-il déraisonnable, quant aux moyens et dans le principe, de rêver d'autant de BU complètes, en tous domaines, qu'il y a d'universités. Mais à tout le moins - sans préjuger tel ou tel cas particulier qui peut se poser, et en réservant le cas des bibliothèques à vocation interuniversitaire - pourrait-on énoncer, comme principe de base, que chaque BU devrait être :
- une bibliothèque de premier et deuxième cycles, pour les disciplines fondamentales, elle-même en contact permanent, pour l'approvisionnement et la gestion, avec les bibliothèques d'instituts spécialisés et d'unités de formation et de recherche (UFR) (bibliothèques associées au sens du décret de 1985) ;
- sous certaines conditions à définir par les universités elles-mêmes, une bibliothèque de 3e cycle et recherche ;
- éventuellement un pôle, au niveau national, pour tel ou tel secteur spécialisé de documentation, à l'exemple des Centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST) ;
- un élément du système global d'information bibliographique (BU, Bibliothèque nationale, Bibliothèques municipales, Centre national de la recherche scientifique et technique, etc.) : source de la demande d'information dans tous les cas, source de l'information spécialisée en cas de pôle.
Sans doute cette option peut-elle paraître pécher par défaut ou par excès : trop modeste par rapport à la situation de certaines grandes bibliothèques étrangères, des Etats-Unis notamment : démesurée eu égard à la situation française et aux efforts qui devraient être accomplis. La perspective évoquée constitue, précisément, en fait, un plancher minimal : en évitant et les actions dispersées et une position irréaliste - une BU complète dans chaque université - qui serait, dans le principe et budgétairement irrecevable, elle permettrait à notre pays, sinon aux moindres frais, du moins à un juste coût, de se doter d'un système convenant à ses besoins.
Cette option nécessite une politique de plusieurs années, qui s'inscrit de plein droit dans l'effort engagé en faveur de cette priorité des priorités qu'est l'éducation nationale. Elle requiert elle-même une réflexion sur les moyens de la DBMIST et son statut à l'intérieur du ministère, et la mise en place urgente d'un Conseil supérieur des bibliothèques (ministères de l'Education nationale, de la Culture et de la Communication, de la Recherche et Secrétariat général du Gouvernement), chargé de prévoir, de préparer et de suivre la mise en place des pôles et des réseaux de communication, l'évaluation des coûts, des fréquentations et des résultats, la répartition des crédits correspondants et l'établissement de la carte des bibliothèques.
La Commission ne peut pas ne pas souligner avec force que l'effort en faveur des BU ne saurait être dissocié de celui qui doit être consenti pour la nouvelle bibliothèque annoncée par le Président de la République, pour la Bibliothèque nationale et pour les bibliothèques de lecture publique. Toutes doivent retenir une égale attention, et toutes doivent être servies en fonction des objectifs à atteindre et des retards à combler, ces derniers étant particulièrement criants pour les BU. Sans l'un ou l'autre de ces éléments, ou l'un deux étant déficient, le projet du Président risque de pâtir à plus ou moins long terme. On comprendra qu'une commission chargée d'étudier l'avenir des BU se permette, sans oublier les autres, de plaider spécialement pour celles qui constituent son propos.
A elles seules, les sommes à engager pour cette entreprise universitaire, sur plusieurs années, peuvent paraître considérables. Elles ne le sont ni au regard du volume global du budget de la nation, ni au regard de l'enjeu. C'est toute une nation qui, pour l'ensemble de ses bibliothèques et par la voix des ministre concernés, doit être saisie de cette nécessité, sur les lieux mêmes de sa représentation: le Parlement. C'est la nation tout entière, du sommet aux collectivités territoriales appelées elles aussi à ce grand effort, qui doit définir les moyens, l'exécution et le contrôle d'une politique totale qui engage l'un des problèmes capitaux de sa survie.
Les étudiants et les bibliothèques
La position des étudiants à l'égard des bibliothèques universitaires présente, à première vue, un aspect paradoxal. Par le paiement annuel de « droits de bibliothèque », chaque étudiant contribue à leur fonctionnement et peut en espérer des services fiables. En fait, près de la moitié d'entre eux, se privant ainsi de la possibilité d'emprunter des ouvrages à domicile, ne fait pas la simple démarche de s'y inscrire.
Partant de la description du public étudiant, potentiel et réel, de ses conditions de travail et de ses pratiques actuelles en matière de documentation (I), nous pouvons présenter quelques propositions (II).
