Que vivent les revues
Généraliste ou spécialisée, la revue s'est différenciée des autres formes de presse dès le début du XIXe siècle. Fortement marquée par l'esprit de ses fondateurs et la conception éditoriale de l'équipe rédactionnelle, souvent créée à l'encontre des modes, elle ne répond à aucun " besoin " de marché et ne fonctionne pas selon des critères de rentabilité. Produit spécifique, avec un style, des idées, une esthétique propres, elle a un rapport au temps et à la page différent de celui du journal et du magazine, et fonde sa réussite sur les abonnements. Fragile, changeante, parfois éphémère, elle nécessite un traitement particulier en matière d'acquisition et de conservation. Pour éviter les erreurs du passé (ignorances, négligences, destructions), l'auteur exhorte les bibliothécaires à avoir une politique individuelle volontariste de curiosité, d'audace, et d'aide à la revue.
General or specialized, the review became differentiated from the other forms of press at the beginning of the 19th century. The review is deeply engraved by its founders' mind and by the publishing notion of the editing team. Often created against the customs, the review is not an answer to a market need and does not work according to profitability criteria. As a specific product, with distinctive style, ideas and aesthetic, it bears a relation with time and page which is different from the magazine and the newspaper ; it builds its success on subscriptions. Fragile, changing, sometimes short-lived, it needs a special treatment in the matter of acquisition and conservation. In order to avoid the mistakes of the past (ignorance, negligence, destruction), the author urges librarians to adopt an individual policy of curiosity, of audacity and help for the review.
Quelle place occupent les revues dans la production contemporaine ? Lieux d'échange, de réflexion, de création, elles alimentent la vie culturelle et intellectuelle en imposant un style, un esprit, une esthétique qui leur sont propres.
« Revuiste » dans l'âme, Olivier Corpet en appelle aux bibliothécaires pour qu'ils soutiennent le produit le plus fragile et le plus spécifique qui soit.
BBF. Qu'est-ce qui vous a personnellement amené à vous intéresser aux revues ?
Olivier Corpet. En tout premier lieu, le seul fait d'avoir participé activement à l'édition d'une revue pendant de nombreuses années. J'y ai connu tout ce qui fait la vie d'une revue, des amitiés tissées au fil des numéros et des comités de rédaction aux conflits d'autant plus exacerbés qu'ils ne portent pas seulement sur des questions intellectuelles mais également, et souvent même, sur des problèmes d'ordre affectif. Ce qui est inévitable, puisqu'une revue n'est pas seulement un recueil de textes, mais d'abord un lieu d'échange, de confrontation, un espace de création collective et de convivialité - et dans la vie intellectuelle littéraire ou scientifique, c'est plutôt rare, et donc précieux. L'activité revuiste permet une appropriation et une maîtrise, ou, si vous préférez, une autogestion du processus éditorial fort appréciable. Autre attrait de la publication en revue: celle-ci n'est jamais définitive comme dans un livre ; on peut toujours, si la revue est bien faite, revenir sur ce qu'on a écrit, en débattre avec d'autres, etc. En ce sens, la revue est - ou devrait être - un chantier en même temps qu'un milieu. Personnellement, j'ai toujours privilégié ce type de démarche, aux dépens d'une « stratégie » de publication plus individualiste. Enfin, en étudiant et en rééditant la revue Arguments (1956-1962) en 1983, j'avais pu mesurer l'importance d'une expérience revuiste tout à fait exceptionnelle sur l'itinéraire intellectuel et existentiel de ses principaux animateurs.
Pour toutes ces raisons, je me suis attaché depuis quelques années, avec tous ceux qui collaborent à Ent'revues et à La Revue des revues, à souligner l'importance du rôle des revues. Une manière pour nous de défendre et d'illustrer un genre, dont la disparition ou l'effacement aurait des conséquences considérables pour l'organisation de la vie intellectuelle et littéraire.
BBF. Puisque nous allons parler de revues, pouvez-vous, avant toute chose, donner une définition du genre ?
OC. Difficile, sinon impossible, d'en donner une définition stricte. Il est en tout cas tout à fait insuffisant de définir une revue par son format, sa périodicité ou son ISSN 1. Il est beaucoup plus important, en revanche, de souligner que la revue est un genre en soi, autonome, avec sa dynamique propre, sa logique, et qu'en tant que produit fragile, économiquement faible, elle nécessite à tous les niveaux un traitement particulier, approprié à ses spécificités, différent donc de ce qu'on pratique pour le livre ou la presse en général. La revue est le moins banalisé, et donc le plus difficilement normalisable, des produits de l'édition.
Le genre revue a d'ailleurs sa propre histoire: après s'être émancipée de la presse au début du XXe siècle, la revue a acquis progressivement sa forme moderne, contemporaine, au tournant du siècle, au moment où l'on parle effectivement d'un « âge d'or » des revues. Mais, pour l'instant, cette histoire des revues reste peu connue et, à quelques travaux universitaires près, leur singularité est noyée dans les histoires de la presse qui, le plus souvent, ne retiennent que quelques titres fameux. Quant aux revuistes qui ont joué un rôle si important, à l'image d'un Alfred Valette avec le Mercure de France, ou des frères Natanson pour La Revue blanche, il n'est pas fréquent que les histoires littéraires en relèvent l'existence. Et pourtant, que serait-il advenu, sans eux, de beaucoup d'oeuvres et d'auteurs ?
Cette genèse de la forme revue impose de distinguer nettement la revue des autres formes de presse, ce que l'appellation englobante et générique de « périodiques » couramment utilisée par les bibliothécaires, fût-ce pour des raisons compréhensibles de commodité de classement et de catalogage, ne permet pas de faire. Ceci peut d'ailleurs entraîner des confusions fâcheuses : je donnerai seulement l'exemple du livre récent d'une universitaire américaine, Shari Benstock, sur Les Femmes de la rive gauche (Éditions des femmes, 1987), dans lequel il est beaucoup question des revues éditées par des Américaines exilées à Paris dans les années 20 et 30. Or, les traductrices de l'ouvrage ont utilisé indifféremment les mots de « revue », de « journal » ou de « magazine » pour qualifier le Mercure de France ou Transition. Comme je m'étonnais de cette confusion auprès de l'éditeur, on m'a répondu que les traductrices avaient voulu éviter de toujours répéter le mot « revue » ! C'est un détail, me direz-vous. Soit. Mais il traduit une méconnaissance du monde des revues rendant impossible toute analyse scientifique.
BBF. Cela dit, cette distinction n'est pas toujours facile à faire. A-t-elle un intérêt autre qu'historique ?
OC. La ligne de partage se déplace en effet suivant les domaines et les époques. Et pour tout compliquer, certaines publications empruntent parfois aux deux genres pour aboutir à des formes hybrides. N'empêche, je crois que cette distinction est absolument indispensable pour connaître en profondeur les logiques de ce que j'appelle la « fabrique » des revues, fabrique autant éditoriale que matérielle. Cette distinction n'est donc pas seulement fondée historiquement, mais aussi sociologiquement et économiquement. A la différence d'un magazine, une revue n'a jamais été lancée à partir d'études de marché ou d'analyse marketing des prétendus goûts et besoins d'un public. Les revues qui comptent dans l'histoire, qu'elles aient été éphémères ou non, sont nées, pour la plupart, contre les goûts dominants, pour promouvoir de nouvelles valeurs esthétiques. Mais la différence porte aussi sur les moyens, sans commune mesure, entre les capitaux nécessaires pour lancer un magazine et ceux requis pour éditer une revue. Si, donc, le magazine tire son énergie d'un marché, réel ou supposé, la revue, elle, puise la sienne d'abord - et essentiellement - dans l'énergie, la personnalité et l'implication de ses fondateurs.
On ne change pas l'équipe de rédaction d'une revue, comme celle d'un magazine, sans prendre le risque de lui faire perdre son « âme », tant son style et sa dynamique sont liés à l'individu ou au groupe qui l'a fondée. A tout cela, on peut ajouter que, si le magazine, du fait même de l'importance des sommes investies dans' son lancement, n'a qu'un temps limité pour s'imposer, ou disparaître, la revue, elle, s'inscrit dans un rapport au temps et à l'actualité tout à fait différent. Disons, pour résumer, qu'avant de chercher à capter un lectorat, la revue doit avoir une esthétique, des idées, un projet éditorial à défendre. Et, dans ce domaine, le succès est souvent posthume.
Tout cela, pour souligner combien il est important, décisif, d'opérer cette distinction entre la revue et les autres formes de presse et d'édition. Ces différences sont autant d'échelle - d'un point de vue économique notamment -, que de nature - d'un point de vue éditorial.
BBF. Certains jugent la revue élitiste...
OC. La belle affaire ! Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement, puisque la revue n'a aucune évidence économique, ne relève pas, sauf accident, des processus de diffusion de masse, et que son influence réelle ne peut se calculer en nombre d'abonnés ou de lecteurs ? A la limite, on peut affirmer que la revue ne répond aujourd'hui à aucun « besoin » immédiat au sens qu'a cette catégorie dans notre système de consommation culturelle. La loi du marché ne peut que lui être fatale. Élitiste, la revue l'est donc forcément dans la mesure où elle s'adresse en priorité à un public particulier, à un public lettré, cultivé, ou à une communauté scientifique. Il n'y a pas, à proprement parler, de revue « grand public ». Et rien ne sert de se désoler de cet « élitisme » et de prendre prétexte des connotations négatives de ce terme, pour dé-qualifier ce support particulier.
BBF. Quels sont les différents types de revues ?
OC. Le spectre va des revues étroitement spécialisées - en général les revues scientifiques et techniques, qui s'adressent à une communauté bien déterminée - aux revues souvent appelées « généralistes » de type Esprit ou Les Temps modernes, qui correspondent aux exigences d'une « culture générale », telle qu'elle a eu cours pendant une bonne partie des XIXe et XXe siècles, avec une répartition des sommaires entre les arts, la littérature, les idées, etc. Des revues dites « éphémères » - qui ne durent guère plus que quelques mois ou, au mieux, quelques années - à celles qui passent d'une génération à l'autre, de décennie en décennie, souvent immuables, figées dans une réputation, un style.
Tant pour le passé que pour l'époque contemporaine, le monde des revues présente de quoi ravir l'amateur de typologies. Reste que face à l'industrialisation et à l'uniformisation croissantes de l'édition, les revues offrent une grande variété de formes et de formules éditoriales, qui correspondent mieux aux exigences de la création - notamment en littérature.
BBF. Ne sont-elles pas de plus en plus concurrencées par la presse et le livre ?