Le public étudiant et ses pratiques de travail universitaire
1. Les étudiants réfractaires aux BU
Un certain nombre d'étudiants ne franchissent jamais le seuil d'une bibliothèque universitaire.
Une partie d'entre eux fréquentent d'autre lieux, à l'université (salle de travail ou centres de documentation liés aux UFR) ou en ville (bibliothèques municipales ou de quartier, Bibliothèque publique d'information à Paris). Situés à proximité du lieu d'étude ou du domicile de l'étudiant, offrant souvent la possibilité d'un accès libre aux ouvrages et des plages horaires plus étendues, ces lieux présentent des avantages évidents en particulier pour les débutants que rebute la découverte d'un monde à part. Les bibliothèques d'instituts, à fonds très spécialisés, attirent au contraire les étudiants avancés qui y trouvent la documentation nécessaire à leur recherche.
D'autres achètent les livres, manuels conseillés par les enseignants en Sciences ou en Droit, auteurs au programme en Lettres, textes fondateurs ou exemplaires en Sciences sociales et humaines. Pour certains, en particulier les étudiants salariés qui ne peuvent participer régulièrement à la vie universitaire, c'est le seul moyen de travailler efficacement.
Un troisième groupe ne « lit » pas. Entendons par là qu'en dehors des notes manuscrites ou du polycopié des cours et des copieux documents et fiches de travaux dirigés, ils n'éprouvent, dans le cadre de leurs études, ni le désir ni le besoin d'autres références documentaires.
2. Le public étudiant des BU
Les étudiants qui fréquentent les bibliothèques universitaires constituent un public fidèle et hétérogène.
Fidèle, car la majorité d'entre eux sont des « pratiquants » réguliers. Un sur deux vient trois à quatre fois par semaine et reste de deux à quatre heures. Cette fidélité n'est pas sans mérite. En effet, une première difficulté est de trouver une place assise et d'y rester. Avec, en moyenne, une place prévue pour 13 étudiants (à Paris-centre, 1 place pour 35 étudiants en Lettres), il se trouve beaucoup moins bien loti que son camarade britannique, allemand ou nord-américain (1 place pour 6 étudiants). En outre, le temps lui est mesuré, la fermeture à 18 ou 19 heures décourageant un travail de longue haleine. La seconde difficulté est souvent de trouver les conditions minimales d'un travail sérieux à partir d'usuels non mutilés, de périodiques sans numéros manquants, dans des salles de lecture qui ne se transforment pas en salles de récréation ou de détente. Dans bien des cas enfin, l'étudiant doit s'armer de patience pour obtenir les ouvrages situés en magasin et de courage pour renouveler sa demande, le cas échéant.
Hétérogène, le public étudiant qui fréquente les bibliothèques universitaires en attend des services qui varient avec la discipline, le mode d'organisation des enseignements et le niveau d'étude. En revanche, les besoins nouveaux liés, d'une part à l'extension et à la transformation de la population étudiante, d'autre part aux changements dans les méthodes d'organisation et d'évaluation de l'enseignement, sont les plus difficiles à maîtriser. La faible coordination sur le terrain entre les enseignants et les bibliothécaires complique la situation et rend difficile toute stratégie documentaire d'ensemble. Les premiers n'ont pas ou n'ont plus le « réflexe-bibliothèque ». Communiquer leur bibliographie à la BU, inciter les étudiants à se documenter par eux-mêmes et les orienter vers la bibliothèque de l'université reste le fait d'une minorité. Il est vrai que l'augmentation massive du nombre des étudiants sans augmentation parallèle des moyens en documentation les a poussés à opérer autrement, en particulier en généralisant la distribution aux étudiants de documents prêts-à-lire. Quant aux bibliothécaires, engagés dans une logique de gestion - si ce n'est de sauvegarde - ou de modernisation de l'outil documentaire, ils ne sont que rarement associés à la réflexion pédagogique et aux projets d'enseignement. Dans ces conditions, il leur est difficile de réévaluer et d'enrichir leur mission au sein de la communauté universitaire.