OC. Cette concurrence n'est pas vraiment nouvelle et, périodiquement, on a pronostiqué la fin des revues. Dans les années 50 et 60, par exemple, certains observateurs croyaient que les hebdomadaires comme les Nouvelles littéraires ou les suppléments comme ceux du Figaro, puis les magazines, comme L'Express ou Le Nouvel observateur, allaient définitivement supplanter les revues. Il n'en a rien été - du moins la réduction de l'importance et du rôle des revues n'a pas été due, je crois, à cette « concurrence ». Laquelle, justement, ne joue pas vraiment, tant revues et magazines évoluent selon des logiques et des dynamiques différentes.
Aujourd'hui, la tendance générale dans les magazines est plutôt de réduire de plus en plus la longueur des articles et l'épaisseur des dossiers ; de fait, si on souhaite publier des articles de fond et des études, la revue s'impose comme le support idéal, avec la possibilité qu'elle offre d'utiliser tous les registres d'écriture souhaités, de poursuivre un débat d'un numéro à l'autre, sans forcément soumettre la place disponible aux critères de rentabilité ou aux exigences d'annonceurs qui surdéterminent l'économie éditoriale des magazines et des quotidiens.
Ce qui me paraît plus menacer la forme revue, c'est la tendance de nombre d'entre elles à publier des numéros spéciaux, monothématiques, qui s'apparentent en fait à des quasi-livres. Le phénomène n'est pas si nouveau qu'on le croit d'habitude : en 1924, un courriériste littéraire en dénonçait déjà l'abus. Pour des raisons de commodité commerciale et aussi de classement dans les rayons ou les fichiers, les libraires et, dans une moindre mesure les bibliothécaires, encouragent cette formule qui, d'après eux, permet aux revues d'avoir davantage de lecteurs et d'acheteurs. Ce que croient également de nombreux revuistes.
BBF. C'est aussi votre opinion ?
OC. Non. Je pense que c'est, surtout de la part des revuistes, un mauvais calcul. Certes, ponctuellement, il est indéniable qu'un numéro à thème se vend mieux, surtout si ce thème coïncide avec une idée dans l'air, avec d'autres publications sur le même sujet ou je ne sais quel événement culturel. On l'a vu avec « Vienne » ou « Les années 50 », on le verra avec le Bicentenaire de la Révolution française. Mais, à long terme, cette programmation éditoriale thématique, qui se conçoit fort bien quand elle reste exceptionnelle et vient s'inscrire dans une série de numéros dits « ordinaires » - voyez par exemple le cas remarquable de la revue Critique -, devient problématique quand elle se systématise et qu'une revue se spécialise, si je puis dire, dans les numéros spéciaux. En ce cas, c'est le thème qui organise la revue et va jusqu'à lui imposer ses auteurs, les inévitables « spécialistes » du thème en question ; la revue est alors davantage conçue comme une petite encyclopédie de l'air du temps sur un sujet donné que comme un ensemble diversifié, avec ses rubriques régulières, ses chroniqueurs habituels, qui poursuit son travail de numéro en numéro. La pratique systématique du numéro thématique rompt cette continuité, tant dans l'esprit du lecteur que dans celui des rédacteurs. De thème en thème, la revue passe d'un public à un autre. Et, de fait, si elle gagne des lecteurs pour un numéro donné, elle risque de perdre des abonnés qui recherchent la revue plus pour elle-même que pour le thème abordé. Au total, l'équilibre général d'exploitation économique d'une revue peut s'en trouver déstabilisé, trop soumis aux caprices des engouements commerciaux.
L'existence d'une revue est, aussi bien économiquement qu'intellectuellement, fondée sur l'existence de ce rapport privilégié que constitue l'abonnement. Celui-ci suppose une confiance, une fidélité, plus encore, une connivence entre un abonné et « sa » revue, qui s'incarnent aussi bien dans la variété des chroniques que dans le ton de la revue, lesquels définissent son « esprit », au sens où on parlait de « l'esprit NRF » ou de « l'esprit Revue blanche ». Une revue, ce sont des auteurs que l'on retrouve régulièrement, des partis pris que l'on partage. Donc, en abandonnant ce qui traduit et justifie l'acte d'abonnement, les revues prennent un gros risque : celui de se laisser imposer leurs choix éditoriaux par le marché des idées ou par les modes et les opportunités commerciales momentanées qui y sont attachées.
Sans compter, enfin, que le découpage en thèmes, qu'il s'agisse d'une question, d'un mot, d'un pays ou de je ne sais quoi d'autre, n'est pas obligatoirement le meilleur moyen de favoriser la réflexion et la création.
BBF. Les auteurs semblent aujourd'hui préférer publier un livre plutôt qu'écrire un article dans une revue.
OC. C'est là, en effet, une menace inquiétante pour les revues : le changement des moeurs littéraires, l'inversion des voies d'accès à la notoriété. Au début du siècle, tout écrivain, aussi éminent et prestigieux fùt-il, trouvait normal d'écrire dans une revue, voire d'en créer une. Il y avait presque un snobisme de la « petite revue » que Gide, par exemple, même célèbre, a cultivé avec soin. Les revues étaient alors des espaces de sociabilité, des lieux d'existence collective. Tout jeune ou nouvel écrivain y faisait ses armes et bien souvent ses premiers livres n'étaient que des recueils d'articles. Aujourd'hui, un seul passage brillant dans une émission littéraire de grande audience pour un premier roman peut faire plus, côté vente et notoriété, que dix ans de publication en revues. Évidemment, ce phénomène fait réfléchir et gamberger les impatients. Cela dit, je crois là aussi qu'il s'agit d'un mauvais calcul car, moins il y aura de revues et plus les instances médiatiques joueront un rôle important dans la détermination des valeurs, plus les possibilités d'accès à la notoriété seront réduites : de plus en plus d'appelés et de moins en moins d'élus. Pour ne rien dire du caractère momentané, relatif et somme toute précaire d'un tel vedettariat.