3. Le cru et le cuit
Le nouvel arrivant en première année d'université peut avoir la chance de bénéficier d'une séance d'initiation à la documentation organisée, par exemple, pendant la période d'accueil des DEUG rénovés. Cette prise de contact, utile, demeure insuffisante pour susciter le désir de se servir personnellement de l'outil documentaire. Si son goût personnel ne le porte pas à lire et à s'informer par lui-même, l'étudiant comprendra vite l'intérêt d'une stratégie plus pragmatique pour atteindre son objectif : figurer parmi les 30 à 40 % de ceux qui obtiennent le DEUG - ou son équivalent - en deux ou trois ans. Le processus de secondarisation de l'enseignement supérieur entraîne l'étudiant à n'affecter du temps qu'au travail universitaire trouvant sa valorisation au moment de l'examen, c'est-à-dire aux exercices demandés dans le cadre du contrôle continu et au bachotage des cours au moment des partiels. Dans certaines filières, très sélectives (odontologie, médecine), c'est l'esprit de concours qui est cultivé.
L'étude de l'occupation du temps de l'étudiant actuel, de la première année à la maîtrise, comparée à celle de la génération du début des années 1970, confirme ce constat. Observé au cours d'une « semaine de croisière », en début de second semestre, le temps hebdomadaire consacré aux études (36 heures en moyenne) a évolué dans la répartition entre le temps de présence aux cours et le temps de travail personnel. Le temps de cours, enseignement magistral et travaux pratiques ou travaux dirigés, augmente de plus de trois heures, alors que le temps de travail personnel accuse un fléchissement sensible de près de six heures en moyenne *. Dans ce contexte, qu'attend l'étudiant de la BU ? Une place entre deux cours pour préparer la fiche du prochain TP ou TD et des photocopieuses infatigables pour reproduire les notes d'un cours manqué, obligatoirement prêtées par un camarade bon copiste. En vue de l'évaluation de fin d'année, il devient rationnel de préférer le « tout-cuit » des documents de TD généreusement distribués ou des polycopiés et photocopies chèrement acquis, à la recherche « crue » et hasardeuse d'une information personnelle.
4. Recherche documentaire et recherche scientifique
A partir du moment où les objectifs de l'enseignement portent moins sur le rattrapage des apprentissages de base et l'accumulation des connaissances que sur la réflexion critique et la production de travaux personnels, l'étudiant de premier, deuxième et surtout troisième cycle doit passer d'un comportement de consommateur passif à celui d'un véritable découvreur de sa propre information.
Plus autonome, il rencontre l'univers des catalogues, des bulletins signalétiques spécialisés et des banques de données. Pour ce qui relève de la recherche documentaire automatisée, le médecin, le physicien ou le chimiste ont plus de chance que le juriste, l'économiste ou le littéraire, de bénéficier en cours d'étude, d'une formation ad hoc.
Et pourtant, la nouvelle génération étudiante est, dans son ensemble, prête à utiliser les outils modernes de l'information. Familiarisés avec les techniques multimédias (vidéo, télématique, informatique) utilisées déjà couramment dans leur vie scolaire et extra-scolaire, les étudiants n'ont pas vis-à-vis d'elles les appréhensions de leurs aînés. Tout au contraire, rendus exigeants par la qualité des images vidéo, du son des disques « compact », du graphisme, de l'interactivité des jeux électroniques, des informations immédiates du minitel, ils estimeraient normal et naturel de trouver dans les bibliothèques les mêmes instruments.
Propositions pour une meilleure insertion des bibliothèques dans et pour la communauté universitaire
Si un objectif pour l'avenir est de rendre la fréquentation des bibliothèques par un nombre croissant d'étudiants aussi naturelle que celle des amphithéâtres et aussi régulière que celle des salles de TD, il est nécessaire, d'une part de mettre en place une stratégie dynamique d'information et de formation, d'autre part d'accélérer l'aménagement de l'espace et du temps documentaires.
1. L'information et la formation des étudiants
- Informer
Avant d'être des outils, les bibliothèques universitaires sont des lieux, plus ou moins bien situés dans l'espace d'une ville ou d'un campus. Même dotées d'une bonne présence architecturale, elles manquent souvent de la « visibilité institutionnelle » nécessaire à leur notoriété et à la précision de leur image. Les BU ne doivent pas attendre d'être découvertes : elles doivent se faire connaître du reste de l'Université dans le cadre d'une véritable campagne d'information (présentation à l'extérieur par montage vidéo, affichettes avec déclinaison du message selon les services offerts, etc.), de relations publiques (participation aux semaines d'accueil, journées portes ouvertes) et d'animation sur place (manifestations culturelles, exposition).
L'information des usagers, surtout néophytes, sur l'outil proprement dit et son fonctionnement, doit être systématique, diversifiée et attrayante : carte des ressources du Service commun de la documentation, guide du lecteur, montage viédo, fascicule d'information inclus dans le livret ou guide de l'étudiant, visites accompagnées par petits groupes, accueil individuel sur un problème précis.
L'activité d'information du public doit être prioritaire : elle rassemble des tâches d'accueil (inscription, information sur les services offerts, localisation des salles et des services) et d'orientation du lecteur (recherche de cotes, d'ouvrages et manuels, établissement de fiches, bibliographie de base, interrogation des bases de données, gestion des logiciels et animation des ateliers informatiques...).
Lien entre les bibliothécaires et les étudiants dont ils sont proches, les étudiants moniteurs « apprivoisent » l'étudiant à la BU et devraient trouver une place privilégiée dans ces dispositifs d'information, sous le contrôle des personnels spécialisés.
- Former
La fréquentation d'une bibliothèque n'entraîne pas nécessairement son utilisation optimale. Une partie des étudiants dont la fidélité s'explique, entre autres, pour des raisons de commodité ou d'ambiance, reste très timorée dans son utilisation des divers services offerts. Changer cette situation suppose, en dehors d'éventuelles modifications dans les pratiques d'enseignement, une véritable formation à la méthodologie de base et aux nouvelles technologies de l'information scientifique et technique. C'est chose faite dans certaines universités et dans certains cursus (modules de sensibilisation à l'information scientifique et technique dans le cadre des « langages fondamentaux » pour les DEUG rénovés, unité de valeur de documentation dans certaines maîtrises, etc.).
La Commission recommande de généraliser cette formation dès le premier cycle, la réflexion sur cette innovation devant se faire avec les enseignants - encore largement indifférents - et spécialement les « enseignants interlocuteurs », médiateurs privilégiés entre les UFR et la bibliothèque.
Au-delà des effets directs sur la capacité des étudiants à chercher, trouver et évaluer l'information documentaire, cette formation devrait remplir une fonction indirecte de responsabilisation des usagers à l'égard d'un outil collectif que l'on respecte. Elle peut également amener les enseignants à réfléchir pour l'avenir à leur méthode d'enseignement et aux types de travaux demandés aux étudiants pour l'évaluation de leurs aptitudes et connaissances.
Il serait dommage, en effet, que les inévitables difficultés qui seront rencontrées avec l'afflux, souhaitable et attendu, d'un nombre croissant d'étudiants se résolvent au prix d'une véritable régression pédagogique : survalorisation du cours magistral, rôle dégradé de répétiteur joué par l'enseignant dans les groupes de TD ou TP, résignation à un nombre élevé d'échecs. La nécessaire acculturation des couches nouvelles d'étudiants - qualifiée plus prosaïquement de mise à niveau, d'enseignement de soutien - ne se fera que dans une pratique d'innovation pédagogique. L'enseignant ne peut pas être, de la première année de premier cycle jusqu'au doctorat, le tuteur de tous et de chacun. Assurant pleinement son rôle dans la diffusion d'un savoir qu'il contribue à créer, il peut donner à l'étudiant plus d'initiative pour se former à son rythme et selon son niveau de départ. Dans cette perspective, où l'accent est mis sur l'autonomie et le travail personnel de l'étudiant, la fonction documentaire sous toutes ses formes prend une nouvelle ampleur. A côté des manuels, périodiques et autres documents imprimés, la bibliothèque propose de nouveaux supports de l'information utilisables, par exemple, dans l'enseignement assisté par ordinateur, l'enseignement vidéo-tutoré, etc.
2. L'aménagement de l'espace et du temps documentaires
- Le libre accès aux documents
Un large accord s'exprime pour généraliser le système - prévu en 1962 et inégalement appliqué par la suite - du libre accès aux documents. La grande majorité des responsables de la documentation est convaincue que la possibilité ainsi donnée à l'utilisateur de se servir lui-même produit des effets bénéfiques sur sa pratique : mieux vaut faire circuler le lecteur que les livres.
Mais cette généralisation du libre accès soulève un certain nombre de difficultés. Une fois trouvée la place supplémentaire nécessaire et installé le système antivol, il reste à rendre efficace cette offre massive de documents à un public mal préparé. En effet, cette transformation n'est pas sans risque : le plaisir de la flânerie et des trouvailles inattendues à côté des livres recherchés ne doit pas tourner au cauchemar de quêtes infructueuses dans un labyrinthe de rayons hostiles. La signalisation, la disposition des rayons, le regroupement des ouvrages doivent faire l'objet d'une réflexion approfondie qui tienne compte non seulement de l'expérience des bibliothèques pionnières en la matière, mais également de l'expérience acquise en ce domaine par le secteur de la lecture publique et des musées.