Le travail des revues se situe aux antipodes de la facette de plus en plus spectaculaire d'une partie de la vie intellectuelle ou littéraire. Il peut être un efficace antidote aux poisons de ce spectaculaire car il suppose un travail lent, en profondeur, souterrain, fait d'humilité, de patience, d'opiniâtreté. Un travail aux effets non immédiats, un pari sur le temps. En ce sens, la revue peut apparaître comme une forme anachronique de création et de communication.
BBF. L'avenir des revues semble bien sombre !
OC. Depuis qu'elles existent - ou presque -, on parle de crise des revues. Ce qui, remarquons-le, ne décourage nullement des individus et des groupes de tenter l'aventure revuiste... Cette crise est-elle plus criante aujourd'hui ? Certes, certains phénomènes négatifs se sont aggravés comme, par exemple, l'accélération des rythmes de la vie littéraire qui peut aboutir à ce que, lorsqu'une revue parle d'un livre, celui-ci ait déjà disparu de la plupart des librairies. Mais, dans ce processus, c'est aussi le statut du livre qui se trouve menacé. Reste que malgré toutes ces difficultés, ou peut-être grâce à elles, un espace existe toujours pour l'intervention des revues ; il a même tendance à s'accroître d'une certaine manière, si on veut bien accepter que, tant pour la création que pour la critique, et même pour l'information, les autres formes de presse non seulement ne peuvent plus remplir toutes ces fonctions à la fois, surtout celle de création, mais laissent dans l'ombre une part sans cesse plus importante de la production littéraire ou intellectuelle. Le problème est de savoir si les revues sauront imposer leur propre rythme, puisque rien ne leur sert de courir après une « actualité » littéraire que plus personne aujourd'hui ne maîtrise vraiment. Les revues peuvent encore permettre de poser des garde-fous, des points de repère.
BBF. Beaucoup d'entre elles vivent de subventions. Sont-elles condamnées à être assistées ?
OC. Comme vous y allez ! Certes, il existe des revues qui sont entièrement soutenues par des institutions, les revues d'université par exemple. Mais la plupart sont loin de cette situation d'assistance généralisée que vous leur supposez et ne peuvent compter que sur leurs abonnés et les quelques économies de leurs créateurs, d'ailleurs vite épongées. Quant aux aides publiques, elles sont loin, très loin, dans la plupart des cas, de couvrir toutes les dépenses de production de la revue : le Centre national des lettres, par exemple, aide plusieurs dizaines de revues dans de nombreux domaines, mais ces subventions n'excèdent jamais 20 000 F en moyenne par revue et par an. Tout juste de quoi fabriquer un numéro, et encore ! Et pas de quoi payer les auteurs... Le bénévolat est la règle et le mécénat l'exception qui la confirme.
Ceci dit, une subvention, aussi généreuse soit-elle, ne crée pas une revue. Encore faut-il avoir quelque chose à dire, à écrire, à défendre...
BBF. Les bibliothèques auraient donc un rôle primordial à jouer dans la diffusion des revues ?
OC. Je ne vous le fais pas dire ! Toutefois, ce rôle ne concerne pas seulement la diffusion des revues contemporaines, mais également la conservation des revues anciennes. Or, à ces différents niveaux, il faut constater, hélas, que les bibliothèques ne sont pas exemptes de défaillances, dues, pour une grande part, non à des négligences professionnelles, mais à une approche générale du monde des revues qui ne tient pas assez compte des spécificités de celles-ci.
Je m'explique: lorsqu'en 1986 nous avons voulu faire une exposition sur les années 30, nous avons été obligés de faire généralement appel à des collections privées tant il était difficile, d'une part, de trouver ces revues dans les bibliothèques, et, d'autre part, lorsque cela arrivait, de pouvoir les montrer, à cause notamment des reliures. Vous n'imaginez pas le nombre de couvertures perdues, de fascicules rognés, de tampons grossiers, etc. Des pratiques qui, sous prétexte de commodité, de conservation et de consultation fort discutables, surtout lorsqu'il s'agit de petites revues rares et fragiles, menacent l'intégrité matérielle de celles-ci. Bien sûr, on me répondra que ces pratiques barbares n'ont plus cours aujourd'hui. Tant mieux, mais quels dégâts en attendant !
C'est d'ailleurs pourquoi les chercheurs qui travaillent sur les revues se heurtent souvent à de nombreuses difficultés pour les trouver, surtout leurs collections complètes, bien conservées ; ce qui témoigne, au passage, que les politiques d'acquisition dans le passé n'ont pas toujours fait preuve de beaucoup d'audace et d'intelligence. Là encore, ce qui est en jeu, c'est le caractère particulier des revues, dont la plupart sont des objets d'artisanat de petite série produits par des personnes qui se soucient comme d'une guigne des problèmes de conservation future et des affres de classement des bibliothécaires. Comment pourrait-il en être autrement ?
Si on veut mener un travail précis sur des revues anciennes, il est donc nécessaire de revenir à la revue elle-même. Mais, pour cela, il faut encore pouvoir en disposer dans des conditions correctes. Ce qui suppose au moins que la revue soit considérée comme un objet culturel et comme une partie intégrante, et précieuse, du patrimoine. Et plus une revue est petite, fragile, rare, moins il est possible de la traiter comme n'importe quelle autre publication. La diversité même du contenu d'une revue, la fréquence de ses changements de format, de couleurs, d'éditeur, parfois de titre, empêchent ou rendent inopérante toute uniformisation des procédés de catalogage. Il faut n'avoir jamais lu de revues pour ne pas le comprendre.
BBF. Les bibliothécaires se heurtent à des difficultés de tous ordres. La production souvent capricieuse et surabondante des revues n'en. est-elle pas une réelle ?
OC. N'exagérons rien ! L'abondance des revues est loin d'être comparable à celle des ouvrages, dont beaucoup, souvent nullissimes, encombrent les tables des libraires. Actuellement, seules quelques centaines de revues cherchent vraiment à atteindre un public. D'un côté, des revues classiques, largement connues, du type Esprit, NRF, faciles à trouver, de l'autre, des revues plus discrètes, parfois plus novatrices, quelquefois très belles, très réussies, mais dont il ne paraîtra jamais que deux ou trois numéros. Et celles-ci, en effet, sont parfois difficiles à se procurer. Combien d'entre elles ont disparu trop rapidement parce qu'il leur aura manqué deux cents bibliothécaires pour s'abonner dès l'annonce de leur parution ?
Beaucoup de bibliothécaires sont d'accord pour admettre que l'apport des revues à la littérature et aux idées a été fondamental, précurseur, mais trop peu en tirent les conclusions qui s'imposent, à commencer par la nécessité d'aller à la rencontre de ces revues et de savoir les accueillir. Sans tarder et sans faire trop de chichis parce que telle nouvelle revue a oublié de mettre son ISSN ou telle autre s'est emmêlée les pinceaux dans ses tarifs d'abonnement. Sinon, c'est inévitablement la prime aux sortants et l'absence de renouvellement.
Évidemment, il y a des problèmes de budget. Mais qu'on cesse de nous répéter que les bibliothèques sont obligées de sacrifier certains abonnements - au détriment le plus souvent de petites revues, et qu'elles n'y peuvent rien. Elles sont obligées à des choix, soit, mais finalement elles choisissent telle revue plutôt que telle autre, non ? Je me demande simplement si, dans tous les cas, ces choix intègrent la question du patrimoine, de sa nécessaire diversité, de son renouvellement. Une bibliothèque comme celle de la Sorbonne a donc tout à fait raison de se vanter de n'avoir jamais supprimé un abonnement depuis sa création.
BBF. Quels conseils donner aux bibliothécaires pour que change cet état de fait ?
OC. Tout simplement ne pas attendre que les revues leur soient parachutées et ne pas se contenter des choix imposés par l'habitude. C'est aux bibliothécaires d'aller les chercher, de les dénicher là où elles se trouvent et parfois même se cachent. Le plus souvent dans quelques rares librairies. Sinon, immanquablement, ce seront toujours les mêmes revues qui seront sur les présentoirs.
BBF. Les revuistes pourraient aussi se rendre en bibliothèque, comme le font les représentants de certaines maisons d'édition.
OC. Excellente suggestion ! Mais combien de bibliothèques sont prêtes à accueillir vraiment des revuistes et à ne pas se contenter de leur demander un service gratuit de la revue « pour voir » ? De toute façon, cela ne peut remplacer une démarche volontariste des bibliothécaires, d'autant plus nécessaire que les revues professionnelles comme Livres Hebdo, ou même Préfaces, n'assurent pas, pour l'instant, une information suivie et systématique sur les revues, s'en tenant pour l'essentiel aux numéros thématiques.
BBF. Ne pourrait-on envisager un organisme centralisateur susceptible de fournir toute information concernant les revues produites en France ?
OC. A priori, je me méfierais d'une telle solution, pour la raison simple, déjà maintes fois mentionnée dans cet entretien, que la revue est un produit rétif à la normalisation et donc qu'un organisme central de ce type risquerait d'être à la fois extrêmement coûteux et rapidement inefficace.
A l'usage, on doit constater que les sources d'information existantes, comme le Catalogue collectif national des publications en série (CCN) sont loin d'être satisfaisantes. Par exemple, si vous cherchez aujourd'hui à obtenir des données aussi élémentaires que les dates exactes de début et de fin d'une revue ancienne, ou le nom de son directeur, cela nécessite des recherches incroyablement longues et des vérifications minutieuses, car la plupart des informations disponibles sont sujettes à caution. Je ne vous donnerai qu'un exemple, mais il est éloquent, à propos du fameux catalogue sur Les petites revues 2 de Rémy de Gourmont, que tous les bibliothécaires connaissent bien. Eh bien, ce catalogue, pourtant réalisé avec soin par un homme qui était conservateur à la Bibliothèque nationale et portait une grande attention aux revues, est truffé d'erreurs sur les dates, les titres, les lieux de parution, les formats, etc. Et on pourrait vraisemblablement en dire autant des quelques rares autres catalogues existants.