- Les lieux d'accueil et les services périphériques
L'accueil de l'étudiant, problème important pour l'Université tout entière, est amélioré, à la périphérie des fonctions documentaires fondamentales, par la création d'espaces et de services divers : salles de travail libre, bibliothèques de loisirs, tables de presse, salle de photocopieuses en libre accès et en ordre de marche, et même fumoir, cafétéria, ou distributeur de boissons, appareils téléphoniques, kiosques à journaux, papeterie, librairie...
- Le temps d'ouverture
En Allemagne, les BU sont ouvertes entre 60 et 80 heures par semaine ; en France, la moyenne se situe aux environs de 40 heures.
Il faut avant tout privilégier de façon harmonieuse la demande des étudiants par rapport à l'offre bibliothécaire. Tenant compte du rythme de vie des étudiants et des contraintes de travail des étudiants salariés, l'extension des plages horaires et du nombre de jours ouverts dans l'année est nécessaire. Elle peut être modulée en fonction des situations locales et des sites. Mais elle doit s'accompagner d'une information large de ces nouveaux horaires d'ouverture, tant dans l'Université qu'à l'extérieur (dépliants, service minitel dans chaque ville ou région).
C'est avant et après les cours que les étudiants souhaitent naturellement accéder aux bibliothèques : celles-ci devraient être ouvertes tôt le matin (au plus tard à 9 heures) et jusque tard dans la soirée (22 heures), six jours par semaine. La participation des étudiants moniteurs devrait, en France comme dans d'autres grands pays industrialisés, faciliter cette large ouverture des bibliothèques. On peut considérer que 60 heures hebdomadaires sont un objectif minimal à assigner à toutes les bibliothèques universitaires françaises. Celles-ci devraient s'efforcer également d'assurer des permanences pendant les périodes de congés scolaires et universitaires de façon à faciliter la préparation des examens.
La coopération entre bibliothèques
L'accès universel à l'information, l'utopie et la dure réalité
Comme la culture, l'information doit être accessible à tous. Au-delà de la lutte contre les censures, politiques, religieuses... les Etats ont le devoir de faciliter cet accès universel, et des accords internationaux doivent le garantir à travers les frontières.
Tel est l'idéal, telle n'est pas la réalité.
En effet, l'information coûte cher, à produire, à mémoriser, à transporter, à distribuer. Les lois de l'offre et de la demande s'appliquent à elle : c'est un bien marchand, en amont d'un nombre considérable - et toujours croissant - d'activités lucratives.
Pour gagner de l'argent, des millions de personnes sont prêtes à payer l'information sans laquelle leur activité professionnelle, leur métier, mourrait.
Une politique de laisser-faire, voire l'absence de toute politique en la matière, peut donc conduire à une ségrégation entre des nantis, détenteurs de culture, d'information scientifique et consommateurs avertis du marché de l'information et, d'autre part, des exclus, privés de la maîtrise d'un savoir élémentaire, futurs « illettrés » de la société technicienne de demain.
Or les bibliothèques universitaires ont un rôle clé à jouer à cet égard. L'exemple de la médecine est édifiant : la médecine du XXIe siècle sera une médecine de l'information, décloisonnant les spécificités, et surtout prédictive, c'est-à-dire qu'elle devra permettre une prise de conscience dès l'enfance de l'existence d'un capital santé individuel, et de la nécessité de gérer soi-même ce capital santé. Comme il n'y a pas de possibilité d'information sérieuse sans le support de la recherche, l'information médicale ne peut être qu'universitaire : c'est une des missions premières de l'Université que de la structurer, la préparer, la diffuser.
Devant cette toile de fond, les acteurs en présence ont aujourd'hui des comportements désordonnés :
- les bibliothécaires sont traditionnellement très attachés au principe de gratuité de l'accès aux ouvrages, à l'information sur support-papier ; aux Etats-Unis, le prêt entre bibliothèques, d'un coût de revient élevé, n'est pas facturé aux lecteurs. A contrario, l'information sous ses formes « électroniques » est toujours payante ;
- certains producteurs d'information, telle la Chemical abstracts society, adoptent une attitude inamicale, abusant d'une situation de quasi-monopole pour contingenter l'information et/ou pour fixer unilatéralement les règles du jeu en ce qui concerne sa diffusion ;
- lorsque la Commission des Communautés européennes (Direction générale XIII) inscrit à son programme la création d'un marché européen de l'information, elle provoque des réunions entre producteurs, éditeurs et distributeurs, sans y associer les responsables de bibliothèques, qu'elle réunit entre eux à d'autres moments, comme s'ils n'étaient pas concernés par la même nécessité de se développer en réseau ;
- plus heureusement enfin, l'on voit apparaître ici et là des mécanismes régulateurs, des « tickets modérateurs » divers, qui permettent de canaliser les appétits en matière d'information tout en ménageant les budgets des bibliothèques.
La coopération : pourquoi ?
Tous ces comportements, les uns freinant le progrès, les autres l'accompagnant, soit pour en tirer profit, soit pour tenter de maintenir l'idéal de l'accès universel à l'information, témoignent d'une période de très rapide changement, où progressivement le caractère inéluctable de la coopération entre bibliothèques devient une évidence, dans un contexte de contraintes économiques croissantes. Il est intéressant d'en analyser les raisons :
1. à la veille de l'ouverture du grand marché intérieur européen, rappelons que la mobilité de l'information prime celle des personnes et des biens, car elle les conditionne ; même si elle est en principe plus facile à réaliser, il ne faut pas oublier de s'en donner les moyens ;
2. aucune bibliothèque de recherche ne peut prétendre offrir aujourd'hui, sur ses rayons, la totalité de l'information nécessaire à un chercheur, voire à un étudiant : les plus grandes bibliothèques mondiales pratiquent le prêt tant en offre qu'en demande, et ce n'est pas un paradoxe que le volume de ce prêt soit plus important en Grande-Bretagne (3 millions d'échanges par an) qu'en France (400 000), alors que les bibliothèques britanniques sont significativement plus riches ;
3. pour définir sa « politique de développement des collections », pour répartir ses achats dans les domaines pointus qu'elle a choisis comme priorités, une bibliothèque ne peut plus travailler isolément : elle doit s'ouvrir sur les autres, et de plus en plus souvent tenir un « contrat » négocié collégialement ;
4. tous ces aspects se renforcent d'année en année, la croissance exponentielle du volume de l'information produite partout dans le monde, à des prix eux-mêmes toujours plus élevés, étant sans commune mesure avec l'augmentation beaucoup plus modeste des budgets des bibliothèques, plus encore de leurs effectifs.
Avant d'examiner comment cette « opération inéluctable » est et doit être mise en oeuvre par les bibliothèques universitaires, quelques considérations méritent encore examen :
- les stratégies d'acquisition et le prêt entre bibliothèques sont étroitement liés : pensant à la coopération européenne, on devrait par exemple abandonner l'objectif de posséder, au niveau de l'ensemble des bibliothèques françaises, tout ce qui concerne l'Allemagne, mais bien plutôt mettre en place les plus grandes facilités d'accès aux collections allemandes elles-mêmes... et vice versa ;
- la coopération est rendue beaucoup plus efficace par l'emploi des nouvelles technologies d'archivage et de diffusion de l'information, mais a contrario ces dernières demeurent totalement inefficaces si les bibliothécaires n'ont pas envie de communiquer : la coopération doit d'abord être un état d'esprit, soutenu par des actions volontaristes en matière de formation initiale et de formation continue ; dans chaque bibliothèque, le personnel doit être conscient qu'il est aussi au service des publics de lecteurs éloignés ;
- même lorsque la coopération s'instaure à une échelle locale, elle s'étend progressivement, grâce aux associations régionales, aux réseaux nationaux, au réseau mondial. On peut s'interroger sur l'intérêt d'un « réseau européen », dès lors que l'on vise l'accès universel à l'information ;
- politiquement, il est utile de rechercher des stratégies d'alliances européennes - comme c'est le cas en matière industrielle - pour faire face à certaines menaces d'embargo sur telle ou telle source d'information américaine ou japonaise, et pour échapper à un combat inégal : il faut en particulier éviter que les règles édictées au niveau de la Communauté économique européenne en matière de propriété de l'information ne soient imposées par des lobbies américains ;
- enfin, il est essentiel de gérer la transition entre une information encore en partie gratuite (celle qui se trouve sur les supports traditionnels) et une information payante : la gratuité est une apparence, il y a toujours quelque part « quelqu'un » qui paie, et il serait précieux que ce « quelqu'un » fasse à l'avenir un choix plus réfléchi sur ce qu'il subventionne et ce qu'il laisse aux lois du marché. Notons que, si aux Etats-Unis, le prêt entre bibliothèques est à première vue gratuit, c'est que les établissements ont passé entre eux des accords supposant un quasi-équilibre de leurs échanges, et leur permettant de faire l'économie d'une lourde comptabilité.