Avec les revues contemporaines, la difficulté n'est pas moins grande. Nous en avons fait l'expérience lorsque, à Ent'revues, nous avons réalisé, au début de cette année 88, deux répertoires consacrés aux revues existantes dans deux domaines bien circonscrits : la musique et l'art du livre. Le travail de recherche et de vérification nécessaire pour établir la « carte d'identité éditoriale » de chaque revue, c'est-à-dire les adresses de la rédaction et de la diffusion, .les tarifs d'abonnement, les principaux thèmes, etc., a été beaucoup plus difficile et long à faire que ce qu'on pourrait tout d'abord croire en voyant le résultat. Vous pouvez imaginer ce que cela serait si on réalisait un répertoire des revues littéraires ou poétiques ! Cette expérience nous a en tout cas montré l'impossibilité de réaliser un répertoire systématique de toutes les revues : d'abord parce que chacun en attend des informations différentes, ensuite parce que, le temps de le préparer et de l'éditer, nombre de revues présentées auraient disparu, changé d'adresse, de tarif, etc. La difficulté est doublée du fait que les revues elles-mêmes ne se connaissent pas très bien et ont parfois du mal à donner des informations exactes les concernant !
De tout cela, je tire donc l'idée, d'une part, qu'il ne faut pas tout attendre des catalogues et des répertoires existants et qu'il est indispensable de se reporter directement aux revues elles-mêmes, d'autre part, que les systèmes d'information sur les revues anciennes ou contemporaines doivent impérativement être adaptés aux spécificités des revues, voire à leurs anomalies et à leurs fantaisies, sinon ils ne sont et ne seront d'aucune utilité. D'où l'importance, soit dit en passant, d'une saisie minutieuse, intelligente, appropriée à chaque cas d'espèce, de toutes les données qui doivent figurer dans les catalogues.
BBF. Dans leur choix de revues contemporaines, les bibliothécaires cherchent avant tout à satisfaire la demande du public.
OC. C'est entendu, mais tout le problème est de savoir comment se forment et s'expriment cette demande ou ces besoins du public. A-t-on besoin d'une revue littéraire comme on a besoin d'un magazine ou d'un journal ? Qui, au début du siècle, avait besoin de la NRF quand elle n'avait que quelques centaines d'abonnés, ou des petites revues surréalistes, aujourd'hui si recherchées ? Peu de gens en réalité. Mais s'il a été possible de compléter les collections de la NRF en raison du succès durable de celle-ci, en revanche, très peu de bibliothèques peuvent aujourd'hui présenter les séries complètes de toutes ces petites revues dont la notoriété ne fut acquise qu'après leur disparition. Et lorsqu'on veut rééditer certaines d'entre elles, c'est parfois à l'étranger qu'il faut aller chercher des exemplaires originaux. Il y a un risque important, surtout pour les revues, que la demande du public porte uniquement sur le « déjà connu », sur les valeurs installées.
Ces négligences du passé, avec leurs conséquences parfois catastrophiques au niveau du patrimoine, devraient donc inciter à ne pas régler les politiques d'acquisition sur les seuls « besoins » du public. Des bibliothèques publiques se désolent souvent de ne pas faire plus pour les revues, mais simultanément, elles consacrent une partie importante de leur budget d'acquisition de périodiques à des magazines et des quotidiens. Reconnaissez qu'il peut parfois paraître un peu choquant que des présentoirs de périodiques ressemblent trop à un étal de kiosque Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP). On pourrait presque assimiler ces pratiques - qui heureusement ne sont pas la règle partout - à une forme déguisée de subventions à la presse. Pourtant, il semble bien que des abonnements à certains magazines de faible intérêt culturel pourraient être avantageusement remplacés par des abonnements à des revues. Les différences de coût entre ces abonnements sont d'ailleurs tellement grandes que cela permettrait sans doute aux bibliothèques de présenter une gamme plus importante de revues.
La plupart des bibliothécaires avec lesquels nous avons eu l'occasion d'aborder ces questions nous jurent leurs grands dieux que leur principale préoccupation est de favoriser autant que faire se peut, les revues et livres « difficiles,». Soit. Mais alors, comment se fait-il que de nouvelles revues, à l'évidence intéressantes, originales et exigeantes, n'arrivent pas, au bout d'une année d'existence, à dépasser quelques dizaines, au mieux quelques centaines d'abonnements, dont beaucoup d'individuels ? Le même constat vaut pour les livres des petites maisons d'édition. A part cela, certaines bibliothèques achètent sans sourciller plusieurs exemplaires du dernier Goncourt !
Quant aux bibliothécaires qui prétendent que des lectures faciles peuvent amener par la suite le lecteur à avoir plus d'exigence dans ses choix, ils me semblent avoir une conception bien paternaliste de la lecture publique. Qui plus est, on ne peut être que réservé sur la démarche elle-même. Il ne suffit pas de lire Géo pour avoir automatiquement envie de se précipiter sur Hérodote, ni de feuilleter régulièrement Paris-Match pour ne plus pouvoir se passer du Débat. En tout cas, j'attends avec curiosité la démonstration.
BBF. Vous adressez des reproches aux bibliothécaires. Ne pourrait-on également reprocher aux revuistes un manque de professionnalisme ? Un mépris délibéré pour tous les aspects commerciaux inhérents à l'édition ?