La coopération : comment ?
Partant du postulat que l'information dispersée dans l'ensemble des bibliothèques relevant soit d'une collectivité territoriale soit d'un établissement public fait partie du patrimoine national et doit donc être mise à la disposition de tous, l'objectif fondamental de la coopération est de satisfaire les besoins du lecteur.
Dans un premier temps, il s'agit d'aider celui-ci à exprimer clairement ces besoins, et le cas échéant de l'y inciter par un mécanisme de « ticket modérateur » imposant une réflexion préalable (notons qu'en soi le temps passé par le lecteur en bibliothèque est un ticket modérateur).
En amont, donc, de l'accès proprement dit à l'information, la bibliothèque doit mettre des outils et des spécialistes à la disposition de l'utilisateur, afin de lui permettre d'affiner l'expression de ses besoins. Ces outils sont les banques de données bibliographiques ; ces spécialistes sont des interprètes chevronnés, sachant traduire chaque fois que cela est nécessaire la demande de l'étudiant, du chercheur, exprimée en langage général ou avec le vocabulaire propre à une autre discipline, dans la langue particulière du domaine de recherche concerné.
Cette première étape est souvent rendue encore plus complexe lorsque l'on souhaite utiliser les petites banques de données très pointues et souvent uniques, créées par les chercheurs eux-mêmes, par le fait que ces derniers utilisent des modes d'indexation sans aucune normalisation, singulièrement en ce qui concerne « l'indexation matière » (ou si l'on veut, les « mots-clés »).
A cet égard, il conviendrait de confier aux bibliothécaires spécialisés un rôle très important : orienter et fédérer ces banques de données en leur évitant l'isolement - partant l'abandon à terme - auquel conduirait une telle difficulté de dialogue en dehors du petit cercle des initiés.
Dans un deuxième temps, lorsque le lecteur ne trouve pas sur place l'information qu'il cherche, la bibliothèque doit lui permettre de la dénicher là où elle se trouve : elle fait appel alors à deux moyens fondamentaux, le ou les catalogues collectifs, le prêt entre bibliothèques. Cela suppose bien entendu que l'information est au moins présente et signalée quelque part ; et l'on ne peut se satisfaire d'une répartition anarchique de l'information.
Deux atouts permettent aux bibliothèques de mieux s'organiser à cette fin :
- la politique de développement des collections, et le système coopératif CONSPECTUS qui permet une répartition cohérente des rôles de chaque établissement ;
- les centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST) : la politique de leur développement doit être élaborée par des conseils nationaux d'acquisition (CNAC) dont la mise en place est devenue une priorité.
CONSPECTUS et CADIST offrent la possibilité d'optimiser, à enveloppe totale de budgets donnée, la couverture documentaire nationale, à condition bien entendu que l'information circule vite et complètement d'une bibliothèque à l'autre. C'est l'objectif que se donnent les catalogues collectifs : permettre la localisation des documents, et indiquer comment et où on peut se les procurer.
Dans un pays où nombre de bibliothèques ne bénéficient pas encore d'une gestion informatisée propre, il est essentiel de leur offrir rapidement ces possibilités de coopération. C'est pourquoi, dans un souci d'efficacité, il est nécessaire d'utiliser les réservoirs de notices bibliographiques existants, dès lors qu'ils se conforment aux usages internationaux, dans le respect des richesses culturelles françaises, en ce qui concerne tant notre langue que la description de tous les éléments de notre culture.
La plus-value, pour une bibliothèque de petite taille, est qu'elle peut ainsi récupérer son propre catalogue à bon compte. En l'absence d'informatisation locale, sa participation à un catalogue collectif lui permet de diffuser celui-ci sous toutes les formes possibles, par exemple en adressant des microfiches à tous les laboratoires de l'université, et de glisser, si elle le souhaite, ses données dans un réseau coopératif local...
L'expérience du catalogue collectif de périodiques a confirmé l'intérêt et la richesse de toutes ces possibilités, en même temps qu'elle faisait apparaître les obstacles psychologiques que doivent surmonter des personnes n'ayant pas toujours acquis le réflexe de la coopération ou bien, plus rarement, se considérant comme usagers exclusifs de leur collection. Des actions de sensibilisation et de formation sont indispensables pour permettre la véritable transformation de la profession qu'implique la mise en place des outils de coopération.