OC. Je vous accorde volontiers que certains revuistes font parfois preuve de négligences coupables, oublient par exemple de mentionner l'ISSN ou le prix de vente, font paraître leurs revues avec retard, etc. Mais, dans l'ensemble, leur professionnalisme au niveau de la fabrication n'est pas en cause ; certains accomplissent même des prouesses avec de petits budgets. Et souvent ils manifestent des exigences littéraires et esthétiques dont beaucoup d'éditeurs plus commerciaux ne sont plus, ou pas, capables. Nombre de revues ne se contentent pas de publier des textes au kilomètre, mais s'attachent à réaliser des mises en page originales, à créer des objets uniques, veillant de près à la qualité du papier, des reproductions, etc.
Sur le plan commercial, l'affaire est plus compliquée. En effet, certaines revues ne font certainement pas tous les efforts qu'il faudrait pour se faire mieux connaître et diffuser. Nous sommes bien placés, à Ent'revues, pour nous en rendre compte et chaque fois que nous en avons l'occasion, nous invitons les revues à mieux prendre en compte les contraintes commerciales. Cela dit, pour leur défense, il faut bien reconnaître qu'elles n'ont pas la partie facile: combien d'entre elles ont envoyé des centaines de dépliants à des bibliothèques pour des résultats le plus souvent médiocres ? Combien se sont fait proprement jeter dehors par des libraires ? Combien ont passé des heures, des journées à tenir un stand dans un salon ou une fête du livre sans autre résultat que des regards indifférents et des marques de doigts sur les couvertures des exemplaires exposés ? Combien ont envoyé maints exemplaires en service de presse dans des journaux et à des radios sans jamais aucun écho ? On peut comprendre que les revuistes préfèrent investir toute leur passion dans la conception et la fabrication de leur publication.
Plus l'édition ira en s'industrialisant, plus les systèmes d'information seront normalisants, plus les circuits de diffusion seront réservés aux produits standardisés, estampillés avec le code barres qui défigure les plus belles couvertures, plus, en effet, la situation des revues sera difficile, plus elles seront marginalisées.
BBF. Certains bibliothécaires pensent qu'ils devraient agir en concertation, répartir entre eux les abonnements, afin de ne pas choisir les mêmes revues en ignorant les autres.
OC. L'intention est louable, mais un système de répartition générale, outre qu'il peut favoriser rapidement une bureaucratisation improductive, risque de privilégier une fois de plus les revues les plus connues.
Personnellement, je ferais plus volontiers confiance à la libre détermination de chaque bibliothécaire en fonction de sa propre expérience, de ses possibilités, de ses exigences. La responsabilité des bons et mauvais choix doit incomber au bibliothécaire lui-même et non être renvoyée à je ne sais quelle instance de répartition ou centrale d'achat. Une bibliothèque, comme une librairie, se juge à ses revues. Et puis, mieux vaut deux bibliothèques d'une même ville ou d'une même région qui achètent la même petite revue qu'aucune - comme hélas cela arrive le plus souvent. Et pourquoi ne pas commencer par compléter dès maintenant les collections existantes ? Il y a des bouquinistes qui ont des milliers de revues à revendre, à des prix intéressants.
De même, pourquoi des bibliothèques ne cherchent-elles pas, pendant qu'il en est encore temps, à se procurer des séries de certaines revues publiées ces dernières années, et déjà fameuses, comme, par exemple, L'Ire des vents, Argile, L'Éphémère, etc. ? Il y a vraiment de quoi faire, sans attendre je ne sais quelle transformation globale du système de lecture publique, ou une hypothétique conversion radicale des mentalités et des comportements. Les revues ne seront donc pas « sauvées » par des incitations administratives pas plus que par l'intervention du Saint-Esprit. Leur seule chance en bibliothèque, c'est l'intelligence des bibliothécaires, leur esprit de curiosité, leur volonté de traduire leurs bonnes intentions en actes. Par exemple, pourquoi les bibliothèques ne prendraient-elles pas plus souvent le « risque » - au demeurant limité financièrement parlant - de s'abonner à de nouvelles revues dès leur création, au lieu d'attendre une ou deux années pour se réveiller - trop tard souvent ! La question est évidemment de savoir dans quelle mesure les bibliothécaires pourront dégager du temps suffisant et obtenir les moyens pour devenir de véritables amateurs de revues, alors qu'ils paraissent, comme les libraires, de plus en plus accaparés par la gestion des flux d'ouvrages, d'informations, de références, et par les conséquences et contraintes de l'informatisation. Or, sur ce point crucial, il n'est guère facile d'être optimiste. D'autant que les revues, qui requièrent, on ne le répétera jamais assez, un traitement spécifique, sont bien placées pour faire les frais de tous les « progrès » de l'informatisation et de la communication.
BBF. Depuis sa création, l'association Ent'revues se consacre exclusivement à la vie des revues. Quels sont ses objectifs et quels moyens a-t-elle pour y parvenir ?
OC. Nous avons procédé en 1985 - à la demande de la Direction du livre et de la lecture - à une analyse de la situation concrète des revues en France, dans le prolongement d'une rencontre organisée à Villeurbanne en 1984. Dans le rapport publié ensuite dans le premier numéro de La Revue des revues en mars 1986, nous avons notamment constaté qu'une bonne partie des politiques d'aides aux revues, par le biais des crédits d'achat de livres au CNL, ou par celui de la promotion des revues à l'étranger faite par le ministère des Affaires étrangères, étaient l'objet de toutes sortes de détournements au profit des magazines, ou ne profitaient qu'aux revues les plus conventionnelles, contrairement aux objectifs affichés. Une fois de plus, nous constations l'effet malheureux d'une confusion entre la revue et les autres « périodiques ».