Il n'en est donc que plus urgent de conduire à bonne fin ce projet capital qu'est le catalogue collectif des ouvrages décrivant les collections des bibliothèques universitaires : ces dernières en attendent une amélioration très importante des services qu'elles offrent à leurs lecteurs. Pour aller vite, il faut extraire les notices contenues dans les grands réservoirs, dans un souci de cohérence globale, de qualité de l'information saisie et d'ouverture sur les réseaux internationaux.
Le projet en cours de développement sous l'autorité de la DBMIST satisfait heureusement aux principes :
- de qualité des notices (propreté) ;
- de format de dialogue permettant l'ouverture internationale. C'est un projet fédérateur. Mais il doit pouvoir être amélioré sur quatre points :
1. Son statut administratif: il y a lieu de donner au système une existence propre, à l'instar de ce qui fut fait pour le CCN. Il ne revient pas à l'administration centrale de gérer un outil collectif, qui doit être lié à ses adhérents par des relations contractuelles claires et précises. Une équipe d'administration de la banque de données doit être créée, à qui la gestion complète du catalogage collectif sera transférée. Pour éviter de surcharger encore la gestion et l'administration de l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires, qui s'est vu confier le SUNIST et le centre national du CCN faute d'une solution plus conforme aux missions de l'une et des autres, il y a lieu de revenir à une situation plus saine en créant un établissement public (ou un service extérieur national) à personnalité juridique et regroupant l'ensemble des entités chargées de soutenir la coopération entre bibliothèques : l'on pourra ainsi identifier clairement les responsabilités, les budgets et les emplois. Le Ministère, quant à lui, doit conserver les responsabilités politiques, qui « commandent la technique » ;
2. Les moyens en hommes : au-delà du développement du projet, il faut prévoir dès à présent, pour la recruter et la former, toute l'équipe qui assurera l'exploitation du système, les fonctions de représentation, l'assistance technique itinérante, la formation des formateurs. Un point essentiel concerne le souci de « priorité » des notices, dont l'expérience du CCN montre qu'il mobilise des moyens importants. Au total, 25 personnes doivent être rapidement rassemblées, y compris les informaticiens chargés du suivi technique en dehors du personnel d'exploitation du SUNIST. En tout état de cause, il faut s'interdire tout redéploiement de l'équipe du catalogue des périodiques (CCN) ;
3. Pour le financement du projet, il convient de tirer les leçons de l'expérience du CCN : faute d'un financement sain, la politique de promotion du système sera extrêmement fragile. Ses adhérents devront avoir un sens certain de la propriété commune de l'outil, qui pourrait équilibrer ses dépenses (autres que de personnel) en facturant les services qu'il rendra. Mais il faudra faire prendre conscience aux universités et aux directeurs de bibliothèques que l'autre solution, constituer leur propre catalogue et le poursuivre par les méthodes naturelles en le faisant par leur propre personnel, n'est pas gratuite. Enfin et surtout, sachant que, comme le CCN, le catalogue collectif des ouvrages - baptisé « pancatalogue » par la DBMIST - sera utilisé rapidement très au-delà du réseau des bibliothèques universitaires, il semble équitable que l'Education nationale n'en supporte pas seule le financement, évalué globalement à 15 millions de francs, mais que d'autres utilisateurs importants, Recherche, Industrie, Culture... y apportent leur contribution ;
4. S'agissant des ouvrages français venant de paraître, dont les notices définitives ne figurent encore dans aucun réservoir, mais qui concernent sans attendre la politique d'acquisition des bibliothèques, une articulation avec ELECTRE-BIBLIO, développé et géré par le Cercle de la librairie, devra être recherchée : il serait aberrant de se priver de données bibliographiques existantes, même si elles n'ont pas l'autorité qu'assurera leur remplacement ultérieur par les notices OPALE de la BN. Un module informatique supplémentaire devrait donc être réalisé, pour permettre un transfert direct des notices d'ELECTRE dans le catalogue collectif.
En ce qui concerne enfin le système de prêt entre bibliothèques, c'est un outil qui fonctionne correctement, mais qu'il faut faire évoluer vers une meilleure intégration européenne, en poursuivant les efforts entrepris pour le raccorder aux réseaux hollandais PICA et britannique LASER, par un système d'accords multiples.
La coopération entre bibliothèques est en effet un enjeu international: faute d'une accélération très significative du plan d'action en cours, faute des moyens indispensables, la France conserverait un dispositif « morcelé » dans « l'hexagonal », l'isolant au milieu d'un monde en évolution rapide, si bien que le marché de l'information serait dominé par les autres : partant, le développement scientifique et le rayonnement culturel de notre pays seraient gravement compromis.