Nous avons donc cherché à définir une « politique des revues » qui s'organise autour d'une politique d'aide, d'une politique de promotion et d'une politique du patrimoine, avec l'idée que des réponses durables et efficientes ne pourront être trouvées que dans une intervention concertée de tous les acteurs de la vie des revues. Pour cela, nous avons étudié le rôle joué par chacun de ces acteurs, notamment les bibliothécaires, et envisagé des réformes et des actions susceptibles de relancer l'intérêt pour les revues et de souligner leur importance. Dès la création d'Ent'revues, en février 1986, nous avons engagé un programme d'expositions, d'édition d'ouvrages de recherche et de documentation - comme par exemple celui que nous allons publier au début de l'année prochaine sur les revues des années 30 -, et de valorisation des fonds spécialisés de revues existant dans les bibliothèques, publiques ou privées. Une rubrique régulière « Fonds et archives » figure d'ailleurs dans La Revue des revues.
Cette action sur le patrimoine s'inscrit dans notre projet plus spécifiquement scientifique de faire de la revue et des revues un objet d'étude et un champ de recherche. Enfin, parallèlement à cet effort, nous entreprenons avec différents partenaires, principalement des libraires et des bibliothécaires, des actions de promotion du type de la « Quinzaine de la revue » qui a eu lieu en 1986 et 1987, et reprendra en 1989 suivant une formule renouvelée. Mais il faut bien remarquer, et déplorer que, jusqu'ici, pour des tas de « bonnes » raisons, les bibliothèques n'ont pas montré un grand empressement à participer à ces actions. Les libraires ont été généralement beaucoup plus réceptifs et actifs.
BBF. Menez-vous une action au niveau de la formation ?
OC. Lors de notre enquête de 1985, nous avions relevé que le programme de formation de l'École nationale supérieure de bibliothécaires (ENSB) ne comportait aucune formation spécifique consacrée aux revues, à l'exception d'une seule heure de cours sur la presse en général. La situation n'est guère meilleure dans les universités et les institutions qui proposent des formations sur les métiers du livre et de l'édition ou sur la presse. Nulle part le phénomène revue n'est l'objet d'une présentation spécifique. Rien d'étonnant donc à ce qu'il soit si méconnu ou mal connu. Je dois signaler toutefois que lors de la première « Quinzaine de la revue », en novembre 1986, nous avons organisé avec l'ENSB une journée d'étude complète sur les revues 3. Mais Ent'revues est une structure d'intervention légère, avec des moyens limités et notre tâche n'est pas d'assurer nous-mêmes des programmes de formation. Ceux-ci doivent relever des établissements concernés. Notre premier souci, c'est de réussir à sensibiliser les différents responsables de ces formations à cette problématique des revues. Et pour cela, nous sommes évidemment disponibles pour intervenir au coup par coup.
Dans ce domaine comme dans les autres, notre ambition n'est pas de pallier les insuffisances et les manques que nous relevons ici et là ou de nous substituer aux acteurs directement intéressés et impliqués dans la vie des revues, pas plus que nous avons la mission de « sauver » les revues. Plus modestement, mais plus orgueilleusement aussi, nous voulons être un rappel contre l'indifférence vis-à-vis des revues, et un pôle de référence, en même temps qu'un lieu de recherche et de dialogue sur ce phénomène. Tout simplement parce que nous croyons que le coût intellectuel et culturel d'une disparition de ce média pas comme les autres serait très lourd. Un tel effacement modifierait radicalement, je le crains, l'ensemble des structures et des processus qui déterminent la vie et la création littéraire, artistique ou intellectuelle.
BBF. Pouvez-vous dresser un premier bilan de votre action ?
OC. Je vous répondrai seulement que lorsque nous avons créé Ent'revues, il y a trois ans, en accord avec nos principaux interlocuteurs - la Direction du livre et de la lecture et le Centre national des lettres -, nous avons décidé d'engager une action dans plusieurs directions, de faire principalement la promotion du genre revue et la valorisation du patrimoine des revues. Nous avions donc pris notre parti d'une action de longue durée, en profondeur, peu spectaculaire - à l'exception de quelques manifestations ponctuelles de promotion comme la « Quinzaine de la revue » ou la participation à certains salons du livre, ou encore à tous les débats où nous sommes conviés. Je crois que sur ces points, nous avons obtenu quelques succès, qui se traduisent notamment par la diffusion croissante, tant en France qu'à l'étranger, de La Revue des revues, celle-ci étant de plus en plus considérée comme un outil d'information et de réflexion indispensable.
Au nombre croissant des demandes d'information de toutes sortes qui nous sont adressées chaque semaine, nous pouvons nous rendre compte que de plus en plus de revues, de libraires et de bibliothécaires connaissent notre existence. Les premiers répertoires que nous avons réalisés à titre expérimental ont été jugés fort utiles par les revues et les libraires. Nous envisageons d'ailleurs d'en faire d'autres prochainement, sur les revues d'art et les revues de sciences sociales. Toutefois, comme je l'ai déjà dit, si un nombre non négligeable de libraires s'intéressent à notre action, participent aux « Quinzaines de la revue », diffusent La Revue des revues, les rapports avec les bibliothèques sont, en revanche, plus difficiles à établir.
Disons, pour conclure, que notre principale satisfaction dans cette affaire de revues, c'est d'avoir au moins réussi, me semble-t-il, à installer une interrogation.